L’horlogère égarée perçue l’échange entre les deux hommes derrière un voile trouble. Tout cela lui parut flou, obscur, voir même totalement incompréhensible. Ils parlaient de blessés, au pluriel, d’un camp destiné à les accueillir… De Cerka, une ville bien loin de chez elle où la jeune femme pensait pourtant être… Intriguée, Sanaë cherchait à comprendre, suivant la conversation avec le peu de capacité d’attention qui lui restait.
Sa tête la faisait atrocement souffrir, si bien que leurs voix semblaient étouffées dans une cacophonie de sifflement désagréables. Le cœur déjà au bord des lèvres depuis son réveil, la jeune femme fut à présent prise de bouffées de chaleur… Non… Ça n’allait décidément pas, rien n’allait, que ce soit son état ou cette situation presque ubuesque. Pour elle, toute cette histoire n’avait ni queue, ni tête… Elle n’était pas à sa place, loin de là, même. Sanaë aurait dû se trouver chez elle, dans son atelier à travailler aux côtés de son frère… Pas … ici…
L’horlogère perdue ne cessait de cligner des yeux, essayant de se concentrer ou de faire disparaître ces hommes qu’elle ne connaissait pas… L’intention y était sans qu’elle ne puisse réellement la déchiffrer. Tout était flou, improbable et irréel… Une hallucination peut-être, ou plutôt un cauchemar aux allures bien réelles, la douleur dans son crâne sonnant comme une preuve bien cruelle. Elle observa le milicien partir et l’homme inconnu, à son côté, se retourner vers elle, la mine désolée.
Il semblait choisir ses mots, soigneusement, avec attention pour ne pas la brusquer avec une révélation toute aussi irréelle que le reste.
- Mon… Gamin ? demanda-t-elle en écarquillant les yeux, surprise par une telle annonce. Mais… euh… C’est que je n’ai pas d’enfant. Je ne comprends absolument rien à ce que vous me racontez...
Entendant la suite de sa phrase, Sanaë porta une main hésitante à sa tête douloureuse, visiblement pansée avec les moyens du bord. Une plaie à la tête… Ceci expliquait beaucoup de choses…
- Vous avez raison… Je pense que nous en avons tous deux besoin… Pour cela, dit-elle en désignant le bandage de fortune. merci...
Elle se releva péniblement, luttant contre ses nausées persistantes et le monde qui semblait vouloir se dérober sous ses pieds. Malgré tout, la jeune femme tandis la main vers l’homme qui lui avait porté secours, simplement, car il lui était impossible de ne pas l’aider en retour. L’inconnu semblait blessé, peut-être plus qu’elle, malgré un traumatisme crânien évident. Les signes ne manquaient pas : céphalées, nausées, vertiges… amnésie… Il lui fallait trouver un médecin au plus vite.
- Allons-y, lança-t-elle en l’aidant à se relever comme elle le pouvait. Je pense que nous serons tous deux la béquille de l’autre. Vous savez où se trouve l’endroit dont le milicien parlait ?
Lentement, mais sûrement, ils se diffèrent vers le lieu indiqué. L’endroit regorgeait de corps éparpillés dont certains étaient recouverts de linges blancs déjà souillés de tache écarlate. La jeune femme cligna des paupières plusieurs fois, essayant de comprendre ce qu’il s’était joué ici. Elle ne connaissait pas les lieux, ou tout du moins, n’en avait aucun souvenir…
- Que s’est-il passé ? murmura-t-elle en retenant un énième râle de douleur.
Soutenir un poids pareil alors qu’elle ne tenait qu’à peine sur ses propres jambes devenait de plus en plus pénible. Et ce qui devait arriver arriva, l’horlogère chancela pour finir sur les genoux, entraînant forcément l’inconnu avec elle. La scène attira l’attention d’un des médecins présents, qui se précipita vers eux pour les prendre en charge. Sanaë ne vit rien de la suite. Prise d’un nouveau vertige, plus fort que les précédents, la jeune fille tomba une nouvelle fois dans l’inconscience pour ne se réveiller que plusieurs jours plus tard dans un hôpital de sa région natale. De cet épisode, elle ne garda absolument rien en mémoire, oubliant absolument tout.