À la douzième heure du septième jour

Elle suit du regard le couple d'oiseaux qui fend les cieux avec une aisance parfaitement irritante. Orshin s'est montré particulièrement avare avec les humains. Pourquoi ne les a-t-il pas dotés d'ailes? C'est une question qu'elle s'est souvent posée par le passé et qui la taraude encore aujourd'hui. Elle aurait pu voler aux côtés de Möchlog si seulement l'Araignée s'était montrée plus généreuse. Et à défaut, elle doit se contenter d'arpenter un sol qui devient de plus en plus aride à mesure qu'elle s'avance vers les Kharaals.

Les montagnes sont à quelques lieues et déchirent majestueusement l'immensité du ciel. Le spectacle est captivant. Il pourrait rappeler aux plus faibles des my'träns qu'ils ne sont décidément que peu de choses face à la toute puissance de la nature. Mais Zora refuse de s'abandonner à de telles considérations. Elle n'est pas tout le monde. Et si sa taille reste relative à côté de ces titans de roche, son influence s'étendra aussi loin que les ombres qu'ils projettent. Elle en est certaine. La rencontre avec Möchlog a peut-être changé radicalement sa vision du monde mais une chose reste néanmoins certaine: elle reste son élue, promise à un glorieux avenir.

Mais cet avenir demande quelques sacrifices. Des sacrifices que la rouquine fera avec joie pour peu qu'ils lui permettent d'accomplir sa destinée. Elle reste néanmoins obligée de composer avec les autres et le monde qui l'entoure. Le temps où elle vivait telle une paria et désormais révolu. Elle ne se cachera plus! Elle agira en pleine lumière, là où on ne pourra plus l'ignorer. Mais avant de pouvoir oeuvrer à la vue de tous, il convient de régler certaines rancunes du passé. Elles n'ont plus de raisons d'être à présent.

Elle se passe une main sur la nuque avant de la masser d'un geste machinal, fermant un bref instant les yeux pour savourer le bienfait de ses doigts. Elle observe ensuite le parchemin désespérément vierge en se demandant la manière la plus indiquée pour aborder le sujet. Faut-il exposer toute la vérité? Se contenter d'attirer l'attention du destinataire en suscitant sa curiosité? Zora suppose qu'il sera méfiant. À sa place, elle le serait aussi. Une chose est certaine cependant: elle doit faire en sorte qu'il ne puisse ignorer la requête. Et une idée lui vient alors à l'esprit.

Elle pose les premiers mots avec une certaine difficulté. Depuis quand n'a-t-elle plus écrit? Sa main semble avoir oublié la subtilité des différentes lettres qu'elle inscrit. Mais quelques instants plus tard l'habitude est ravivée et son écriture se stabilise avant de retrouver une calligraphie trahissant l'agressivité de son caractère. Et pourtant c'est bel et bien avec le désir d'apaiser les choses qu'elle couche les phrases. Celui qui la lira arrivera-t-il à percevoir cette bonne volonté? Elle ne peut que l'espérer.

Les minutes passent, rythmées par les chants estivaux des oiseaux et les habituels bruits de la forêt. Elle jette un vague retour autours d'elle et s'assure que la caravane marchande n'a pas repris sa route. La disciple de Möchlog compte sur ses voyageurs pour délivrer sa lettre à qui de droit. Et davantage encore sur les irys qu'elle leur donnera pour s'assurer qu'elle parvienne à bon port. Zora observe encore un instant ces gens avant de reporter son attention sur la missive à présent terminée:

Citation :

Cher Zaël,

J'ose espérer que vous vous portez bien malgré les temps difficiles qui s'annoncent. Notre dernière rencontre à l'Exposition Universelle n'a pas été aussi prolifique que je l'espérais et je m'en excuse. Tout comme je m'excuse du souvenir que je vous ai maladroitement laissé alors que vous étiez inconscient. Mais le passé appartient au passé. Et c'est à présent vers l'avenir que je souhaite me tourner!

Je sollicite donc une rencontre au lieu-dit la Clairière de Sorvi à la douzième heure du septième jour du mois d'août. Elle se situe à quelques lieues à l'ouest des Kharaals. Nous aurons ainsi l'occasion d'aborder des sujets qui, j'en suis certaine, vous intéresseront au plus haut point. J'ai notamment de précieuses informations à vous fournir au sujet des daënars. Il en va de l'intérêt de votre peuple et, plus généralement, de My'trä. Nous aurons également l'occasion d'évoquer un mariage qui serait des plus profitables.

Je suppose que vous ne serez guère séduit par la perspective de me revoir. Ou peut-être que vous viendrez accompagné dans l'idée de me mettre hors d'état de nuire. Je peux comprendre ce désir mais je vous déconseille néanmoins d'y succomber. J'aurai évidemment pris la liberté d'assurer mes arrières avant notre rencontre. Les otages qui m'accompagneront seraient les premiers à payer le prix d'une éventuelle duplicité de votre part. Ou de votre absence. Je peux néanmoins vous assurer qu'ils seront libérés sains et saufs si vous répondez à mon appel avec toute la bonne volonté dont vous êtes capable.

Je sais que vous ne pourrez rester indifférent face au sort de ces inconnus et je regrette de devoir avoir recours à de telles extrémités pour attirer votre attention. Mais j'ai bon espoir que nos relations s'amélioreront drastiquement dans le futur et que vous me pardonnerez ce petit écart de bienséance. Voyez cela comme un mal nécessaire.

À très bientôt, donc!

Amicalement,

Z.

Voilà qui devrait faire l'affaire. Dans le pire des cas, elle aura perdu deux semaines. Un contretemps qu'elle n'aurait pas accepté en temps normal. Ne reste maintenant plus qu'à attendre le verdict du temps. La rouquine scelle le pli et le remet aux marchands. Combien de temps leur faudra-t-il pour rejoindre Busad? Vu le prix qu'elle paie, elle espère que la lettre sera remise dans un délai respectable. Mais dans le doute elle accordera quelques jours supplémentaires au Primo-Gharyn. C'est que ce n'est pas le plus réveillé des hommes non plus!

La fanatique observe ensuite la caravane reprendre sa route et s'aventurer dans les méandres montagneux qui marquent l'entrée du territoire du tatoué. Puis elle suit le chemin opposé. Il s'agit maintenant de trouver les fameux otages qu'elle a évoqué. Une activité qui risque de la tenir suffisamment occupée pour ne pas succomber à l'ennui...