« -Si j’en ai encore une à raconter ? Rah… pour le coup tu me poses une colle, mon oncle ! Quoique… M’en reste p’têt une dernière, eheh. Par contre, après ça je rentre, ‘va bientôt faire noir. Et l’dernier verre aussi ! Combien de fois faudra que j’te dise que ta liqueur est affreuse ?! »
J’étais chez l’Oncle Ottys, un cousin éloigné d’ma mère mais j’le considère comme mon oncle. Il vit à quelques kilomètres d’chez moi, en bordure de ville dans une bien belle p’tite maison avec que dalle aux alentours. On s’voit pas souvent vu qu’à chaque fois, j’dois prendre une calèche et compagnie pour aller chez lui et je repars complètement fracassé parce qu’il peut pas s’empêcher de me faire « profiter de ma vie jeune ».
Mouais, l’alcool, c’est pas trop mon truc. Très rarement mais sans plus. Et, systématiquement, quand on s’revoit, il me dit qu’il a une nouvelle cuvée -toujours la même, évidemment- absolument infecte. A croire qu’il a juste fait macérer du gazon, des cailloux et de la terre. Et pire encore, j’retiens jamais le nom d’son ingrédient phare, c’que j’en sais c’est que c’est horrible et vous retourne le cerveau en moins d’deux.
Quand on s’rencontre, c’est simple. On tire au fusil dans les champs alentours, ensuite on va se manger une bonne plâtrée de haricots au lard, et pour finir c’est direction le coin du feu pour nous raconter tout ce qui nous est arrivé depuis l’temps, en enquillant les godets. Lui a toujours un verre plus gros qu’le mien, il sait que j’tiens pas mais il y tient. Et comme j’viens une à deux fois par an, c’est pas comme si j’faisais ça tous les jours. Le pire dans tout ça, c’est quand il s’allume son putain d’cigare, l’odeur pourrait réveiller un mort et le renvoyer illico en enfer, une sorte de cercle sans fin quoi. Enfin bon, comme j’lui avait dit, une dernière et j’y vais.
***
C’était il y a de ça trois ou quatre mois, il faisait très chaud, le soleil était au zénith toute la journée, on aurait dit. Nuage de pollution, mon cul. j’ai du me rendre dans un coin paumé de la ville parce que j’avais réussi un construire un treuil pour un type et sa p’tite compagnie de minage, qui avaient pas trop de moyens mais pouvaient quand même me payer suffisamment pour que j’accepte. On s’était rencontrés dans un vieux troquet vu que j’trifouillais encore un peu dans les aéronefs quand j’y bossais, j’avais un p’tit nom, si on veut. Un collègue une fois m’demande si jamais j’ai l’temps pour aider l’un de ses potes mineurs ; Pour un truc super facile, forcément que j’ai accepté !
Mais tout ça sans savoir c’qui allait s’passer le jour J, le jour d’la transaction. Son truc est prêt, je l’ai terminé vite fait bien fait et on s’donne donc rendez-vous dans un endroit un peu reculé, par où il habitait. Soit disant qu’il s’était fait mal à la jambe, c’est un gosse qu’était v’nu jusqu’à ma porte pour m’annoncer la nouvelle et le point d’rencontre. Ok, ok, pas d’soucis, tant qu’j’ai mes sous ! Et là j’arrive dans un coin de crasseux, j’décris pas le délire qu’c’était. Les rues sales, les commerces fermés, quelques clochards qui traînent par-ci par-là mais pas trop méchant non plus, j’abuse un peu.
Là, un type m’remarque et m’demande si c’est bien moi « Spark », sauf que j’lui réponds « Nan, moi c’est Scrap ». Normal, nan ? Et là, sans péter un mot, il sort un vieux couteau rouillé d’sa poche et m’dit d’lui donner le harnais. C’est limite si mes yeux ont roulés quand j’ai vu ça, tellement j’ai eu la trouille.
Au début un peu réticent, forcément, c’est mon gagne-pain ! Mais en tournant la tête y’avait d’autres types louches qui se commençaient à se ramener. J’lui ai donné le paquet sans faire d’histoires et s’est rien passé d’plus. Pas la mort non plus même si ça faisait un peu mal au cul, j’tiens à ma vie quand même. Jamais eu de nouvelles du mineur et d’mon -ancien- collègue. Z’ont sûrement du trouver un truc stylé au fond d’leur mine et en avaient besoin sans dépenser le moindre Irys, probablement une bande de pouilleux, à tous les coups.
Mais ce jour là j’étais encore tremblant d’trouille et j’avais juste pris de quoi m’déplacer, plus un sous en poche, tout à la maison. Alors j’marche, j’marche, les mains dans les poches en broyant du noir. Et à mesure que j’m’éloigne de « la fosse aux clochards », j’me sens mieux mais toujours dépité. Tu t’es fait avoir comme un bleu, Scrap… Comme un- Hum ?
Sur le mur sur ma gauche se trouvait une rangée de feuilles placardées, avec un bien curieux texte inscrit dessus. Et, évidemment que j’ai lu, j’avais qu’ça à faire.
« DERNIÈRE VAGUE DE RECRUTEMENT. EXPÉRIENCE SOCIALE TOUS PROFILS ACCEPTES, GROSSE REMUMERATION A LA CLÉ ! VOUS AVEZ BESOIN D’ARGENT ET AVEZ L’ESPRIT DE CONQUÊTE ? NE CHERCHEZ PLUS ! RENDEZ-VOUS LE 28 JUIN A LA TAVERNE DES BRASSEURS ÉBRÉCHÉS A 15H ! »
Pff… Encore un délire foireux, inutile. J’ai chiffonné le papelard en boule et l’ai jeté. Sauf qu’il y en avait une platrée d’autres le long du mur, comme si elles m’appelaient ! « Allez, Scrappy, viens, ça vaut rien d’essayer ! »
Puis, c’est vrai quoi. S’il me paie, pourquoi pas ? Enfin, bon, si j’me fais avoir comme l’autre plus jamais j’accepte une offre qui sort de nul part !
***
13H→ Arrivé, mais si j’fais un détour jusqu’à chez moi, je reviendrai ici trop tard.
14H→ J’m’emmerde comme pas possible et le barman me regarde bizarrement, il veut sûrement que je commande.
14H20→ J’me suis fais jeter, le gérant est v’nu me d’mander si je prenais un truc à boire ; J’ai dis qu’j’étais fauché, du coup me v’là dehors.
15H→ Enfin, c’est l’heure. Mais qui va me recruter du coup ? Puis j’suis tout seul depuis tout à l’heure, aucun autre candidats ?! Pfff, j’suis l’seul à la hauteur faut croire.
15H13→ Toujours personne, me d’mande si c’est pas une arnaque.
Et c’est vers 16h qu’un événement attire toute mon attention, un putain de rayon de soleil arrive sur ma gauche et me grille la rétine. Et là, dans la rue déserte, j’voyais quoi ? Un type, le crâne parfaitement lisse et sapé avec un manteau d’vendeur d’épices. P’tain, son crâne a pu réfléchir les rayons du soleil ?! Sacrément balaise…