Jouer n'est pas jouer

La vapeur, l'odeur de l'air souillé par ces dernières. Le sol, les rails parsemés, déchirants l'horizon. Le ciel, des toits bien trop hauts qui en perçaient presque la voûte. Daenastre, ou plutôt Dany, comme Morgane l'appelait, avait toujours ses propres manières d'être une sinistre garce. Tout ce qui était beau chez elle, elle avait tendance à le détruire, le maquiller avec tant d'insistance qu'elle en venait à le gâcher. Vulgarité n'est jamais mère d'élégance, mais pour une fois, juste une fois, la brunette avait réservé une appréciation admirative à la vision désormais bien familière de l'Irydar palace.

Circéro était une diva, mais aussi un parieur, un joueur, un buveur et un séducteur éhonté. En somme, si les âmes se devaient de passer un jour devant un jugement, la sienne ne passerait jamais le pinacle du ciel. Son élève non plus, d'ailleurs. Elle se souvenait cependant toujours d'une phrase qu'il aimait à prononcer : "Ici bas, j'ai la certitude de pouvoir m'amuser et vivre comme bon me semble. Si un mythe veut me juger pour ça, il devra d'abord me prouver qu'il existe". Même toute jeune, Morgane avait écouté cette citation et l'avait retenue durant toutes ses années, jusqu'à en faire sa philosophie de vie. Cet ingrat d'alexandar n'avait aucune idée de l'admiration qu'elle lui vouait. C'était bien mieux ainsi.

Habillée comme si elle se présentait devant un dignitaire, la jeune femme, jambes croisées, rêvait avec un sourire indéchiffrable. Son regard perçait la vitre du train, fixant le casino dont la renommée n'était plus à faire. Inutile de le mentionner, elle avait hâte d'y être. Levant la tasse qu'on lui avait servie, elle en tira de fines avalées, presque sifflées tant elles étaient raffinées. Peut-être qu'elle aussi devenait une diva avec le temps, l'ennui de s'accoutumer au luxe, c'est qu'il s'accoutume aussi à nous. Morgane s'était rarement vue aussi ... attirante. C'était dire beaucoup.


On l'avait aidée à descendre du quai, à la manière des dames de haute naissance. La vérité, bien sûr, la fit bien rire, surtout quand elle se surprit à se rappeler qu'elle n'était finalement pas plus qu'une foraine. A croire que la vie de riche lui avait vraiment été destinée, autrement, pourquoi s'y plairait-elle autant ? Lorsqu'elle s'immisça sous les portes, glissant dans la foule comme une anguille dans l'eau, elle sentit que tout, ici, respirait le danger dissimulé. Il y avait autant de fortunés que de miséreux ici, et encore, ces derniers sortaient. Certains pleuraient, d'autres signaient, mains tremblantes, des clauses de jeu, et quelques uns se voyaient enfiler des chaînes à leur cou. Mais pas littéralement, malheureusement.  

Et à l'intérieur ... tant de jeux, trop de jeux. Trop ? Nan. Juste assez. Assez pour faire le tour de chacun et satisfaire les envies d'une joueuse bien trop compulsive. Le jeu, l'argent, l'alcool, le sexe, Morgane n'était qu'une machine à vices et dans cette vie de luxure elle se complaisait. Ceux qui n'y goûtent pas ne peuvent pas en ressentir le frisson, et ceux qui la jugent ne sont que jaloux de ne pas pouvoir vivre ainsi. Alors la brunette s'assit à une table au hasard, vide de participants. Seul un croupier y prônait.

Elle réalisa alors que ce dernier lui souriait à la manière d'un escroc bien trop à son travail. L'assassine pouffa, puis se mit à rire en baissant la tête. Relevant doucement des yeux malicieux, elle susurra avec une mine amusée.

- J'imagine que c'est la table où la maison gagne toujours ?

Le croupier accentua son sourire.

- Voulez vous faire un blackjack, madame ?

C'était donc ça ... évidemment. Circéro lui avait toujours dit de ne jamais jouer à cette arnaque, les decks étaient toujours truqués, arrangés ou bien connus par coeur de la banque. L'inventeur même, Jonas Blackjack, n'aurait créé ces règles que pour pouvoir tricher avec simplicité. Mais Morgane n'en avait rien à foutre, c'était risqué, et elle était là pour ça.

- Tu crois que je suis là pour tes beaux yeux, garçon ? Envoie-moi mes cartes. 50 irys sur cette partie.

Déroulé joué au dé 10:

La brunette sourit sobrement, une once de doute laissée sur son visage la fit froncer des sourcils sceptiques sur son serveur.

- Hm ... et donc maintenant je suis sensée baisser ma garde et parier plus ?
- Faîtes comme bon vous semble, madame.
- C'est ça, ouais ...

Evidemment que le sourire constant du croupier la rendait méfiante, mais cette farce l'amusait beaucoup. D'autant plus qu'une petite assistance était venue se former autour de la table. La majorité étaient des hommes qui étaient plus là pour le décolleté que pour le jeu, mais passe. Toujours fut-il que Morgane joua 100 irys.

2nd déroulé :

- Voyez vous cela.
- Voulez-vous rejouer, madame ?
- Pour 150 irys.

Hors de question qu'elle refasse un tour pour rattraper ce qu'elle avait perdu, il fallait viser toujours plus haut. Que le jeu soit truqué ou non, elle s'en fichait, rester à la barre du rattrapage, c'était une solution d'imbécile. Perdre, c'est perdre, gagner c'est gagner, alors autant tenter de gagner plus.

3e déroulé:

- Eh bien, c'est dommage. Je comprends maintenant pourquoi personne ne vient jouer ici.
- Le blackjack est un jeu capricieux, vous savez, parfois il favorise et parfois -
- Il vous fait tirer un trois alors qu'aucune carte à basse somme n'était jamais sorti ? Oh, je ne crois pas que ce soit le jeu qui soit capricieux.

Les rumeurs qu'on lui avait transmises étaient de plus en plus crédibles, en dépit de ses deux défaites, Morgane sourit. Et, dans sa démarche sceptique, elle parvint à réunir l'approbation silencieuse de quelques membres de l'assistance qui fixaient maintenant le croupier.

Il y a quelques temps, une mauvaise mission s'était déroulée pour Chafouin, il s'était retrouvé esseulé, abandonné par son employeur quelques temps, il ne trouvait pas vraiment de travail à faire à vrai dire. Il n'en cherchait pas vraiment non plus et il faisait ce qu'il faisait le mieux quand il se retrouvait désœuvré : il gâchait son argent en boisson et jeu d'argent. Mais une soirée alors qu'il avait l'alcool joyeux et qu'il se satisfaisait de ses plaisirs simples. Un type, surnommé amicalement le Saigne-vipère ou Sv pour les intimes, lui proposait quelque chose de bien plus intéressant.

Il existait un lieu selon lui, bien meilleur que ces rades minables du port du Prorig où on ne détroussait que quelques milliers d'irys à peine à des idiots dans des jeux inintéressants. Chafouin, légèrement intrigué, lui demanda ce qui valait mieux que cette baie, inintéressante, remplie de clampins selon ses dires.
L'irydar palace, un lieu sans aucune commune mesure, là-bas, l'argent était roi, tous les vices étaient permis tant que vous aviez de l'argent à dépenser, machine à sous, poker, blackjack et autres arnaques. Tout était bon pour ferrer le poisson et il s'avérait que Sv était un vrai requin en la matière, cherchant n'importe quelle personne qu'il considérait comme un couillon pour le vider de ses sous dans ce qui ressemblait à du racket légal. Il avait indiqué à Chafouin qu'on pouvait se faire des sommes énormes en jouant au poker contre des abrutis là-bas, mais qu'il fallait éviter de jouer aux tables tenues par le casino, vous étiez toujours perdants et perdant, SV en était un mauvais. S'il avait aimé jouer au casino c'était parce qu'il était un arnaqueur invétéré et quand le talent où la bonne fortune lui avait manqué, il avait employé d'autres stratagèmes. Mais on n'embobine pas le casino comme ça et il s'était gentiment fait mettre à la porte.

-Et du coup tu voudrais que je revienne avec toi dans un lieu où tu t'es fais viré ? Tu serais pas un peu barjo des fois ?

-Mais non t'inquiète ça ne craint rien. Ils voient tellement de têtes à l'année qu'ils ne se souviendront pas le moins du monde de moi. Ça fait sept mois que j'y ai pas les pieds, c'est une affaire sûre je t'assure.

Chafouin haussa un sourcil peu convaincu, il ne croyait pas vraiment cet embobineur de métier, mais l'irydar palace valait le coup d’œil, il pouvait bien le faire au moins une fois dans sa vie.

-Allez ok, mais si tu te mets dans la merde, je te connais pas.

-Mais bien sûr mon Chafouin ! Je ferais jamais une telle chose, oh juste un truc, pour rentrer c'est tenue correcte exigée, donc pas de vêtements militaires au rabais. Va falloir sortir tes plus beaux atours mon gars.


***


Le navire de plaisance arrivait en vue de l'irydar palace, un imposant bâtiment, tout clinquant de l'extérieur comme de l'intérieur. Une foule de gens s'avançait sur le bastingage pour admirer le bâtiment, mais peu d'entre eux descendraient pour tenter leur chance au casino sur cette navette en partance pour Alexandria.
Saigne-vipère s'amena près de Chafouin qui regardait l'endroit avec une certaine excitation. Poser le pied dans ce casino serait une première pour lui, l'homme chauve avisa son costume noir.

-Ouais pas trop mal, ça fera l'affaire quoi.

-Quoi pas plus d’admiration ? Tu veux pas me faire rougir c'est ça ? Dit-il d'un air moqueur, SV s'était procuré le même genre de costume en beige.

Costume:

Après une descente du navire où ils furent traités comme des rois, plus pour les irys contenus dans leurs poches que pour un éventuel trait de royauté, ils entrèrent dans ce casino. Des lumières, des bruits de toute part et des danseuses aux poses langoureuses, tout ça pour attiser l’excitation de ces messieurs-dames. Il y avait aussi ceux en train de pleurer leur fortune perdue ou pire, essayer de négocier avec le casino pour réduire leur peine de servitude de quelques années à quelques mois. Chafouin avait entendu parler de cette pratique et il ne pouvait pas vraiment plaindre ceux qui avaient tenté le diable. Il lui était arrivé de perdre des sommes assez importantes en jouant aux jeux, mais jamais jusqu'à en prendre le risque de finir sur la paille, cette erreur ne se produirait pas plus ici, il saurait se fixer une limite.

De plus, Saigne-vipère lui avait bien expliqué ce qu'il appelait « l’écosystème » la règle numéro une était de ne jamais jouer contre le casino, le casino, c'était le pécheur et eux, ils étaient les poissons. Seule solution pour réussir à s'en tirer ici, devenir les requins, repérer les poissons les plus petits et les bouffer jusqu'à ce qu'ils soient rassasiés, Chafouin aimait plutôt bien ce comparatif et il comptait l'appliquer à la lettre, les tables de poker restaient sa meilleure chance. Il n'aimait pas tellement les autres jeux à vrai dire, le blackjack, il avait déjà testé, mais n'avait pas aimé, de plus ce jeu était dans la liste des jeux à éviter selon SV, et les nouvelles machines à sous avaient l'air d'abrutir les gens, quel intérêt de se poser devant ces trucs en espérant les voir cracher de la monnaie ? De plus il paraissait qu'elles ne rendaient de l'argent qu'après avoir atteint un seuil de rentabilité.

Chafouin se promenait entre les tables avec SV qui jetait des regards à droite et à gauche pour repérer des cibles fraîches. Une serveuse vint presque emboutir Chafouin en le regardant avec un regard langoureux.

-Un verre mon mignon ?

-Pas maintenant ma petite. Répondit Chafouin en soutenant ce regard aguicheur.

-T'es sûr ? Il est gratuit si tu rejoins une table.

-Hum. Fit-il sur le ton de l'indécision, tout en relookant la serveuse.

SV revint sur ses pas en le sifflant pour lui faire signe de ne pas tomber dans le piège, Chafouin l'envoya bouler d'un signe et cala la serveuse sous son bras avant de partir avec elle pour ladite table. Elle le mena à du blackjack, table vide évidemment, le croupier regarda ce nouvel arrivant comme s'il voyait un vieil ami arriver.

-Je vois que vous apprécier la compagnie de nos serveuses monsieur, j'ai bien l'impression que c'est réciproque si vous voulez mon avis. Envie de parier ?

-Ouais faisons comme ça. Dit-il en commençant à porter son verre à la bouche.

-Très bien, combien parions nous monsieur ?

-1000 irys.

Blackjack:

-C'est gagné monsieur, 2000 irys ! Vous devriez continuer, ou votre bonne fortune risquera de ne pas suivre, conseil d'expert.

-Ouais, sûrement pas. Répondit Chafouin en sentant l'embrouille arriver. Il empocha son gain et s'éloigna de la table, le timing était plutôt bon vu que Saigne-vipère vint le rejoindre l’œil brillant et un sourire vicieux sur les lèvres.

-C'est quoi cette tête, la pèche est bonne c'est ça ?

-Viens avec moi, j'ai trouvé une fille avec zéro grain dans le ciboulot, elle a continué de piocher alors qu'elle était en positif contre le croupier au blackjack.

-Sérieux, oh putain faut que tu me montres ça.

-Par contre occupe toi d'elle, je crois que le croupier de la table m'a reconnu.

-Tss, ça risquait rien que tu disais hein ?

Il fut amené à la table  en question par SV où une foule assez importante s'était rassemblé, et quel ne fut pas sa surprise quand il aperçut la silhouette solitaire assise en face du croupier, Lundi ! C'était cette garce qu'il avait croisé quelques mois auparavant, elle lui avait laissé un souvenir assez désagréable de leur rencontre, il n'avait pas vraiment souhaité la revoir, du moins pas dans une situation à son désavantage et cette fois c'était tout l'inverse qui se déroulait sous ses yeux ! En parlant d'avantages la jeune femme n'était pas en reste et attirait tout autant les regards grâce à son physique que grâce à cette robe mauve qu'il fallait avouer, s'accordait parfaitement à la jeune femme. Mais Chafouin n'était pas là pour se rincer l’œil, du moins pas pour l'instant, alors qu'il redemandait confirmation à son acolyte sur l'identité de celle qui ne savait pas compter, cette dernière s'évertuait à sous-entendre que sa mauvaise fortune n'était pas le fruit de hasard, mauvaise joueuse ? Ok il était bien tombé sur la bonne personne. Le sourire aux lèvres, Chafouin s'avança après avoir entendu les conseils de SV juste à côté du croupier.

-Alors la demoiselle vous accuse de tricherie, ça ne me semble pas très professionnel ça pas vrai  ?

-Il n'y a pas de tricherie messieurs-dames, comme je l'ai déjà dit, le blackjack est un jeu capricieux et...

-Ouais ouais, et si tu nous montrais le verso de ton paquet ?

-Je ne peux pas, c'est contre le règlement de l'établissement, stoppez ça !

Chafouin prit le paquet et regarda la carte du verso.

-Normalement un bon tricheur organise toujours son paquet de manière à tirer par le bas les cartes qu'il veut, c'est ainsi qu'il peut mieux choisir les cartes pour vous plumer, alors vous avez envie de savoir ce que ce casino pense de vous ?

Le croupier était gêné, mais il n'osait pas trop le montrer à l'assistance qui était assez curieuse de ce qu'allait faire Chafouin, ce dernier regardait Lundi qui l'avait sans doute reconnu.

-Voyons ce que t'aurais tirer au prochain tour.

Il tira une première carte du bas, la première était pour le croupier un dix, plutôt bien pour commencer, la carte suivante était un autre dix. Chafouin hocha la tête envers l'assemblée, plutôt serré comme départ. La carte suivante tomba pour le croupier, neuf, l'écart se creusait. Mais la carte suivante fut de nouveau un dix, amenant le total à vingt pour Morgane

-Là normalement, n'importe qui s’arrêterait, mieux vaut ne pas tenter le diable non ? Et on est sûr à 95 % d'être gagnant.

-Vous ne prouvez rien du tout monsieur, vous interpréter juste selon ce que vous voulez voir. Répondit le croupier, assez vexé mais n'osant pas s'emporter devant la foule.

-Eh bien on va voir cela.

La dernière carte tomba et en même temps, un hoquet de surprise émergea de la foule, une deux, amenant le total à vingt-et-un, blackjack du croupier, le casino avait gagné. Le croupier tentait de trouver des excuses, mais la foule se dispersait avec des bruits d'indignation ne cherchant pas plus à entendre les justifications que l'employé s'efforçait de trouver, jurant que tout cela n'était que hasard. Chafouin passa à côté de Lundi, pour lui, dans tous les cas il aurait été gagnant, en prouvant qu'elle avait raison ou au contraire qu'elle était bien une mauvaise joueuse, il prenait le parti de lui montrer qu'elle avait besoin d'aide et il espérait que cela titillerait un minimum son orgueil. Et il n'allait pas se gêner pour lui rappeler.

-Un plaisir de te venir en aide Lundi, tu sauras qu'il faut éviter ce genre de table si on veut éviter de se faire plumer. Puis prenant ses grands airs, il s'éloigna en n'oubliant pas de lâcher un petit : Amatrice.

Il disparut dans la foule qui s'était éloigné de la table tout en tâchant d'ignorer les éventuelles insultes qu'il aurait pu se recevoir de la part de la jeune femme. Il fut bien vite rejoint par Sv qui avait l'air un brin remonté.

-C'était pas vraiment malin ce que t'as fait là-bas, tu veux qu'on se fasse remarquer ou quoi ?

-Relax mon petit trucideur de vipère préféré, tu as trouvé ça amusant avoue ?

-Amusant ? On est surtout là pour se faire un max de blé tout en minimisant les emmerdes Chafouin.

-Ouais ben t'es vraiment pas bon si t’arrive pas mêler business et plaisir Sv, détend toi un peu, ils voient des centaines de têtes à la journée ici tu disais ? Ils vont bien vite retomber sur d'autres glands à pigeonner. Nous on va aller dans un coin plus tranquille.

Ils s'éloignaient effectivement de la partie du blackjack pour rejoindre une autre aile du casino. Ils arrivèrent dans un coin avec une ambiance plus tamisée, avec des bancs de bois sombre, des serveurs avec un peu plus de classe, avec des barbes superbement taillés pour les hommes et maquillé à la perfection pour les femmes. Chafouin sentait qu'ils avaient trouvé un coin qui leur iraient comme un gant. Les deux compères trouvèrent vite une table assez à l'écart ou du poker se jouait. Il y entraîna Sv et après avoir commandé deux whiskys et prit leurs cartes en mains, Sv prit la parole.

-Bon et tu vas m'expliquer à quoi ça rimait ce cirque avec mademoiselle pourpre ?

Chafouin sourit en voyant bien qu'il n'était pas le seul à qui elle avait bien tapé dans l’œil.

-Tu vois cette fille je l'ai déjà rencontré auparavant, une fille magnifique, mais dès qu'on lui parle elle se transforme en harpie. Et je suis persuadé d'avoir tapé dans son point faible : l’ego. Alors si elle est effectivement comme tu l'as dit aux jeux, eh bien on a juste à attendre qu'elle nous trouve et elle cherchera à prendre sa revanche d'une façon ou d'une autre. D'ici là, on attend et, on profite.

Morgane allait relancer, question d'honneur et pour rattraper son lamentable second coup. Inexplicable, cette maladresse ... inexplicable et vraiment humiliante. Le temps de digérer ce mauvais pas, la brune avait rabaissé des yeux contrariés qui rendaient sa mine d'ordinaire moqueuse et criarde, presque touchante. Grinçant des dents, elle s'insultait des milliers, des millions de fois pour avoir été aussi conne. Il fallait bien le dire franchement, là, Forsythia avait merdé et elle ne l'avait même pas fait exprès. Parce que tout le monde le connaît cet échec qui cache un flagrant succès, le mythe de la fausse défaite en faveur de la victoire ... l'assassine n'avait rien de ça. Qui aurait cru qu'il y aurait quelqu'un en ce monde moins doué en mathématiques qu'en meurtre ? Si ça, ce n'était pas une raison de devenir une anomalie, alors, elle n'avait aucune idée de ce qui pourrait l'être ... elle se ferait un examen en rentrant, tout de même, juste par précaution.

Il devait tricher, de toute manière ! Ce jeu n'avançait à rien, ce n'était pas un jeu c'était du vol ! N'y avait-il donc aucune loi qui empêchait les casinos et ce genre d'établissements de merde à ne pas frauder ?! Bon, respirer, rester la plus maligne ici, trouver un stratagème pour dévoiler l'attrape-couillons et récupérer l'argent. Bref, sourire. Sourire ... alors, elle sourit sobrement, comme si elle avait une idée derrière la tête. Inspirant doucement, Morgane sembla sur le point de cracher son venin, comme elle savait si bien le faire.

Avant qu'on ne l'interrompe.

Être interrompue, c'était quelque chose que la brunette haïssait, qu'elle haïssait plus que tout au monde. Tout, à part les suhurs, les chastes, les nobles, les bourges et les discours que Circéro lui déclamaient après l'avoir attachée à une chaise et forcée à lire l'introduction d'un script d'un de ses poètes incompris qu'elle arborait. Putain de Circéro ... et maintenant Morgane allait devoir ajouter un autre abruti à sa liste d'épines dans le pied. Le pire, c'était que son mentor, encore, c'était ... son camarade. Mais cette ordure de Chafouin, lui, n'était rien d'autre qu'un emmerdeur opportuniste qui vivait de, pour poliment le formuler, briser les couilles de tous ceux qui l'entourent pour son bon profit.

Alors, lorsque Morgane reconnut sa voix, son coeur s'arrêta et sa respiration fit de même. Les yeux qu'elle écarta n'étaient pas aimables, bien au contraire. Silencieusement, elle fixait le vieillard pendant qu'il jouait de sa si belle intelligence. Ah qu'il devait aimer pouvoir montrer à quel point il était malin, à quel point il savait chaparder. Un homme aussi détesté devait certainement avoir besoin d'une grande compensation en matière d'attention et de reconnaissance. Boulet.

Pourtant, un étrange sourire vint décorer les lèvres de la brunette à mesure que l'autre ridé lui prouvait qu'elle avait eut raison tout au long de ses parties. Sourire qu'elle garda même lorsque Chafouin la provoqua, confirmant toute attente qu'elle lui vouait en matière d'être une saleté d'emmerdeur. Elle attendit qu'il ne s'écarte, que tout le monde fasse de même, avant de se retrouver seule face à un croupier qui avait tout à expliquer. Du bout du doigt, Morgane tapotait son verre à moitié vide. Elle acheva de le délester de son breuvage d'une leste gorgée, avant de l'écraser sur la table, le brisant en d'innombrables petites lamelles. Son poing encore plongé dans les éclats, la jeune femme serra les arrêtes coupantes des morceaux sur sa chaire, laissant perler quelques gouttes écarlates hors de sa paume.

Promptement, elle cessa ses idioties, ouvrant et fermant ses doigts l'un après l'autre et à répétitions sur les coupures qu'elle s'était faites. Respirant calmement, se redressa calmement, arborant une expression tout aussi apaisée. Contournant la table, elle reprit l'argent qu'elle considérait ne jamais avoir perdu, le croupier savait certainement que la triche entraînerait de sévères conséquences si elle venait à être divulguée. Il ne voulait certainement pas aggraver sa situation en forçant une cliente à déposer une plainte. L'assassine alla placer son argent envers un investissement bien plus sûr, un autre verre d'alcool.

On le lui servit au bar, elle le finit d'une traite, renversant au passage, quelques gouttes sur sa poitrine qu'elle essuya d'un revers rapide du poignet. C'était le signe que c'était une journée de merde, renverser de l'alcool ... hors de question qu'elle doive accepter ça. Morgane reprit un autre verre, paya la somme due et alla chercher la compagnie de ce très cher Chafouin. Elle attendait de lui qu'il la fasse être agréable, comme il savait si bien le faire. La main ensanglantée tenant le verre, l'assassine vint s'asseoir à la table du traîne-misère et de son ami présumé. Exagérant un sourire en coin, la brunette ne dit que quelques mots simples.

- Comment pourrais-je ignorer pareille invitation ?

Et une fois encore, elle termina son verre d'une traite, avant d'héler un garçon au service.

- Un vodka martini. Au shaker, pas à la cuillère.

Sortant une boîte carrée à clapet de son décolleté, la jeune femme la déposa sur la table et en ouvrit le capot, révélant une bonne double douzaine de cigarettes alignées sous les deux couvercles. Un briquet glissa d'entre les deux surfaces, roulant sous la paume gauche de Morgane qui alluma son tabac avec une aisance habituée. Faisant rougir le bout, elle avala doucement la fumée, roulant une cuisse sur son autre jambe à la manière d'une véritable lady. Il fallait bien joindre l'apparat à l'attitude, en dépit de ce qu'en pensent les gens, l'habit fait bien le moine.

Fronçant les sourcils, la jeune femme glissa la main dans son dos, remuant les doigts à la recherche de quelque chose entre les plis de sa robe. Après quelques secondes de recherche, elle esquissa l'ombre d'une expression joyeusement soulagée. L'instant d'après, elle posait un pistolet à six coups sur la table, avant de doucement hocher la tête. Vidant les munitions, l'assassine ne conserva qu'une seule balle à l'intérieur de la roulette. Elle la fit tourner et visa sa propre tempe, avant de tirer.

Roulette khashine :

Rien. Juste un cliquetis vide de conséquences qui se manifesta après un tour de rouleau. Plus qu'une chance sur cinq. Morgane fit glisser le pistolet au milieu de la table et se rassit au fond de sa chaise.

- Vous ne croyiez tout de même pas que je me contenterais d'un simple jeu de cartes.

N'empêche ... elle l'avait échappé belle.

L'arrivée de la jeune femme ne fut pas une surprise pour Chafouin, ce qui s'ensuivit ensuite cependant, ne manqua pas de le surprendre. Alors qu'un sourire large s'étirait sur son visage en la voyant approcher et renchérir sur ce qu'il lui avait proposé quelques minutes plus tôt, ce sourire se nuança quand elle demanda son cocktail à un garçon de service, drôle de cocktail, elle voulait se donner de grands air avec cette demande ou quoi ?

-T'es sacrément perchée niveau alcool Lundi.

Dans son esprit, c'était typiquement le genre de demande de quelqu'un voulant impressionner son adversaire, l'image qu'il se faisait de Lundi donc. La voyant commander, il remarqua que la grâce et la volupté de sa silhouette était quelque peu ternie par deux éléments, sa main était parcourue de plusieurs coupures, elle avait dû cassé un verre sur quelqu'un avant de partir. Et secondement, Chafouin sentait une odeur plus forte émanant de la jeune femme. En plissant les yeux, il remarqua quelques petites traces, essuyés depuis peu, mais encore visible. Une odeur d'éthanol bien connue de l'homme aux cheveux cendrés attaqua ses narines. La brune aux yeux saphirs s'était renversée de l'alcool sur elle. Rendant cette image de lady bien éduquée et voluptueuse un peu ternie par des manières et une maladresse supposée qu'on retrouvait plutôt chez des femmes de mauvaise vie. Remarque les femmes de mauvaise vie, ça ne déplaisait pas à Chafouin, dommage pour Lundi qu'elle ne garde pas plus de classe devant lui, il était du genre à essayer d'appuyer bien fort sur le moindre point faible qu'il pouvait trouver.

-Tu comptes jouer ou gâcher un peu plus d'alcool ? Demanda-t-il d'un air impatient.

Mais le terme « jouer » ne fut certainement pas interprété comme une invitation à jouer à un jeu normal par la jeune femme. Après avoir sorti une boite de cigarette de son décolleté. (Ce qui retint bien l'attention de Chafouin, autant pour la marque des cigarettes que pour la cachette improvisée) Elle chercha à nouveau quelque chose dans sa jupe, ce qu'elle en sortit surpris Chafouin qui regarda le revolver d'un air incrédule. Pas vraiment inquiet de part le fait de voir une arme dans les mains de la jeune femme, elle ne l'aimait certainement pas, ça il le savait. Mais si elle avait voulu le tuer, ce serait déjà fait. Sv en revanche, blêmissait, il voyait l'introduction de cette arme comme un danger, non pas pour lui, mais pour le bon déroulement de ses affaires. Il n'était pas du genre à vouloir attirer l'attention et ce genre de débordement et d'extravagance était clairement trop pour lui, surtout après la façon dont Chafouin avait lui-même attirer l'attention sur lui.
En ayant à peine le temps de se demander à quoi diable Morgane pensait, Chafouin la vit vider le contenu du barillet, cinq balles tombèrent, n'en laissant qu'une seule. Elle le fit tourner et pointa le canon contre sa tempe. Un clic retentit et Chafouin laissa sa bouche légèrement entrouverte, il n'aurait su dire s'il était content ou vexé que la matière grise de la jeune femme ne se soit pas échappée par un trou nouvellement formé. À vrai dire son niveau de bêtise semblait dépasser l'entendement, réussir à faire passé une arme ici tenait de l'exploit, remarque les videurs devaient beaucoup moins fouillé les dames que les hommes. Même si Chafouin avait gardé ses chevalières dont l'une d'elle contenant un poison virulent, il n'avait pas fait l’erreur d'amener ce qui pouvait être clairement défini comme une arme. Lundi elle, avait sortit son revolver sans pression sans se préoccuper des conséquences, se doutait-elle que la sécurité d'ici ne se contentait pas de tabasser ceux qui mettaient le bordel ? Chafouin commençait à la croire folle en plus d'avoir un coup dans le nez.

Mais quand elle présenta le revolver pour lui dans une invitation à jouer, il regarda tour à tour l'arme et elle, par orgueil il refusait d'écouter sa raison qui lui intimait à tout prix de ne pas jouer ou au moins de dissimuler l'arme avant qu'un vigile ne vienne dans cette zone plus tranquille du casino et ne mêle Chafouin et Sv à la folie de la jeune femme. Et pourtant, en refusant de jouer, il savait qu'elle allait le mésestimer, encore plus, pour ne pas rentrer dans son jeu puéril et stupide. Et malgré sa maturité, ne pas prouver sa supériorité à cette gamine insolente l'énerverait à coup sur. Mais il savait que jouer à la roulette khashine était déjà une mauvaise idée de base, surtout pour quelqu'un de superstitieux comme lui. Une chance sur cinq, c'était la mort assurée, mais alors qu'il avait prit sa décision et que sa main se tendit vers le revolver. Sv plus rapide, chopa le revolver, vida la seule balle restante. Avant d'arracher le barillet au support du revolver.

-Voilà maintenant tes conneries tu te les gardes. Chafouin, c'est qui cette tarée ?

-Juste une joueuse qui aime le frisson du jeu et qui n'a pas peur de perdre. Répondit-il dans un petit rire moyennement assuré. Il était lui-même relativement d'accord avec Saigne vipère.

Le chauve fini de bien désosser l'arme avant d’enfouir les parties dans son veston. Chafouin haussa les sourcils et entreprit de mélanger le paquet de cartes, ils étaient là pour jouer après tout, à des jeux qui ne mettaient pas leurs vies en jeux. Remarque Morgane ne verrait peux être pas ça d'un bon œil, si elle commençait à mordre, il fallait que Chafouin mordre plus fort quitte à la calmer pour quelques temps.

-Je suppose que t'aurais adoré voir ma cervelle explosée, à moins que tu cherchais juste à m'impressionner non ? Tu dois avoir quelque chose à prouver ou à compenser, mais bon heureux que tu sois quand même venue, je dois sans doute te plaire.

Il lança un sourire narquois à celle qu'il avait cependant un peu de mal à cerner, et ça l'énerverait quelque peu. Mais si elle n'était pas prête à arrêter, Chafouin avait quelques autres idées pour la dépouiller, de ses affaires ou de ses irys pour le moment, ensuite... Eh bien il aviserait ce qu'il pourrait bien lui enlever... Il commença à distribuer les cartes.

-Ok, l'argent que je pourrais te prendre ça n'a pas tellement d'importance, parions autre chose, tes cigarettes, tabac de Zochlom non ? L'odeur est assez reconnaissable et ce genre de coffret coûte assez cher. Il commença à distribué les cartes. Alors si je gagne cette manche, je veux l'intégralité du paquet. En ayant distribuer les cartes à Sv, Morgane et lui, il prit une gorgée de son whisky et laissa le goût imprégné sa gorge, il laissa échappé un petit râle satisfait. À moins que tu n'aie peur de perdre ? Et je pense que tu sais très bien comment tricher à ce genre de jeu, moi tout autant et Sv nous surclasse tous les deux, donc ne perds pas ton temps à tenter de nous la faire à l'envers, cette manche se fera à la loyale.

Il regarda ses cartes en espérant tirer une bonne main.

jeu de Chafouin:

Il tacha de réduire au minimum l'air satisfait en voyant cet excellent début. Le poker se déroulait toujours en plusieurs phases, d'abord on misait sans connaître le jeu d'avance, ensuite les cartes étaient distribuées sur le plateau. Tout le monde paria la somme minimum pour jouer la manche et Chafouin brûla une carte et en distribua trois premières.

Les trois premières cartes:

Cette fois, il ne trahit aucune émotion et porta son attention, non pas sur Morgane, mais sur deux attributs qu'elle avait largement mise en valeur plus tôt.

-Tu sais ce qu'il y a de bien avec ce décolleté ? Je peux m'y plonger pour éviter de penser à autre chose, et ça marche plutôt bien. Il reporta son attention sur deux irys bleutées, tout aussi avenants. Mais sinon, l'argent ne t'intéresse pas plus que ça je suppose, qu'est-ce que t'apporterait cette manche si tu gagnes ?

Il n'y avait pas meilleur délice que la sensation d'avoir trompé la mort ... même s'il ne s'agissait que de chance pure et dure. L'adrénaline du moment avait suffit à rehausser l'expression maussade de l'assassine en un mince sourire. Comment un canon pouvait-il faire naître tant d'émotions ? Comment un simple morceau de métal pouvait faire trembler l'âme ? Toutes ces choses inanimées, qui, dans la beauté de l'acte, deviennent une véritable forme de vie à part entière ... Morgane commençait à comprendre pourquoi Circéro vénérait à ce point le bonheur que procurent les petites choses. Plus palpitant, encore, ce vieillard de Chafouin allait vraiment se plier aux règles qu'elle lui soumettait ! L'orgueil n'est un bon ami que pour un temps, pas vrai ? Bien vite, il retourne sa veste et plante sa lame entre les côtes des crédules.

Qu'il ne se défile pas, voilà qui était aussi impressionnant que stupide, une chance sur cinq et l'assassine aurait revendiqué le rétablissement de son amour propre. En une risette amère, la brunette s'en mordit la lèvre inférieure d'impatience tandis que se levait la main de l'impoli pour viser la tête et cibler la tempe. Est-ce qu'il tremblait sérieusement du doigt ? Ou bien l'idéal de la situation altérait-il la réalité de l'assassine ? En tout cas, elle s'amusait comme une folle. Mais comme il y a des cons partout, le monde est également hanté de rabats-joie ... c'était qui, cet enfoiré, au juste ? Que Chafouin se laisse défiler, passe encore, mais qu'il ait des amis, voilà qui, selon Morgane, lui aurait valu le statut d'anomalie sans autre débat.

Avec un minois feignant une immense déception, qui était, en vérité, plutôt authentique, la jeune femme regarda l'étranger démonter son arme. De toute manière, elle n'aimait pas les pistolets, trop de bruit, trop de fumée et mauvaise odeur. Mais quand même ... on venait de lui confisquer son jouet, là, non ?

- Oh ... c'est qu'il est douillet, ce petit.

Elle eut un rire moqueur de gamine, se couvrant les lèvres d'une paume volage. Qu'il était dur cet enfant, "tarée" ? Ce n'est pas parce qu'on ne sait pas s'amuser qu'il faut jalouser les autres pour ça, qu'il garde cette maussade attitude pour lui, s'il tenait temps à rester aussi sérieux. L'assassine était là pour le jeu, mais si on pouvait y glisser un peu de sang, n'était-ce pas mieux ? Elle était presque certaine de pouvoir trouver une lame pour jouer au couteau. Apparemment, c'était interdit, ici, mais honnêtement, qui pourrait prétendre qu'il n'y ait aucune arme dans un casino aussi richement fréquenté ? Chaque personne ici présente était une guêpe, et tout le monde avait son propre dard ... tant mieux si l'autre imbécile pensait avoir privé la brunette du sien.

Chafouin, au moins, comprenait ! ... enfin, un peu mieux que son confrère, en tout cas. Tout n'était qu'un jeu ! Même si Morgane s'en vexait parfois, la vie n'en perdait pas moins son sens principal, tant que l'on s'amuse, on vit. L'ennui valait la mort, et pour survivre, tous les moyens étaient bons, de la destruction de soi, jusqu'à, préférablement, la destruction des autres. La brunette leva les yeux au ciel et haussa les sourcils, lorsque le vieil homme mentionna qu'elle aurait bien apprécié que se peigne le sol de sa caboche. Mais, après réflexion, absolument pas. Pour jouer, il faut bien des gens contre qui s'opposer, sinon, ce n'est pas un jeu, juste une tirade longue et ennuyeuse. Circéro se complaisait dans l'introversion, mais vraiment, l'assassine n'avait pas la même perception du monde.

Quelque chose à compenser ... une terrible envie de l'humilier ? Ouais ... ça, ça aurait refait sa journée. Peut-être qu'éventuellement, ça viendrait, il avait trouvé une voie détournée de s'échapper de son premier défi, mais ça ne pourrait pas se reproduire indéfiniment. Lui, en revanche, ce qu'il voulait, c'était tirer un peu sur ces fabuleuses cigarettes sudistes qu'elle avait amenées avec elle. Ce n'était pas grand-chose à perdre, après tout, et ce n'était rien par rapport à ce qu'elle pouvait abandonner. Tout cela valait-il une manche à la loyale ? Hmm ... pourquoi pas. Qu'y avait-il de plus drôle que de s'amputer soi-même au nom d'un pari débile ?

- Très bien, très cher. A la loyale, donc. Devrais-je donc me défausser de cinq cartes pour égaliser les chances ?

Qu'était donc une partie s'il n'y avait pas de provocation ? Rien d'autre qu'une exécrable sauterie aux airs de salon de thé, et Morgane détestait le thé, même en liqueur. Il n'y avait rien à faire pour sauver cette immondice, à part le noyer de sucre. De l'index et du majeur, elle tira ses deux premières cartes.


Déception ... qu'elle ne cacha pas. Après tout, on s'attendait à ce qu'elle mente, comme la chienne pour laquelle on la prenait. Et de toute manière on la penserait assez douée pour dire la vérité, alors qu'importe sa réaction, puisque de toute façon, personne ne pouvait s'y fier. Bien évidemment, elle ne se défila pas dès le premier tour, elle paria la somme obligatoire, mais sans renchérir.

L'assassine redirigea un regard neutre vers Chafouin, lorsqu'il lui parla de sa poitrine surexposée. Bien sûr qu'il la matait, il n'était pas le seul. Le nombre d'yeux tournants dans la pièce était si impressionnant ... y avait-il donc tant de sable dans l'air pour qu'ils aient tous ainsi besoin de protéger leurs pupilles ? Quelle idée d'être si timide, un corps, c'est fait pour s'admirer, et Morgane était extrêmement fière de ce qu'elle avait à proposer. Pour seule réaction, elle n'eut qu'un coude apposé sur l'accoudoir, appuyé sous son menton. Doucement, son index gauche vint baisser l'armature, ajustant les bonnets plus en-dessous encore de la peau qu'ils soutenaient. D'un regard aguicheur qui semblait se foutre de la décence et des regards, elle esquissa un fin sourire. Dévoiler la peau sans rien révéler, c'était un des secrets pour attiser le désir.

Après tout, on n'aime jamais que ce que l'on ne connait pas. En attendant, Morgane venait d'exagérer plus encore le décolleté qu'elle arborait déjà. Faisant mine de réfléchir, elle répondit.

- Qu'aimerais-je gagner ? Je ne serai pas cruelle, je trouverai l'équivalence d'un paquet de tabac. Si tu perds, mon cher Chafouin, tu devras t'agenouiller et lécher le bout de ma botte.

Sourire ...

L'assassine semblait déçu par son jeu, mais pour Chafouin ça pouvait être tout autant du bluff qu'une vraie déception, à vrai dire il était plutôt confiant dans son jeu même si tout pouvait arriver. De plus il était bien entendu concentré sur une chose qui attirait bien plus son attention, la brune aux yeux saphirs, loin de s'offusquer de son reluquage en règle décida de pousser le vice encore plus loin en surexposant ses attributs. Étrangement, même ceux qui n'avaient rien à faire de ce qui se passait à côté jetèrent un coup d’œil. Chafouin n'y prêta guère attention, c'était entre lui et la jeune dévergondée.
Ce qu'il appréciait cependant, c'est que Morgane ne poussait pas le vice jusqu'à dévoiler un téton ou deux de manière médiocre et racoleuse. Elle surfait sur la fine ligne de la décence (bien que certains auraient considéré cette ligne comme dépassée depuis longtemps.) comme une virtuose. Le fait qu'elle garde ses meilleurs attributs encore secrets décuplait encore plus l'excitation de Chafouin, c'était vrai les femmes nues le rendant bien évidemment tout chose. Mais la nudité dévoilée avait quelque chose de moins que l'excitation provoquée par des suggestions langoureuses, des habits bien mis en valeur, ou une chevelure finement coiffée. Après tout, la tentation consommée n'avait plus aucun intérêt et sur le point de la tentation, cette Morgane Forsythia pouvait rendre jalouse une succube.

Chafouin sentit sa chaleur corporelle monter d'un coup alors que son esprit lubrique se laissa aller à l'imagination de Lundi en tenue d'Eve, mais il devait se concentrer sur le jeu. La partie devait être gagné. Il se rallongea contre son siège en desserrant un peu sa cravate. Lundi lui proposa son défi, assez sale à vrai dire. Chafouin regarda ses cartes et bien loin d'être dégoutté il rendit son sourire à la brune.

Cet air de défi et l'air je-m'en-foutisme de Morgane avait titillé son esprit de compétition jusqu'à lui donner envie de l'affronter jusqu'au bout, et par jusqu'au bout, il entendait que cela se finisse dans un corps à corps rapproché avec cette succube. Qu'importe qu'il doive user de stratagèmes déloyaux, elle en ferait tout autant à sa place. Mais en revanche, une chose le dérangeait, maintenant qu'elle avait énoncé sa requête, la sienne paraissait bien trop dérisoire, enfantine, dénuée d'intérêt, il devait renchérir. Il regarda L'assassine d'un air lubrique et pris une bonne lampée de son whisky avant de parler.

-Hum, l'atmosphère s'est réchauffée non ? Il desserra encore un peu plus sa cravate. Très bien Lundi, mais ça me paraît pas équitable ce deal, si je gagne tu devras me faire la même chose, cependant moi, je n'aurai pas de botte pour retenir ta langue. Chafouin misa la somme pour participer à la prochaine manche. Alors, suit moi et tire cette carte, qu'on continue, à moins que tu n'aies les foies de me lécher les pieds petite succube ?

Saigne-vipère lui avait depuis longtemps jeter ses cartes, d'un air exaspéré, il se barra de la table.

Sourire carnassier...

Intérieurement, Morgane jubilait. Alors, cette "rivalité" prétendue n'était pas réelle, dans l'esprit du vioque, non. En fait, toute cette adrénaline dans lesquelles leurs situations les plongeait était effectivement bel et bien sujet de fantasmes ! Comme d'habitude ... les hommes ne peuvent pas voir au-delà de la chair, c'est tout bonnement impossible ! Une fois qu'on leur fait ouvrir des gros yeux sur de belles visions, ils ne sont rien d'autres que des esclaves prêts à tout pour boire à la fontaine. Des chiens, en somme, tous alignés avec un collier, tout ce qu'il faut savoir pour les faire aboyer, c'est comment leur attacher une laisse. Chafouin n'était que ça, un molosse qui cherchait désespérément quelqu'un pour lui tenir sa corde. Dommage pour lui, mais l'assassine avait un minimum de critères, un cadavre en sursis n'en faisait pas partie.

C'était tout à fait délicieux, cependant, cette sensation, la jeune femme y était accrochée comme une sangsue à la veine. Autant le laisser flétrir dans son envie tant que c'était encore possible, la brunette n'avait pas fini de s'amuser à cette rythme. Tirant un regard désabusé, croisant la cuisse gauche sur son homologue, elle recula la tête comme pour observer la proposition de loin. Ha ! Risible.

- J'ai léché bien plus inconvenant qu'un pied.

Elle adressa un clin d'oeil à son partenaire de jeu, comme une promesse que jamais elle n'accomplirait. En dépit des choses, la "succube", pour ainsi citer le vieillard, gardait une singulière rancune envers lui. Chose étrange, sachant que leur dernière rencontre avait tourné en sa faveur, mais elle ne pouvait tout simplement pas se séparer de cette colère. Alors, elle allait jouer, jouer, jouer et encore jouer, peut-être perdre, pour au final montrer qu'elle n'avait pas plus de parole que de désir. Mais comme la Faussaire qu'elle était, elle gardait cette idée en tête, plantée dans un pot, germant sous une petite pluie régulière, saine. Elle attendra que pousse la fleur, attendra que ses pétales brillent et, avant qu'elle ne puisse complètement éclore, elle en arrachera la pousse. N'est-ce pas là le secret d'un beau bouquet ? N'est-ce pas là le travail d'une bonne jardinière ? Morgane avait confiance en sa botanique.

L'autre abruti s'était barré. Tant mieux. Morgane tenait à ce que soit une affaire personnelle, pas besoin d'un inconnu pour gâcher la fête. La vengeance, quand bien même infondée, était un plat qui se mange seule.

- Je garde cependant mes cigarettes. Pas d'tabac si j'lèche ton pas.

Ca sonnait plutôt bien cette rime, très bien même. Sacrée fille, Morgane, en plus d'être une beauté fatale, t'as l'imagination d'un putain de poète. En tout cas, c'était ainsi que ces pensées allaient, tournant toujours autour d'à quel point elle était douée, aussi bien pour jouer avec les mots que pour manipuler la plèbe. Parce que, voyez-vous, un voleur ne peut pas être autre chose qu'un soiffard, pourquoi volerait-il, s'il ne l'était pas ? Exactement, donc, Chafouin était un soiffard et les soiffards ne méritent pas la pluie.

C'était bien pour cette raison que Morgane n'appréciait pas l'idée de devoir lécher son pied nu ... erf. Mais bon, elle avait acquiescé d'une certaine manière et ce n'était pas la plus sale des choses qu'elle ait jamais faite. Une fois, elle avait dû ouvrir les paumes d'une de ses victimes pour y mettre ses yeux, tout en le positionnant, bras écartés contre un mur. Le client avait demandé "un effet boeuf, si vous voyez ce que je veux dire", alors l'assassine avait improvisé au mieux et il s'est avéré que son sens de l'art avait été grandement apprécié, tant par l'ordonnateur, que par les autorités.

- Si la mise te paraît juste, alors tu peux faire les jeux, CHAFOUIN.

Oui, elle avait insisté sur son nom, surnom, qu'importe. Ce, parce que, avec assez de franchise, les prénoms avec autant de panache rustre, c'était pas super élégant. Elle avait l'air chienne à se moquer comme ça, mais quelque chose lui disait que le vioque en face d'elle aimait ça. Qui apprécie une princesse dans un milieu comme le leur ? Ce que les mauvais garçons veulent, c'est des filles plus mauvaises encore, alors Morgane ne comptait pas se modérer dans son attitude de garce véritable, bien au contraire.

Elle semblait apprécier le jeu cette petite garce, se tenant prête à tenir le pari, et argumentant qu'elle avait déjà fait pire évidemment, elle avait sans doute quelque chose à prouver à Chafouin. Après tout ce genre de gonzesse avait toujours un problème psy à combler. Une petite voix dans la tête de Chafouin lui murmurais de calmer ses ardeurs, il oubliait son objectif premier et se laissait guider par le bout de nez par cette garce pour l'instant. Quoiqu'il était convaincu de garder l'avantage avec cette paire d'as dans sa main, c'était un bon début.

Évidemment elle allait garder les cigarettes, balançant une petite rime au passage, Chafouin la jaugea, peu touché par son petit trait lyrique. Elle misa, peu intéressé par la somme du lot que par l'autre récompense que cette joute de carte lui offrirait. Il lui indiqua d'envoyer la prochaine carte, forçant bien sur son nom au passage, ce qui fit écarquiller un sourcil à Chafouin. Elle avait une drôle de mine à lui parler comme ça.

-Très bien, Lundi.

La carte suivante fut placé à la suite du flop.

Carte du turn:

En regardant cette carte, Chafouin sentit que ça allait dans son sens pour l'instant, il avait l'impression de sentir que Morgane n'était pas dans son élément. De plus, la petite voix était revenue dans son esprit et elle lui intimait de terminer son cirque avec la jeune assassine et de passer à autre chose. Il se doutait, mais elle ne prendrait sans doute pas bien l'ordre de lui léchait le pied, quoi qu'elle faisait pour l'instant, ça ressemblait plus à de l’esbroufe qu'autre chose pour lui. Peut-être cherchait-elle à cacher son stress comme ça ?

En voyant la carte, Chafouin décida de changer de technique de mise, il checka sans parier de mise, pour voir si Morgane ferait pareille que lui avant de passer à la phase suivante. En attendant, son excitation s'était quelque peu calmé et comme à son habitude, il avait envie de titiller un peu la jeune femme.

-Qu'est ce qui t'a amené dans cet endroit en fait ? Laisse-moi deviner, t'es juste venue ici pour dépenser ton fric sans réfléchir et si possible réussir à choper un riche nigaud pour lui tirer son pactole et te faire sauter par lui au passage ?

"Lundi", ce surnom avait quelque chose que tous les autres pouvaient envier. D'ordinaire, les appellations appropriées à cette charmante petite qu'était Morgane tournaient autour de "chienne", "ordure", "hautes-les-cuisses", "catin" et tant d'autres qu'elle avait oubliés. C'était une chose que de se faire insulter, mais c'en était toute une autre de se faire poliment mépriser. "Lundi" était emprunt d'une symbolique qui plaisait particulièrement à l'assassine. Après tout, un lundi, on le redoute deux jours de la semaine durant, voire deux et demi si l'on négocie le vendredi soir. Un lundi, ça ne donnait pas envie de se réveiller, c'était, il fallait bien l'admettre, insupportable ! Seuls quelques rares fous appréciaient le lundi, pour une raison ou pour une autre, mais de manière générale, ce jour-ci était un sale jour pour une immense majorité de personne. Puisque, un lundi, c'est le prémisse de millions de soucis.

Alors, toute bête comme elle l'était, la brune sourit d'une risette carnassière à l'entente de son nouveau surnom favori. Chose rare, son sourire se poursuivit même après que la carte soit tirée. Encore une fois, au poker, ça ne servait absolument à rien de feindre ou quoi que ce soit, puisque personne ne savait jamais si c'était vrai ou non. Morgane étant une véritable comédienne innée, on ne pouvait pas se fier à ses réactions et elle était bien au fait de cette énigme qu'elle incarnait. L'inconvénient ... hé bien, c'était qu'il n'y en avait pas ! Donc, en dépit de l'absence de sens de cette dernière phrase, la jeune femme ne comptait aucunement s'arrêter. Chafouin était un type qui en avait dans la caboche, fallait bien lui concéder au moins ça. Alors, s'il était intelligent, il se questionnerait sur le fondement de ses réactions et saurait pertinemment qu'il ne pouvait avoir confiance qu'au hasard et à son propre jeu.

C'était ça, l'avantage d'être une chienne imprévisible, à force de l'être, tout le monde s'y perd et plus personne ne suit. Et ainsi, on devient imprévisible dans le prévisible, n'était-ce pas plus simple ainsi ? Triant ses cartes, toujours souriante, elle répondit à Chafouin sans d'abord le regarder.

- Qu'est-ce qui te dit que je ne l'ai pas déjà trouvé, mon nigaud ?

Elle releva les yeux, adressant au cendré un regard si lourd de sens qu'il en fit s'alourdir l'air ... enfin, si les mots pouvaient être magiques, ç'aurait été le cas. Ce qu'espérait vraiment l'assassine, c'était que le vieil homme se sente idiot, devienne paranoïaque. Pourquoi ? Mais elle n'en savait rien, putain ! C'était ça qui était beau, tout le monde voulait un "pourquoi" et dès qu'on ôte la cause, tout le monde perd la tête ! Et si tout n'arrivait jamais que pour rien ? Comment le monde tournerait-il ? Accepter la vanité c'était accepter l'éventualité que la vie-même soit inutile, que chaque humain, que les Architectes mêmes auraient pu apparaître par erreur !

N'était-ce pas tout simplement révoltant ? Odieux ? Sacrilège ? MAIS OUI, CA L'ETAIT ! C'était le but ! Toute autre personne que Morgane suivait un raisonnement logique et elle, elle s'écartait délibérément de ce fardeau de la raison pour trouver un chemin que personne n'emprunte et qui est tellement, mais tellement plus aisé à arpenter. Après tout, était-ce de sa faute si tout le monde était con sauf elle ? Il ne faut pas haïr la joueuse, il faut haïr le jeu, car les règles sont mal définies et que les plus malins peuvent les contourner s'ils en trouvent les couilles. C'était tout ce qu'était l'assassine, une joueuse invétérée qui n'avait pas peur d'assumer ce qu'elle était et qui n'avait pas peur de perdre.

- Allez on perd pas de temps, l'Chafouin ! Tu vas finir par rouiller sur tes vieux os si je te laisse planté comme un cadavre sur ta chaise.

Elle tira elle-même la carte qui suivit, histoire d'un peu faire avancer le jeu. Après tout, les paris, c'était bien beau, l'esbroufe, plus encore mais les résultats, ça, c'était l'essence même du risque. La dernière question qui passa dans la tête de l'assassine fut bien simple :

Léchera, léchera pas ?

La réponse de l'assassine ne lui arracha aucun mot, rien qu'un regard assez peu convaincu. Il était plus motivé à voir la suite du jeu qu'à écouter les vagues justifications de Lundi.

-Joue. Lâcha-t-il juste d'un air froid.

Dans sa précipitation Morgane décida de tirer la dernière carte elle-même pour faire avancer le jeu plus vite, d'après l’insupportable, le jeu n'avançait pas assez vite à son goût. Chafouin laissa échapper un grognement d'agacement.

-C'est ça, plus vite tu la tourneras plus vite tu perdras.

Quand la dernière carte se posa. Il regarda la table puis Morgane. Est-ce qu'il pouvait vraiment reculer maintenant. Il misa une belle somme. Qui fut automatiquement suivi par l'assassine, elle, elle ne semblait douter de rien. C'était tant mieux au final, car une fois que les cartes se dévoilèrent, Chafouin laissa échapper un petit sourire, sa paire d'as ne l'avait pas trahi.

-Tu faisais bien trop confiance à ton valet. Il s'étira. Maintenant, lèche.

Désireux de pousser le vice jusqu'au bout, il posa son pied sur la table et retira sa botte, pour une fois il fut heureux de ne pas avoir pris le temps de bien se nettoyer en profondeur. Ses orteils ne sentaient pas vraiment la rose, quoi de mieux pour humilier cette prétentieuse qui l'avait titiller tout le long de cette manche, comme si elle était persuadée qu'elle pouvait gagner ? D'un coup, plusieurs regards de la part des autres tables s'étaient tournées vers eux alors que les murmures sur ce qu'il venait de se passer tournaient entre les autres joueurs.

Chafouin regarda la jeune femme se lever, pour venir s'approcher de lui. Il lui décrocha un regard méprisant, néanmoins teinté d'un sourire moqueur qui en disait bien plus longs que tous les discours qu'il aurait pu tenir, ça il en avait des petites phrases assassines à lui décrocher, mais parfois un bon silence était tout aussi savoureux, même s'il doutait qu'elle s'y mette sans rechigner. Pourtant elle se rapprochait vraiment de près, elle allait finalement la faire sa besogne.

-Chafouin vite faut qu'on bouge.

-Putain, SV qu'est-ce que tu branles ici ?

L'homme élancé avait le regard pressé et regardait régulièrement autour de lui, on devinait un certain stress dans son attitude, il lançait aussi des regards plus que mauvais envers Morgane. Il s'adressa à lui de plus près.

-Les gros bras du casino sont venus voir un croupier, maintenant ils cherchent une brune qui aurait la paume ouverte. Faut qu'on s'éloigne d'elle au plus vite, je crois qu'il cherche aussi un vieux grisonnant.

-Je suis pas...Hmgrph.

Fut tout ce qu'il trouva à répondre avant de se rendre compte de la situation. Ils devaient se faire petits au moins pour quelques heures. Ils savaient qu'il y avait plusieurs étages dans ce casino, des coins tranquilles où le client se faisait rarement dérangé. Chafouin reprit sa botte et commença à la remettre à son pied tandis que SV se faisait de plus en plus pressant. Bon sang il avait été à un doigt, à un doigt de pied même, de se les faire lécher ! L'autre grognasse devait bien se marrer en entendant ça, remarque il espérait qu'il se ferait choper par la sécurité avant et qu'eux, profiteraient du confort des étages supérieurs. Avant de s'éloigner de la table il jeta un dernier regard à Morgane, la garce, sauver de peu, il se demanda si le destin lui donnerait une occasion de se rattraper avec la fin de cette journée.

Qu'il était froid ce Chafouin ! Le pauvret semblait avoir oublié comment s'amuser en l'espace de quelques secondes, était-ce là le bluff de l'abattu, ou simplement le visage de l'impatient de gagner ? Au final, Morgane s'en fichait pas mal, la victoire, la défaite, tout ça lui était bien égal, et si elle devait lécher un pied puant, eh bien elle le ferait comme on savoure une glace ! Elle se passerait le désinfectant plus tard. A y réfléchir, c'était plus un pari de pervers qu'autre chose que ce jeu de cartes, simplement puisque ses pieds à elle ... qui ne voudrait pas y déposer les lèvres ? Hm ? C'est ça d'être une beauté fatale, on se fait avoir par son propre physique, parfois et il faut simplement réussir à en assumer les conséquences en se réconfortant que c'est arrivé simplement parce qu'elle était absolument magnifique. L'ennui, c'était qu'elle le savait déjà, mais bon, un petit rappel n'était pas de trop pour autant.

Eeeeet ... perdu ... merde. Bon ... elle n'avait vraiment pas envie de le faire mais un deal est un deal, et en matière de jeu, parfois il fallait savoir perdre, même si c'était sale. Allez, laissons donc le moins que rien savourer sa victoire, histoire qu'il puisse contempler tous les regrets que sa vie de misérable lui a laissé. De toute manière, elle lui devait bien ça, pour cette histoire avec Xi ... Xa .... l'autre rousse à gros seins, là. Elle avait été un très bon coup, d'ailleurs, qualitative sur vingt, à consommer sans modération et surtout sans retenue, de toute manière, elle n'aimait pas les timides. Alors qu'était un pied en échange d'une amusante rouquine ? Gardant ces songes en tête, Morgane approcha la tête tout en tirant préalablement la langue, un réflexe. Bark, mais il puait vraiment ce con !

Et ... miracle. L'autre abruti coincé qui en avait eu marre de perdre était revenu pour gâcher la victoire du vieillot ! Si ça n'était pas de la chance concentrée, elle ne savait pas vraiment ce que c'était, en tout cas, elle ne se plaignit pas. En fait, elle avait relevé le visage dès qu'il était revenu, histoire de ne pas devoir subir ce subtil mélange de parfums coincé quelque part entre le rat mort et la bouillie périmée. A bien y repenser, elle était vraiment contente de ne pas avoir eu besoin de lécher ça, plutôt retourner faire des folies dans les bordels de Zochlom, au moins là-bas, ils savaient où se nettoyer.

Alors comme ça on la cherchait ? Pour une fois ... d'ordinaire elle n'était pas le genre de fille sur laquelle on mettait un avis de recherche, trop de maquillage sur la face et d'encre entre les yeux. Si on lui avait foutu une prime sur la tête, l'on aurait dessiné une palette de peinture à la place d'un visage, alors bonne chance pour le dessiner ce portrait robot. Mais tout ce cirque n'avait rien à voir avec ce genre de bavures, non, il s'agissait là plus du règlement de comptes d'un propriétaire débordant d'ego sur lequel cracher. Il avait dû se sentir heurté par l'intervention de Chafouin, mais également par ses propres remarques à elle. En toute modestie, le vieux avait fait une grande partie du travail. Elle adressa cependant au type qui lui jetait des regards de travers.

- Calme-toi donc, garçon ! Tu vas mettre te vider sur les cartes !

Bien sûr elle se fit royalement ignorer, et sa moquerie passa quasiment inaperçue. Merde, elle détestait se faire ignorer ... en tout cas, impossible de savoir si elle parlait de sang ou de la sueur qui lui coulait le long des tempes. Bref, maintenant elle était en colère, et le duo commençait à se tirer sans elle ! Mais quels salauds ceux-là ! Après tout ce qu'ils avaient traversés ils la laissaient derrière comme une vieille chaussette chafouineuse qu'on n'aurait pas lavée. La mine mauvaise qu'elle leur adressa en levant son verre entre ses lèvres était coincé quelque part entre la rancune et la vexation. Elle ne bougea pas d'un pouce, cherchant du regard les gros bras qui étaient à sa poursuite. Enfin, "poursuite", ce n'était pas comme si elle leur rendait la tâche difficile, de toute manière il n'y avait nulle part où courir, tous les accès étaient gardés par des vigiles.

D'ailleurs, lorsque ces derniers la trouvèrent, elle tendit bien la main droite, exposant bien qu'elle était la brune avec la paume ouverte en question. "Coucou, c'est moi, oui, arrêtez-moi" criait son expression hautaine, de toute manière ce n'était pas comme si elle avait fait quelconque autre crime qu'accuser DE MANIERE TRES LEGITIME, le casino de tricherie. Bon, d'accord pour le pistolet, mais est-ce que c'était vraiment la peine d'en arriver à pareilles mesures ? L'assassine joignit donc ses poignets en les tendant vers les gros bras en question, et, levant l'épaule, elle accentua une inclinaison du visage sur cette même clavicule.

- Serrez bien les menottes, s'il vous plaît.
- Où est votre ami aux cheveux gris, madame ?
- Chépa. Parti par là, environ, avec un de ses amis un peu bizarre et austère. Vous pourrez pas les louper, y a pas dix mille vieux, ici. Elle indiqua la bonne direction dans laquelle le duo était parti.

Le responsable des vigiles sembla adresser un ordre aux deux gars qui le suivaient et qui se mirent à aller fouiller aux alentours des tables, cherchant les deux coquins qui s'étaient évadés. Morgane se leva alors, souriante, adressant des paroles au chef sur un ton complice et exagérément patriote, comme si elle l'avait connu depuis toujours.

- Ha ! On va les avoir ces sales malotrus, allez Bill, j'te laisse, j'vais aller m'prendre un martini bien rouge en remontant ma montre à gousset. Elle salua et commença à s'écarter.
- Si vous voulez bien me suivre, madame.
- ... merde.

Soupirant, elle fit de nouveau volte-face pour revenir devant le vigile qui, décidément, ne comptait pas la laisser s'en aller. Il lui désigna la marche à suivre, qu'elle emprunta, avant de s'arrêter, doigt levé et d'adresser une mine déçue, mais aussi taquine au grand gaillard.

- Et mes menottes ?
- Ce ne sera pas nécessaire.
- ... hmpf. Puceau.

Elle aimait bien les menottes. Elle était un peu saoule, aussi, ça faisait combien de verres déjà ? Enfin, "saoule", juste assez pour que son filtre ne soit plus qu'un lointain souvenir. Déjà qu'il n'était pas bien développé lorsqu'elle était sobre, alors, sous la désinhibition de la boisson, c'était une véritable catastrophe. En tout cas, son escorte (si seulement elle pouvait être du bon type), la mena jusque devant une porte close sur laquelle il était marqué "gérant" et devant laquelle elle attendit. Le silence était gênant, et le sourire passif du responsable de la sécurité était assez troublant. Il avait l'air d'être un bon type remarque ! Pourquoi se priver d'un peu d'amusement ?

- Qu'est-ce que tu fais après ton service, le gorille ?
- Je dors.
- Oh ouaaaaah, moi aussi je dors ! On a tellement de points communs. Le ton était sarcastique au possible. Mais quand j'ai pas envie de dormir, je bois, je me drogue et je baise. J'adore baiser, vraiment beaucoup. Et je ne suis pas du tout fatiguée, là, maintenant.

Elle se fit bien rire elle-même, mais le vigile ne fit que secouer la tête sans se dévêtir de son sourire. C'était vraiment un gars bien ! Qu'est-ce qu'ils attendaient exactement ? Parce que Morgane en avait prévu des blagues salaces, mais elle devait un peu optimiser le temps, si elle balançait tout maintenant alors qu'ils en avaient pour deux heures à attendre, elle serait bien raide d'humour dans les dernières minutes.

Alors que Morgane se faisait emmener, Chafouin avait tranquillement trouvé un endroit des plus confortables à l’étage du casino avec SV. Des danseuses faisaient leur numéro devant le regard fortement intéressé de l’homme cendré. Il sirotait tranquillement un troisième verre de whisky, il avait dépensé sans compter à cet étage quand SV leur avait trouvé ce coin de détente à l’abri des regards. L’ambiance tamisée invitait à la détente tandis que les courbes des danseuses s’agitaient dans une sorte d’harmonie sauvage qui enflammait l’imagination de Chafouin.

SV lui avait garanti qu’ici ils ne craignaient rien, les vigiles du casino, cherchaient « un vieux grisonnant. » Il ne ressemblait pas à un vieux et ses cheveux étaient surtout blancs que diable ! Et le premier gros bras qui lui dirait le contraire, il l’encastrerait contre un mur. Mais pour l’instant, il se contentait de se détendre en admirant la danseuse en face de lui, il ne pensait pas craindre grand-chose de la jeune assassine, vu ce qu’elle avait bu, elle ne raconterait sans doute rien qui n’avait de sens. Alors que la danse lui fit penser à une personne qu’il aurait bien aimé avoir à ses côtés maintenant, SV lui annonça qu’il allait retourner en bas pour voir si la situation s’était calmée et aussi pour jouer quelques coups. Chafouin grogna son assentiment et le laissa partir. Le calme relatif qui se déroulait autour de lui, lui permit de méditer tranquillement et de faire le point sur sa vie, entre deux gorgées de whisky.

Mais malheureusement pour lui. Alors qu’il allait commander le verre suivant ce ne fut pas la serveuse qui arriva, mais bien deux hommes en costume à l’air pas correct. Il esquissa une mine d’incompréhension avait de recoller bien vite les morceaux.

-SV, putain de fumier…

-Monsieur, je vous prierais de nous suivre. Fit le vigile en se rapprochant de lui.

-Ça va, ça va ! Grogna-t-il. J’espère que vous dérangez vos clients pour de bonnes raisons au moins. J’étais tranquillement au train de mater votre collègue et on vient me faire chier. Ce casino est vraiment moins bien que sur la brochure.

Il commençait lui aussi à avoir un coup dans le nez à force d’enchainer les verres. Mais il avait décidé de se la fermer sur le reste du trajet en se demandant combien les types du casino allaient lui demander en réparation, il doutait de risquer la prison pour un emmerdement aussi mineur. Cela se réglerait certainement à coup de négociation en dessus de table, il avait un peu de liquide sur lui après tout. Et en parlant de dessous de tables, il se demandait où était rendue cette garce de Lundi. Sans doute à vendre son corps pour éviter des emmerdes avec le casino tiens ! Il tourna ensuite ces pensées à la façon dont il ferait payer SV pour l’avoir balancé. Une bonne petite séance de torture s’imposerait. Qu’est-ce que le chauve avait-il eu en récompense ? De l’argent ? Il pouvait tellement avoir plus avec ses talents de voleur.

Il arriva finalement dans une pièce ressemblant à une salle d’attente devant une porte où était marqué « gérant ». Tiens, qu’est-ce qu’on avait là ? Une Morgane à l’air bien éméchée qui faisait des avances au garde posté pour la surveiller. Chafouin fut laissé là par les vigiles et il s’assit en face de l’assassine. Il afficha d’abord un air froid, blasé, peu heureux d’être là, mais qui se transforma rapidement en regard goguenard quand il dévisagea Morgane.

-C’est quoi ce regard ? Tu veux me pomper ?

Il regarda ensuite le vigile qui restait bien silencieux.

-Et toi, ça ne te plairait pas de regarder ça ? Tu veux prendre ton pied c'est ça ?

N’empêche, il se demandait qu’est ce qu’ils faisaient là et surtout, comment il allait s’en sortir s’il se retrouvait face au gérant.

Il y avait clairement de l'ambiance dans l'air, entre ce plouc qui ne disait rien et le lointain bordel des machines utilisées par les visiteurs. C'était après la même sensation que l'on avait à côté d'un eunuque, ce sentiment que rien n'allait se passer qu'importe les événements. Ce n'était pas forcément de sexe auquel pensait Morgane, mais au moins un peu de dialogue ? Elle s'ennuyait à mourir, là, ça faisait quoi, au moins une demi-heure qu'ils attendaient, non ? A force de ne rien faire, la jeune femme avait fini par bailler comme jamais avant. Alors, elle avait commencé à jouer avec les lacets de son haut, les nouant et les dénouant avec une moue impatiente. Et finalement, lâchant ses bras sur son siège, elle se plaignit enfin.

- Hé, qu'est-ce qu'on attend ?!

Le vigile regarda la brune, avant de jeter des regards tout autour pour finalement lâcher sur son ton éternellement détaché.

- Votre collègue.
- Mais merde on s'en fout de lui ! Pourquoi on peut pas entrer maintenant ?!
- Parce que le responsable de la salle veut vous voir tous les deux.
- T'es en train de me dire qu'il préfère voir une cliente comme moi accompagnée par un vieux tordu ? Il a des goûts bizarres ton boss ... Elle se pencha en avant Mais j'ai vu pire.


Les autres employés du casino arrivèrent à ce moment, surprenant Morgane au moment où elle esquissait son espiègle sourire qui suivait chacun de ses sous-entendus. Eh beh ... décidément, dès qu'elle commençait à s'amuser il semblait qu'il y avait toujours quelque chose pour ruiner ses moments. Et en plus, Chafouin avait brisé l'ambiance avec une remarque plus lourde que tout ce qu'il avait pu dire jusqu'alors. Même au vigile, il adressa une singulière interpellation, qui, étrangement ne réagit pas plus que cela. C'est frustrant ces gens sur lesquels tout glisse !

- Sans façon, monsieur.
- Non plus. J'ai eu un avant-goût de tes pieds, j'veux même pas imaginer quelles maladies tu caches entre tes cuisses.

Bien malheureuse serait la pauvre fille qui en accueillerait l'étreinte, rien qu'à le visualiser ... berk. Si elle devait poser un mot sur l'image qui lui était venue en tête, elle aurait dit "chaussette sale pendant au bout d'une vis" et mal repassée. Oh, à force de l'imaginer elle pouvait en sentir l'odeur, erk ! Secouant la tête et pinçant d'instinct son nez pendant une fraction de secondes, l'assassine tenta de dégager la puanteur qui flottait dans son esprit. C'était vraiment ignoble. Bon, bref ! Ils allaient pouvoir entrer, là, non ?

- Veuillez me suivre, s'il vous plaît.

Enfin ! Ouvrant la porte sans se retourner, le responsable de la sécurité fut le premier à entrer, l'autre surveillant, derrière, attendait que les deux conviés entrent dans le bureau. Le type qui était assis sur la chaise avait une tête de comptable, le genre de gueule que l'on bafferait bien mais sur laquelle on se couperait tant elle était angulaire. Comment était-ce possible d'avoir à ce point un visage d'enfoiré ? "Connard" avait l'air d'être imprimé sur sa gueule, pas étonnant, au final, que la présence de Morgane ait été réquisitionnée. Avant qu'ils n'entrent, le second garde les fouilla, invoquant ainsi l'éternelle phrase qu'elle aimait tant sortir lors de ces situations.

- Non, s'il vous plaît ... je suis encore vierge.

Et elle rit, peut-être bien toute seule, d'ailleurs, mais elle aimait tellement cette réplique ... mais même entre ses rires, elle ne loupa pas le couteau qui vint s'accrocher à son vêtement intérieur, caché par le tissu violet. Voilà qui était extrêmement bien effectué, dix-neuf sur vingt pour la beauté du geste ... un point en moins pour avoir manqué de lui trouer la peau. A la place il l'avait un peu coupée, mais bon, l'Ordre apprend à gérer ce genre de petite douleur. Il ne fallait pas se trahir après tout. Morgane entra l'air de ... Morgane et le second surveillant ferma la porte derrière eux, avant de la verrouiller.

- Bienvenue à vous deux.

Ouh ! Comme prévu une voix de salopard, bien morne, bien dénuée de vie, exactement le genre de tonalité que l'on attend d'une trogne pareille. Le premier vigile était resté derrière eux, tandis que le second, qui avait accompli la fouille, vint se camper à côté de monsieur tête de rat qui poursuivit son introduction.

- Vous avez dérangé l'ordre de ma section. Voyez-vous, je déteste que l'on mette du désordre dans mon domaine, surtout par une bande de ...
- Pomme.

Confusion ... peut-être qu'il n'aimait pas être interrompu ? Alors il n'aimerait pas ce qui allait suivre, en fait, dans la seconde qui suivit, une lame vint lui percer la gorge, tranchant la section des cordes vocales de la cible. Le seul garde présent dans la pièce, celui derrière Morgane, vint chercher de sa main l'arme à feu de service accrochée à sa ceinture. Cependant, ce n'était pas pour rien qu'elle avait balancée le signal, l'assassine était prête, le couteau, déjà dans sa paume sous les plis pourpres. La pointe s'enfonça dans l'épaule du gaillard, et de son autre main, elle lui tira la paume en arrière pour le faire s'avancer en exposant son buste. Ce après quoi son collègue lança son propre poignard dans le visage de son collègue.

La brune sourit et, ramassant l'arme, elle murmura.

- Il me tardait de voir ce sourire disparaître de ta sale gueule.

Ouais, ça l'avait énervé cette attitude flegmatique, parée à tout et suffisante. Bien ! L'assassine empoigna le pistolet, désignant Chafouin du canon. Son collègue venait d'enfoncer la pointe de magilithe dans le front du gérant de salle, signature des membres de l'Ordre ... foutue tradition. Morgane secoua la tête en regardant le vieil homme dans les yeux, avec un air incertain, perdu entre la satisfaction et l'hésitation.

- Franchement ... c'est le pied.
- On a fini ici, tue-le et on s'en va.

Morgane ne dit rien.

- Me dis pas que t'as pitié de lui ! Toi ?!
- Ta gueule.

Ouais, elle s'en foutait de tuer des gens et elle le faisait à chaque mission, qu'importe s'il s'agissait de dégâts collatéraux. Chafouin n'échappait pas à la règle, cet enfoiré. Une balle ? C'était trop court, trop facile, il fallait faire durer l'instant.

- On va jouer, l'ami.
- Il a vu ton visage, t'as pas le choix, tu dois l'abattre !
- Je sais, je sais. Dis, est-ce que l'on entendrait un coup de feu, d'ici depuis la salle ?
- Non, la pièce est insonorisée et assez écartée, avec le couloir, on entendrait rien.

Hm. Bon à savoir.

- Convaincs-moi, Chafouin. Supplie-moi de t'épargner, trouve-moi une bonne raison et peut-être que je te laisserai ressortir d'ici.
- A quoi tu joues ?!
- Ferme-la, j'ai dit !

Elle ne voulait pas être interrompue, pas maintenant, après l'humiliation qu'il avait voulu lui infliger et celles qu'il lui avait faites subir avant cela, elle ne voulait surtout pas être dérangée.[/color]

- Sans façon, monsieur.

- Non plus. J'ai eu un avant-goût de tes pieds, j'veux même pas imaginer quelles maladies tu caches entre tes cuisses.

-Quoi ? On ne dit jamais qu’on n’aime pas tant qu’on n’y a pas gouté, Lundi.

La suite fut assez déconcertante. Après les avoir fait rentrer dans la salle on les fouilla comme à l’entrée, Chafouin ne se priva pas de faire remarquer que le service était plus que merdique et de compléter la sale garce.

- Non, s'il vous plaît ... je suis encore vierge.

-Et moi j’ai baisé Elenor Kingston une fois.

Mais il sentait que quelque chose n’allait pas, sans doute à cause de la porte qu’on verrouillait derrière eux, ce qui généralement n’était un signe qu’une bonne discussion pacifique allait se dérouler dans ce bureau. Le gérant d’ailleurs, lui fait l’effet d’un vieux crouton de fromage bien trop moisi pour qu’on ne puisse le nettoyer autrement que par un coup de lance-flamme. Juste quand l’envie de le voir refroidit surgit dans le cerveau de Chafouin, ses prières furent entendues, d’une certaine manière.

Quand il entendit Lundi terminer la phrase de l’autre scribouillard par un mot qui n’avait rien à voir il comprit par instinct que c’était un mot signal. Son premier réflexe fut de trouver une échappatoire en la présence de la porte d’entrée, porte d’entrée qui avait été verrouillée. Il eut juste le temps de se retourner pour voir Lundi assassiner l’autre garde de la pièce, alors que le pote de Lundi plantait une aiguille en magilithe dans le crâne de la victime. Tiens c’était intéressant à noter ça. Enfin ce qui était plus intéressant à noter sur le moment, c’était qu’il était dans la mouise jusqu’au cou. Se retrouver dans cette pièce avec une personne qui désirait certainement sa mort et qui était armée d’un flingue n’était pas vraiment le genre de situation qu’il aimait vivre.

Cependant, alors que le canon se braquait sur lui, il se rendit compte au bout des premières secondes qu’il n’était toujours pas mort. Un point pour lui. Les deux assassins pénitents semblaient se prendre le chou pour le tuer ou non. Un sourire se dessina sur son visage, il avait presque l’impression de contrôler la situation maintenant. Alors que Lundi lui somma de la supplier pour qu’il reparte vivant, ce qui laissait échapper un petit rire de la part de Chafouin.

-Hum, pour des assassins de la pénitence, vous ne semblez pas très objectifs, je pensais que ce n’était pas votre style de tuer les innocents. Pour sûr que vous vous trompez de cible.

Il s’était autant adressé à Lundi qu’à son comparse, mais il désirait adresser la suite seulement à elle.

-Te supplier ? Tu me déçois vraiment si tu te crois capable de me faire supplier une seule chose de ta part comme une princesse. Tu vois, je pense que si tu ne presses pas la gâchette, c’est parce que toi tu as une bonne raison. Il commença à faire un pas dans sa direction. Tu me traites comme la dernière des merdes par devant, mais au fond de toi, tu sais très bien que je t’amuse plus que je ne t’emmerde. Il continua son chemin dans la direction du canon. Si tu me descendais maintenant, tu n’aurais plus de public pour tes conneries, ta vie sera bien insipide. Il arriva bien trop d’elle, son associé commença à l’engueuler pour de bon. Alors qu’est-ce que tu attends la pénitente ? Appuie sur la gâchette, que ton existence redevienne morne et ennuyeuse.  

Il colla son crâne contre la bouche du canon, attendant que celui-ci devienne rougeoyant et chaud comme un feu de joie.

"Objectif", voilà le terme, qui, clairement, est de trop dans la Pénitence. De toute manière, quelle idéologie idiote désignerait des assassins comme des dieux départageant les condamnés des innocents ? C'était clairement jouer un autre rôle que celui de mortel et Morgane pensait que le seul honneur d'être une tueuse résidait dans le scintillement des pièces qu'elle tire de ses meurtres. L'or tombe comme coule le sang, à grands flots si l'on coupe au bon endroit. La guilde n'est pas qu'une organisation de justiciers ayant une foi aveugle envers le bon sens moral. Certains se fichent des règles, elles ne sont qu'une entrave. Tout l'intérêt d'une guilde de meurtriers, c'est de pouvoir mettre à profit des talents interdits par l'état ... ou exploités en secret. Chafouin n'a pas besoin de savoir ça, tout autant que la brune n'estime pas nécessaire de se justifier.

La réponse tant espérée du vieil homme sortit de ses lèvres comme éclot une fleur, avec certitude et sans aucun imprévu. Mais c'était comme ça qu'on l'aimait, c'était ainsi qu'elle devait fleurir. Cette réponse, l'assassine ne l'aurait jamais imaginée autrement. Bien sûr, il n'avait pas raison sur tous les terrains, une pénitente a toujours un public, consentant ou victime. Et Circéro aimait bien trop s'amuser du comportement de sa pupille pour que celle-ci ait un jour la prétention de pouvoir se contenter de la solitude. De toute manière, elle n'aimait pas ça. Rester seule, c'était comme se tenir à une corde dénuée d'attache, on finit par tomber. La nuance résiderait certainement dans le fait que Morgane accroche ses cordes autour du cou des gens, au vu de sa sympathie ...

Chafouin continuait à s'approcher, encore et encore, jusqu'à poser son front sur les lèvres du canon, arrachant finalement rien d'autre qu'une expression neutre, fixée dans ses yeux émeraude grisonnants. Le pistolet ne bougea pas d'un centimètre, appuyant sur la chair qu'il s'apprêtait à percer de part en part. Morgane continuait à réfléchir derrière sa façade illisible, tandis que son confrère hurlait son nom, encore et encore. Que faire, exactement ? "Vient à point à qui sait attendre" aurait dit l'autre imbécile de mentor ... encore un peu, alors. Quelques secondes ... quelques secondes qui vinrent apporter une solution toute trouvée.

Son collègue avait fini par en avoir marre des caprices de la jeune femme, et du tiroir du bureau, il tira une seconde arme à feu qu'il décocha, tenant Chafouin en joue. Le pistolet sur le front de ce dernier se décala de quelques centimètres, tirant juste à côté de l'oreille du vieil homme pour toucher le pénitent en plein thorax. Morgane se doutait bien que l'autre cendré en profiterait pour essayer de l'attaquer, c'était bien son genre à ce perfide. Alors, elle se laissa faire, s'il devait la plaquer, de toute manière, il le ferait, et elle, eh bien, elle encaisserait. Elle était plutôt douée à ça ... sur le plan physique, en tout cas. Quoi qu'il fasse, elle lâcha le pistolet, elle n'en avait plus besoin pour le reste de ce qui devrait arriver. Elle venait de faire une grosse bêtise, aux yeux de la guilde. Si ça devait éclater au grand jour, c'était l'exécution assurée.

- Vois ça comme un caprice.

Elle désigna le cadavre de son confrère d'un regard coincé entre la satisfaction et l'appréhension, elle ne savait pas exactement ce qui adviendrait de ce regrettable incident, mais elle connaissait la personne parfaite pour faire en sorte que ce secret ne sorte jamais. Ou en tout cas, elle espérait connaître la personne parfaite, il n'y avait aucune garantie là-dessus. C'était encore un pari, comme si elle n'en avait pas déjà fait assez, aujourd'hui. Avec un soupir, elle poursuivit son "explication" de ce qui devra être fait dans les prochaines minutes, de manière à pouvoir tranquillement sortir de ce casino sans se faire emmerder par plus de gardes que nécessaire.

- Hors de question que je mette un uniforme de surveillant tâché de sang. Alors, cher Chafouin, tu vas avoir l'illustre honneur de récupérer le déguisement de l'autre braillard. Et en plus ... Elle joignit ses poignets derrière son dos. ... tu vas avoir l'immense bonheur de me menotter. Le but étant tout de même d'arriver à la sortie à deux, puisque si tu me laisses aux gardes, eh bien je dirai simplement qui tu es véritablement.

Elle acheva ses explications avec un aimable sourire.

- C'est un plaisir de collaborer une nouvelle fois avec toi, le vieux.

Ce n'est pas comme s'ils avaient le choix de toute manière, hm ?