Travaux pratiques

Il est des missions qu’on reçoit et dont on ne sait que faire. Plus tôt dans la journée, Sakari avait été contacté pour entraîner une jeune personne au combat. Et dans le même temps, une lettre de son patron Ludounet lui demandant de foutre le boxon en Mÿ’tra. Coïncidence amusante.
    Et si possible, autant combiner l’utile à l’agréable. Quoique, c’était difficile de déterminer ce qui était utile, et ce qui était agréable. Sakari appréciait les deux activités. Elle aimait autant transmettre des connaissances que faire plaisir à son patron d’amour. Et ce n’est pas comme si elle avait quoi que ce soit à foutre de la vie de ces gens. Tuer gratuitement n’était certes pas son occupation préférée, c’était même assez déplaisant, à la longue, mais après avoir vécu une longue partie de sa vie dans Als’Kholyn, et que ce soit à Nunaqortoq où on exposait les nouveaux-nés et où on combattait des cannibales, ou à Aildor dont la réputation n’a pas à être rappelée, on devient mithridatisé, face à cette violence.

    C’est justement dans cette ville que le maître et l’élève allaient se rejoindre, pour ensuite descendre au sud, vers Khurmag. Ce serait plus facile de tuer des illusionnistes que des mages combattants maîtrisant les éléments. Dans sa lettre retour, Sakari avait demandé à la dame Aemy de la retrouver au port, devant le Sceptre Vert, un navire à voile Mÿ’tran qui assurait le commerce et le transit de passagers entre la ville et le continent. Il serait assez facile de se reconnaître ; Sakari ayant expressément précisé qu’elle porterait son sempiternel manteau de fourrure, et qu’elle serait bien la seule sur les quais dans ce cas.
    Ce serait sans doute risqué de faire participer une apprentie qui ne connaissait rien à des combats. Mais c’était tant mieux. On n’apprend réellement que quand on doit s’adapter à une situation de combat réelle, où par définition les hasards, les imprévus et les inconnues étaient très nombreuses et obligeaient à faire travailler sa faculté d’adaptation.

Voilà qu’on la saluait comme une dame, maintenant. Ce n’était pour ainsi dire jamais arrivé. Ne sachant trop comment répondre à sa cliente bien habillée – mais pas assez chaudement au goût de Sakari, bien qu’on fût en été – elle se contenta de tendre la main, à la daënare. Car elle supposait que cette Aemy venait de ce continent. Un quelque chose dans ses gestes, dans ses manières, et dans ses vêtements.
    « Sakari, oui, c’est moi. Vous faites bien de m’appeler par mon prénom, je préfère. Du coup, on va prendre le bateau pour Mÿ’tra comme convenu, et je vais tâcher de vous apprendre autant que possible au couteau, à l’arc, au pistolet et au fusil. Et à tout un tas d’autre choses qui vous seront autant efficace que de savoir manier des armes. Comme la survie, la parade, l’esquive, ce genre. »

    Il y avait peut-être du potentiel, en cette personne. Elle n’avait aucune trace de prétention, de vanité ou de préciosité qui aurait été un frein de plus à briser pour lui apprendre à combattre proprement. Elle avait d’ailleurs à peu près le même âge que Sakari, mais la position de l’élève et du maître allait être très clairement définie.
    « Du coup, du coup, je vous préviens tout de suite, on va faire tout un tas de saloperies sur place, et il faudra se considérer comme en territoire hostile. Donc bon, ça va de soi ; vous m’obéissez au doigt et à l’œil, vous posez pas les questions pendant mais après, vous faites tout ce que je dis, et ce sera une instructive promenade. Je vais en profiter pour entraîner votre corps, aussi. Pour le paiement, on va faire simple et on verra ça à la fin au prorata de ce que vous avez appris de bien. Je prends pas cher, de toutes façon. Est-ce que vous avez des questions ? »
    Ce qui était formidable, c’est qu’on avait vraiment l’impression qu’elle vendait un cheval. Son ton était presque badin, en tout cas il ne dénotait pas à quel point, selon les visions inspirées de celles de son propre peuple de guerriers nomades, Aemy allait en baver comme c’était pas permis. S’il y avait bien quelque chose que Sakari prenait à cœur, c’était le métier de combattant, et chez les siens, transmettre ce savoir, donc être reconnu comme apte de le faire, est un immense honneur. On se devait donc d’être excellent à la tâche.