La Chouille des Bas-Fonds

Elle enfile sans rechigner le matos que lui donne le capitaine. Prête, se corrige-t-elle, mais elle peut toujours en perdre une partie et le récupérer plus tard, au besoin… Elle est rapidement aussi fournie qu’une armurerie clandestine, et se sent bien plus lourde que d’habitude. Cela ne sera pas un mal, toutes les ceintures de cuir sentent le sel, la marée et la sueur, mais devraient la protéger, amortir des chocs, voire des balles si elle a un peu de chance. Par contre, les ballots d’explosifs aussi près de sa poitrine ne sont pas pour exciter sa confiance. Mais ça ferait mauvais genre de montrer un signe d’hésitation devant le fragment d’équipage de Pedro, elle a suffisamment pratiqué les gangs et les rustres des bas-quartiers pour savoir que les charognards sont capables de se retourner contre leurs alliés d’un jour si l’occasion s’en présente. Et il ne fait aucun doute que de Sousa fait totalement partie de cette engeance, il l’a dit lui-même.

Un revolver dans chaque main, des grenades à portée, elle est à son tour prête à virevolter à leur suite à l’intérieur.

Elle leur lance un regard inexpressif, avant de se rendre compte que c’est à elle d’entrer la première sur les lieux du crime. Déjà parce que c’est dans son intérêt qu’ils y vont. Ensuite parce qu’elle connaît les lieux. Et enfin parce que, à leur place, ils la garderaient toujours en vue, des fois qu’il s’agisse d’un traquenard. Ce sont des hommes recherchés, après tout, probablement… Pas d’hésitation, se remémore Aly, pas d’aveu de faiblesse, juste le masque froid et blasé de la tueuse aux cicatrices. Un rictus mauvais plisse ses dernières au coin de sa bouche et de ses yeux. Elle hoche la tête sèchement vers le gars le plus proche de la petite porte de circulation, essaie d’oublier la moiteur de ses paumes et son cœur qui bat la chamade.

Il hausse un sourcil moqueur, le salaud.

« Juste besoin que t’ouvres la porte pour que j’puisse rentrer, mon gros. »

Sur une bourrade d’un de ses camarades, il s’exécute enfin sur son signal, et elle rentre au pas de course dans le hangar, pliée en deux. Les pavés de la rue sont remplacés par des carreaux et elle peut enfin voir comment l’intérieur est agencé, aujourd’hui. Une allée est dégagée devant elle, vide, avec une lampe qui clignote faiblement au bout, et des piles de caisses sur les côtés. Gros coups de contrebande récemment, on dirait bien. Des gens vont se faire plaisir. Elle va jusqu’au coin du couloir, le pas léger, les deux armes à feu chargées au point. Derrière elle, les pirates sont silencieux, autant que faire se peut, mais le bruit de tous leurs équipements semble assourdissant : le métal cliquette, le cuir grince, les respirations résonnent.

Un coup d’œil de l’autre côté montre un garde près de la porte principale du hangar, à taper du pied par terre selon un rythme qui semble être celui d’un air célèbre du moment. Elle l’a presque sur le bout de la langue, c’est… Il se retourne subitement et ses yeux s’écarquillent quand il la voit. Inspiration brusque des deux côtés, sans réfléchir elle lève son revolver et fait feu. Sans vraie surprise, la balle vole à côté, plutôt largement au demeurant. Il se jette au sol et commence à crier un mot inintelligible quand elle tire à nouveau. Elle l’aurait touché s’il n’avait pas bougé, se persuade-t-elle. Heureusement, les autres sont plus entraînés. Un pirate parvient à toucher.

Pas le temps de niaiser, les autres s’en rendent bien compte et filent au pas de course le long des couloirs et vers l’escalier. C’est à l’étage que le plus grand nombre des membres du gang sera rassemblé. Certains prennent position aux portes, et les autres chargent. Pour maintenir l’illusion, elle court à leur suite, pas très certaine de comment ça va se passer en haut, surtout maintenant que l’alerte est donnée. Mais au moins, Alyvesha n’est plus en première ligne, et tous ces boucliers humains ne sont pas sans lui remonter le moral.

Peut-être même que s’ils clamsent tous…