[Terminé] Préjugés nés d'ignorance

Attrapant la jeune fille par le coude, Flavien l'aida à se remettre sur pieds. Ses premiers pas furent maladroits, incitant le soigneur à se tenir près d'elle le temps qu'elle retrouve une démarche moins chaloupée. Malgré le chaos qui avait dû régner dans l'esprit de l'oiseau mourant, Ruby n'avait pas cherchée à fuir la douleur, se contentant de la supporter le temps que flavien réalise les soins nécessaires. Lui qui savait parfaitement bien ce qu'une créature pouvait transmettre de sa souffrance par un simple lien télépathique, Flavien n'osait pas imaginer ce que cela devait être de vivre leur peine avec une même intensité.

Les illusionnistes comptaient vraiment parmi les mages les plus intriguant, voire terrifiants, de cette terre.

Rassuré de voir que Ruby s'en sortait parfaitement toute seule, Selmac se détacha de la jeune fille pour aller observer les trois frères qui se tenaient serrés les uns contre les autres. Exténués mais apaisées, les créatures n'allaient pas tarder à sombrer dans un sommeil réparateur. Lorsqu'ils ouvriraient à nouveau les yeux, tout ira pour le mieux. Derrière l'Aitah, Ruby et Flavien discutaient sur un ton mesuré, respectueux du besoin de calme dont les trois frères avaient besoin.

Il était temps de laisser les créatures tranquilles; les deux mages quittèrent les lieux sur la pointe des pieds ou presque, rejoignant Julia à l'accueil. La gérante de la clinique les accueilli avec le sourire, riant doucement en voyant Lamya bondir pour se nicher sur l'épaule de son humaine préférée. Ruby l'accueilli avec une caresse, dressant à Julia le portrait de la situation. Flavien ne se sentit pas obligé de piper mot : en quelques phrases simples, Ruby avait tout expliqué avec brio.

Une fois les explications terminées et la gérante rassurée sur l'état des trois nouveaux résidents, Ruby laissa le nouvel interne de la clinique s'entretenir avec Julia. Elle avait glissé un mot encourageant à son encontre, faisant pencher la balance du côté positive pour Julia qui déclara dans la foulée qu'il commençait le travail dès le lendemain. Une véritable aubaine pour le soigneur qui ne demandait qu'à pouvoir mettre quelques Irys de côté pour continuer son voyage.

Julia lui demanda si tout était clair et Flavien opina. Il avait bien quelques questions, qu'il s'appliqua à poser maintenant que Julia lui en laissait l'opportunité.

- Je ne sais pas combien de temps je vais rester à Cerka. Dit-il, honnête.
- Vous n'êtes pas du genre à tenir en place, Glissa Julia en désignant ses vêtements d'un geste de la main, Pas vrai ?
- Pas vraiment.
- Je m'en doutais un peu. Sourit Julia sans rancœur, Mais si Ruby dit est vous êtes doué, alors vous devez vraiment l'être. Nous avons besoin de toute l'aide disponible. Je peux vous rémunérer à la journée si cela vous arrange, ce n'est pas un problème.

Flavien hocha la tête, étonné par la facilité avec laquelle la gérante acceptait ses conditions.

- Je vous demanderais juste de terminer le suivi des créatures que vous prenez en charge avant de nous quitter. Si elles dépendent de vos soins, je ne tolérerais pas de vous voir disparaitre avant leur rétablissement.
- Cela va de soi.
- Heureuse de vous l'entendre dire. Approuva la Daënare, Oh... Encore une chose. Evitez de nous faire faux bond. Prévenez-nous en cas de départ. Vous ne voudriez pas que l'on s'inquiète pour vous ?

Flavien fut incapable de répondre à cette question, préférant simplement dire qu'il ne manquerait pas de faire part de son départ le moment venu. Julia hocha la tête, satisfaite, puis sembla se rappeler de quelque-chose et repris la parole.

- Une dernière chose Flavien ! Vous n'avez aucun habit de facture Daënare en votre possession, je me trompe ?
- Non, c'est vrai.
- Hmm... C'est embêtant. Devant son air interdit, elle secoua la tête, Non, non. Cela n'a aucune importance ici, mais je sais que tout le monde dans cette ville n'est pas du même avis. Vous pourriez vous attirer des ennuis si vous croisiez les mauvaises personnes.

Le soigneur n'eut pas le cœur de lui dire que c'était déjà fait.

- Souci vestimentaire ? Demanda Merian qui passait par là. Julia hocha la tête derechef, Mon frère m'a donné pas mal de vêtements que je ne mets jamais. Vous avez à peu près la même taille que lui je dirais. Je peux vous en apporter quelques-uns si ça vous arrange.
- C'est une excellente idée ! S'enthousiasma Julia alors que Flavien répondait déjà par la négative.
- Vous n'êtes pas obligé.
- Oh non vous pensez donc! C'est plutôt moi que devrait vous payer pour m'en débarrasser !, Sourit le Daënar, Sans vouloir être mauvaise langue, les longs manteaux lacés, ça n'a jamais été mon truc.
- Dans ce cas, c'est d'accord.

Flavien était parfaitement mal à l'aise. D'une part, à cause de l'attention tournée sur lui, mais surtout en réalisant combien cet endroit était pareil à une maisonnée familiale. L'entraide semblait être le mot d'ordre ici, chose que le My'trän avait bien du mal à croire après ses mésaventures passées.

- Comptez sur moi. Je vous rapporte ça demain. Vous commencez bien demain ?
- Ah... Oui. Merci.
- Attendez donc de voir la panoplie avant de me remercier ! Répondit Merian avec humour.

Le jeune homme récupéra le dossier qu'il était venu chercher et les laissa à nouveau seuls tous les trois. L'attention de Julia fut très vite retenue par un client qui venait s'enquérir de l'état de santé d'une des pensionnaires. Flavien et Ruby avaient terminé leur mission du jour, ce qui leur laissait l'occasion de converser tranquillement à nouveau.

Ruby observait l’échange de loin, bien occupée à réconforter sa boule de poils. Lamya détestait par dessus tout se trouver loin de celle qu’elle considérait comme une mère voir même tout simplement comme sa seule et unique famille. Pourtant, ce travail avait du bon. Les éloigner de temps à autres tout en sachant que rien ne pouvait arriver de mal les aidaient progressivement toutes deux à atténuer leur lien étouffant.

La jeune femme était encore une page vierge mais elle tendait vers une évolution positive. Il y avait eut Ophélia tout d’abord, qui lui avait offert un amour inconditionnel et un instinct de protection dont elle avait manqué toute sa vie, puis cette étrange compagnie lors du grand événement en Zochlom avec qui elle avait apprit à lâcher prise. Et puis son intégration ici l’avait rendue plus mature encore. Sa rencontre toute récente avec Flavien s’annonçait tout aussi positive, surtout si son séjour ici durerait un certain temps. Ruby était à la fois ravie de se faire, peut être, un ami, mais aussi très heureuse de l’avoir aidé, tout simplement.

Elle attendit patiemment que son compagnon d’aventure et dorénavant collègue de travail ne soit plus accaparé par Julia. Lorsqu’elle constata que le silence était revenu dans la pièce, elle croisa le regard confus du jeune homme, devenu bien mal à l’aise par tant d’attention à son égard. Si Ruby ne décrypta pas la raison de son état, elle lui lança un sourire lumineux.

« Prêt pour ta surprise ? »

Lança-t-elle joyeusement avant de lui attraper la main et l’entraîner à petits pas pressés vers une pièce éloignée. S’arrêtant devant une porte fermée à double tours, elle s’empara de son trousseau de clés, puis, avant de lever le mystère, elle enjoignit Flavien à ne pas faire trop de bruit. Finalement, elle déverrouilla la porte et l’entraîna à sa suite.

L’intérieur de la pièce était coloré et presque féerique. Des décorations submergeait les murs tandis que les lumières au plafond étaient tamisées. Une très douce mélopée s’échappait d’une sorte de disque tournant, pareille à une berceuse tendre. Quant à ce que cette pièce contenait, et bien, il s’agissait d’une pouponnière. D’adorables bébés gazouillaient dans leurs nids douillets, d’autres dormaient à poings fermés, certains ronflant très légèrement.

« Je viens ici quand j’ai des journées stressantes. » Confia-t-elle à voix basse. « Ces petits ont besoin d’attentions et de tendresse et… Ça me rappelle que même si on ne peut pas toujours les sauver… Enfin.. Tu vois ? »

La jeune femme peinait à trouver ses mots mais l’intention y était.

Ruby le sauva de son léger malaise en le rejoignant au départ de Merian, ne laissant pas à un autre bénévole ou professionnel de l'établissement le temps de s'approcher de lui. Flavien remercia silencieusement la jeune fille pour sa réactivité, craignant d'être pris à partie une nouvelle fois sans qu'il ait le temps de s'y préparer. A force de cultiver la solitude et à se distancier de ses pairs, le soigneur en était venu à appréhender les interactions prolongées, qu'il se trouve dans un environnement favorable ou non.

Répondant au sourire éclatant de Ruby par l'un des siens, bien moins lumineux, il s'apprêta à remercier une nouvelle fois la jeune fille pour toute l'aide qu'elle lui avait apporté, non seulement pour venir en aide à son premier patient, mais aussi plus tôt dans la journée. Qui sait où il pourrait bien se trouver à l'heure actuelle si la jeune mage n'avait pas été là. Nul ne le savait, à part peut-être ses Créateurs. C'était certainement la raison pour laquelle ils avaient poussés leurs chemins à se croiser.

Lorsque Ruby lui annonça qu'il était enfin temps pour lui de recevoir sa surprise, Flavien avait déjà oublié qu'elle lui avait promis de lui montrer quelque-chose de spécial une fois Julia réconfortée sur l'état de santé de ses protégés. Il écarquilla les yeux, effectivement surpris lorsqu'elle lui attrapa la main pour l'entrainer derrière elle dans le dédale de couloirs, n'arrêtant sa course que devant une porte des plus banales qu'elle s'empressa de déverrouiller, les yeux pétillants.

Plaçant un doigt contre ses lèvres, Ruby lui intima le silence. Elle n'eut pas besoin d'user de son pouvoir de persuasion pour que le soigneur s'exécute naturellement. S'il voulait la questionner sur la raison de ces cachotteries, il était trop tard pour faire quelque-chose maintenant.

Se laissant trainer à l'intérieur de la pièce, Flavien bafoua son vœu de silence en un temps record. Les décorations pastels des lieux attirèrent son attention une fraction de seconde avant qu'il ne remarque la présence d'une bonne vingtaine de jeunes créatures à peine sorties de l'œuf. Elles se reposaient toutes dans leurs couveuses dédiées, toutes soigneusement décorées pour garantir à ces nouveau-nés de ne manquer de rien.

- Oh...

Il se pencha en avant afin de mieux apercevoir les petites créatures qui pour la plupart étaient plongées dans un sommeil paisible. Quelques petits avaient été rassemblés en fonction de l'affinité de leurs espèces, lui donnant l'occasion d'observer une portée d'Aitahs et de chatons se partageant le même nid douillet. Selmac, désormais perché sur son épaule, avançait sa tête aussi loin que possible pour se rapprocher de ces tout jeunes spécimens au grand besoin d'attention. Flavien sourit en coin en le regardant se contorsionner pour approcher ses semblables. Les Aitahs avaient tous un incroyable instinct protecteur lorsqu'on leur présentait de jeunes pousses.

La voix de Ruby s'éleva dans la pièce, lui rappelant qu'il n'était pas seul, et le soigneur se tourna légèrement vers la jeune fille qui lui expliqua que ce lieu était en quelque sorte son refuge. Un endroit pratiquement hors du temps, où les soucis de son quotidien restaient en retrait devant de si petits êtres qui ne demandaient qu'un peu d'attention.

Flavien hocha la tête.

- Le travail que vous faites est incroyable. Répondit-il en oubliant de s'inclure dans le lot.

Il comprenait où Ruby voulait en venir sans ressentir le besoin de la presser sur le sujet. Lui-même ne voyait pas la mort de la même façon que tout le monde. Fidèle aux enseignements dans lesquels il avait baigné enfant, il ne s'attristait pas d'avoir à y faire face. Cela ne l'empêchait pas de tenir le vivant en haute estime et d'œuvrer pour le préserver. A ce titre, une telle pouponnière ne pouvait que lui mettre du baume au cœur.

Après un rapide coup d'œil à Ruby pour lui demander son autorisation, Flavien décida de mettre fin à l'attente de Selmac en tendant son bras au-dessus de la couveuse, offrant à son familier un moyen d'accéder aux petits. L'Aitah ne se fit pas prier et s'empressa de les rejoindre d'un pas agile, prenant en charge la toilette du plus hirsute des petits.

Les deux mages passèrent un moment à observer Selmac, concentré sur les petits qu'il venait essentiellement d'adopter et qui n'avaient pas tardé à lui faire une place de choix au sein de la couveuse, s'agglutinant autours de lui. S'il se concentrait un peu, Flavien pouvait deviner les premiers balbutiements des petits. Plutôt qu'un langage à proprement parler, ils s'exprimaient par de brèves écholalies qui exprimaient leurs émotions plutôt que leurs pensées.

La sérénité du lieu, l'atmosphère toute particulière qui y régnait, finirent par avoir un impact sur Flavien qui passa une main sur son visage. A quand remontait la dernière fois qu'il avait eu l'occasion de communier de la sorte avec la faune ? Évidemment, cela lui arrivait très souvent : repousser l'attaque d'une créature sauvage, calmer du mieux qu'il le pouvait un animal blessé... Mais toujours dans la même optique. Se défendre, ou survivre. Communier en toute simplicité avec la faune n'était pas monnaie courante sur ces terres et Flavien ne réalisait que maintenant combien cela lui avait manqué.

- Je ne pensais pas qu'un tel endroit existait. Murmura-t-il à Ruby, préservant le calme dans lequel ils baignaient.

Il ne fallait pas être très futé pour comprendre que Flavien ne parlait pas de la pouponnière, mais bien de Kali'ns d'une manière générale. La bienveillance des gens qu'il y avait croisés aujourd'hui remettait en question une bonne partie de ce qu'il pensait savoir des habitants de ces grandes villes dont on disait tant de mal au sein de sa patrie.

Cette réalisation, il ne la devait à personne d'autre qu'à Ruby qui, malgré son jeune âge, avait tant de compassion à revendre qu'elle était capable de faire la part des choses beaucoup plus aisément que lui. La jeune fille lui offrait une belle leçon d'humilité. Lui qui se pensait nomade, voyageur sans véritable port d'attache, il nourrissait certainement plus de préjugés qu'il voulait bien l'accepter.

Ruby rosit légèrement des joues au compliment du jeune homme. Elle était particulièrement fière de participer à un si beau projet que celui-ci. Et, bien que cela paraisse étonnant de la part des daënars, ils avaient pourtant eux aussi cet amour des créatures, peut être aussi parce qu’ils se souvenaient d’eux d’une manière bien plus forte que leurs voisins les mages. Prendre soin de chaque vie revêtait alors une autre forme d’importance et la petite mage le comprenait puisqu’elle faisait parti des rares mages capables de se souvenir des défunts.

Mais ils n’étaient pas ici pour penser à ce genre de choses. Malgré la dure scène qu’ils avaient vécu dans la journée, il s’agissait surtout de changer les idées à nos deux protagonistes. Enfin… Aux trois. Selmac ne tenait plus en place, bien trop heureux de se trouver face à des bébés. Ruby se pencha à son tour au dessus de la couveuse et masqua sa bouche afin de réprimer un léger rire amusé.

Ils restèrent ainsi un long moment, admirant avec bienveillance Selmac se comporter avec les petits comme s’ils étaient les siens. C’était un exemple typique de la force de la nature, de ce qu’il y avait de meilleur sur cette terre. Ruby aussi avait eut cette chance alors qu’elle n’était qu’une pouponne à l’abandon et c’était pour cela que depuis toujours elle vouait une foi total et un amour inconditionnel aux créatures, plus qu’aux hommes bien qu’elle bon espoir que tout ne soit pas perdu pour eux. Entre la haine et l’amour il n’y a qu’une frontière mince. Peut être qu’un jour, les choses iront mieux.

« Je ne pensais pas qu'un tel endroit existait. »
« Je ne pensais pas non plus… » Souffla-t-elle. « On m’a toujours décrit les daënars comme des monstres mais pourtant ils ne cessent de me prouver le contraire.»

Alors qu’elle parlait, la jeune femme se mit à caresser sa khulganna.

« Quand j’ai trouvé cet endroit je n’en revenais pas.  Enfin, c’est plutôt eux qui m’ont trouvée… Disons que lorsque je suis arrivée à Cerka, je n’avais pas un rond en poche. Avant que je ne travaille avec eux, ma vie était un peu précaire. Pas que cela me dérange en soi mais… Disons que Merian n’était pas du même avis. Il travaillait de nuit ce jour-là et quand il nous à vues Lamya et moi assoupies dans la rue, il a insisté pour qu’on ne passe pas la nuit dehors. Au final, ils m’ont hébergé plusieurs semaines et… Enfin c’est une assez longue histoire mais j’en suis là aujourd’hui.  Si tu veux je te raconterai la suite demain, il commence à se faire tard et je suis épuisée. »

Alors qu’ils quittaient la pouponnière, la jeune femme s’enquit à propos du mage, lui demandant s’il avait un endroit où loger. Lorsqu’elle fut rassurée pour lui, elle passa dire au revoir à ses collègues puis déposa un baiser sur la joue de Flavien avant de lui souhaiter une bonne nuit et de quitter la clinique.