Feel Good Inc [Pv Dolores]

Skingrad. Même en train, depuis Cerka, ça en fait du temps de trajet. Mais le prix du billet de train et les jours passés loin de la capitale de Rathram devraient rapidement être plus que rentabilisés. Après tout, les habitants de la région sont connus - entre autres - pour leurs bourses débordantes. Et le plan sur lequel l'a mis l'un de ses contacts du sud du continent est particulièrement intéressant. Raison pour laquelle le jeune homme à l'allure si nonchalante se contente de prendre son mal en patience, râlant et laissant libre court à sa mauvaise foi dès que l'occasion se présente, espérant ainsi que le voyage passe plus vite.

Plan qui amène ce soir là Swenn à l'entrée d'un imposant bâtiment. Et si la devanture ainsi que le personnel présent à l'entrée respirent déjà le luxe, ce n'est rien en comparaison de la décoration visible une fois les premiers contrôles passés avec succès. Un carton d'invitation présenté à ce majordome qui réussi l'exploit de le dépasser d'une bonne tête. Invitation spéciale s'il se fie à ce regard soupçonneux et à la porte annexe qu'il lui indique, le chimiste est désormais libre de se déplacer comme bon lui semble à l'intérieur de ces murs immenses. Enfin, libre jusqu'à ce que le maître des lieux lui tombe dessus, apparemment déjà très occupé à quelques minutes du lancement officiel des festivités.

- "Ah, ravi de voir que vous êtes arrivé ! Vous avez tout ce que j'ai demandé ?"

- "Je ne serais pas là dans le cas contraire."

- "Parfait. Tous mes principaux collaborateurs seront présents, et certains aiment toutes sortes de distractions. Je compte sur vous pour apporter de quoi satisfaire ceux qui viendront à votre rencontre."

Le manque cruel d'amabilité dont peut faire preuve Swenn n'a pas pour autant l'air de déranger son interlocuteur. Un premier versement d'Irys alors que son employeur lui indique la salle de réception, il s'avance au milieu de l'agitation qui règne parmi les serveurs, s'affairant à ajuster les derniers détails de placement. Tout parait démesuré. Le chimiste n'a pas la moindre idée de ce que l'homme à l'initiative de cette réception espère en tirer, mais ce qui est sûr, c'est que ça sent bon pour lui. Autant de moyens dépensés, la nuit s'annonce fructueuse !

Habillé en circonstances, chemise ajustée, pantalon cintré, et veste aux multiples poches intérieures, Swenn a pourtant conscience d'être encore loin du niveau d'aisance clairement affiché. Même en faisant abstraction de la naissance de ses tatouages visible à la base de son cou, ou de ceux qui serpentent au dos de ses mains. Ce qui ne l'empêche pas de profiter de ces quelques minutes d'avance sur le reste de l'assemblée pour faire le tour des lieux. Et ce n'est pas parce que les invités ne sont pas encore entrés que les couloirs sont vides. Loin de là. Les minutes défilent et lorsque l'hôte réuni enfin toute la population attendue pour son discours d'ouverture, le dealer au sens de l'orientation déplorable commence enfin à avoir une bonne idée de la disposition des différentes pièces auxquelles l'accès est autorisé.

Être visible, paraitre abordable, sans pour autant attirer particulièrement l'attention. Un exercice que le jeune homme au eu le temps de maîtriser depuis le nombre d'années qu'il intervient dans de genre de mondanités. Légèrement en retrait dans la pièce principale, il observe d'un œil attentif le déroulement de ce début de soirée tout ce qu'il y a de plus banal. De petits groupes de personnes toutes plus resplendissantes les unes que les autres se forment, des sourires, des gestes attentionnés, des compliments à tout bout de champ. Tous ces gens sont parfaitement calibrés pour ce jeu basé sur les apparences qui se met en place.

Un jeu pour lequel Swenn n'a aucun talent. Mais il le sait, il va lui falloir patienter encore quelques temps avant qu'il n'arrive réellement dans la partie. Le temps que ces parfaits acteurs installent certaines bases et que l'alcool face tranquillement son office de désinhibiteur. Lui-même ne sera sollicité que bien plus tard. Un rôle parfaitement secondaire et anecdotique au milieu de tout ce qui se trame dans cette pièce. Qui peut pourtant rapporter gros, et c'est bien tout ce qui lui importe.

Opium et chanvre sont les demandes les plus fortes dans ces milieux, mais celles pour des cristaux, beaucoup plus récentes, ne sont pas en reste depuis quelques mois. De nouveaux produits à la mode et aux effets plus puissants. Mais également plus incertains, et beaucoup moins naturels. Donc plus difficiles à obtenir, n'importe quel agriculteur ne disposant pas des compétences nécessaires... Plus rare. Et par extension, plus rentable. A ce stade des festivités, impossible de savoir encore ce qui aura le plus de succès ce soir. Parfaitement immobile, Swenn patiente donc, s'amusant à quelques pronostiques sur celui qui pourrait être son premier client. Et celui qui s'avèrera être le plus gros consommateur. Autant pour faire défiler les minutes plus rapidement que pour entretenir la base de données de profils types déjà bien remplie dans sa tête.

Les étapes d'un retour à la civilisation sont multiples, graduelles. Dans un premier temps, il faut réapprendre à circuler dans ces espaces si denses, si chargés, si peuplés. Il est vrai que dans des endroits du monde plus isolés, lointains, marcher dans les rues est plus agréable que dans une métropole comme Skingrad. Enfin, une promenade agréable ne fait pas la vie, et il y avait bien plus d'avantages à exister dans ce chaos organisé aux ruelles quadrillées qu'à l'autre bout du monde, où les dangers sont omniprésents, au moins autant que l'hygiène est absente. Et après avoir réappris à dompter cette cité de pavés et de métal, il fallait y retrouver le bonheur de manger sainement, de s'y habiller élégamment, et enfin de s'y divertir fastueusement. C'est dans cette optique qu'une Dolores lumineuse, mais au visage, bien que maquillé, montre encore les stigmates d'un long périple, se rend en voiture louée vers la proche périphérie de cette grande ville. Un riche armateur y organisait, dans son manoir, un bal ouvert à la bonne société de Skingrad, toutefois sur invitation. Mais les bonnes relations font les bons plans, et Ludwig n'avait pas mis beaucoup de temps à obtenir ladite invitation pour sa chère collaboratrice. Malheureusement, cette dernière devait s'y rendre seul, car son parrain avait bon nombre d'autres affaires à régler.

Le vieil homme qui l'avait conduit jusqu'ici ouvrit la porte de la voiture pour laisser sortir mademoiselle Fillmore. Et non, Dolores de Rosse était censée être toujours morte, donc l'invitation était au nom de Fellicia Fillmore. Et c'était la jeune Fellicia Fillmore, pupille de monsieur Ludwig Strauss, qui remercia le voiturier d'un sourire poli et d'un pourboire tendu avec bienveillance. L'automne naissant n'abreuvait pas encore le pays de pluies incessantes. L'air était sec, le sol couvert d'une fine poussière volatile. Il n'y avait donc aucune raison de se couvrir plus que de raison. La longue robe couleur de vin, sans manches, accompagnée d'une légère veste en soie noire, restes de la garde robe que la jeune femme avait laissé sur le continent civilisé lors de son départ. En guise d'accessoires, des boucles d'oreille discrètes, un petit sac contenant de quoi survivre en cas d'imprévus de toute sorte, et de petits talons, une poignée de centimètres, afin de ne pas souffrir de l'inconfort d'une trop longue soirée. Dolores, enfin... Fellicia, ne connaissait ni l'hôte, ni les invités. La jeune brunette s'avançait en terrain complètement inconnu, et cela grisait son excitation.

Par Marc Ünen... Je suis si heureuse ! Ça fait si longtemps ! Avant de partir, j'aurai pu jurer ne plus jamais vouloir me rendre dans une de ces soirées ennuyeuses, hypocrites, si futiles... mais je change d'avis aujourd'hui ! Et avec bonheur ! Le champagne, la chaleur, le charme de la haute société m'a tant manqué... Mais ça me chagrine d'y aller seule. Une femme seule, dans ce genre d'endroit, c'est souvent d'un ennui douloureux, ou alors on devient une proie pour les pires carnassiers. Non pas que ça me dérange, mais souvent les bons gars sont pris, et il ne reste que les épaves. Mais il faut positiver, Fellicia ! Il y a toujours moyen de passer un bon moment, et puis ça te fera du bien de boire à nouveau, de flirter à nouveau, de danser à nouveau... Oh que j'ai hâte !

On ne va pas se concentrer plus avant sur les badinages psychologiques de la jeune femme. Il est plus intéressant de se concentrer sur l'endroit où elle allait mettre les pieds. Tandis que la vérification de l'invitation se termina rapidement, le regard de Dolores se perdit à observer, déjà, l'intérieur du luxueux manoir. C'était lumineux, d'une lumière qui attire irrémédiablement les insectes automates qui se trouvent à l'extérieur, dans la nuit tombante. Et c'était fait pour ! Mais il était si doux de se laisser capturer par ce piège fallacieux. Car ce que le chasseur, l'hôte de la soirée, pouvait récupérer de ses proies ne méritait pas de se priver du luxe investi pour les attirer ! Ce devait être un politique amateur, qui cherche des votants, des soutiens, des alliés. Rien que Dolores ne pouvait devenir sans se mettre en danger, et donc elle allait bien se priver de céder à ses possibles avances ! Non, elle venait simplement se remettre dans le bain, replonger dans ce monde qu'elle avait maintes fois quitté pour mieux revenir.

Une fois les premiers pas effectués sur le carrelage blanc veiné de noir, la douce musique de chambre payée par le maître des lieux, la masse de notables dans un coin de la grande salle qui laissait deviner les contours d'un buffet apprécié, ou même le simple bruit indistinct des bavardages légers, tout cela sonnait si doux aux oreilles de la jeune femme. Si doux que son visage ne pouvait feinter le bonheur, et la faisait donc probablement passer pour une bien niaise bourgeoise. Mais ce n'était pas important. Il était plus intelligent de paraître bête que d'exhiber son intelligence dans ce milieu, de toute façon. Et puis attirer des prédateurs avides de naïveté ça lui tiendrait compagnie. Mais, pour le moment, elle laissait simplement ses yeux vagabonder, son adorable nez humer la multitude de parfums riches et complexes. L'important, ce n'était pas les invités, elle les observerait plus tard, mais simplement se laisser baigner dans cet environnement retrouvé, ce luxe qui lui avait tant manqué. Elle en soupira de soulagement.

Les premières minutes passées, plusieurs groupes sédentaires se mettent en place petit à petit. Il y a ceux qui refusent de trop s'écarter du buffet, piochant régulièrement dans les multiples amuses bouches proposés en quantités inépuisables, tout en assurant un semblant de conversation. Ceux qui préfèrent visiblement ne pas s'encombrer de plus d'un verre, se tenant un peu plus à l'écart, et profitant de chaque passage des serveurs pour refaire le plein. Puis, un peu plus rares, ces petits groupes de deux ou trois personnes, plus discrets, se tenant encore plus à l'écart de la zone d'attrait principale, dont l'occupation première semble porter sur l'objet de leurs discussions. Et puis il y a les électrons libres. Ces hommes et ces femmes qui vaquent de groupe en groupe, s'immiscent dans chacun d'entre eux avec une aisance remarquable. Des sourires étincelants, des manières dignes des hautes strates de la société, tout en ayant l'air parfaitement naturels.

Ces derniers, Swenn le sait par expérience, sont ceux qui ont la plus forte probabilité de venir à sa rencontre. Mais pour le moment, il se contente de ces diverses observations. Retenir les visages de chacun des invités ici présents. Plus par simple occupation que par réel intérêt. Toujours immobile, le jeune homme laisse les minutes s'écouler, déployant sans difficultés toute la patience dont il sait faire preuve. Oh, il n'a pas l'intention de rester ainsi jusqu'au levé du soleil. D'ici peu de temps les choses vont commencer à évoluer, lui apportant quelques sources de distraction lui permettant au passage d'avoir de quoi se remplir les poches. Et puis, il n'a pas non plus l'intention de repartir d'ici sans avoir goûté à certains de ces bourbons probablement hors de prix si fièrement exhibés. Mais chaque chose en son temps.

Le niveau sonore monte à mesure que les litres d'alcool descendent. Les groupes commencent à se mélanger, les mouvements se font plus importants, que ce soit au sein même de cette salle, ou à l'extérieur pour ceux qui voudraient se prévenir des regards ou oreilles indiscrètes. Et le maître des lieux parait toujours très occupé à s'assurer du confort de ses invités, jonglant avec chacun d'entre eux très habilement. Jusqu'à ce que finalement, deux hommes d'une bonne vingtaine d'années, dont Swenn a bien remarqué les quelques regards jetés dans sa direction depuis l'ouverture des festivités, se décident à venir à sa rencontre. Les premiers d'une soirée ne sont jamais des débutants, et malgré leurs costumes impeccables, ces deux là ont effectivement l'attitude de ces jeunes qui ne profitent pas de ces soirées uniquement pour étendre leur réseau de relations. Ils paraissaient d'ailleurs très occupés à aborder certaines des jeunes femmes invitées jusqu'à présent.

- "C'est toi qui fournit de quoi s'amuser ?" Un simple hochement de tête, Swenn n'a rien de l'enthousiasme débordant de ces deux gosses de riches. Mais le simple rôle de dealer de la haute qu'il assure ce soir lui permet de ne pas avoir à feindre l'excès de sympathie dont tous les autres "commerçants" doivent savoir faire preuve s'ils veulent espérer garder leur clientèle. Heureusement, parce qu'il manque clairement de crédibilité pour ce type de personnage. "On cherche de quoi s'éclater tranquillement. Histoire de complètement lâcher prise tu vois."

Après quelques informations données sur ce qu'il peut leur proposer, ses clients se mettent rapidement d'accord et repartent avec quelques grammes de résine à fumer, mais aussi quelques cachets aux effets hallucinogènes moins prévisibles. Et vu les quantités, ils ne doivent probablement pas avoir l'intention de passer le reste de la soirée seulement à deux. Mais ce détail est bien le dernier des soucis de Swenn. Même pas besoin de négocier les prix, les affaires dans ce genre de soirées sont étrangement toujours faciles.

A cette heure relativement avancée les festivités battent leur plein, et le dealer est bien content de ne pas avoir à se mêler davantage à toutes ces charmantes personnes. Même celles qui ont un peu trop forcé sur l'alcool affichent ce parfait respect de l'étiquette, irréprochables en société, capables d'aborder tous ces sujets politiquement corrects sans un seul faux pas. Mais qui face à lui montrent un tout autre visage. Abandonnées les formules de politesse superflues. Abandonnés les sourires excessifs. Abandonnées les bonnes manières. Parfaite hypocrisie si bien menée, et si bien acceptée par tous ces magnifiques figurants. N'allez pas croire que cela dérange Swenn. Tant qu'il récupère de nouveaux Irys à chaque transaction, rien ne risque de venir choquer le peu de morale dont il dispose encore.

Évidemment, ces clients ne représentent pas la majorité de l'assistance, et une grande partie des invités ne lui jette pas le moindre coup d’œil, continuant à assurer leur jeu d'acteur, brillant de mille feux au milieu de tout le gratin de la capitale du sud. Et dans ce cadre précis il le sait, son job n'est certainement pas d'aborder qui que ce soit. Attendre simplement que les intéressés se dévoilent à lui. Les codes qui régissent ces soirées mondaines sont différents de ceux que l'on peut classiquement trouver dans la rue ou dans toute autre convention. Mieux vaut ne pas les enfreindre s'il veut espérer renouveler ce genre de contrat qui rapport gros.

Bien, maintenant que la première vague de consommateurs est passée, le chimiste le sait, il dispose de quelques minutes de répit, avant que le reste des acheteurs potentiels ne terminent les conversations probablement très importantes en cours. C'est le moment parfait pour s'accorder une petite pause. La masse de personnes présentes au centre de la salle a bien diminué, certains s'étant déjà éclipsés dans les différents "bureaux" mis à disposition par leur hôte. Les autres s'étant davantage dispersés, laissant apparaitre un buffet bien moins garnit que ce qu'il n'était lors de son arrivée. Mais ce n'est pas ce qui attire l'attention de Swenn.

Se faufilant au milieu de tout ce beau monde, le jeune homme arrive jusqu'à la table des boissons où il ne s'embête pas à adresser la parole aux serveurs, se jugeant bien assez grand pour se servir seul un verre d'une de ces innombrables bouteilles de whisky. Ouais, il doit bien être le dernier encore parfaitement sobre ici, et il lui faut bien ça pour tenir les quelques heures qu'il a encore à assurer dans cette réception. Alors il profite de cette proximité plus importante avec le reste des invités pour observer un peu plus attentivement les quelques personnes qu'il croise sur le chemin du retour, se dirigeant de nouveau vers le fond de la pièce, un verre en main. Il n'a pas le droit d'accoster qui que ce soit pour tenter d'écouler sa marchandise, mais ça ne l'empêche pas pour autant d'essayer de capter quelques regards, espérant aider les plus indécis à passer le cap.