L'illusion est le réel

Après des mois passés sous la chaleur suffocante du soleil, le froid mordant de Khurmag était presque agréable pour Leynar, pour peu qu’il s’y réhabitue. Pour résister plus facilement à ce froid qui n’en finissait plus de lui arracher des grelottements incessant, le khurmi avait troqué les vêtements qu’il portait à Zolios et à Kharaal Gazar contre des habits beaucoup plus adapté au lieu où il se trouvait. Le marchand en profitait pour dépenser un peu de l’argent qu’il avait gagné que ce soit honnêtement ou par des moyens détournés, ses affaires avaient été florissante ces derniers temps et il le montrait.

Certains se vantaient avec leurs demeures, d’autres avec leurs armes ou leurs armures, Leynar était de ceux qui le faisait avec les vêtements qu’il portait, toujours avec son masque finement ciselé. Le khurmi était habillé d’un long manteau manteau de soie finement ouvragé d’un bleu sombre presque violet et de filigranes d’argent, surplombé par de la fourrure au niveau de ses épaules. Le manteau ouvert laissait apercevoir une veste toute aussi riche que le manteau, avec les mêmes couleurs et les mêmes filigranes. Ses mains étaient toujours cachés par des gants, il prenait soin de ne laisser voir aucune de ses brûlures, il en était de même pour son visage. Leynar ne portait pas de capuche, à la place sa tête était recouverte de tissu jusqu’à son masque. La capuche n’avait pas beaucoup d’intérêt avec ce tissu, aussi n’en avait-il pas besoin.

Leynar connaissait bien toutes les attractions qu’offrait Reoni, il avait vécu longtemps dans cette ville après tout. Ce dont il se souvenait moins bien par contre c’était le froid, aussi longtemps passé dans les régions chaude de My’trä et il n’arrivait plus à supporter une petite température négative. Soit, il y remédierait avec du vin chaud, cela faisait déjà trop longtemps qu’il n’y avait plus goûté, mais avant tout il avait du travail. Il faisait des allés retour incessants entre le Carré du routard et le Carré des voluptés, à la rencontre de différents contacts. Busad n’avait été qu’une étape vers un projet plus global. Reoni n’était que la seconde étape, il comptait bien répété la même opération dans chaque ville de Khurmag.

Luttant contre le froid mordant portée par la brise glaciale, déambulant entre des bâtiments dont l’apparence excentrique n’attirait pas son regard, il observait les touristes se laisser tenter par toutes les attractions présentes dans le Carré des voluptés. Il était presque nostalgique du temps où il piégeait certains d’entre eux aux cartes, un jeu auquel ils ne pouvaient jamais gagner puisque c’était lui qui régissait la partie. Enfin, il ne se risquerait plus à ce genre de petit tour, par avec beaucoup d’argent à la clé en tout cas, il se souvenait toujours du résultat de la dernière partie qu’il avait joué des années auparavant.

Le froid ne laissait à Leynar aucun répit, mais par chance il devait se rendre dans un lieu chaud pour  effectuer la dernière chose qu’il avait à faire pour le moment. Une taverne, c’était pratique, après l’effort il passait directement au réconfort, avec du vin chaud bien entendu. Son client était à une table reculée, dans l’ombre. Typique. Enfin il aurait été hypocrite de juger, il avait occupé la même place il y a quelque mois de cela. Il s’installa à la table, dévisageant celui qui le regardait avec un air peu confiant et presque apeuré. Leynar soupira avant de tendre l’objet qu’on lui avait commandé. Une bague richement décorée, de très bonne qualité mais différentes de celles qu’il vendait normalement. Celle-là disposait d’une cavité creuse vouée à être remplie de poison dont le mécanisme d’ouverture était soigneusement masqué. Il tendit la bague, le sourire qui ornait son masque reflétait à merveille le faciès du Khurmi à cet instant.

Une large bourse d’irys passa entre ses mains, il laissa l’homme en face de lui s’en aller. Ce qu’il comptait faire avec sa bague ne l’intéressait pas, pas plus que contre qui il comptait l’utiliser. Leynar se serait bien posé à cette table à boire un peu, mais il connaissait une meilleure taverne que celle-là, ou en tout cas il connaissait très bien le propriétaire, ce qui l’arrangeait puisqu’il pouvait y passer la nuit s’il n’était plus tout à fait en état de marcher droit.

Il se dirigeait rapidement vers le lieu qu’il connaissait si bien, parfois interrompu dans sa marche par un visiteur. Leynar se faisait presque un devoir que de les aider, pas par sympathie, mais tout simplement pour qu’ils aient une très bonne impression de la ville, et qu’ils y retournent plus tard. Il fallait bien encourager le dynamisme commercial de sa ville natale, c’était le seul moyen par lequel elle survivait. Et au grand dam de Leynar, c’était parfois long d’aiguiller les visiteurs, encore plus quand ils ne tenaient pas très droit.

- "Merci."

N'imaginez pas que l'air My'tran puisse rendre Swenn un chouïa plus aimable. Non, ce merci est davantage à mettre sur le compte d'un certain instinct de survie. Évidemment qu'il en a lu des choses sur les us et coutumes des mages avant de mettre les pieds sur ce territoire hostile à tout adepte de la technologie. Il n'a pas non plus manqué de profiter de son passage par Nislegiin pour pousser encore un peu plus ses connaissances sur ce peuple aussi intriguant qu'effrayant.

Mais il y a tout juste une semaine qu'il a débarqué de ce foutu rafiot - son cœur n'est décidément pas fait pour supporter la houle marine - et si tout s'est jusqu'à présent relativement bien déroulé, le chimiste est loin de se sentir encore à l'aise dans ses pompes.

D'ailleurs en parlant de pompes.... Bien sûr qu'il a fait un peu de shopping à Nislegiin, profitant de cette diversité culturelle, et des "conseils avisés" de certains vendeurs - qui doivent vendre ces conseils bien plus chers que le tissu utilisé au passage - pour éviter de se retrouver avec une étiquette Daenar collée sur le front. Mais merde. Qu'est ce que c'est désagréable comme matière ! Même ces satanés chemises obligatoires pour les évènements de "société" au beau milieu de tous ces pseudos bourgeois sont plus agréables !

Après avoir passé la veille de son départ à se démanger à ce contact auquel sa peau n'est pas habituée, Swenn a donc fini par décréter que sous son déguisement de sauvage - ouais bah vous avez vu à quoi ressemblent leurs loques ?! - il garderait la douceur propre à ses vieilles fringues. Invisibles sous tout ce cuir - brut - composant la majeure partie de son attirail, ça lui permet en plus d'avoir double épaisseur ! Ce qui n'est pas de trop pour affronter ce froid infernal ! L'inconvénient en revanche, c'est qu'il a l'impression de devoir se déplacer avec cinquante kilos supplémentaires sur le dos. Et ça, c'est franchement pas pratique !

Bref, c'est dans son beau - tout est relatif - costume adapté à la survie sur ce terrain inhospitalier, que le dealer débarque enfin à Réoni. Quelques Irys supplémentaire filés au garçon rencontré dans l'un de ces villages alentour qui a bien voulu lui servir de guide. Eh, il n'allait pas prendre le risque de se perdre et de finir en statue de glace ici ! Et puis, ce gamin l'a même conduit jusqu'à la porte d'une des tavernes les plus réputées parait-il. Tant qu'ils servent de quoi se réchauffer, Swenn ne risque pas de faire le difficile ! Il ne prend même pas la peine de s'attarder sur la vision de cette ville toujours décrite comme enchanteresse. Il n'est pas d'humeur pour ces fioritures.

Ridiculement engoncé dans cette panoplie du Mytran des côtes enneigées, le jeune homme n'attend pas davantage pour s'engouffrer dans ce bâtiment, où il peut retrouver quelques points communs avec son continent d'origine. Din, le Novsh horripilant bien évidemment toujours à ses côtés, n'a pas bien meilleure allure. Les plumes toutes ébouriffées sous le vent qui ne manque pas, ce froid a au moins pour avantage de lui clouer le bec. Pas une seule décibel disgracieuse - comprenez donc par là "pas une seule décibel tout court" - depuis qu'ils ont mis un pied dehors, le piaf ne supporte pas mieux que son propriétaire ces températures mortelles.

- "C'que vous avez d'mieux pour justifier ces rafales glaciales endurées !"

Leur étrange duo ne passe pas franchement inaperçu, et c'est bien pratique pour commander directement à boire. D'autant plus qu'ignorer superbement les regards qui peuvent se poser sur lui fait partie des principales compétences du chimiste. Din n'est d'ailleurs pas décidé à quitter le jeune homme d'une semelle, probablement encore trop frigorifié pour s'aventurer en quête de nourriture auprès des âmes faibles qui composent ce lieu.

Première étape, réussir à redonner un minimum de vie à son organisme. Ensuite, il pourra peut-être envisager d'enlever cette cape dans laquelle il est toujours emmitouflé de la tête aux pieds. Et peut-être essayer de comprendre un peu plus le mode de vie de ces habitants. Ou de se laisser prendre au piège de l'alcool, toujours beaucoup trop tentant quel que soit l'endroit où il se trouve... En espérant que le tavernier lui ramène quelque chose d'encourageant. Parce qu'il n'a désormais pas l'intention de quitter cet endroit avant d'y être contraint !

La fatigue l’étreignait comme jamais. Pas juste physiquement. Ça n’avait pas été de tout repos pour parvenir jusqu’ici. Entre trouver une caravane, le voyage avec cette dite caravane et l’idée même de venir à la Capitale de sa région, il y avait eu un cheminement des plus interminables. Tout ça pour trouver l’Homme au Masque. Enfin, l’Homme au Masque qui avait cherché à entraver stupidement sa mentor, il en existait apparemment plusieurs. Ou autrement appelé Leynar Gale.

À chaque fois qu’elle arrivait quelque part où des gens reconnaissaient le forban, elle apprenait peu après qu’il était déjà reparti, emportant avec lui sa seule chance de faire ses preuves et de commencer quelque chose de vraiment utile. Elle n’avait pas la permission de contacter Zora avant d’avoir mis la main sur l’inconscient qui lui avait sciemment caché le soleil pour ensuite l’attaquer. Une mission facile, non ? Un mois max en comptant les déplacements à dos d’Ogn. Tellement facile qu’elle aurait dû pouvoir le trouver avant d’être à court d’argent et de devoir travailler. Certes, économiser n’était pas son fort, mais…

Aujourd'hui était donc un jour où elle avait travaillé doublement : pour sa mentor et elle-même. De façon à peu près aussi productive pour l’une ou l’autre. Moins bien que les jours précédents dans cette ville folle. Boire quelque chose de chaud lui ferait le plus grand bien même si elle ne souffrait pas de la température de cet endroit grâce à Süns. Dans le quartier du Routard, là où Ogn l’attendait sagement. Moins déluré que d’autres endroits dans cette ville.

La salle était comble et bruyante comme d’habitude. Personne ne fit attention à elle quand elle entra comme les autres soirs. Trop de Khurmis dans le coin pour prêter attention à de simples cheveux colorés, pas besoin de bonnet ou autre couvre tête. En fait, elle s’en foutait presque. Une seule personne ferait l’affaire dans cette masse grouillante de buveurs. Comme ce drôle type là, avec son Novsh. Il avait l’air d’avoir froid malgré ses vêtements et la chaleur de la pièce ! Sûrement un étranger.

« Un petit feu à ta table ça te dit ? »

Elle le proposait en même temps qu’elle s’exécutait et prenait place naturellement à la dite table. Si ça ne lui allait pas, il pouvait toujours changer de siège. S’il trouvait un autre coin où allait avec sa bestiole. Elle-même s’était mise à l’aise et avait posé son manteau sur sa chaise, laissant ainsi apparaître sa tunique aussi colorée que ses cheveux.

« C’est ton familier ? Tu lui offres pas à boire ? Il a l’air d’avoir aussi froid que toi ! »

Le petit feu brûlait sans abîmer la table, il lévitait entre eux à bonne hauteur. Distraitement, l’adolescente changeait sa position pour mieux voir l’homme ou son animal.

Enfin débarrassé des touristes titubants mais assoiffés, Leynar se mit en route pour combler sa propre soif. Il n’allait tout de même pas passer la nuit à aider les nombreux visiteurs de Reoni à trouver leur chemin, autrefois cela aurait été sa priorité puisqu’il habitait encore dans cette ville, et qu’il y voyait l’occasion de les dépouiller, mais plus maintenant. Plus depuis qu’il n’habitait plus la ville et que les arnaques de bas étage ne l’intéressait plus. Maintenant il avait de l’ambition, des projets, des plans, il n’avait qu’à les mettre en place et attendre de récolter le fruit des ses efforts, et les Architectes savaient qu’il avait fournit de nombreux efforts ces derniers mois. Mais l’heure n’était pas à l’intrigue ou aux projets ambitieux, chaque chose venait en son temps.

L’heure était au repos, et aussi aux réjouissances, il n’avait pas encore pris la peine de fêter même un peu la réussite de ce qu’il avait réussi au cours de toute cette année, et le futur aboutissement de ses efforts à long terme. Le khurmi voyait plus loin qu’en mois, il se projetait en années, réfléchissant soigneusement à ses investissements dans le futur, qu’il soit plus ou moins proche. Avec le temps et sans perturbation majeure il réussirait sans aucun doute, mais parmi tout ces rêves et ambitions il y avait une ombre qui risquait de tout compromettre et de faire voler en éclat le fruit de tout ces efforts en accomplissant un seul acte, qui ne se révélerait pas si simple. Le tuer. Portant instinctivement sa main à sa gorge en poussant un souffle dédaigneux à cette simple pensée désagréable, quiconque aurait pu voir une vive irritation se creuser sur les traits de son visage s’il ne portait pas de masque.

Zora Viz’Herei… une folle, une tueuse, elle était définitivement un danger pour lui, d’autant plus qu’il ne savait pas tout ce dont elle était capable. Avait-elle des alliés ? Quelle ressources avait-elle à disposition ? A quel point pouvait-elle être une menace ? Leynar se posait toutes ces questions depuis leur malheureuse rencontre et confrontation. Mais le dédain qu’il éprouvait pour elle n’avait d’égal que la satisfaction qu’il éprouvait à se moquer de la furie rousse. Aussi avait-il chargé un pauvre homme d’apporter un « cadeau » issu d’un domaine viticole à Zolios dont l’acquisition avait presque asséché ses finances, ainsi qu’une petite lettre lui témoigner toute son « amitié » ainsi que le plaisir qu’il avait eût à faire sa connaissance. Une moquerie dont il subirait sans doute les conséquences dans le futur, mais il était tout de même satisfait de continuer à poser les fondations d’une relation dont la froideur égalait le souffle mortel du Khoral.

Cela lui arrachait un petit gloussement moqueur, imaginer la tête qu’elle ferait quand elle se rendrait compte de la moquerie… ça pouvait quasiment ensoleiller sa journée. Une autre raison pour laquelle il allait pouvoir boire jusqu’à plus soif, il fallait fêter ça après tout.

Le chemin jusqu’au Carré du routard n’était pas si long, à condition de connaître les bons chemins et d’éviter les visiteurs perdus et trop curieux on pouvait réduire drastiquement le temps de marche jusqu’à ce quartier, et plus important, arriver plus vite jusqu’à la taverne qu’il connaissait si bien. C’était une chose très importante aussi après tout.

S’engouffrant dans le bâtiment et ressentant la chaleur bienvenue de l’âtre il n’attendit pas plus longtemps pour se rendre au comptoir, saluer le tenancier pendant une bonne vingtaine de minutes et repartir avec son vin chaud en éclatant de rire. Ah, qu’il adorait cet endroit. Reoni était un lieu aussi chaleureux que sinistre pour lui, un léger frisson le parcourant à la simple vue d’une petite flamme à l’une des tables. La seule table qui restait en fait. Il devait être maudit, il ne voyait pas d’autre explication.

Poussant un soupir résigné il s’approcha de la table pour faire face aux deux personnes assises. Un homme qui grelottait comme si le Khoral lui était tombé dessus et une gamine avec les cheveux d’une multitude de couleurs. Original, il fallait l’avouer. Prenant un ton aussi aimable que possible il s’expliqua avant de s’installer à la table.

-Pardonnez mon intrusion, mais il ne reste plus un seul siège de libre, et il est préférable d’avoir de la compagnie. Je me présente, je suis Leynar Gale, un simple marchand natif de cette ville aux températures si froide et qui vous font tant grelotter. Dit-il en regardant Swenn, l’évaluant du regard avant de porter son regard sur le Novsh quelques secondes et de regarder Tiha. Des couleurs intéressantes, c’est pour le moins original je dois dire.

Un verre en main, Swenn s'installe à l'une des rares tables encore libres. Et la chaleur de ce que vient de lui servir le tavernier ne l'empêche pas de continuer à grelotter sous toutes ses épaisseurs. Qu'est-ce que c'est que ce breuvage d'ailleurs ? C'est vraiment étrange. Mais c'est chaud ! Et là, il n'est pas dans les conditions idéales pour faire le difficile.

Enfin, il se serait en revanche bien passé de compagnie. Ce que la demoiselle à la chevelure arc en ciel ne parait pas remarquer. Puisque la voilà déjà qui prend place avec un entrain un peu trop prononcé pour l'humeur du dealer. Pour son humeur habituelle ouais... Oh, elle parait parfaitement dans son élément, autour de toute cette féérie qui parait envahir cette ville. Mais elle aurait été mieux à rester dans le décor... Ça va ça va, il peut faire un effort oui... D'autant plus que la voilà déjà qui propose une nouvelle source de chaleur !

- "C'est pas d'refus."

Ah ! Quand j'vous dit qu'il peut faire des efforts ! Bon, c'est vraiment parce qu'il n'est pas habitué à endurer de telles températures. Et qu'il ne veut pas griller sa couverture immédiatement en prenant un air étonné face à ce mode de chauffage.... Heureusement qu'il est habitué à tirer la gueule en toutes circonstances ! Il fait même gaffe à son accent ! Ouais, il a bien compris que ce genre de détail peut vite le foutre dans la merde.

- "Oh, t'inquiète pas pour ça. Il va vite trouver quelqu'un pour lui filer c'qu'il veut. Tu viens souvent offrir un peu de chaleur dans l'coin ?"

Parce qu'au cas où ce ne serait pas clair, il n'a pas l'intention de payer pour ce genre de service - et non, cette phrase n'a absolument rien de déplacé !! - Nan mais eh, comment c'est possible de supporter ce climat ?? En plus, même s'il n'y connait pas encore grand chose, Swenn a quand même compris que les pouvoirs de ces gens sont fortement liés avec leur région d'origine. Et normalement, ceux qui sont du coin ne manipulent pas le feu.

Bon, on ne peut pas dire que le chimiste soit le mec le plus avenant et plus qualifié pour ce qui est de passer une pure soirée. Non, on pourrait même dire qu'il est chiant. En même temps, il n'a pas vraiment l'habitude de faire la conversation avec des gamines à peine sorties de l'adolescence. D'ailleurs, elle à quel âge celle-ci ?

Pas le temps d'essayer de trouver une réponse qu'un troisième compère se plante à cette table. Eh bah, super. Va vraiment falloir qu'il essaie de tenir une conversation ? Génial. Mais... Il y a peut-être quelque chose d'intéressant à en tirer, alors courage. Le Daenar dévisage donc l'homme qui s'installe. Poli, il s'excuse même. Hum, ok. Bon par contre pour les phrases à rallonge, il n'a pas à se sentir obligé hein !

- "Swenn."

Ah, bah pour ce qui est d'être concis, difficile de faire mieux. Mais bon, s'ils en sont au présentations... Et puis, moins il en dit à son sujet, moins il prend de risques. D'ailleurs, ce Leynar se fait même engueuler par le piaf, visiblement mécontent de voir autant de monde accaparer l'attention. Et après en avoir terminé avec ces glapissements dissonants, Din quitte le groupe qui ne lui plait visiblement pas, en quête d'attention - et de nourriture probablement - auprès des autres clients. Sous le désintérêt total du dealer, un peu trop habitué à cette façon de faire de la part du volatile susceptible.

- "Marchand hein... C'est dans ce genre d'endroit que tu fais ton chiffre ?"

Ah non, ce n'est absolument pas agressif ni même avec pour objectif de mettre mal à l'aise son interlocuteur. Et, en vérité, Swenn pourrait même être intéressé à savoir ce qu'il peut vendre. Parce que bon, ceux qui "travaillent" dans ce genre d'environnement n'ont pas la même marchandise que ceux qui ont une boutique à la devanture impeccable. Mais... Nan, la communication ne sera jamais son point fort !

« Souvent ? Je ne sais pas. Aussi souvent que je vois un type aussi congelé que toi je dirais ! »

Et en général, les gens étaient trop grognons pour accepter. Enfin, les gens. Dans une auberge pleine comme ça à Réoni, c’était la première fois qu’elle faisait ce type d’approche. Avec tous ce monde créant de la chaleur naturellement, il était loin de faire froid ici. Sans compter le feu qui devait alimenter les cheminées dans la cuisine et chauffer les pièces. Même les Khurmis qui aimaient créer des illusions de tout évitaient de jouer avec cette sensation, c’était légèrement mortel.

Incroyable ! Ça devait être une farce des architectes. Après des semaines de recherche à jouer au chat et à la souris, voilà qu’un type avec le même nom, la même profession et avec un masque se pointait à la table qu’elle squattait ! À tout les coups, c’était un faux encore. Il avait emprunté le nom de l’autre pour ses affaires ou alors pour… pour autre chose ! Quant à l’étranger, sa présentation fut concise. Swenn. Ça voulait dire qu’elle pouvait ne rien dire du tout ? Bon, maintenant ça faisait plusieurs mois que Zora l’avait baptisée, mais même comme ça elle n’était pas encore super à l’aise à l’idée de s’attribuer un nom. À chaque qu’elle le faisait, elle transgressait une règle sacrée. Bizarrement, ça ne devenait en rien plus facile.

La flamme vacilla une seconde fois, la première fois concordant avec la présentation du nouveau venu, pour se stabiliser en gagnant de la force l’instant d’après. Elle était en mission ! Il ne fallait pas qu’elle se laisse distraire. Une fois débarrassée de cette épreuve douloureuse, elle pourrait poursuivre son objectif : Leynar.

« Ül. »

Dis rapidement, dans un souffle, elle enchaîna immédiatement sur un autre sujet. Contrairement à Swenn qui semblait s’intéresser aux affaires de sa cible, elle partit sur tout autre chose. Ignorant royalement la discussion en cours ou la remarque sur ses cheveux qu’elle n’avait même pas écoutée.

« Tu portes tout le temps un masque ? Ça doit pas être très pratique pour boire non ? T’aime pas ton visage ? »

Sans aucune délicatesse et surtout aucune gêne. C’était bizarre d’ailleurs, il venait de dire d’être d’ici. Et elle savait qu'il était un mage pratiquant, du moins si c'était bien le même que celui dont Zora lui avait parlé. Une autre question vint donc s’ajouter presque immédiatement à la petite série balancée plus tôt.

« Tu pourrais pas te servir de la magie de Khugastaa ? »

Pour n’oublier personne, elle lança d’autre question au glaçon sur patte. Il ne faisait peut-être pas partie de sa mission, mais il devait quand même être un peu intéressant. Puis, ça pourrait l’aider à accomplir son objectif. Ou découvrir de nouvelles choses, ce qui était presque aussi bien.

« Et toi, tu fais quoi ? Tu bois quoi ? »

Ça n’avait rien à voir. Toutefois, difficile d’être à la même table sans sentir l’odeur qui se dégageait du verre. Une pas spécialement plaisante pour les narines de la jeune femme. Ça puait même carrément, même la bestiole semblait d’accord avec elle puisqu’elle était partie voir d’autres tables. L’attention dont ils faisaient preuve, fut ainsi redirigé vers cet animal sans manière.

Bien maintenant que les présentations d’usage avaient été effectuées le khurmi pouvait enfin s’accorder un bref moment de détente. Posant délicatement son vin chaud sur la table avant de regarder le Novsh avec une pointe d’irritation, il allait finir avec une belle migraine si le volatile n’arrêtait pas de glapir autant, et il n’avait vraiment pas besoin de ça maintenant. Heureusement il semblait décidé de s’éloigner, au grand bonheur des oreilles de Leynar, il allait enfin pouvoir se concentrer sur la conversation sans subir la colère du Novsh, il y avait une amélioration. D’ailleurs l’homme qui tremblotait lui posait une question intéressante, pleine de sous-entendus mais intéressante. Il haussa les épaules en prenant une voix faussement innocente avant de répondre au glaçon vivant.

-Ici, aux Kharaal Gazar, à Zolios ou encore à Suhury oui, Zagash un peu moins, mais j’arrangerai ça plus tard. Attendez, on parlait bien de la région, pas vrai ? Il n’affirmait ni n’infirmait rien, il préférait laisser Swenn tirer ses propres conclusions. Mais dans tous les cas je-

Leynar s’interrompit en pleine phrase, coupé dans son élan par une volée de questions posées par la gamine aux cheveux colorés. Clignant d’abord des yeux avant de porter son regard vers son interlocutrice. Il haussa légèrement ses sourcils inexistants avant de répondre.

-Eh bien, tellement de questions et si peu de tact. Alors, oui, non, et je passe mon tour pour celle-ci. Il tapota légèrement son masque au niveau de ses lèvres avant de reprendre. Hm, ça ne te convient peut-être pas, mais je vais mieux répondre à ta dernière question.

Le khurmi allait bien devoir changer son apparence de toutes manières, garder son masque pour boire manquait étrangement de praticité. Il fit mine de regarder ailleurs tout en se concentrant, commençant à tisser une illusion sur lui-même pour effacer toute trace de brûlure sur son visage ou ses mains. Il se rendait plus agréable à regarder, il aurait bien enlevé son masque mais il n’avait pas envie d’avoir à expliquer l’état de son faciès et de subir les regards interloqués des différentes personnes présentes dans l’établissement. Alors il changea complétement son visage, rajoutant sourcils, une barbe de trois jours et même des cheveux, s’inspirant légèrement de son interlocutrice en leur donnant une teinte entre le rouge et le violet. Une fois ceci fait, il retira son masque et le posa doucement sur la table, à côté de son vin chaud.

-C’est mieux, non ? Hm, oui j’imagine que c’est beaucoup mieux, un petit changement de temps en temps ne fait pas de mal après tout. Dit-il en souriant, avant de prendre une gorgée de son vin chaud et de regarder Swenn de nouveau. Comme je voulais dire, dans tous les cas mes affaires se portent bien.

Au moins il avait satisfaite la curiosité de Ül, enfin avec un peu de chance, il espérait surtout ne pas subir une autre volée de question, et il espérait encore moins être interrompu une seconde fois, elle allait peut-être poser des questions au glaçon maintenant, enfin, peut-être plus de questions.

Apparence de Leynar:

Tout le monde répond aux questions de façon aussi évasive dans le coin ? Parce qu'entre la gamine aux cheveux multicolores et le type au masque, on ne peut pas dire qu'ils fassent preuve d'une grande précision. Cela dit, il en faut bien plus pour déranger Swenn. Du genre, que l'une coupe l'autre alors qu'il allait livrer une information qui aurait pu être intéressante. Eh bien, au moins les my'trans qui trainent dans ces lieux de boisson le soir ne sont pas beaucoup mieux éduqués que les daenars... Quoi que... Ce Leynar ne parait finalement pas faire partie de cette catégorie. Ils sont bien partis !

Laissant ses deux comparses à leur jeu de questions réponses, le dealer préfère prendre une bonne gorgée de sa boisson encore fumante. Alors ce n'est pas bien difficile de deviner qu'il s'agir de vin chaud lorsqu'on connait l'alcool de base. Seulement, cette façon de le servir, c'est bien la première fois qu'il voit ça. Il faut dire qu'à Rathram les températures sont largement assez clémentes pour justifier une température ambiante.

Et en parlant température, il faut reconnaitre qu'il commence enfin retrouver la sensation de ses extrémités. En revanche, il va lui falloir encore quelques temps avant d'arrêter de greloter sous ses épaisseurs de vêtements. C'est qu'il vient de passer beaucoup trop longtemps à l'extérieur pour récupérer aussi rapidement !! Écoutant distraitement le semblant de conversation échangée, il a au moins l'occasion de voir le résultat d'une de ces illusions de la région. Enfin, de ce qu'il croit comprendre d'après les mots prononcés.

- "Eh bien, avec une zone de commerce aussi étendue, j'imagine que ce n'est que juste récompense de voir les affaires tourner correctement."

Oh non, il n'a pas l'intention de s'enfoncer davantage sur ce terrain actuellement. Pas avec ce manque cruel d'informations sur le commerce my'tran. Est-ce que ce Leynar est un genre de grand patron qui gère plusieurs personnes travaillant dans ces différentes régions en son nom ? A la façon des hommes d'affaires daenars ? Ou bien est-ce qu'il ressemble davantage à cette vieille image que l'on pourrait avoir du marchand itinérant, tirant sa charrette sur les routes ? Cette seconde option reste malgré tout peu probable. Chez les mages aussi les bandits doivent exister. Ses affaires ne s'en porteraient alors pas si bien. A moins qu'il n'écoule une marchandise plus spéciale ? Beaucoup de questions qui pourraient trouver des réponses avec un petit coup de pouce venant de l'alcool.

Il est par conséquent encore bien trop tôt, et Swenn fini par reporter son attention sur la petite curieuse. Dont il est bien incapable de deviner la gène à travers ces flammes parfois vacillantes. Ses connaissances en magie sont trop faibles pour ça. En revanche, cette façon d'envoyer un tel bataillon de questions n'est pas forcément pour plaire au chimiste. Mais il ne va pas se priver de répondre pour autant. Et puis, il faut dire que ça ne change pas de son air peu avenant habituel.

- "Pour ma part, je me contente de vivre au gré des opportunités qui s'offrent à moi. Je ne fais rien de particulier et beaucoup de choses à la fois."

Si cette réponse est aussi floue que vraie depuis qu'il a quitté son continent d'origine, elle a surtout pour vocation à faire comprendre à la demoiselle qu'elle ne doit pas attendre beaucoup plus d'informations à ce niveau là.

- "Tout comme pour ce qui se trouve dans mon verre. Enfin, actuellement on dirait bien qu'il s'agit d'un vin fumant. Toi par contre, tu ne parais même pas avoir de verre. A moins que cette façon de venir réchauffer l'atmosphère ne soit qu'un moyen pour obtenir quelque chose à boire ?"

Une amorce de ce sourire parfaitement provocant alors que son regard reste posé sur la demoiselle, voilà qui serait une explication des plus logiques à cette intrusion. Trouver le type qui a l'air le plus frigorifié, essayer de se montrer utile et sympa, pour ensuite négocier un verre. Non mais parce qu'autrement, il y avait quand même d'autres groupes avec un air plus accueillant que le sien...

- "C'est quoi le problème ? T'as les poches vides ? Ou alors t'es trop jeune pour que le tenancier accepte de te vendre quoi que ce soit d'intéressant ?

Ah, c'est que Swenn se défend aussi pas mal dans le rôle de celui qui posera le plus de questions. Même si pour le coup, elles sont plutôt orientées. C'est qu'il y a quand même certaines étapes à respecter !

- "Allez, dis moi c'que tu bois. J'veux bien prendre le premier tour."

Payer à boire ne le dérange pas. Puis ça lui permettra d'en profiter pour refaire le plein. Oui, celui de son voisin aussi, les règles de société en vigueur dans ces endroits ne doivent pas être bien différentes selon les continents. Sans compter que s'il doit vraiment supporter une telle compagnie pour une partie de la soirée, autant agrémenter le tout avec un peu d'alcool !

Hrp:

La discussion avançait rapidement, les rôles changeaient et Tiha perdu rapidement le sien, celui de questionneuse. Une bonne chose, ça montrait qu’ils étaient impliqués ! Même si les questions laissaient à désirer et n’émanaient que du type frileux. Ainsi, elle ignora simplement la première ignorant quoi y répondre. Elle n’avait tout simplement jamais pensé monnayer le moyen de chauffage ! Une erreur ?

« C’est vrai que j’ai plus trop d’argent. Par contre, je sais pas d’où tu viens mais on laisse pas les jeunes s’assécher sur place ici ! »

Encore une fois pas le temps de s’attarder sur les dire du vagabond – puisqu’il s’était décrit comme tel – qu’il déviait la conversation de façon inattendue. Il lui reprochait d’offrir du feu à tout le monde et se permettait de faire de même avec la boisson ? Trop étrange, quoique ce ne fut pas pour lui déplaire.

« Je te fais confiance, la même chose que toi ! »

Le sourire toujours aux lèvres, elle se tourna vers sa cible, la seule personne encore à table. Dans l’espoir vain d’y voir mieux et de percer l’illusion de cette dernière, elle fit grossir sa flammèche. Il devait être doué, en tout cas plus qu’elle, puisqu’elle ne parvenait pas à percer ce masque là. Froncement de sourcil, puis de nouveau un petit sourire. Elle ne se laisserait pas démonter pour si peu !

« Et celui là de masque tu ne l’enlèves jamais ? »

Un brin sarcastique, juste comme il fallait pour obtenir une réaction. Du moins, en laissant le temps à l’autre de réagir, pas comme là. Cet homme qu’elle recherchait depuis bien trop de semaines était source de bien des sujets de curiosités. Zora ne lui avait pas tout dit. Les détails de leur altercation restaient flous.

« Tu es allé dans quelle ville à Zolios ? Tu as visité la capitale déjà ? »

Faire moins direct était impossible pour la jeune disciple. Pas après autant de temps et d’énergie consacré à sa recherche. Et pas tout court. Ce n’était tout simplement pas dans sa nature. C’était lui qui avait commencé à en parler de toute façon.

« Tu t’es arrêté sur la place, celle où il y a la statue de Süns ? »

Personne aux tables voisines ne leur prêtaient attention. Ils étaient seuls dans cette foule, le dernier membre de leur trio tout récemment formé prenait son temps pour revenir. Même s’il en avait été autrement, le regard de Tiha n’aurait pas quitté sa proie des yeux.

Leynar ne pût s’empêcher de sourire alors que l’étranger répondit sur le commerce, sa curiosité devait être satisfaite puisqu’il n’insista pas plus sur le sujet, ce qui arrangeait Leynar. Bien sûr il savait déjà quoi répondre à ce genre de situations, après tout officiellement il était quelqu’un de tout à fait respectable, un brin excentrique pour sa manie de porter un masque, mais tout de même respectable. Il avait longuement travaillé sa réputation et il y faisait particulièrement attention, c’était une chose précieuse qui se travaillait sans relâche, et qui s’effritait si vite…

-Oh il y a eu des hauts et des bas, mais à force de persévérance j’ai réussi à mener à bien mes projets. J’en suis assez fier.

Ce n’était pas tout à fait faux, mis à part que quelques vols de marchandises et d’irys ont également été une aide non négligeable. Il n’y avait pas de doutes, depuis qu’il était chez les Danseurs il s’était grandement amélioré, c’était presque une véritable bénédiction pour lui, auparavant il stagnait, restait un misérable petit arnaqueur sans grande ambition, et maintenant il regardait plus haut et plus loin. Oh il devait beaucoup aux Danseurs, peut-être même qu’un jour il remercierait Oskar de l’avoir volé, il avait été l’élément déclencheur après tout.

Le khurmi laissa la discussion entre Swenn et Ül se dérouler sans y ajouter son grain de sel, ça l’amusait beaucoup plus d’observer la situation avec une certaine distance, surtout lorsque la plus jeune des deux était « accusé » d’utiliser ses flammes dans le but bien précis d’obtenir quelque chose en retour. Mais était-ce vraiment un mal ? Après tout très peu de gens faisaient de bonnes actions sans rien en attendre en retour, parfois de simples remerciements suffisaient pour que ces gens se sentent mieux, qu’ils soient tout heureux d’avoir été de bonnes personnes en aidant leur prochain. Et parfois il y en avait d’autres qui attendaient plus que des remerciements, un paiement, un service, peu importait tant que cela remboursait le service rendu. Alors les flammes que produisait Ül avaient-elles un but purement innocent ou cherchait-elle un juste remboursement ?

Il semblait que la deuxième hypothèse était la bonne, elle ne disait pas non pour un vin chaud. Le khurmi lâcha un léger gloussement amusé, il ne comptait absolument pas l’empêcher de consommer, après tout qui était-il pour l’en empêcher ? Il ne savait même pas si cette apparence était la vraie, et il y avait pire que boire à Reoni, bien pire, ce n’était pas la ville avec le plus « d’attractions » du continent pour rien.

Une lueur capta son attention alors qu’il ne faisait plus attention à la jeune, une lueur qu’il ne connaissait que trop bien. Le mage darda ses pupilles ambrées sur le centre de cette lueur avec un début de rictus inquiet. Ce n’était que la jeune mage qui avait donné un second souffle à son feu, et l’avait fait grandir. Son illusion restait intacte, il fallait bien plus qu’une petite frayeur pour faire voler en éclat ce masque là, d’autant plus qu’il l’avait particulièrement bien tissé, il l’avait fait pour durer après tout.

La remarque de la jeune méritait cependant une réponse, voulait-elle tester les limites de son illusion ? Si c’était le cas il faudrait que le feu soit bien plus direct, à la manière du même feu qui avait caressé autrefois son visage, s’il craignait le feu il ne craignait pas l’intensité d’un semblant de torche, même s’il ressentait une désagréable sensation d’inconfort. Il tapota légèrement la table avec  ses doigts, restant silencieux un temps les sourcils levés tout en regardant Ül, puis un demi-sourire se dessina sur ses traits. Il avait élevé au rang d’art le fait de ne pas paraître préoccupé, surtout lorsque son illusion copiait minutieusement ses expressions faciales. Son silence n’était dû qu’à une chose : sa concentration, il avait voulu répondre par un exemple à Ül, mais il semblait que son apparence physique n’était pas le fruit des dons de Khugatsaa, ce qui n’avait pas manqué de le faire sourire.

-Je pourrai te retourner la question, qu’utilise tu pour changer la couleur de tes cheveux ? Ceux qui les changent grâce aux illusions sont nombreux, cependant je pense avoir raison en disant que tu n'en fais pas partie. Son sourire amusé s’élargit alors qu’il observait les cheveux de son interlocutrice. Disons que j’ai mes raisons, et tu m’excuseras de ne pas te les dévoiler. Certaines vérités ne sont pas bonnes à dire. Pour répondre à tes autres questions, oui, j’ai passé beaucoup de temps à Zolios, et dans la majorité des villes principales de la région, et surtout Eoril. Et passer sur la grande place de cette ville n’est pas une chose rare pour quelqu’un qui se déplace autant que moi.

Oh ça oui il avait vu de nombreuses fois la statue à la gloire de Süns qu’il trouvait toujours aussi impressionnante, même si la dernière occasion qu’il a eût de la contempler avait aussi mouvementée.

Finalement, il serait bien resté assis à cette table. Quelques degrés de perdus alors qu'il se rapproche du bar, on va dire que c'est le prix à payer pour le ravitaillement. En plus d'une poignée d'Irys évidemment... Alors comme c'est lui qui paye, Swenn opte pour un léger changement. Parce que le vin chaud c'est pas trop mal il doit bien l'avouer et ça réchauffe ok. Mais rien ne vaut un whisky. Sans compter que tourner toute la soirée au vin ce n'est pas hyper rentable quand même. Quant à la gamine... Elle a bien dit lui faire confiance après tout ! Ça va, il les connait les jeunes qui trainent dans ce genre d'endroits. Là dessus, les My'trans ne doivent pas être bien différents des Daenars.

En revanche, il ne faut pas être trop pressé. Il les sent s'écouler lentement les secondes nécessaires à ce que le barman s'occupe enfin de lui servir ces trois whiskys. Le chimiste en profite évidemment pour observer ce qui se passe dans ce bar en patientant. Oui, la magie est partout. Il n'y est pas encore habitué, mais surtout, il est bien incapable d'en faire autant. Du moins pas sans quelques produits chimiques sous la main... Avec tous ces mages capables de produire des illusions dans le coin, ce n'est peut-être pas très sécure de partir sur de l'alcool fort. La raison voudrait que le jeune homme garde pleine possession de ses moyens et il en a parfaitement conscience. Mais il a bien du mal à résister à l'appel de ces boissons un peu trop fortes. Et puis, il lui faut de toute façon plus qu'un ou deux verres pour lui faire perdre contact avec la réalité.

C'est donc armé de ses trois verres qu'il revient vers la table toujours occupée par l'étrange duo qu'il a laissé précédemment. La tension qui y règne n'est pas très difficile à déceler, mais ce n'est pas ce qui va empêcher Swenn de déposer son chargement sans une once de délicatesse sur le bois qui en a vu d'autres. Il reprend place et réparti les boissons devant chacun des destinataires. Notez qu'il commence presque à ne plus grelotter ! Le rapprochement avec la source de chaleur émise de la jeune fille probablement. Cela dit, il est encore loin du stade où il pourrait enlever l'une des nombreuses couche de vêtements dans lesquels il est encore emmitouflé.

- "Chez moi c'est c'qu'on sert aux jeunes qui se plaignent de s’assécher..."

Mouais, plus ou moins vrai. Généralement, les gamins aux poches aussi trouées que le gosier, il a tendance à les ignorer. Ou à les envoyer chier s'ils sont trop insistants. Mais celle-ci a quand même un atout de taille. Ce feu qu'elle est capable de produire.

- "Et aux adultes un peu trop polis pour ce genre d'endroit."

Apaiser une ambiance initiale déjà pesante ? Non, ce n'est clairement pas dans les compétences du dealer. Mais il faut reconnaitre que les bonnes manières, ce n'est pas le genre de choses que ce garçon apprécie particulièrement. Encore moins quand il n'est pas obligé d'en faire de même. Or, s'il y a bien un endroit où ces belles tournures de phrase sont superflues, c'est dans un bar blindé où les injures qui fusent des tables voisines rivalisent de créativité. Alors s'il peut aider ce Leynar à se départir de cette politesse un peu trop marquée à son goût grâce à de l'alcool, il faut bien le tenter !