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 :: Les terres d'Irydaë :: Daënastre :: Rathram
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 Le village de toutes les tentations

Eylohr Lothar
Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyMar 5 Fév - 14:35
Irys : 401379
Profession : Terroriste en fuite - Hermite
Pérégrins -2

  • Doux sont les embruns qui soufflent devant les narines des marins courageux qui osent braver les courants, la houle et les remous, alors que l’hiver était encore bien là. Les vents étaient froids, presque glaciaux pour le commun des mortels, mais ô combien agréable du point de vue du colosse. Lui qui, dés sa naissance, fut soumis au climat arctique et glacial du continent du Nord de la terre d’Irydaë il était là dans son élément alors que la plupart des membres de l’équipage étaient terrés dans les soultes, emmitouflés dans les couettes, les duvets et les manteaux de fourrures, pour pouvoir avoir chaud. Non pas qu’il n’était pas correctement emmitouflé, tout Khashin qu’il était. Mais lorsque lui se tenait droit sur le pont, le regard aussi froid que la mer, braqué sur l’horizon, les autres étaient recroquevillés sur eux-mêmes, grelotants et maudissant le jour où ils avaient accepté de signer pour une expédition de pirate par des températures hivernales. Et encore, ils sont au large de Rathram, et non au large de Vereist, ou pire, au large de Khashin. Là, ils auraient le droit de se plaindre, et d’avoir froid.

    Eylohr lui, était calme et détendu. Vêtu d’une chemise de coton à manche longue, d’une armure de cuir, à manche longue également, agrémentée de maillons de fer et d’acier, le tout, surmonté d’un long, large et épais manteau de fourrure de Grizzli des toundras de Vereist, il pouvait faire face aux embruns glacés et à la bise qui cisaillait la peau des marins. Il était droit comme un i, les mais dans les poches, le regard braqué sur l’horizon alors celui-ci était d’un gris lugubre et opaque. Sa barbe, longue et fournie, était enfouie dans le col de son manteau, empêchant le vent de s’engouffrer dans son cou, alors que sa nuque était protégée par sa longue crinière d’ébène. A la proue du navire, il semblait dépasser de ce paysage grisâtre et froid, tant par sa taille que par le noir de ses habits. Alors que les quelques marins assignés aux tâches quotidienne et à la navigation pestaient de devoir être encore dans ce froid durant des heures, Eylohr, lui, commença à se sentir bien à l’étroit.

    D’un geste à la fois gracieux – si, croyez-moi, c’est possible même en enlevant son manteau – il enleva ledit manteau de fourrure, se débarrassa de son armure et de sa veste et se retrouva nu. Les marins, qui levèrent la tête devant ce spectacle inattendu, se demandèrent tout de go : « Mais qu’est-ce qu’il fou celui-là ? » Eh bien, s’ils avaient eu le courage d’exprimer tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, nul doute qu’ils auraient été obligés de rechercher durant des heures les dents que le colosse leur aurait enlevées. Chez les pirates, le respect est essentiel. Et puis la réputation d’Eylohr aidant, il peut se permettre quelques petites exactions, du moment qu’ils n’entravent pas le commandement des capitaines et des amiraux de la Flamme Noire. Mais l’air n’étant qu’animés des bruits des vents et des courants, Eylohr continua simplement son projet. Quel était-il ? Au départ, il souhaitait se baigner. Comprenez qu’il se préparait à un autre projet encore : attaquer un village de pêcheur qui, disait-on de multiples sources, possédait d’immenses richesses compte tenu du nombre d’habitant et de leurs activités. Beaucoup de rendement, beaucoup d’or, une prouesse sur une année. Voilà qui était plus que suffisant pour attiser la curiosité des corsaires et autres loups de mer. Et, vu la taille de la petite bourgade, il était sûr que la milice ne s’y trouvait pas. Mais peut-être se trouvaient-ils dans une localité plus proche ?

    Toujours est-il qu’il voulait purifier son esprit et se préparer au combat. Ce petit rituel venait en partie de lui, et en partie du peuple de ses aïeux. S’immerger dans une eau glaciale, y tenir en apnée aussi longtemps que possible, avant de revenir d’un bond à la surface en hurlant toute sa colère. Ainsi, croyait-il, l’esprit est purifié des idées mal-abouties et des craintes stagnantes, et se trouve prêt au combat. Mais le navire n’allait pas se mettre en panne pour cela. Il n’était pas le capitaine, ni même le second. Il était juste un pirate avec un peu plus de passe-droits que les autres. Alors, il se contenta de se dévêtir, et de se mettre le plus au bord possible de la proue du navire, afin que les flots qui s’écrasaient sur l’avant du navire puisse l’asperger. Là, il prit de grandes inspirations, et plus l’eau l’arrosait, et plus ses inspirations se firent profondes et efficaces. Et, finalement, alors qu’il devint totalement trempé et que l’eau glacial eut fait son office, il se mit à hurler de toute ses forces, à gorge déployée, le visage planté vers le ciel laiteux et grisâtre. Sa voix grave résonna dans les airs, telle une musique funeste trahissant l’arrivée d’un orchestre barbare.

    Il était trempé, mais il se sentait en vie. En vie, et prêt à se battre. L’eau froide provoqua en lui une accélération de son rythme cardiaque et secoua son esprit comme le ferait une explosion titanesque. Alors que son cri déchirant était terminé, il se dirigea vers ses habits qu’il avait laissé au sec, dans une démarche sauvage, comme s’il entrait dans une trance inquiétante. Là, il se rhabilla, mais sans prendre son manteau de fourrure, pour ne pas trop trancher avec le temps hivernal, afin de rester en phase avec l’environnement. A sa ceinture, il prit son épée. A sa hanche, il plaça son fusil à double canon scié. A sa cheville, il plaça son couteau de chasse, et à son torse, il à plaça ses deux revolvers de calibre 44 millimètres. Et enfin, sa fidèle hache à double lame, dans son dos. Il était prêt à en découdre. Il y avait encore une bonne dizaine de minutes de trajet avant d’arriver suffisamment prêt du village pour le bombarder et le prendre d’assaut par les chaloupes. Mais il était prêt, alors que, chacun leurs tours, les pirates gonflés de testostérone et d’adrénaline montèrent sur le pont, attendant l’heure fatidique.

Diane Stëelk
Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyMer 6 Fév - 0:35
Irys : 189965
Profession : Journaliste
Daënar +1
Le vent avait beau souffler d’une ardeur proprement maritime, Diane exultait de le sentir mordre son cou et soulever ses cheveux. Elle était tellement habituée à la chaleur étouffante des quartiers industriels que cet air salé et délicieusement glacial lui faisait l’effet d’une gifle. Le pied à peine posé sur le quai après une petite heure de train, elle faisait déjà face à l’océan, tirée de la langueur du voyage par d’impérieuses bourrasques, et semblait capable de rester là des heures durant. A Cerka le port était sale, mal famé, plutôt laid. Du reste, il avait été sa seule expérience du « bord de mer » pendant toutes ces années. Maintenant que son métier l’amenait à voyager un peu plus, à lui faire découvrir les paysages de sa propre région, elle avait développé un réel amour de l’océan quand celui-ci s’offrait si naturellement à sa vue. Ici pas de rejet toxique, pas d’odeurs nauséabondes, pas de marin éméché prêt à lui sauter dessus : seulement l’immense beauté d’une étendue d’un bleu profond. Prenant une profonde inspiration, puis recommençant jusqu’à se sentir embaumée d’iode et de poiscaille, la jeune femme fourra ses mains dans ses poches et descendit du quai pour prendre la direction du port.

Le village dans lequel on l’avait envoyée portait le charmant nom de Duncork, et faisait depuis quelques semaines l’objet d’un réel engouement dans la capitale de sa région. Les rendements exceptionnels des pêcheurs locaux avaient apporté à la population une soudaine et inattendue abondance : le coin était connu pour ses huîtres de qualité, ses poissons gigantesques, ses crustacés colorés, mais toujours en quantités réduites. Pourtant cette année, personne ne semblait pouvoir encore expliquer comment, mais les quantités de ces produits de luxe avaient été décuplées, et le travail acharné des pêcheurs conjugué à une gestion remarquable des affaires commerciales avaient transformé la vie des locaux. C’étaient des gens simples, l’événement semblait un peu les dépasser, mais ils avaient très vite appris à s’en accommoder. Diane se rendait sur place pour faire le point sur ces changements, et récolter de jolis témoignages émouvants de néo-bourgeois, faire un papier un peu optimiste dans le style « l’opulence peut tomber sur vous n’importe quel moment ». Personnellement, elle trouvait ça un peu hypocrite, mais au final elle s’en fichait un peu : les opportunités de voir du pays étaient rares pour une petite rédactrice de local. Elle s’était portée volontaire, n’avait emporté que le strict nécessaire à la rédaction de son article, et comptait bien profiter de cette belle et froide journée pour se ressourcer avant le retour à son quotidien de citadine.

Elle passa une bonne heure à butiner de bateau en bateau pour recueillir des témoignages, jusqu’à tomber sur la perle rare, au sens propre du terme : un père de famille dont la pêche, un mois plus tôt, avait bouleversé sa vie. Il avait trouvé non pas une, mais deux perles absolument splendides dans son filet d’huîtres. Vendues à prix d’or à un joaillier itinérant, il avait ajouté à son rendement déjà spectaculaire une très coquette somme, placée immédiatement à la banque pour les études de ses enfants. C’était exactement ce que la journaliste cherchait : la conversation dura une bonne demi-heure, et elle sut quand ils se saluèrent qu’elle tenait là l’essentiel de son article. Le reste de sa journée pouvait être consacrée à du pur et simple tourisme vagabond.

En parcourant les rues du village, Diane ne put s’empêcher de remarquer que les femmes étaient très simplement vêtues, mais qu’elles portaient  pour la plupart de superbes bijoux. C’était assez compréhensible en réalité, car il n’y avait pas de haute société à impressionner ici, seulement son propre plaisir à satisfaire. Et pour des gens n’ayant jamais connu la richesse, il devait sembler normal de placer la majorité de ses biens pour des années moins fastes, et de dépenser le reste en objets joliment futiles, pour leur simple agrément personnel. Les bijoux entraient dans cette catégorie, au même titre que les beaux meubles, les œuvres d’art, les poupées précieuses, les armes de qualité. La journaliste n’avait jamais possédé rien de tel, et se surprenait à observer les poignets de ces femmes de poissonnier avec une certaine envie. Non pas qu’elle trouvât ces breloques très désirables, mais plutôt qu’elle aurait bien aimé, au moins une fois, se permettre de dépenser une grande somme sans autre finalité que la satisfaction d’une envie fugace. Pour savoir ce que ça faisait, de ne pas réfléchir au prix des choses. Elle s’ébroua, les sourcils froncés. Qu’allait-elle penser là ? Sa philosophie de vie était celle d’une travailleuse : et en y pensant bien, elle n’aimerait pas réellement posséder quelque chose ne lui ayant demandé aucun effort à obtenir. Elle éloigna son esprit de ces considérations et s’installa à la table extérieure en métal forgé d’une petite taverne. Les pêcheurs partaient bientôt en mer, la marée montant d’ici peu, et l’établissement commençait à se vider. Amusant comme le rythme de vie de la population variait d’un endroit à un autre. A Cerka, il faudrait attendre encore plusieurs heures avant que les tavernes se remplissent d’ouvriers épuisés par leur journée. Ici, chaque pêche avait un créneau horaire spécifique, et les pêcheurs se passaient le relais selon ce qu’ils cherchaient en mer. C’était fascinant.

Après quelques déambulations aléatoires, de lecture, la jeune femme se décida sur l’heure de son train de retour ; elle prendrait le prochain, qui ne partait pas avant  deux grosses heures. Entre temps, elle mangerait un bout, écrirait peut-être trois lignes. C’est sur cette pensée qu’elle prit la direction de la plage, sereine. Au bout de quelques minutes de marche pourtant, un bruit inhabituel la tira de ses pensées, et lui fit lever les yeux vers l’horizon. Elle n’était plus qu’à quelques rues du port, mais la vue était dégagée sur l’océan, et elle pouvait distinguer, pas si loin que ça, un navire approchant de la côte. Le bruit qu’elle avait entendu ressemblait vaguement à l’écho d’une voix, mais une voix si lointaine et ténue qu’elle pourrait presque venir de ce bateau-là. Mais le bruit ne se répéta pas et elle finit par le ranger à l'arrière de ses pensées, toute absorbée qu'elle l'était par la beauté de l'endroit et la quiétude de cette journée.

Eylohr Lothar
Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyMer 6 Fév - 17:05
Irys : 401379
Profession : Terroriste en fuite - Hermite
Pérégrins -2

  • Ils arrivèrent. Les uns après les autres, ils gravirent les marches de bois humide et glacé des jours et des jours de traversée en mer qui menaient du pont inférieur et des quartiers d’équipage jusqu’au pont supérieur, là où se trouvait Eylohr. Toutes et tous, fidèles loups de mer, fieffés combattants et carnes hargneuses, ils montaient. Leurs pas lourds frappant contre le bois du navire rendaient une musique teintée de noirceur, trahissant l’infâme action qu’ils s’apprêtaient à commettre. Les fusils étaient chargés, les canons étaient prêts à tirer, les sabres et haches d’abordages reflétaient le peu de lumière qui provenait des nuages hivernaux qui baignaient les alentours du navire, alors que les côtes et les premières habitations devinrent visibles. Ici, nul besoin de discours poignants, de paroles galvanisantes. Toutes et tous étaient pleinement au courant de la mission qui leur avait été donnée : piller ce village jusqu’à-ce que la moindre pièce d’or soit rapportée sur le navire. L’ambiance, bien qu’électrique, restait calme. Les barbares regardaient poindre à l’horizon et de dessiner un peu plus à chaque instant, les tours et les contours de l’objectif à qu’ils venaient enfin d’atteindre. Seules les respirations, profondes et lentes, vinrent trahir la mélodie des flots environnants.

    Eylohr attendait le signal. Celui-ci trouverait sa source dans les coups de boutoirs des canons du navire. Là, ils n’auraient plus qu’à fondre jusqu’à la rive grâce aux chaloupes qui étaient prête à être mises à l’eau. Lorsque le navire fut suffisamment proche – à environs 50 ou 60 mètres – l’équipage fut embarqué dans la demi-douzaine de chaloupe, lesquelles furent descendues jusqu’à la surface de l’eau à l’aide de cordes et cordages, et d’un peu d’huile de coude. Une fois la manœuvre terminée, tous prirent le chemin de la rive, alors que les premières explosions se firent entendre.

    Quel vacarme formidable. Quelle mélodie admirable. Le son de la poudre noire portée jusqu’à explosion était une source d’un tumulte hypnotisant. Ca et là naquirent d’étranges flammes couleur rouge orangée, alors qu’un vacarme assourdissant fit pulser les tympans, tandis qu’une onde de choc se propageait sur la surface de l’eau, dans un spectacle presque irréel. Voir cette surface plane, en apparence calme, se soulever d’un mouvement se propageant de manière synchrone était révélateur de la puissance développée par les pirates, et de l’ingéniosité des Irydärs quand il s’agit de faire la guerre. Qui sait ces gens auraient pu réaliser, s’ils avaient décidé de ne pas mettre leurs intellects foisonnant au service de la guerre et de la mort.

    Alors que les chaloupes avalaient les quelques mètres restant avant d’arriver sur la terre ferme, Eylohr leva les yeux au ciel et pouvait distinguer les petites masses rondes ou allongées des projectiles projetés sur ce pauvre petit village. Les pirates utilisaient deux types de projectiles principalement : les projectiles à charge explosives, les plus difficiles à trouver, et les projectiles en plomb, en acier ou en fonte, de forme ronde ou allongée, qui pouvaient transpercer presque n’importe quelle infrastructure non blindée. User de ces deux armes promettait un chao total. Alors que les charges pleines s’occupaient de percer les murs, de détruire les fondations et d’affaiblir les infrastructures les plus solides, les charges explosives, elles, terminaient de disloquer les bâtiments, de détruire les demeures et de déchiqueter les fuyards. Les explosions, quant à elles, étaient magnifiques à voir.

    Tout d’abord, il y avait une explosion de flammes, lesquelles se chargeaient de tout carboniser dans un rayon de 1 à 2 mètres. Puis, grâce aux charges explosives, une épaisse masse de terre ou de débris était soulevée et projetée dans les airs et partout autour de l’épicentre. Certains débris métalliques provenant de l’ogive ou des débris soulevés pouvaient se transformer en projectiles secondaires, chauffés à blanc, et capable de transpercer un homme comme un couteau trancherait dans du beurre. Puis, ou plutôt, en même temps que tout cela, survient l’onde de déflagration. Un changement brutal dans l’air, capable de détruire les tympans des victimes trop proches et de faire éclater les organes creux, provoquant d’effroyables blessures internes. La guerre à ce petit quelque chose d’horrifiant, et d’époustouflant à la fois.

    Eylohr baissa enfin la tête, pour reporter son regard vers le village martyr. Les explosions détruisaient les maisons, la terre était soulevée et retournée. Ça et là étaient déchiquetés de pauvres âmes laissées en pâture. Et le grondement de la terre, et le tremblement des ondes de chocs. Quel spectacle terrible.

    Enfin, la terre. Eylohr n’avait pas le temps de réfléchir. Il avait tellement d’adrénaline dans le sang qu’il ne pensait qu’à se battre, et il se délectait de chaque mort, de chaque fracas, de chaque détonation, de chaque vie brisée… Son bain de glace n’avait calmé sa colère qu’un petit instant, alors le spectacle qu’il allait rejoindre et être acteur, commençait à faire naître en lui cette folie meurtrière qu’on lui connait.

    Il sauta le premier de la chaloupe où il se trouva, indiquant la marche à suivre. Dans un souci d’épargner les pirates, l’artillerie porta ses tirs plus haut et plus loin dans le village. A terre, ils avaient le champ libre.

    Eylohr extirpa de son holster de poitrine, un de ses revolvers, et empoigna son épée. De toute sa masse et de toute sa hauteur, il se dirigea vers le village, prêt à piller toutes les maisons qu’il pouvait. L’attaque était, contrairement à ce pensait le commun des mortels, très bien organisée. Deux vagues de corsaires s’occupaient d’anéantir toute résistance, et d’avancer le plus loin possible dans le village, après quoi, les troupes restées en arrière s’occupaient de tout prendre et de tout voler : or, bijoux, obligations, actions boursières, objets précieux… Et âmes humaines. Oui, pour l’esclavage.

    Eylohr faisait partie de la première ligne, évidemment. De la plage, il se dirigea dans une des petites ruelles, laquelle slalomait entre les baraques de pêcheurs, les bâtiments du port et les échoppes détruites. Il rencontra enfin, après presque 100 mètres d’avancée, un homme d’une quarantaine d’année, un vieux révolver à la main. Le regard du pauvre trahissait toute sa peur. Il était terrorisé. Lorsqu’il vit le colosse et la vague infâme qui l’accompagnait, il eut le réflexe de pointer son revolver sur l’adversaire et de presser la détente sans prendre le temps de viser. Mais son revolver de bois, nécessitant une pierre, de la poudre et une balle que l’on charge par le canon – une vieille antiquité somme toute – ne fit pas feu. La mécanique rouillée et depuis longtemps désuète ne pouvait plus fonctionner. Alors, voyant cela, Eylohr fit deux pas en avant, porta son bras en arrière, et enfonça, presque jusqu’à la garde, son épée effilée dans l’abdomen du condamné. Après quelques secondes d’un contact rapproché, le colosse laissa le corps de sa victime choir lamentablement, et contempla sa lame imprégnée de sang. Ça y est, le combat est lancé pour lui.

    Les uns après les autres, les hommes qui passaient dans son champ de vision furent assassinés sans état d’âme. Il poignarda un jeune homme qui tentait de fuir, tira une balle dans le cou d’un second qui était resté tétanisé par la peur, le laissant se vider de son sang au sol. Un troisième vit sa tête pratiquement exploser à cause de la puissance de son revolver, et un dernier fut décapité à grand renfort de coup de lame.

    Son premier revolver vidé de ses munitions, Eylohr le rangea dans son étui de cuir, tout comme il le fit pour son épée, avant de prendre son fusil à double canon scié. Entendant des cris dans une demeure à moitié détruite, il défonça la porte déjà bien fragilisée, d’un grand coup de pied dévastateur. Là, il fit face à une femme portant un enfant dans ses bras, et à un vieillard qui, voyant l’assaillant aux dimensions titanesque, se délesta d’un lent et profond soupir. Cette femme était sa fille, et il avait tout fait pour la convaincre de fuir. Elle aurait dû l’écouter. Avisant le vieillard et la jeune mère du canon de son fusil, le colosse assoiffé de sang, de carnage et de fureur, pressa la détente, et laissa toute la force destructrice de son calibre faire son office. Les trois victimes n’eurent aucune chance, et les quelques murs qui étaient encore debout furent repeints aux couleurs du liquide vital, et de la matière grise des protagonistes. Des tas de chaires informes et sanguinolant, voilà ce qui restait d’eux.

    Sans être inquiété, ni sans aucun remord, Eylohr prit le temps de recharger son fusil dont l’embout fumait allégrement, avant de ressortir et de laisser la place aux pillards. Il fut rejoint par plusieurs pirates, qui, avec lui, continuèrent leur assaut sanglant.

    Ils tombèrent enfin sur un duo de jeunes hommes portant des pièces d’uniformes militaires. A en croire les insultes et les paroles qu’ils envoyèrent aux visages – qui n’en avaient rien a faire soit dit-en passant – ces jeunes hommes d’environs 23 ou 25 ans étaient des militaires en permission dans leurs familles, et ils se battraient jusqu’à la mort pour défendre leur terre natale. Soit. Ils auront choisi la mort.


    A 5 contre 2, le combat était perdu d’avance pour les jeunots, mais Eylohr les gratifia d’un léger sourire pervers. Ils avaient du courage, et le colosse aimait cela. Ils pourraient mourir en guerrier, ce n’était pas donné à tout le monde. Eylohr rengaina ces armes à feu, voyant que les deux militaires ne disposaient que de leurs sabres. Pour faire face, lui et ses hommes dégainèrent leurs armes blanches. Eylohr, lui, prit en main sa gigantesque hache d’arme à deux lames, lourde, difficile à manier, mais ô combien destructrice.

    Il chargea sans chercher à émettre une tactique quelconque. Le combat était bien inégal de toute manière, cependant, il ne se soucia pas de l’entrainement des deux jeunes hommes, ni de leur gabarit. Ils étaient athlétiques, et là où le colosse aurait besoin d’énormément de force pour bouger ou asséner un coup, eux auraient largement le temps de changer de position pour attaquer le géant sous un autre angle. C’est ce qu’ils firent lorsqu’Eylohr lança sa charge. Si le premier militaire fut balayé par le coup d’épaule tonitruant qui lui fut asséné, le second, lui eut l’habileté de faire quelques pas sur le côté, et d’offrir une jolie taillade sur le flanc du gauche du colosse. La blessure était nette, propre, et cependant peu profonde, mais belle et bien douloureuse.

    Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela plut au colosse. La douleur le fit se sentir vivant, comme lorsqu’il offrit son corps aux eaux glacial quelques minutes plus tôt. Cela l’excitait de souffrir, et il aimait les combats difficiles. Le premier jeune, qui fut mit à terre par l’épaule du colosse, fut achevé par les pirates qui ne perdirent pas de temps. Le second, lui était encore bien vivant. Galvanisé par sa première réussite, il s’élança vers le colosse et tenta d’asséner un coup d’estoc, facilement contré par le géant. Mais la contre-attaque montée par ce dernier fut, encore une fois, facilement évitée par le jeune escrimeur qui esquiva la lame lancée au niveau de sa nuque, en se baissant en arrière – tordant son dos dans un angle très vite limité par la colonne vertébrale, vous avez l’image – avant de se retrouver sur l’autre flanc du colosse et d’y asséner, une nouvelle fois, un coup de lame. La blessure, cette fois, fut moins grande car réalisée du bout de la lame seulement.

    Bien qu’excité par ce combat, le colosse savait qu’il ne pouvait pas jouer longtemps, et, pour le moment, le jeune avait porté deux coups et lui aucun. Alors, il souleva sa lourde hache et asséna un coup circulaire, encore une fois éviter par le jeunot. Mais cette fois-ci, Eylohr s’y attendait, et alors que le militaire fit sa manœuvre, il fut accueilli par un formidable coup de pied qui lui écrasa l’abdomen, l’obligeant à se mettre à genoux, courbé sur lui-même. Sans attendre, le colosse se plaça un peu de côté, porta haut sa hache, et décapita le jeune combattant, dans une gerbe de sang chaud.

    Il était quasiment en transe. Et, alors que le corps délesté de sa tête tomba lourdement au sol, le colosse agrippa la tignasse, et porta la tête au-dessus de lui, avant de hurler, tel un ours sauvage, manquant de se déchiqueter les cordes vocales. Les gouttes de sang tombaient sur son visage déjà éclaboussé, et terminèrent de lui donner une allure apocalyptique, alors que ses yeux d’un bleu océan tranchaient avec le carmin qui immaculait sa peau.

Diane Stëelk
Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyJeu 7 Fév - 18:48
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Diane atteignit la baie une dizaine de minutes plus tard. Le port était très simple, et présentait à peine plus de navires de pêche que de plaisance. En levant les yeux vers l’horizon, elle constata que le navire dont la forme se dessinait à peine un peu plus tôt était désormais bien plus proche et plus distinct. Il n’y avait pas de réel soleil, aussi n’eut-elle pas à plisser les yeux bien fort avant de distinguer, au sommet du mat le plus haut, une des choses les plus belles et les plus terrifiantes qu’elle connaisse. Son cœur rata un battement. Un pavillon noir.

Le chaos se glissa d’abord dans sa poitrine, puis dans ses yeux. Il contamina ensuite le village à une vitesse stupéfiante. Elle s’était précipitée pour avertir un pêcheur, mais avant de trouver qui que ce soit, des tirs de canon firent office du meilleur des cris d’alerte, et bientôt la quiétude ambiante de Duncork prit des airs d’enfer. Les bateaux en stationnement étaient abandonnés, les bâtiments s’effondraient sous le coup de l’artillerie. Les mères appelaient leurs enfants, le feu se propageait à différents endroits du village. Et Diane se trouvait là, désemparée, sans la moindre idée d’où aller, d’où fuir si cela était la solution. Elle ne connaissait pas l’endroit, n’avait pas de cheval, et ne portait pour toute protection qu’une robe au jupon mi-long, un corset simple, un gilet, des cuissardes et une armure de corps légère. A sa cuisse, son éternel poignard, mais pas d’armes de jet, pas de pistolet, comment aurait-elle pu prévoir qu’elle en aurait besoin aujourd’hui plus que jamais ? Sa pauvre sacoche même ne contenait que son nécessaire à écrire, une flasque d’eau, des mitaines. Elle avait même laissé ses sempiternelles lunettes à Cerka. Plus démunie que jamais, elle se mit à courir loin du port, alors que ce maudit bateau s'approchait à une vitesse monstrueuse. Déjà, elle entendait les hurlements de ses corsaires, et déjà elle sentait le danger transformer toutes ses pensées en outils de survie.

Quelques rues remontées lui firent voir tant de décombres et de malheur qu’elle dut lutter pour ne pas s’arrêter et faire la morte. Mais la vue d’un homme traînant sa jambe brisée derrière lui en hurlant à son fils de ne pas l’attendre fut de trop. Elle se maudit une bonne dizaine de fois en le rejoignant, passa son bras sur ses épaules et l’embarqua dans sa course. Cinq secondes suffirent. Le corps de l’homme se fit brusquement si lourd que Diane ne put que le laisser tomber. Dans son dos, le manche d’un poignard dépassait. Il était mort avant de toucher le sol, et la journaliste le comprit très vite au regard de son fils. Assez vite pour ne pas être atteinte par le prochain projectile elle-même et prendre la fuite. Elle voyait la scène se répéter devant ses yeux encore et encore, mais avait mis tout son corps en marche automatique, guidée par son instinct.

En courant elle assista à plus de scènes de mort et de torture qu’en toute une vie. De toutes parts, hurlements, gargouillis, pleurs d’enfants. Les pirates avaient envahi les rues, arrachaient des gorges et des ceintures bijoux, bourses, organes en tous genres. Leur sauvagerie était un spectacle absolument terrible, mais aussi, et cela faillit causer sa perte, mortellement fascinant. Au milieu de sa remontée du village, Diane fut si absorbée par la vue d’une décapitation qu’elle faillit littéralement rentrer dans un des corsaires, qui venait d’une rue perpendiculaire. Elle l’évita de peu et voulut continuer sa course, mais son élan fut stoppé net par l’homme lui ayant attrapé le bras au passage. Elle fut vive et s’en libéra, mais le pirate était aussi fort qu’implacable. Dans un ricanement sinistre, il la projeta au sol et s’approcha d’elle.

« Tiens, voilà une petite aux atouts intéressants. Prête-moi ton corps avant de mourir ma belle. »

Diane l’observa sans broncher, étalée sur le sol déjà poisseux. Elle réfléchissait à toute allure. Faisant passer – pas totalement – son immobilité pour une peur paralysante, elle attendit que le pirate se penche sur elle, déjà délecté à l’idée de s’occuper d’elle, et qu’il tende ses sales mains ensanglantées vers son corset. Là, elle tira sa dague de son fourreau et, aussi vivement que ses années d’entraînement le lui permettaient, fit un grand revers de lame vers le visage de l’agresseur. Son erreur fut de croire que cela suffirait. Des années d’entraînement, c’était bien. Mais elle avait en face d’elle des dizaines d’années de pratique, de mises à mort, de combats réels. Le pirate évita in extremis le coup qui devait l’éborgner et lui arracha le poignard des mains dans le même temps. La suite se passa très vite : dans un rugissement, il voulut lui planter sa hache dans la jambe, mais Diane profita de cette rage aveugle pour se glisser de côté et éviter d’être estropiée. Désarmée, elle n’avait plus d’autre choix que de tirer son dernier atout : en un instant, sa prothèse couverte de cuivre luisant se rétracta, et à la place de son majeur et de son annulaire gauche deux lames, une en pierre, l’autre en métal apparurent. Les deux étant parfaitement affûtées, elles suffirent à trancher les tendons des chevilles du pirate hurlant, dans un mouvement vigoureux et dépourvu d’hésitation. C’est ce qui sauva la jeune femme. L’adrénaline lui avait donné l’énergie de se battre, mais elle ne souhaitait pas rester à proximité de ce monstre désormais infirme mais aussi mille fois plus déterminé à la tuer. Elle récupéra sa dague toujours aussi vivement et quitta la scène, l’estomac retourné moins par la vue du sang coulant à flot que par la réalisation de la fragilité de sa vie.

Le pirate (qu'on appelle toujours Anton) beugle en #cccc00


Eylohr Lothar
Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyJeu 7 Fév - 21:07
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Pérégrins -2

  • La scène était majestueuse. Horrible, certes. Mais majestueuse. Eylohr, dressé de toute sa hauteur, tutoyait l’UNE et ce village déjà meurtri alors qu’il hurlait toute sa fureur dans un cri déchirant. A cet instant, même les bruits des canons et des détonations ne suffisaient pas à couvrir ce hurlement dantesque. Il était là, dressé, ses muscles gonflés par les combats, sa gigantesque dans une main et une tête ensanglantée dans l’autre, levée bien haut au-dessus de lui, alors que les dernières gouttes de ce flux vital carmin coulèrent sur son crâne les unes après les autres. Un guerrier sanguinaire, dont la vue termina de faire chavirer les habitants restés dans le village dans une peur sans émule. Enfin, son numéro d’horreur terminé, il revint à son carnage et balança la tête loin de lui comme s’il ne s’agissait que d’un vulgaire sac de pommes de terre. Il reprit sa hache à deux mains, et retourna à l’assaut.

    Arpentant la rue, il s’enfonça dans le dédale de ruelles poisseuses de sang, de poissons et de cadavres. Ça et là, il rencontra quelques villageois apeurés. Les plus vieux, il les assassina sans discuter. Les plus forts, il les assomma afin qu’ils servent d’esclaves. Et les femmes… Disons qu’elles ont moins de chances que les autres. Beaucoup moins de chance.

    Certaines furent immédiatement ramenées en arrières jusque sur le navire. D’autres, trop faibles ou trop âgées, furent exécutées sur place. Les plus jeunes et les plus belles, elles… Furent données en pâture aux pirates déchainés, qui troquèrent leurs armes pour leur membre viril, usant de force et de violence pour tirer de ces femmes tout ce qu’elles pouvaient donner. Les viols. Une arme efficace, que les forbans aiment utiliser sans complexe. Dans une maison dont la porte avait été dégondée, Eylohr aperçu tout un groupe de pirate violer plusieurs femmes sans aucune pitié. Dans ces moments-là, le bruit des détonations et des corps chutant au sol n’était rien comparé aux cris de désespoir et de douleur de ces femmes souillées jusqu’au plus profond de leurs âmes. Le spectacle est terrible. Et s’il n’émeut aucunement Eylohr, il n’aime pas non plus le regarder. Il préférerait y participer, sans doute.

    Il continua sa route, encore une fois. Et dans son sillage, les pirates qui avaient pour mission de tout piller et de tout voler continuaient d’avancer et de ramener au navire tout ce qui était possible. Eylohr, lui, continua à semer la mort avec plaisir. Sur une petite placette où se trouvait des échoppes de bois et une fontaine symbolisant un pêcheur, le colosse retrouva plusieurs pirates en train de tenir en joug une dizaine de villageois ensanglantés. Lui était couvert de sang, du sang frais et du sang séché, la moindre parcelle de sa peau en était recouverte. Ni une ni deux, Eylohr rengaina sa hache dans son dos, et dégaina ses deux revolvers. Il arma le chien, plaça ses index sur les pontets de tir, et mit en joug le groupe de villageois terrorisé.

    - Bande d’salopards qu’vous êtes ! Soutenir l’UNE, c’est vous condamner à mort. En joug ! Hurla-t-il à l’intention de ses hommes. Envoyez moi ces fils de putains en enfer !

    Et les détonations retentirent durant un temps bien trop long en comparaison du nombre de victime. Chacune allait recevoir cinq ou six projectiles au moins. Leurs corps furent criblés de balles. Ça et là, des crânes étaient à moitié pulvérisés, des corps étaient atrocement mutilés, et le sang se mit à couler à flot dans les rigoles de la placette jusqu’à la bouche d’égout. Un spectacle barbare, mais qui était magnifique aux yeux du colosse. Semer la mort, décider de qui doit vivre ou mourir, pouvoir agir et vivre comme il le désirait sans avoir à rendre de compte, vivre ce petit moment lorsqu’un homme presse la détente et contemple son œuvre. Que de pouvoir, que d’adrénaline. Que de cruauté. C’est là que le but de la vie est révélé.

    Il contempla les cadavres quelques instants, satisfait d’avoir réalisé sa mission. Il prit le temps de recharger ses armes, encore une fois, et reprit sa route en direction de l’intérieur des terres. En chemin, il découvrit une vieille montre à gousset encore en état de marche et pu s’apercevoir que le temps continuait son immuable course. Il fallait rapidement conquérir le village, piller tout ce qu’ils pouvaient, et emporter avec eux tous les esclaves qu’ils pouvaient trouver. Car nul doute que tous ces tirs et tout ce vacarme allait ameuter les forces de la milice de proximité. Ils auraient tout de même plusieurs kilomètres à faire, tout comme ceux qui fuient pour les prévenir, mais ils arriveraient tôt ou tard. Alors il fallait faire vite.

    Mais un spectacle inattendu et très intéressant s’offrit à ses yeux. Une jeune femme, au physique apparemment avantageux, s’était attiré les faveurs d’un pirate mal léché. Il tenta de la violer, comme d’habitude. Mais contrairement à l’habitude, celle-ci tenta de se défendre et de la plus belle des manières. Si, au début, le pirate réussit à lui enlever sa petite dague cachée sous ses vêtements, il ne put rien faire contre la technologie qu’elle possédait. Deux de ses doigts se transformèrent en des lames tranchantes, et un mouvement sec et précis lui permit de couper les tendons de ses chevilles. Le corsaire tomba au sol dans une position pathétique. Privé de ses tendons, il ne pouvait plus se redresser ni même marcher. Quelle pitié.

    Eylohr lui adressa un regard mauvais. Les autres corsaires s’occupèrent de le ramener jusqu’au navire et l’exfiltrèrent de la zone des combats, mais la honte était totale. Eylohr vit, face à cette technologie mise à nue, renaître l’intérêt qu’il porte pour cette même technologie. Il veut posséder cela. Et il y arrivera. Et lorsqu’il le fera, il pourra se délecter de la nouvelle puissance qu’il possédera. Une puissance insoupçonnée, qui lui permettra de venir à bout de tous ses adversaires. Et il pensa, d’ailleurs, à une adversaire en particulier.

    L’adrénaline diminua soudainement dans son corps alors qu’il commençait à s’habituer à la situation de carnage et de combat. Là, les douleurs de ses flancs se rappelèrent à lui. Le jeune gaillard de tout à l’heure s’était bien battu visiblement. Eylohr l’avait sous-estimé. Et il le payait maintenant. Oh, ses blessures n’étaient pas graves, il ne risquait pas de mourir et il pourrait facilement lutter contre l’infection. Mais ses mouvements étaient quelque peu… Douloureux. Et ses vêtements étaient tâché de sang, mais de son sang à lui. Mais bon, au vu de la quantité de liquide poisseux qui le recouvre, il n’est plus à cela près. Grimaçant quelque peu face à cette douleur retrouva, le colosse se sentit de nouveau entièrement vivant, et prit en chasse la donzelle effarouchée.

Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyLun 11 Fév - 15:50
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En sortant de cet affrontement, Diane se laissa guider par un pur instinct de survie, semblant dépourvue de tout repère dans l’espace. Elle avait quitté les lieux en courant et ne s'arrêta pas de fuir avant un long moment. Sa jambe était leste, agile, elle courait aussi vite que la rue le lui avait appris. Mais le village était en pente, et elle venait de vivre une expérience traumatisante : forcée de prendre une pause, elle ralentit et trouva un coin où personne ne semblait avoir encore été victime de la piraterie, désert et à l’écart des pillages. Les maisons les plus riches étaient logiquement proches de la côte, ici ce n’était que de modestes mansardes de poissonniers, vidées de leurs habitants depuis longtemps. Après avoir scrupuleusement vérifié que personne ne la suivait, immobile quelques instants pour guetter le moindre mouvement, Diane poussa une des portes dans l’espoir de trouver un peu d’eau dans la cuisine. En quittant l’ambiance sonore du carnage, elle se rendit compte à quel point sa respiration était sifflante et irrégulière. Elle s’offrit quelques minutes pour reprendre son souffle, but une gorgée d’eau fraîche au goulot d'une cruche laissée sur la table, avant de faire un tour d’inspection de son état.

Elle s’en sortait admirablement bien, pour quelqu’un qui venait d’échapper à un pirate faisant deux fois son poids et la dépassant de trois têtes. Elle était petite, mais dans ce cas particulier, cela lui avait été secourable. Maintenant que le danger semblait plus lointain, son corps laissa une à une ses fonctions d’urgence s’éteindre, et elle prit conscience de la pulsation douloureuse émanant de son poignet. Avec une grimace, elle releva sa manche et entreprit d’examiner son articulation endolorie. Elle était gonflée, et chaque petit mouvement lui tirait une crispation. Elle revit le pirate hurlant qui lui avait arraché son poignard sans ménagement, et en déduisit qu'elle s'était fait une petite entorse. Heureusement que ses prothèses étaient sur sa main gauche et qu’elle avait appris à s’en servir comme d’une deuxième main forte, sinon elle n’aurait certainement pas eu la force nécessaire pour couper les tendons de son agresseur. Cette scène lui revint avec une précision chirurgicale. Se tirer de cette situation relevait de la survie pure et dure, elle ne s’était à aucun moment posé la question de la justesse de l’acte. Encore maintenant, elle ne remit pas en cause sa légitimité. Avec les pirates, aucune loi ne s’appliquait. Aucun compte n’était à rendre, si ce n’était à sa seule conscience, et celle-ci était on ne peut plus en paix. La rue avait fait d’elle une vieille enfant. Elle n’avait jamais tué directement et de sang-froid, mais était presque sûre que certaines de ses altercations avec des ivrognes ultra-violents s’étaient terminées par la mort de ses agresseurs, après qu’ils se soient vidés de leur sang dans un coin, incapables de bouger. Beaucoup de ses coups avaient été portés en groupe, la charge morale était alors partagée par ses compagnons. Elle ne se sentait pas plus meurtrière que quiconque. Pourtant cela lui faisait toujours un peu drôle quand elle se voyait poussée à verser du sang. Ce pirate ne marcherait peut-être plus jamais, et si c’était le cas il allait sûrement être balancé par le fond par son équipage qui ne s’encombrerait pas d’un infirme. Pas de pitié pour les faibles, on ne le lui dirait pas deux fois.

Trempant un linge dans l’eau et le posant sur son poignet, la jeune femme ricana en réalisant que ces réflexions ne la dérangeaient pas. Elle n’avait aucun scrupule à imaginer le pirate noyé ou abandonné à son sort dans un port sordide. Elle en était presque satisfaite. Etait-ce terrible ? Elle ne le pensait pas. Elle avait toujours eu du mal avec la morale conventionnelle. Elle essuyait  sur le linge humide les prothèses qu’elle n’avait pas rétractées quand le bruit d’un craquement dans l’air la fit se figer. Quelques secondes de flottement s’égrenèrent, durant lesquelles son souffle se fit aussi silencieux que celui d’un chat en guet. Elle détailla la pièce pauvrement décorée, chercha l’origine du bruit derrière les fenêtres sales, à travers les portes closes. Le bruit ne se répéta pas, mais il avait suffi à rappeler la journaliste à sa réalité. Là-dehors, n’importe quel barbare pouvait se sentir de faire irruption et mettre un terme à ses stupides réflexions métaphysiques. Peut-être même que quelqu’un avait été témoin de son affrontement et s’était mis en tête de venger son compagnon. Passant un dernier coup de chiffon sur sa dague afin qu’elle coulisse correctement dans son fourreau, Diane resserra le bandage de fortune à son poignet afin de ne pas trop le brutaliser et sortit de la maison à pas de loup, prenant soin de ne rien laisser pouvant trahir son passage et utilisant la porte de derrière.

Une fois à l’air libre, le bruit de fond des combats, les hurlements des victimes et le crépitement de l’incendie dévorant le village assaillirent ses sens. Elle inspira un grand coup, histoire de s’habituer immédiatement à l’odeur de chair carbonisée, et se mit en quête d’un cheval pour hâter sa fuite. Il n’y avait plus personne à sauver là-bas, autant ramener à Cerka sa peau indemne et une bonne histoire bien dramatique pour le Pointilleux. Brusquement elle s’arrêta. Elle s’entendait penser. Et son pragmatisme inhumain lui donnait la nausée. Etait-elle réellement en train de songer à écrire sur une horreur qui n’était même pas encore achevée, à quelques centaines de mètres de là ? Venait-elle vraiment de réfléchir, comme de rien, à des tournures de phrases pour décrire les flots de sang, l’atrocité des viols ? Les images du massacre revinrent en légion devant ses yeux, et elle chancela un instant. Quelques secondes de vide profond, intérieur, d’inanité. Puis, sans savoir comment, elle trouva les ressources pour rouvrir les yeux et se reprendre sa route. Au rythme de ses pas, poussée par une détermination insoupçonnée, elle repassa point par point les raisons pour lesquelles elle devrait légitimement s’effondrer et hurler de désespoir. Et devant chacune de ces raisons, elle accepta le fait qu’elle n’en ferait rien. Car les vies humaines n’avaient pas assez de valeur à l’échelle du monde pour qu’elle laisse leur mort la détruire, elle. Sa propre existence n’était rien qu’un petit courant d’eau au milieu d’un océan agité. La morale n’avait pas sa place dans son cœur. Elle devait simplement l’accepter, l’intégrer à ce qu’elle était, cesser de croire que l’empathie la rendrait meilleure. Continuer de prétendre qu’elle entendait les gémissements de la masse en souffrance, continuer de faire couler des larmes insipides de ses yeux secs.

La pente qu’elle gravissait n’était plus jonchée d’aucun cadavre, mais les maisons continuaient de lui masquer l'échappatoire d'une plaine vide. Pas de cheval à l’horizon. Diane songea qu’elle ferait peut-être mieux d’attendre que l’armée se pointe en se cachant quelque part. De toute façon, les pirates devaient sûrement être en train de charger leur navire de richesses et d’esclaves. Elle ne pouvait rien faire pour personne à part pour elle-même : jouer les héroïnes ne causerait que sa perte, et elle avait d’autres projets en tête. Elle s’arrêta, et par curiosité se retourna vers le village en contrebas. A aucun moment elle se douta qu’on ait pu la suivre sans qu’elle le remarquât. Et si on voulait la tuer, une balle standard tirée à moins de 20 mètres suffirait à transpercer les quelques plaques de son armure de corps. La vérité était qu'on l'avait en effet suivie, depuis le début. Ignorante, elle se trouvait très sereine et refusait de se planquer dans une quelconque chambre d’enfant abandonnée – les quelques réflexions qui l’avaient traversée sur la nature de son humanité semblaient avoir anesthésié sa prudence en même temps que sa peur. S'abandonnant à ce moment de flottement, songeuse, elle bougeait les articulations de ses deux lames en prothèses. Elles se frottaient en chuintant, et ce petit bruit familier lui procurait quelque apaisement dans la vacuité de sa contemplation.


Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyMar 12 Fév - 0:06
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  • Un véritable massacre. Si les académiciens de tous les pays devaient un jour trouver une situation qui illustrerait la notion de massacre, de pillage et de destruction, ce serait définitivement ce qui venait de se passer dans ce petit village au nom pittoresque. Meurtres, incendies, cambriolages, pillages, enlèvements… Tous les ingrédients nécessaires pour la confection d’un cocktail détonant. Et pour être détonant, il l’était assurément. Et cette musique, jouée dans une symphonie macabre, un orchestre funeste, raisonnait aux oreilles du colosse comme raisonnerait le plus beau des opéras dans celles d’un amoureux de l’art.

    Mais cette symphonie-ci ne devait pas durer aussi longtemps. Si les renseignements étaient justes, les troupes de l’UNE les plus proches se trouveraient à deux ou trois heures de marches du village, soit seulement quarante minutes de vol s’ils disposaient d’aéronefs. Aussi, les pirates décidèrent de ne pas rester plus d’une heure et demi sur les lieux de l’attaque, afin d’éviter au maximum de faire face aux forces de l’UNE, que celles-ci viennent de la terre ou de la mer. Si les pirates étaient encore dans les temps, les quelques quartiers-maîtres qui participaient à l’assaut ne cessaient jamais de regarder leurs montres à goussets. Le timing est important.

    Mais, il faut bien avouer qu’à cet instant, le colosse en poursuite se fichait pas mal de la notion de temporalité. Il fit tout son possible pour poursuivre la donzelle, mais il en perdit la trace durant plusieurs minutes, avant de la retrouver au sortir d’une demeure non touchée par l’attaque. Il se mit légèrement en colère contre lui-même lorsqu’il vit la donzelle sortir de cette maison. Il venait de passer les 5 ou 10 dernières minutes à tourner autour de cette propriété sans daigner jeter un œil à l’intérieur. Mais au moins, maintenant, il savait où elle se trouvait. Et il reprit la chasse.

    C’est qu’elle était très agile la demoiselle, vraiment très agile. Fort heureusement, les rues et ruelles étaient suffisamment larges et suffisamment dénuées de reliefs pour que le colosse puisse continuer de la suivre sans perdre sa trace, bien que cela lui demanda énormément d’efforts et entama encore sa patience.

    Et voilà que la chance se mit à lui sourire. La donzelle s’arrêta, s’appuya contre un mur pour reprendre son souffle – d’après ce que voyait Eylohr de là où il était – et faire face aux évènements qui se passaient en contrebas. Les explosions étaient encore nombreuses, les détonations n’en finissaient plus de bourdonner alors que de partout dans le village, on voyait apparaître de plus en plus de panaches de fumées noires. Et lorsque les détonations et les explosions ne suffisaient plus, l’air était animé des cris de paniques, de douleurs et de morts des victimes de cette attaque inhumaine.

    Eylohr souhaitait capturer cette demoiselle. Sa technologie, ses habits, sa manière d’être et de se défendre, tout indiquait qu’elle n’était ni une pécore du coin, ni une femme éloignée de ce que la vie pouvait offrir en opportunité. Elle avait certainement elle aussi une ou plusieurs activités lucratives, et peut-être que celles-ci pourraient être intéressantes pour le colosse toujours en quête de richesses et d’informations. Alors, il se faufila sur les côtés d’une maison, fit le tour du pâté d’habitation et déboula directement sur la gauche de la demoiselle qui ne se doutait visiblement de rien. Il tentait d’être discret, autant qu’il lui était possible compte tenu de sa masse et de sa taille. Un éléphant marchant sur du papier bulle serait aussi discret que lui. Alors, en prévision d’être démasqué, il s’arma de son revolver et le pointa en direction de la donzelle. Et lorsqu’il fut assez proche pour pouvoir tirer et toucher à coup sûr, et limiter les possibilités de fuite, il décida de se révéler.

    - B’jour mam’zelle. Bouge plus s’tu veux pas t’prendre un pruneau dans ton joli minois.

    Le ton était donné. Il ne savait pas encore ce qu’il allait faire à cette demoiselle, ni ce qu’il allait lui demander. Pour le moment, la seule option qui se présentait à lui, du moins, dans son esprit, était de l’enlever et de l’emmener avec lui. Peut-être offrait-elle une bonne compagnie ?

    - Ta amoché un d’mes gars donzelle. Avec une technologie qu’est intéressante j’dois dire. Reste tranquille, et c’s’ra pas douloureux pour toi. Qui t’es toi ?

Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyMar 12 Fév - 16:21
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Le vent soulevait ses cheveux et lui fouettait le visage, asséchait ses yeux, mordait sa peau blanche d’ouvrière. Elle ne comptait pas rester bien longtemps adossée à ce muret, seulement quelques minutes pour respirer. Ses pensées tournoyaient dans sa poitrine, des pensées terribles, mais du point de vue strictement émotionnel, elle ne ressentait rien d’autre qu’un peu de tristesse pour toutes ces vies brisées. Elle revoyait le gamin dont elle avait supporté le père, et qui ne devait pas avoir fait long feu après son départ. Aurait-elle dû l’emmener avec elle ? Ils seraient certainement morts tous les deux si elle avait fait ça. Et même s’ils avaient réussi à s’enfuir, que ce serait-il passé après ? Une vie de deuil aurait été infiniment plus douloureuse pour le garçon qu’une mort propre et immédiate.

S’apprêtant à quitter les lieux sur ces sombres perspectives, Diane retint son souffle et se figea. Le cliquetis de ses prothèses s’arrêta. Le vent avait faibli un instant, et son oreille distraite lui avait immédiatement envoyé un signal d’alerte. Craquements, respiration, frottements de tissus. Tout son corps se crispa, et le doute ne fut plus permis. Elle n’était pas seule, l’avait-elle jamais été depuis le début de sa fuite ? Au coin de son champ de vision, elle perçut du mouvement, distingua le canon d’une arme. Une menace, mais pas de coup de feu. A cette distance, on ne pourrait pas la manquer. Pourtant elle était toujours vivante ? Diane se maudissait de tous les noms de dieux qu’elle connaissait. Elle était si proche de s’en sortir, et il avait suffi d’un instant de distraction, d’un court abandon, pour qu’elle soit maintenant à la merci d’un revolver, et de son propriétaire. Un pirate ? Pas la milice, pas un local, un pirate. Maintenant sûr qu’elle ne pourrait pas s’enfuir, il sortit de l’ombre et se positionna devant elle.

Diane n’avait pas sursauté, c’est à peine si elle faisait cas de cette monstrueuse apparition. Toujours adossée au mur, elle suivit très calmement le colosse du regard jusqu’à ce qu’il s’immobilise à son tour, le canon de son arme pointé sur son front. Maintenant qu’elle le voyait de plain-pied, elle reconnut le pirate qui avait décapité le soldat au coin d’une rue, un peu plus tôt. Son hurlement de rage victorieuse résonnait encore dans son esprit comme le chant meurtrier du carnage. Déjà durant cette scène, elle n’était pas tout à fait sûre qu’il soit entièrement humain. Maintenant, elle en doutait sérieusement.

L’homme était un véritable arsenal sur pattes. Immense condensé de force brute, lourd et implacable, il arborait barbe et chevelure hirsutes, encadrant un regard d’un bleu étonnant. Le sang qui maculait son visage le rendait plus perçant encore. Et il était vraiment très grand, peut-être trente ou quarante centimètres de plus qu’elle. Intimidant. En réalité, elle peinait à distinguer un seul bout de peau qui n’était pas recouvert de sang frais, de résidus humains, de brûlures, de cicatrices, d’armes. Elle ne comprenait pas exactement pourquoi elle vivait encore, et décida simplement d’attendre en silence qu’on lui explique la raison de cette improbable miséricorde.

« B’jour mam’zelle. Bouge plus s’tu veux pas t’prendre un pruneau dans ton joli minois. »

La mam’zelle en question ne put s’empêcher d’hausser les sourcils. Elle n’avait pas spécialement prévu qu’on lui sorte ça comme ça. De la bouche du géant, la formule de politesse … non, en fait toute la phrase dans son espèce de révérence maladroite, toute cette situation semblait tirée d’une pièce de théâtre douteuse. Elle sentait ses doigts trembler sans qu’elle puisse les contrôler, mais n’avait pas vraiment peur. Sans qu’elle puisse se l’expliquer, elle ne se sentait pas en danger immédiat. A part ce revolver pointé sur elle pour la forme, rien dans l’attitude du colosse ne marquait de réelle agressivité, et il semblait avoir des choses à lui dire.

« T’as amoché un d’mes gars donzelle. Avec une technologie qu’est intéressante j’dois dire. Reste tranquille, et c’s’ra pas douloureux pour toi. Qui t’es toi ? »

Elle n’en revenait pas, tout ça ne faisait aucun sens. Le pirate l’avait donc vue affronter son homme, et la seule chose qu’il en retenait, c’était les prothèses de ses doigts ? Si ce regard n’était décidément pas si bleu, si bizarrement lucide, elle l’aurait volontiers affublé d’une sérieuse idiotie. Immobile toujours, puisqu’on lui demandait si gentiment, Diane rendit au pirate cet intense décryptage de son œil vert d’eau. Sans sourire, sans rien laisser transparaître des doutes qui l’assaillaient, elle se dit qu’au final, il valait mieux nager dans le courant.

« Je m’appelle Diane. Je suis journaliste à Cerka. »

Deux informations qu’elle ne pourrait pas cacher bien longtemps s’il ouvrait son sac et trouvait ses papiers d’identité ainsi que les notes de son interview de la matinée. Malgré tout, elle voulait éviter d’en dire trop, et décida que ces quelques notions suffiraient bien pour l’instant.

« Je ne suis pas désolée pour ton homme, il l’avait bien cherché. Quant à ma technologie … » Elle leva lentement sa main gauche, prudemment, pour qu’il n’y voie aucune intention belliqueuse, et montra les deux lames encore à découvert, la pierre imperturbable et l’acier scintillant au soleil. « Tu veux parler de ça ? Ce ne sont que de simples prothèses mécatroniques, les plus simples et les moins chères du marché. »

Elle actionna le mécanisme qui permettait de leur rendre une apparence de doigts cuivrés, puis les plia à nouveau et les lames jaillirent en silence sous les yeux du pirate. Elle l’observa durant ce petit manège, et constata qu’une indéniable fascination s’était peinte sur le visage ensanglanté. Intéressant. Avait-elle entre ses doigts le moyen de se tirer de cette histoire sans y perdre trop de plumes ? Elle l’espérait. Et en même temps, l’intérêt que lui portait le corsaire piquait sa curiosité. Etait-ce là l’enclenchement d’une machinerie qui la dépassait, qui l’emmènerait là où ses rêves même ne l'emmenaient jamais ?

« Qu’est-ce que tu me veux, pirate ? »
Si je dois mourir je préférerais que ça soit devant la mer.

Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyMar 12 Fév - 19:21
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  • A dire vrai, Eylohr n’en avait absolument rien à faire de ce pirate blessé. Il en avait perdu d’autres durant cet assaut, et il en perdrait d’autres plus tard. Ses aventures apporteraient très certainement leurs lots de cadavres, de blessés, d’horreurs et de douleurs. Si lui s’en accommodait, trouvant dans la douleur une sorte catalyseur à ces réactions, nul doute que le commun des mortels voyait ses agissements sous un mauvais œil. La douleur, plus qu’une information, était sa source d’énergie. La douleur des autres mais également la sienne. Chaque taillade, chaque impact, chaque coup, permettait au colosse de justifier d’une conduite violente. Aussi ne ressentait-il aucune gêne ni aucune pitié pour ceux qu’il écrase, et ceux qui souffrent, qu’ils soient face à lui ou à ses côtés. Et puis, pour être honnête, ce corsaire avait été fort, il avait été rude, mais il avait failli. Aucun moyen de lui faire confiance dorénavant, si même une donzelle arrivait à le neutraliser en quelques coups.

    -J’suis pas désolé pour c’morveux non plus, Diane.

    Il avait répondu cela avec une froideur déconcertante. S’il n’était pas le plus chaleureux des personnages en temps normal, il l’était encore moins lorsque son esprit s’adonnait à cette folie passagère. Enfin, pour ce qu’elle avait de passagère.

    Le fait d’être figé, d’être éloigné des brasiers des maisons et des mansardes de pêcheurs, et d’avoir la peau humide et imbibée de sang exposée aux éléments extérieurs, lui rappela qu’il n’avait pas l’éternité devant lui pour obtenir le maximum de renseignements qu’il souhaitait. D’ailleurs, les quelques poils qui n’étaient pas collés à ses bras, commencèrent à s’hérisser sous les assauts du vent froid, réflexe primitif de l’organisme face à des température un peu trop basses pour lui. Ou était-ce une réaction extérieure à un plaisir pervers psychologique ? Nul ne le saurait jamais.

    La question de la journaliste eu l’avantage de ramener son esprit à ce qu’il était en train de faire. Il dévisagea une nouvelle fois la frêle jeune femme, qui devait certainement peser 3 ou 4 fois moins que lui. Si l’ogre décidait de s’en prendre à elle, la pauvrette finirait aplatie sous une montagne de muscle visqueux. Abuser d’elle ? Elle ne s’en remettrait jamais. Et pourtant, la donzelle avait des attributs convaincants, et la facilité avec laquelle elle s’était déplacée dans les rues et ruelles laissaient imaginer une forme physique avantageuse. Aurait-il des scrupules à détruire sa vie ? Pas le moins du monde.

    - j’sais pas encore donzelle. C’va d’pendre d’toi. Avance.

    Il avait prononcé ces mots avec une voix grave et inquiétante. Il força volontairement sur le côté rugueux de sa voix afin que puise peser encore plus, la menace qui pend au-dessus de la tête de la demoiselle. Nul doute qu’elle se doutait que, si elle tentait de fuir ou de combattre, elle se retrouverait avec un trou dans la poitrine, de la taille du poing du colosse, et qu’elle finirait sa vie ici, avec d’autres victimes qui n’avaient rien demandé. Alors, toujours le revolver levé vers elle, prêt à faire feu, il l’emmena en direction du carnage, tout en réfléchissant à ce qu’il allait faire d’elle.

Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyMar 12 Fév - 23:38
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Le pirate gardait un air renfermé et n’essayait pas vraiment de se donner une attitude plus sympathique. Diane comprenait à peu près que cela faisait partie de la mise en scène du moment, qu’il devait garder une certaine contenance face à elle, et elle respectait ça. N’importe quel autre agresseur aurait eu droit à son cynisme mordant, car elle mettait le panache au sommet de ses valeurs et ne mourrait pas sans en avoir fait preuve une dernière fois. Mais lui ne rigolait vraiment pas. Elle se garda donc de le provoquer, pour l’instant du moins. Elle jaugerait avec le temps le taux de dangerosité du personnage et de ce qu’elle pouvait se permettre avec lui.

« J’suis pas désolé pour c’morveux non plus, Diane. »

Elle se permit un sourire quand son nom si cristallin résonna dans la bouche rude du corsaire. Un morveux de 120 kilos, pourquoi pas après tout, on en voyait tous les jours. La jeune femme se demandait si tous les pirates étaient aussi monstrueusement bâtis. Elle ne doutait pas de l’efficacité de la force brute, mais croyait encore plus à la finesse et à l’agilité. C’est ce qui rendait sa vie dans les rues de Cerka bien plus simple. Les gros balourds étaient des cibles lentes et faciles, alors qu’avec sa seule habileté elle se tirait de toutes les anicroches, prenait de court tous ses adversaires. Elle se demandait ce que cela donnerait sur un bateau, où plus que jamais la loi du plus fort s’appliquait sans pitié.

A la question qu’elle avait posée sans vraiment attendre de réponse, le corsaire répondit en grondant quelque chose qui ne la rassura pas des masses. Il ne savait pas ? ça dépendrait d’elle ? Alors quoi, il allait juste la garder sous l’aile en attendant de lui trouver une utilité ? Tout était possible. Elle n’avait pas grand-chose à lui offrir, et craignait qu’il soit déçu de ce qu’elle répondrait à ses éventuelles questions. S’il s’était agi de quelqu’un d’autre que Diane, la perspective de rester prisonnière au milieu d’une horde de pirates sans foi ni loi aurait sûrement paru moins supportable qu’une mort immédiate. Mais la journaliste ne savait que trop comment relativiser sa situation, et trouvait qu’elle s’en sortait bien au final. Tant qu’on ne la touchait pas, elle se sentait parfaitement apte à coopérer avec cette espèce d’ours ensanglanté. Quand le moment viendrait de la jeter après utilisation, elle aurait bien eu le temps de réfléchir à un moyen de se tirer d’affaire. Elle ne reculerait devant rien, quitte à faire exploser le fichu bateau vers lequel on semblait vouloir la mener. Pourtant…

« Je n’ai pas l’intention de me rebeller, crois-moi. »

Le géant se positionna près d’elle et lui fit signe d’avancer, le canon inexorablement pointé sur elle. Docile, elle se détacha du mur et se mit en marche. Le vent leur faisait face, et elle ne portait qu’un fin veston par-dessus sa chemise et son corset. Le froid ne la dérangeait pas en temps normaux, mais cela faisait un moment que celui-ci mettait à rude épreuve ses doigts et son visage exposés. Elle mit ses mains dans ses poches et commença à descendre les rues du village. Plus ils se rapprochaient du port, plus les odeurs, les bruits s’intensifiaient. Le gros du carnage était déjà passé, et il ne restait pas grand monde de vivant autour d’eux. De temps à autre, on apercevait une ombre passant clandestinement d’une maison à l’autre, une silhouette accroupie au-dessus d’un cadavre pour lui soutirer ses possessions. Mais Diane comprit à la dynamique générale que tout le monde se dirigeait plus ou moins vers le navire. Elle jeta un petit regard de côté pour vérifier que le revolver la tenait toujours dans sa visée, enjamba un corps et inspira profondément.

« Comment je dois t’appeler ? J’avais songé à Monsieur, mais pas sûre que ça soit vraiment approprié. » Diane avait l’insolence facile, mais se gardait de poser un pied sur ce terrain pur l’instant. Sa question était réellement intéressée. Elle se fascinait pour les récits de piraterie depuis l’enfance, et ne serait même pas étonnée de connaître le géant de réputation s’il lui disait son nom.

Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyMer 13 Fév - 12:30
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Pérégrins -2

  • La journaliste avança, sans sourciller, sans se rebeller et, pour le moment, sans même poser de questions. Incroyable pour quelqu’un pourtant habitué à questionner, à chercher, à tourner et retourner dans tous les sens les mots, les actions, les péripéties et les déclarations diverses et variées, afin d’en extraire l’essence, les langues de bois, les faux semblants et les circonvolutions traditionnelles à la politique, par exemple. Ici, rien de tout cela. Si le colosse ne doutait pas que la matière grise de la donzelle était en ébullition, il fut fort étonné de ne voir aucune de ces réflexions transparaître dans une multitude de questions. Au lieu de cela, elle avança, inexorablement, vers le navire qui se faisait de plus en plus proches. Elle ne s’en doutait pas, mais sa liberté allait bientôt être entravée, et pas qu’un peu.

    Elle ouvrit enfin la bouche pour signifier au colosse qui continuait de la tenir en joug qu’elle ne tenterait pas de s’enfuir. Quelle louable attention. Il faut dire que, maintenant, tout entourée de forbans, de corsaires et de pirates, il valait mieux pour elle qu’elle reste bien tranquille et qu’elle ne dévoile aucune animosité.

    Tous deux, ils retournèrent vers le navire, et rejoignirent les lieux du village qui furent les plus touchés. Par endroits, certaines demeurent furent touchées par deux ou trois obus, et furent réduites en cendres. D’autres étaient à moitié détruites, éventrées comme le serait un ventre offert à un fusil un peu trop puissant. Dans une de ces demeures, il fut offert à la vue du duo un spectacle macabre. Une famille toute entière avait été carbonisée dans la salle de vie, et leurs corps brulés, meurtris et carbonisés étaient restés soudés les uns les autres, dans une position dramatique. L’un protégeant l’autre, les enfants se trouvant encore entre les deux parents. Un spectacle horrible à voir, qui ne fit ni chaud ni froid au colosse. Des victimes de plus, c’était sa la guerre.

    Ils continuèrent à avancer, rejoignant bientôt une place du village qui servait maintenant de centre logistique. Les blessés étaient ramenés vers le navire, les mots étaient entreposés, et les hordes d’esclaves, elles, étaient emmenées en file indienne vers les navires, chaines aux poings et aux pieds. Si la journaliste et le colosse rejoignirent ces hordes, Diane ne reçut ni fers, ni entraves. Un traitement de faveur ? Peut-être bien. En réalité, le colosse continuait à se demander ce qu’il allait faire d’elle, et cherchait à utiliser au maximum les capacités de cette donzelle.

    Si elle devenait, malgré elle, la porte-parole du colosse durant un temps, elle pourrait étendre sa réputation, sa menace, et sa légende, aux quatre coins du continent. Cela n’était pas à négliger, loin de là. Mais chaque médaille à son revers, et celui-ci pourrait être réellement handicapant. Un tel physique, une telle brutalité, marquerait à coup sûr les esprits, et le colosse, qui ne passait déjà pas inaperçu, serait forcément découvert au moindre accostage.

    Sa réflexion fut troublée puis évaporée comme neige au soleil lorsque la journaliste daigna enfin poser une question. Son nom. Elle voulait savoir son nom. Comme dit le dicton : « chassez le naturel, celui-ci revient au galop ». On ne pouvait pas être journaliste que durant les heures de travail, et derrière un bureau ou un calepin. On était journaliste quoi qu’il arrive, et l’adrénaline et la panique avaient dû suffisamment disparaître pour qu’elle puisse reprendre le dessus sur ses réflexions. Le colosse commença donc à se méfier légèrement d’elle. Après tout, elle avait réussi à neutraliser un de ses hommes en plein milieu d’un combat, dans un moment de panique et d’adrénaline. Maintenant qu’elle semblait avoir repris ses esprits, que pourrait-elle faire, une fois en pleine capacité de ses actions et de ses décisions ?

    Toujours le revolver braqué sur la donzelle, il ne prit pas le temps de répondre et lui intima l’ordre d’avancer. Tous les deux, ils prirent le chemin de la plage, montèrent dans une barque manœuvrée par un duo de pirate exténué après des dizaines d’allers et retour pour ramener les victuailles à bord, et se retrouvèrent sur ledit navire pirate. Eylohr emmena la donzelle dans une des geôles du navire, mais cette geôle était séparée des autres par plusieurs murs et salles, lesquelles étaient pleines de victuailles. Ces cellules étaient, normalement, réservées aux mutins qui allaient être exécutés et qu’il fallait éloigner des autres prisonniers et de l’équipage afin que leurs funestes messages ne puissent plus trouver d’oreilles attentives. C’était glauque, la cellule était humide, rouillée, les rats allaient et venaient sans aucune menace au-dessus de leurs têtes, mais c’est là qu’elle devrait demeurer maintenant. Enfin, le temps que le colosse finisse avec elle.

    Sans un mot, il lui offrit un tabouret qu’il dépoussiéra d’un geste rapide de la main. Et lui, en face, prit également un tabouret et s’y posa, sans jamais enlever la menace de son calibre. Durant quelques secondes – qui purent paraître gênantes – il regarda la donzelle sans sourciller, ses yeux braqués sur les siens, dans l’attente de quelque chose. Mais quoi ? Finalement, il ravisa son regard et le porta maintenant sur lui-même, sur son armure, laquelle était bardée de munitions et d’armes. Dans une des sacoches de cuir se trouvait de quoi fumer. Il sortit une cigarette qui avait l’air minuscule entre ses doigts, la porte à sa bouche, et l’alluma grâce à une allumette qu’il frotta contre la plaque d’acier de son abdomen. La flamme fut vive, et brula le tabac qui libéra une odeur âcre et peu ragoutante. Il prit une grande bouffée, et gratifia l’atmosphères des volutes expirées. D’un geste, il passa sa main dans sa longue et large barbe, et fit de même avec sa crinière qu’il replaça derrière lui.

    - L’géant du Nord, c’comme ça qu’on m’appelait par chez moi. Mais t’peux p’t’être me connaître comme « l’Ours du Nord ».

    Sa voix, volontairement rendue plus grave et même suave, délivra ce message à l’essence chargée d’un passé trouble et horrible. Il savait que son surnom était de plus en plus connu, et pas pour de bonnes choses. Cette publicité gratuite, il ne pouvait finalement pas s’en passer. Si les forces de l’UNE allaient encore plus être à sa recherche, les anarchistes, les délaissés, les utilisés, les manipulés, et les criminels chassés par l’UNE, trouveraient certainement en lui l’image d’un chef, d’un leader, qu’ils pourraient suivre dans leur guerre contre ce continent qui avait détruit tant de vies.

    T’as d’jà entendu parler d’moi donzelle ? t’auras p’t’^être besoin d’un carnet pour c’qui va suivre. il prit une grande bouffée sur sa cigarette déjà presque terminée. Il posa de nouveau son regard froid sur la demoiselle face à elle, sans défense apparente, et reprit. T’as des questions ?

Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyJeu 14 Fév - 0:54
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Leur promenade, si l’on pouvait l’appeler ainsi, aurait été plutôt agréable si elle ne se déroulait pas au milieu d’une hécatombe comme l’histoire en avait rarement témoigné. L’atmosphère légère et froide de janvier était souillée de sang et de larmes. Autour d’eux, les pires scènes de massacres pouvaient être reconstituées à partir de l’état des cadavres. Tout semblait avoir été fait. Carbonisation, décapitation, viol, démembrement, les pirates avaient fait preuve d’une grande imagination. Maintenant qu’il n’y avait plus aucun survivant sur les lieux du pillage, ils s’affairaient tous avec un grand professionnalisme à récupérer chaque petite richesse pour rentabiliser l’effort physique demandé par l’assaut. En marchant, Diane les regarda chacun avec curiosité, mais surtout avec un certain mépris. Elle trouvait leur façon de faire proprement indigne. Piller pour vivre, pourquoi pas, certains politiciens faisaient des choses bien moins éthiques pour s’assurer une belle vie chez les Astraux. Mais elle n’arrivait pas à voir en quoi la souffrance infinie qu’ils laissaient dans leur sillon, en quoi tout ce sang et cette misère apportait quoi que ce soit à leur lustre. C’était un mode de vie bien sale que la piraterie. Sale, et surtout orgueilleux – il fallait vraiment se croire très important pour pouvoir ôter tant de vie sans plus de considération. Elle se demandait si elle serait capable de s’abaisser à ce genre de massacres. Pour survivre oui, certainement. Pour le simple plaisir ? Certainement que non. Elle n’en savait rien.

Sa question ne trouva pas de réponse, mais elle ne s’en formalisa pas. Après tout, elle pouvait comprendre qu’il ne veuille pas trop en dire sur lui, c’était un criminel de la pire espère qui devait être recherché partout sur le continent. Avec son travail, Diane en voyait passer des avis de recherche mettant à prix la tête de corsaires dans son genre, mais elle n’avait souvent que des surnoms et des descriptions vagues à coller dessus. Peu de gens croisant un pirate d’assez près pour le décrire survivaient à cette rencontre pour en parler. Et des colosses barbus, c’était pas ça qui manquait dans le milieu. Ils atteignirent la plage et embarquèrent dans une petite chaloupe sous le regard étonné d’un autre corsaire. Diane lui rendit son œillade avec un sourire goguenard, consciente de la délicatesse de sa position mais aussi du fait que son ravisseur semblait tenir à la garder opérationnelle pour le moment. Elle n’avait pas de grandes chances de survivre à cette histoire de toute manière, alors autant profiter de son privilège. Et puis le colosse barbu semblait plutôt bien placé dans la hiérarchie de ce petit équipage. Elle était curieuse de voir ce que ça donnerait si on lui faisait une remarque sur sa petite otage.

L’enfance de Diane avait été sauvée du naufrage intellectuel par la profusion de livres qu’elle avait dénichés, et en premier lieu par les contes et les légendes de son étrange monde bipolaire. Et de toutes ces histoires, celles parlant de pirates étaient ses préférées. Elle avait longtemps rêvé de grands voyages sur un trois-mâts, de combats au sabre, de richesses et de liberté. Inconsciente de la réalité de ce monde bien plus sombre et bien moins poétique, elle fouillait les journaux à la recherche de faits divers les concernant, connaissait sur le bout des doigts les noms des plus grands capitaines, de leur navire et l’emplacement légendaire de leur trésor caché. Alors même si ces fantasmes commençaient à dater, ils continuaient de remuer les sentiments de la jeune adulte qu’elle était devenue, et la seule perspective d’entrer enfin dans un de ces bateaux floqué noir infusait en elle une excitation, une fébrilité presque malsaine compte tenu de sa position. Ils atteignirent le pont principal, toujours sous le regard méfiant des membres de l’équipage, et Diane fut étonnée de voir autant de blessures sur les torses, autant de fatigue sur les visages. Elle n’avait pas imaginé que quiconque puisse leur tenir tête dans ce tout petit village de pêcheurs sans gardes, sans police. Heureusement, elle ne vit pas le pirate qu’elle avait estropié, car elle n’était pas sûre qu’on la laisse bien longtemps respirer en apprenant ses exploits.

S’abreuvant de tout ce qu’elle voyait comme devant un monument magnifique, elle se laissa embarquer dans la cale, puis jusque dans ce qui semblait être une cellule. Humide, pleine de vermine, elle avait cependant l’avantage de la laisser loin des autres marins. Dès qu’elle eut posé le pied dans la petite pièce sombre, Diane ferma les yeux et refit le chemin inverse dans son esprit. Juste au cas où la porte se fermait mal, on ne savait jamais. Cela lui prit une seconde, au bout de laquelle elle fut rassurée de constater que sa bonne mémoire ne l’avait pas abandonnée. Puis elle prit place sur le tabouret que son geôlier lui avait très aimablement dépoussiéré, et croisa les jambes dans une position qu’elle voulait détendue. Quelle étrange manière de s’occuper de ses prisonniers. Vraiment, elle devait avoir une quelconque importance qui la dépassait encore pour qu’on la mette ainsi à l’aise. Puis elle rendit son regard au pirate qui la fixait, tentant de décrypter les intentions qui l’animaient, attendant patiemment qu’il lui explique ses intentions. Elle avait appris à lire les visages quand ceux-ci se laissaient plus ou moins faire. Mais en face d’elle ne se trouvait qu’une figure rude et fermée, rien de plus qu’un constant froncement de sourcils, du sang séché et beaucoup de pilosité. Rien à tirer de son expression. Il n’y avait plus qu’à attendre les mots.

« L’géant du Nord, c’comme ça qu’on m’appelait par chez moi. Mais t’peux p’t’être me connaître comme l’Ours du Nord » lâcha-t-il enfin gravement après avoir tiré quelques taffes de sa cigarette. Diane connaissait le surnom pour l’avoir lu plusieurs fois dans les journaux, mais ne croyait pas l’avoir croisé ailleurs que dans des dépêches, des petits encadrés, des avis de recherche. Il était jeune, sa carrière de sang était encore toute à faire, mais il n’était décidément pas complètement inconnu. Elle n’arrivait pas à décider si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle pour elle.

« T’as d’jà entendu parler d’moi donzelle ? t’auras p’t’être besoin d’un carnet pour c’qui va suivre. »

Cette fois-ci, la jeune femme n’essaya même pas de cacher son étonnement. Et maintenant il lui demandait si elle avait des questions. Eh quoi, ça se transformait en interview cette histoire ? Diane le scruta encore plus intensément, complètement intriguée par ce surprenant géant. Si on lui avait dit qu’elle finirait sa journée par un entretien privé avec l’Ours du Nord, elle aurait éclaté de rire et parié ses lunettes qu’on se fichait d’elle. Elle laissa quelques secondes s’écouler à son tour, puis haussa les épaules et tira son nécessaire à écrire de sa sacoche. Après tout, puisqu’il semblait y tenir …

« J’ai déjà entendu parler de l’Ours du Nord, en effet. Faut dire que tu passes pas spécialement inaperçu, un pirate gigantesque portant sur lui une douzaine d’armes différentes et semblant avoir beaucoup d’affection pour sa pilosité … c’est vendeur. »

Elle écrit le titre au sommet d’une nouvelle page et se rendit à nouveau compte de l’absurdité de la situation. Elle redressa rapidement son regard vers lui, décidée à en apprendre plus. A la fois sur lui, et sur le sort qui lui était réservé, quitte à user de mauvais tours pour lui tirer les vers du nez.

« Je dois dire que je suis un peu … surprise de la tournure des événements, et des questions j’en ai un million. » Son ton était fortement teinté d’ironie, parce que vraiment, tout cela frôlait le ridicule. « Mais d’abord : à quoi ça rime, ce tête-à-tête ? va falloir m’expliquer un peu mieux ce que tu veux dire par « ce qui va suivre » parce que, désolée, mais dans ce genre d’environnement ça laisse la place à pas mal de scénarios catastrophes. »

Diane détailla à nouveau le pirate, comme si elle trouverait des réponses dans les replis de cette carrure indécente, mais tout ce qu’elle trouva de nouveau, ce fut le bouillonnement discret de plaies ouvertes sur les flancs de son geôlier. Elle haussa les sourcils et les désigna du menton, sa voix se teintant d’un peu moins d’acidité.

« Au fait l’Ours, tu es blessé. Faudrait nettoyer et recoudre ces vilaines plaies avant que tu chopes le tétanos. »

Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyJeu 14 Fév - 9:16
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  • Comme il l’aurait parié, la jeune journaliste fut fortement surprise de ce qui était en train de se jouer. Sans doute s’attendait-elle à devenir le jouet macabre d’une troupe de pirates, à finir nue au milieu d’une fosse souillée, à se retrouver sous une lame menaçante, prête à lui retirer la moindre parcelle de vie. Au lieu de tout cela, et après un véritable massacre qui resterait quelques temps dans les annales de Rathram et les esprits des habitants, elle était en vie, en un seul morceau, dans une cellule isolée des autres, face à un monstre ensanglanté et au comportement presque doux, comparé à celui qu’il avait fait paraître plus tôt. Elle avait raison, tout cela était absurde. Du moins pour elle.

    Face à ses paroles, et au fait qu’elle s’exécute sans le moindre problème, Eylohr fut, à son tour, très surpris. Mais sa stupeur fut plus ou moins rapidement masquée par la témérité et la facilité de réponse cinglante de la demoiselle. Elle ne semblait pas apeurée, ou alors, cette peur potentialisait son côté satirique et rebelle. Toujours est-il que le colosse se rendit compte que la situation pouvait s’inverser, et que, si cette donzelle pouvait lui fournir un moyen sans précédent de faire parler de lui, elle pourrait également et habilement prendre le dessus sur la situation. Et cela il en était hors de question.

    Il se figea. Durant une ou deux secondes, Eylohr semblait s’être transformé en statut de marbre. Ni émotion, ni respiration, aucune vie ne semblait transparaître jusqu’à-ce qu’enfin un clignement d’œil suivit d’un brusque mouvement ne vienne tout changer. Brusquement, le colosse se releva. Sa cigarette en main, ses deux revolvers sur la poitrine et ses lames à la ceinture, il fit deux pas vers la donzelle, réduisant ainsi la distance entre elle et lui, et le plus froidement du monde, lui lança sa cigarette incandescente dans son corset.

    - Scénario catastrophe hein ? C’qu’on verra donzelle.

    Et il fit demi-tour, sortit de la cellule et la referma à double tour, s’assurant au passage de la solidité de la cage en tirant sur un barreau, avec une force non dissimulée.

    La donzelle n’avait pas tors sur un point, le colosse était blessé. Et si les plaies ne saignaient plus, elles étaient encore ouvertes et offertes aux infections. Il fallait les nettoyer. Il se rendit donc dans ce qui lui servait de quartier, qu’il partageait avec d’autres quartiers maîtres. Il retrouva ses affaires et déposa sa grande et fidèle hache, sa lame, son fusil, et se délesta temporairement de son armure de cuir et d’acier afin de s’occuper de ses plaies. A travers un miroir terni, il put observer la situation. Il fallait nettoyer, et cautériser. Dans un des meubles se trouvait de produits désinfectants, comprenez de l’alcool presque pur. Il aspergea ses flancs qui se firent très douloureux, et lui arrachèrent quelques grimaces. A l’aide d’une compresse improvisée dans un t-shirt encore propre – ou pas – il essuya le trop plein d’alcool. Il ne manquait plus que de refermer la plaie.

    D’un coup de dent, il arracha les ogives de deux balles de son fusil et déversa la poudre dans la plaie d’un de ses flancs, en se tordant dans des positions impossibles afin que rien ne puisse tomber. Il craqua une première allumette, l’approcha de la plaie alcoolisée et pleine de poudre noire et y mit le feu. La poudre s’enflamma, s’embrasa dans une température énorme et instantanée. Le crépitement des flammes et de la poudre en combustion dura plusieurs secondes et arrachèrent de grandes grimaces au colosse qui arrêta de respirer le temps de cet effort douloureux. Lorsque toute la poudre fut brulée, la plaie était enfin cautérisée mais il fallait tout de même la protégée, juste au cas où. Mais à cet instant, le colosse ne s’en doutait pas réellement. Il s’occupa du flanc opposé, répéta l’opération, et souffrit encore quelques secondes dans l’espérance d’une guérison prochaine. Cela lui ferait encore de belles cicatrices.

    Enfin, il avait terminé son opération. Il prit une grande respiration, comme s’il venait d’être libéré après des années de prison. Il s’appuya sur son lit quelques secondes, alors qu’il restait assis. Il laissa sa respiration se calmer, mais les douleurs réveillèrent en lui cette folie furieuse qui sommeillait alors, repue qu’elle était par le bain de sang du jour. Il reprit le chemin de la cellule, après avoir remit une chemise propre, son armure et ses deux revolvers. Pas besoin du reste. Une fois revenu, il rouvrit la cellule, y entra et reprit sa place sur le tabouret, les flancs encore plus endoloris que lors de sa première entrevue avec Diane.

    - Alors donzelle, t’es disposée ou t’veux encore jouer les dures à cuir ?

Diane Stëelk
Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyVen 15 Fév - 17:21
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Le bateau et son roulis tiraient à Diane quelques grimaces occasionnelles, mais rien d’insurmontable. Dès qu’elle fut assise sur son tabouret branlant, le mal disparut pour ne laisser d’une pleine attention à tous les éléments de sa capture. La cellule était visiblement peu utilisée, mais à part les rats, elle ne présentait pas de véritable faille sécuritaire. Car les rats grignotaient leur chemin, et affaiblissaient les interstices par lesquelles elle pouvait peut-être envisager une façon de quitter les lieux, mais c’était plus qu’improbable. L’Ours la gratifia d’un regard mauvais quand elle lui posa sa question avec une pointe d’humour. Elle avait donc déjà outrepassé les limites de la tolérance ? Le pirate s’était immobilisé brusquement, plus sinistre que jamais. Il semblait réfléchir intensément à l’angle par lequel il allait l’écraser. Et après quelques secondes qui parurent une éternité, il se leva, la toisa, fit un pas. Et lança sa cigarette encore allumée dans le décolleté de la jeune femme.

« Scénario catastrophe hein ? C’qu’on verra donzelle. »

Diane fourra précipitamment sa main dans son corset pour y récupérer le mégot. Elle avait à peine senti la brûlure de cigarette mais la poitrine était une zone sensible, et en grimaçant, elle observa le pirate quitter la cellule sans plus d’explications. Dès qu’il eut violenté la porte pour prouver sa solidité et qu’il eut disparu de sa vue, Diane se leva et alla récupérer un peu d’eau froide d’une fuite au plafond pour soulager la morsure de la brûlure. Pensive, elle marcha un peu dans son alcôve. Elle reconnaissait cette attitude. Il semblait agir comme ces politiciens à qui l’on posait des questions un peu délicates, et qui demandaient quelques minutes pour réfléchir. Ou pour quitter les lieux. Est-ce que le grand Ours du Nord prenait la fuite ? Elle doutait que ce départ impromptu fut destiné seulement au soin de ses plaies. Le fait qu’elle lui rappelle semblait avoir réveillé la douleur, et il n’avait pas l’air très en forme. Mais quoi, lui faisait-elle peur ? Elle n’avait vraiment rien d’intimidant, et était complètement à sa merci. Alors qu’est-ce que le mettait si mal à l’aise ? Lui qui avait à son effectif un équipage complet, des richesses, des armes, il ne devait manquer de rien.

N’entendant plus de signes d’activité, la journaliste entreprit de vérifier chaque petit recoin de sa cellule pour y trouver d’éventuelles failles. Il n’y avait pas de fenêtre, donc pas de risque de ce côté-là. Le parquet était solide, à part quelques planches un peu moisies mais pas au point de pouvoir être arrachées. La lumière provenait de l’extérieur, et même si elle arrivait à mettre la main sur une flamme, tout n’était qu’humidité ici. Les barreaux étaient solides et pas assez larges pour qu’elle puisse glisser plus qu’un bras, peut-être une cuisse. Dans son sac, rien ne pouvait l’aider. Elle se rendit compte avec surprise qu’elle portait encore sa dague à la cuisse. Elle avait beau être dissimulée sous sa jupe, le pirate n’avait même pas jugé nécessaire de la fouiller, à aucun moment de leur confrontation. Elle aurait pu cacher des explosifs dans son sac, du poison dans ses poches. Et même si elle ne devait pas être très intimidante, n’importe qui avec un couteau et un peu de jugeote tenterait de se tirer d’affaire à un moment ou un autre. Lancer une lame ne demandait pas de grandes capacités, et elle pourrait très bien attendre qu’il lui tourne le dos pour viser sa nuque. Elle ne le ferait pas car son instinct lui disait que le géant n’en ferait pas grand cas, mais décidemment, c’était trop étrange.

Le pirate revint quelques minutes plus tard. Diane l’attendait sagement, assise par terre, contre le mur de sa cellule, face à la porte barrée. Elle l’observa entrer, et immédiatement une horrible odeur de chair brûlée et de poudre lui assaillit les naseaux. Elle lança un regard scandalisé à son geôlier en comprenant ce qu’il venait de faire avec ses blessures. Etait-il complètement stupide ? De ce qu’elle avait vu, ses plaies étaient profondes mais nettes, et il n’y avait pas d’urgence pour qu’il utilise une méthode aussi barbare et peu efficace. Brûler ses plaies, par tous les Architectes, quelle idée absurde. Même elle savait recoudre une blessure, et elle refusait de croire que personne sur ce bateau n’avait de connaissances élémentaires en médecine. Même pas en médecine, seulement en premiers soins ! Elle s’abstint cependant de commentaire. Le message de la cigarette était passé, elle n’outrepasserait plus les limites de sa position.

« Alors donzelle, t’es disposée ou t’veux encore jouer les dures à cuir ? »

La jeune femme leva les yeux pour les planter dans ceux du pirate, et ne pipa mot. Moi, la dure à cuire ? Alors que c’est toi qui vient de te brûler les flancs sans raison pour prouver que tu pouvais encaisser la douleur ? Comme ça il voulait qu’elle se tienne tranquille. Mais elle l’avait fait. Et s’il était incapable de faire la part des choses, entre provocation et réel danger, elle ne voyait pas pourquoi elle devrait coopérer avec lui. Contrairement à ce qu’elle avait d’abord cru, il semblait manquer cruellement de jugeote, et c’était un défaut que Diane ne pardonnait pas. Alors il voulait qu’elle soit une petite créature faible et soumise, sans verve et sans intérêt ? Eh bien parfait, elle lui donnerait ce genre de prisonnière. Mais qu’il ne s’étonnât pas s’il se retrouvait avec un manche de poignard dans la gorge à la moindre inattention. Pas de pitié pour les idiots.

« Je suis désolée. Je ne te manquerai plus de respect. »

Elle lâcha ces mots avec un ton bien différent, presque apeuré, bien qu’en son for intérieur, elle aurait voulu lui cracher au visage. Parce que de tout ce qu’elle avait dit auparavant, rien n’avait été irrespectueux. Seulement une tentative de poser de bonnes bases à ce qui s’annonçait comme un long moment de confrontation. Elle se releva, retourna sur son tabouret et s'assit dans un position plus discrète, moins pleine d'aplomb que son croisement de jambe précédent. Là elle posa ses mains sur ses genoux et s'efforça de prendre une voix calme, douce, un peu tremblante.

« Où allons-nous ? Pourquoi m'as-tu épargnée ? Je m’excuse, mais je ne sais toujours pas ce que tu attends de moi. Je dois te poser des questions, mais à quelle fin ? Quel genre de questions ? »

En disant cela, elle ne laissa pas transparaître son exaspération, mais c'était difficile, car elle avait déjà envie d'en finir avec cette farce barbue. La requête était légitime, elle ne pouvait rien faire qui ne parût déplacé tant que le géant ne lui précisait pas ses réelles intentions, et elles semblaient bien précises. Une fois qu'elle en saurait plus, qu'elle aurait tiré des informations de ce gros taciturne, peut-être qu'elle trouverait un moyen d'améliorer sa situation.

Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyVen 15 Fév - 18:06
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Pérégrins -2

  • Les mots de la donzelle résonnèrent comme un son doux et agréable. Oh, on ne pouvait effectivement pas dire que le colosse avait été intelligent en se brulant les flancs, mais dans la piraterie, les compétences médicales sont rares. Si lui est capable de recoudre, et de se recoudre également, le problème des flancs dans le cadre d’un géant aussi musclé et large que lui, c’est que le moindre mouvement peut provoquer une réouverture des points. Inutile de dire que la vie en mer n’est pas faite pour les marins en mal repos. Alors se recoudre et attendre que le temps fasse son office n’était pas envisageable. Le colosse avait encore beaucoup de travail à faire. Alors, voir la donzelle coopérer fit immédiatement redescendre cette folie furieuse qui couvait en lui depuis l’immense douleur qu’il s’était infligé. Son visage en fut immédiatement marqué. Ses traits se firent moins sévère, mais pas amicaux pour autant. Simplement, cette envie profonde et sadique de voir souffrir le monde entier sous sa botte s’était estompée. D’un geste approximatif, le colosse fouilla de nouveau dans ses poches et sortit de nouveau sa boite à cigarette. Il sortit une cigarette pour lui, qu’il mit à la bouche et qu’il alluma à l’aide d’une allumette. Puis il regarda la demoiselle qui avait reprit une position plus neutre. Et d’un geste relativement précis, il jeta sa boite à cigarette sur elle, afin qu’elle puisse se servir. Et il fit de même avec les allumettes.

    Il tira plusieurs bouffées sur cette cigarette qui lui fit énormément de bien. Il resta là silencieusement. N’y voyait pas là une faiblesse ou un adoucissement. Il ne voyait juste plus l’utilité d’être une bête assoiffée de sang dorénavant. Car si la journaliste pouvait prendre ses propos et jouer le jeu de sa propagande, elle pourrait aussi simplement ne rien faire une fois libérée, et tout cela n’aurait servit à rien. Il devait faire donnant donnant, s’il voulait obtenir un peu plus de réputation auprès des bandits qui veulent lutter contre l’UNE.

    - J’ai b’soin d’ta position d’journaliste pour faire passer un message à ceux qui veulent changer les choses. T’dois t’douter qu’l’UNE est pas c’quelle veut faire croire qu’elle est. C’t’une machine qui broie quiconque pourrait lui apporter d’l’or ou du pouvoir, qu’ces gens soient d’accord ou non. L’soulèvement doit commencer.

    Bien-sûr, il se doutait que la journaliste, douée d’une critique analytique, trouverait une certaine dichotomie dans ses propos. Imputer à l’UNE des actes répréhensibles, de la torture, des morts, de l’esclavagisme et toute une entreprise d’asservissement, voilà qui est totalement hypocrite, alors qu’Eylohr vient tout juste de faire la même chose. D’aucun trouverait cette situation véritablement humoristique, et réellement inquiétante. Depuis quand est-ce que reproduire ce que l’on reproche est un combat justifié ?

    - C’que t’as vu aujourd’hui, c’t’une guerre. Une guerre contr’ l’UNE et tout ceux qui la soutienne. Toi qu’est journaliste, va voir c’qui s’passe dans leurs prisons, leurs asiles et leurs mines de magilithe. C’pas beau à voir. Et tout ceux qui s’sentent pousser une envie de révolte finissent six pieds sous terre, dans des fosses communes. Si c’pas beau c’t’histoire.

    Bon, il ne l’avouerait jamais, mais il essayait un peu de la convaincre. Pas de la légitimité de son combat, ni de la façon de faire dudit combat, mais simplement de l’essence qui justifiait ce combat. Qu’elle approuve ou pas, il espérait néanmoins attirer suffisamment sa sympathie et sa curiosité pour qu’elle daigne entendre ces propos et les rapporter aux oreilles du monde. Mais avouerait-il qu’il s’agit là de propos déformés, inventés pour sa propre cause, laquelle n’est ni plus ni moins que la vengeance ? Tout enfermé qu’il est dans sa spirale de haine, de colère, de destruction et de vengeance, il ne voit pas qu’en fait, ce qu’il impute à l’UNE n’est rien de moins que ce qu’il réalise lui aussi, pour le plus grand malheur des innocents de Daënastre.

    - Si t’d’accord d’faire passer c’message, j’te garantit qu’tu r’partiras saine et sauve.

Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyLun 18 Fév - 16:20
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Visiblement son petit cinéma avait suffi à calmer l’irritation de l’Ours. Dès qu’elle eut minaudé ses excuses, il sembla s’adoucit considérablement, et tira de sa veste cigarettes et feu pour fêter ça. Puis il lui lança, et malgré son habituelle réticence à ingérer volontairement la fumée que son environnement la force à supporter, elle accepta de bon cœur ce petit remontant. Partager quelque chose avec son ennemi amoindrissait leurs différences et leurs oppositions. Elle gratta l’allumette sous sa botte et tira quelques bouffées en fermant les yeux. Voilà qui devrait rendre leur échange plus constructif. Il pouvait s’énerver tant qu’il voulait, mais la réalité était bien celle-ci : il avait besoin d’elle, et n’avait aucun intérêt à l’abîmer. Cette seule perspective rendait à Diane un peu de gaieté et la poussait à apaiser ses pulsions d’acidité. Comme pour confirmer ses pensées, le pirate se décida à lui expliquer enfin ses attentes.

« J’ai b’soin d’ta position d’journaliste pour faire passer un message à ceux qui veulent changer les choses. T’dois t’douter qu’l’UNE est pas c’quelle veut faire croire qu’elle est. C’t’une machine qui broie quiconque pourrait lui apporter d’l’or ou du pouvoir, qu’ces gens soient d’accord ou non. L’soulèvement doit commencer. »

Diane ricana intérieurement, les images récentes du massacre s’imposant à son esprit. Mais elle ne se permit aucun commentaire, car elle était plutôt de l’avis du pirate, et trouvait en un sens que ses méthodes à lui étaient moins pernicieuses que celles du gouvernement. En sa position de journaliste, elle savait fort bien que l’Etat se moquait de sa population aussi souvent qu’elle buvait une tasse de café. Et c’était très souvent. Au moins les corsaires ne se cachaient pas de n’avoir pas de pitié pour les personnes qu’ils massacraient, que les richesses et la gloire étaient leur seule motivation. De l’autre côté, il y avait un gouvernement prônant la sécurité, l’innovation, le bien-être, et qui traficotait des guerres dans et sur le dos de son peuple. Des deux, elle savait fort bien de qui elle voulait être la complice.

« C’que t’as vu aujourd’hui, c’t’une guerre. Une guerre contr’ l’UNE et tous ceux qui la soutiennent. Toi qu’est journaliste, va voir c’qui s’passe dans leurs prisons, leurs asiles et leurs mines de magilithe. C’pas beau à voir. Et tous ceux qui s’sentent pousser une envie de révolte finissent six pieds sous terre, dans des fosses communes. Si c’pas beau c’t’histoire. »

La journaliste notait mentalement tous les éléments de cette conversation, et l’ajouta à la liste de sujets qu’elle voulait traiter. Elle avait souvent proposé de partir en expédition pour enquêter sur certaines zones floues de l’information. Mais le journal pour lequel elle travaillait n’était pas bien influent ailleurs qu’à Cerka, et son orientation politique était plutôt pro-gouvernement – une obligation quand on voulait survivre à la censure et ne pas fermer boutique au bout de quelques mois. Les seuls papiers réussissant à critiquer avec influence et retentissement l’Etat étaient des éphémères, des nomades, qui publiaient parfois clandestinement. Si on laissait la parole réellement libre, la presse serait bien plus critique et bien moins délicate avec les décisions politiques, les effluves de guerre, les représentants.

C’est ainsi que l’idée d’écrire des piges commença à grandir dans l’esprit de Diane. Elle avait déjà une solide réputation de journaliste hyper-fiable au Pointilleux, car tous ses articles étaient basés sur de profonds contacts avec le terrain et vérifiés d’innombrables fois. Jamais elle n’avait laissé passer la moindre erreur, le moindre mensonge dans ses papiers. Elle ne comptait pas les heures sup’. Sa peur de l’ennui était plus forte que sa réticence à engager une carrière sérieuse. Si elle revenait sur le continent avec un manifeste si exclusif et excitant que celui qu’on lui proposait, avec même le récit de sa prise d’otage, elle pourrait le vendre à un grand quotidien national avec qui elle nouerait de solides liens de confiance. D’un autre côté, l’hésitation subsistait. Voulait-elle vraiment promettre quelque chose à un pirate ? Cet élan de dévouement populaire sonnait faux dans la bouche d’un truand si individualiste.

« Si t’d’accord d’faire passer c’message, j’te garantis qu’tu r’partiras saine et sauve. »

La jeune femme se laissa le temps de la réflexion en fumant à petites bouffées délectées, contrairement à son interlocuteur qui lui tirait d’énormes taffes et finissait ses cigarettes en quelques dizaines de secondes. Le problème qu’elle sentait arriver si elle acceptait, c’était que le pirate voudrait une garantie. La garantie qu’elle publie bel et bien son manifeste de guerre. Le promettre n’était pas si simple non plus : ce genre d’articles était délicat, car il véhiculait des cris de rage anti-UNE que le gouvernement n’aimerait pas beaucoup voir affiché partout. Et pourtant, c’était la seule manière dont elle pourrait combler les attentes du corsaire et s’éviter des représailles. Elle avait rencontré ces derniers mois, avec son accession aux articles inter-régions, beaucoup de reporters dissidents qui accepteraient sans doute de la publier si son histoire était bonne. Mais un autre problème se posait à ses yeux : des revendications de pirates n’auraient pas beaucoup de poids dans l’opinion publique, qui les considérait à juste titre comme des forbans sans valeurs. Alors même si elle parvenait à publier, à qui cela serait destiné ? Elle avait besoin de savoir pour axer son éclairage médiatique, pour planter les flèches dans les bonnes cibles.

« Je comprends ce que vous me demandez, et j’accepterais avec plaisir, d’autant plus que je ne porte pas vraiment l’UNE dans mon cœur non plus. Mais il y a plusieurs points qui posent problème, et je crois que vous voudrez les entendre avant de me relâcher comme ça. »

Elle écrasa sa cigarette contre sa prothèse qui ne fut pas endommagée pour un sou, en reprit une du paquet et le relança habilement au pirate après avoir allumé la mèche. Puis elle tira à nouveau son carnet, nota quelques éléments qu’elle craignait d’oublier, et lui exposa ses positions.

« D’abord, j’imagine que ma seule parole ne vous suffira pas, et j’aimerais savoir ce que je devrai faire pour que vous soyez assuré que j’accomplisse ma tâche, si tant est qu’elle soit réalisable. Ensuite, même si cela vous ennuie, je dois savoir à qui s’adressent vos revendications en particulier. Au peuple ou au gouvernement, à la pègre ou aux nobles de ce pays ? Chaque journal a son public et ses exigences. Il est humainement impossible que mon article finisse en première page de tous les journaux, alors il faudra que je fasse des choix. »

Elle fit une pause, tira quelques bouffées, puis s’assura qu’elle avait toute l’attention du corsaire pour sa dernière remarque.  

« Enfin, vous devez comprendre qu’écrire un tel article, même en le tournant à mon avantage, comporte d’énormes dangers pour ma carrière et pour ma vie. On ne publie pas des manifestes anti-UNE impunément dans ce pays. S’il advenait que l’on me menace de mort, que l’on m’exclue de mon milieu, que l’on me bannisse même, j’aimerais moi-même avoir une garantie de votre part : vous me ferez rejoindre les rangs de votre équipage et le monde de la piraterie. »

Elle avait dit ces derniers mots avec un grand sérieux, ses yeux clairs et tranchants plantés dans ceux houleux du pirate. Toujours assurer ses arrières, prévoir plusieurs coups d’avance, voir plus loin que son adversaire. Diane était parfaitement consciente que sa requête était grave, lourde de conséquences, et que si pour elle, les enjeux étaient immenses, pour le Géant ils seraient presque ridicules. Peut-être qu’il pensera qu’il valait mieux l’exécuter et se trouver une journaliste moins capricieuse. Cependant, elle voulait tenter son coup, et surtout connaître sa position sur ce genre de demandes, sur la plausibilité qu'elle intègre cet univers impitoyable des voiles noires.

Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyLun 18 Fév - 20:59
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Pérégrins -2

  • Le colosse écoute la journaliste répondre à ses arguments et exposer sa situation, ses questions, et… Son avenir ? L’évocation de ce qu’il adviendrait d’elle si elle devait être pourchassée, exilée, rejetée, venait de surprendre le colosse, et pas qu’un peu. Il resta là, stoïque, regardant de ses yeux ébahis la journaliste qui était devenue extrêmement sérieuse tout d’un coup. Son regard planté droit dans celui d’Eylohr, cela avait quelque chose d’impressionnant. Oui, impressionnant. Ils étaient peu nombreux les hommes qui tentaient de le regarder dans les yeux, alors les femmes… Même celles qu’il paye pour l’accompagner le temps d’une nuit fuient son regard de toutes les manières possibles. Et cela lui allait très bien. Mais là, en cet instant, cette femme qui n’avait rien d’une meurtrière, ni d’une combattante, semblait tenir son regard sans aucune crainte, et délivrer son message le plus sérieusement du monde.

    Il avait récupéré le paquet de cigarettes sans difficultés, car la donzelle avait bien visée. Tombé sur ses deux genoux, il lui suffisait de le reprendre en main, de sortir une nouvelle cigarette, et de l’allumer avec la précédente qui était encore en combustion. Il tira une dernière bouffée sur ladite cigarette, et la jeta à travers les barreaux, alors qu’une goutte d’eau s’empressa de l’éteindre en tombant du plancher du toit. L’humidité des cales avait au moins cet avantage de réduire les chances d’incendies.

    Il tenait sa cigarette dans la main gauche, et tripotait son genou de sa main droite en pianotant. Il était en proie à une intense réflexion. Il ne s’attendait pas à autant d’informations d’un seul coup. A vrai dire, il pensait voir ses arguments être rejetés en bloc par la journaliste, qui ne voudrait absolument pas se compromettre avec un anarchiste, un forban, un meurtrier, préférant soutenir l’UNE quoi qu’il arrive. Et voilà que la journaliste se disait sensible à ses arguments, peut-être même sensible à sa cause. Il était tout à sa réflexion lorsque son regard s’anima d’une lueur malsaine. Il aurait besoin de mains d’œuvres pour mener à bien son projet. Il aurait besoin d’hommes et de femmes prêt et prêtes à se battre, il aurait besoin de vitrines, d’une réputation, d’un slogan pourquoi pas, de quelque chose qui pourrait permettre un rassemblement sous sa bannière. Tout se passait comme prévu. A moins que la journaliste ne soit elle aussi dans la manipulation, auquel cas, elle et lui ne seraient rien de plus que deux blocs de pierre immuables, tentant de faire plier l’autre dans une position impossible. Eylohr espérait sincèrement que cette entrevue dans les geôles du navire aboutirait à un accord, et pas seulement à une manipulation mensongère. Hypocrisie quand tu nous tiens.

    - J’pas b’soin d’garanties. Répondit-il d’une voix grave, les yeux rivés dans ceux de la demoiselle désormais en confiance. J’fais confiance à personne, c’pour ça qu’j’suis toujours vivant aujourd’hui. Mais la parole, c’sacré ch’nous. Si j’te dis qu’j’te laiss’rai en vie, t’s’ra en vie. S’tu m’dis qu’t’fra ton possible, j’croirai ta parole. Qu’tu la tienne ou pas dépend qu’d’toi. Mais ça r’viendra fatal’ment à mes z’oreilles, et si j’te r’croise, la discussion s’ra pas jouasse.

    Puisque la donzelle semblait parler à cœur ouvert, le colosse pouvait au moins lui rendre la pareille et parler avec un semblant d’honnêteté. S’il enjolivait son récit et le pourquoi de son combat, masquant volontiers la vengeance, dévoilant l’envie de liberté et de destruction de ce système esclavagiste et destructeur qui ne dit pas son nom, il pouvait au moins être honnête avec elle, tout en gardant un peu de distance. Sait-on jamais.

    - C’message s’adresse à tous les gens qui s’sentent utilisés, manipulés, opprimés et broyés par c’système. Les mineurs de magilithe, les artisans qui meurent sous les taxes, les criminels qu’ont pas l’choix d’cette vie pour sur’vivre, ceux qu’ont tout donné pour l’pays et qui s’sont fait chier à la gueule. Ceux qui s’rendent compte qu’la réalité est pas c’qu’on croit ni c’qu’on voit. L’comment, c’toi  qu’sa r’garde. C’ta partie du deal.

    Si confiance il y avait, même naissante, il ne fallait pas oublier que tout cela n’était rien de plus qu’une négociation entre deux partis, et qu’il fallait négocier les termes, le comment, et le pour quoi. L’avantage dans tout cela pour Eylohr, c’est que la demoiselle était dans une geôle, à la merci du colosse et de tout un équipage de pirates sanguinaires qui ne feraient qu’une bouchée d’elle, et avec grand plaisir. Oui, grand plaisir. La donzelle est charmante. Et… Quant à sa dernière demande, toute aussi surprenante et incroyable qu’elle soit, Eylohr se posa sur ses genoux, les coudes à plat, le dos vouté, le regard braqué dans celui de la donzelle, ses yeux bleu océan dévoilant tout le potentiel de sa monstruosité et de son caractère.

    - S’tu fais ça, s’tu propage c’te message, s’tu montre la réalité d’ce monde, et s’tu prouve aux grands bonhommes qu’l’Ours du Nord s’ra leur fléau, et que j’viendrais personnell’ment les chercher chez eux pour leur coller une balle dans la nuque… Alors j’te garanti qu’tu trouv’ra un accueil dign’ d’ce nom chez nous, et une famille qui t’protég’ra. J’t’apprendrai moi-même la vie d’corsaire s’tu l’veux. Parole d’honneur.

    Oui, parole d’honneur. Après tout, cette femme n’avait rien fait contre lui, et elle se proposait même de mettre toute sa vie en jeu pour répandre la parole du colosse. Bien plus que ce qu’il n’aurait jamais imaginé. Alors il pouvait bien être honnête et lui offrir des garanties, lesquelles n’étaient vraiment difficiles compte tenu de la position du colosse. A vrai dire, elle était bien plus en mauvaise posture que lui. Aussi, afin de prouver sa bonne foi, le colosse décida d’user des vieilles coutumes ancestrales de ses terres natales : il prit son couteau de chasse à la cheville, plaça la lame dans sa main, et appuya avec force, s’entaillant ladite main et laissant perler quelques gouttes de sang.

    - Parole.

Diane Stëelk
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Le village de toutes les tentations EmptyVen 8 Mar - 10:31
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Ce que venait d’avouer Diane, c’était le point convergent de tous ses fantasmes d’enfant, toutes ses peurs, tous ses doutes. Devant ce pirate qui ne savait rien d’elle, dont elle ne savait rien d’autre que la grande sauvagerie et la tendance à l’insurrection, elle s’était découverte. Son inavouable faille, son attirance pour un monde dangereux et violent, l’illégalité et la liberté. Elle ne savait pas si le géant avait compris cela, elle espérait que non, et attendait avec appréhension son verdict. Elle n’avait pas beaucoup d’espoirs, qui accepterait un microbe comme elle dans un monde sélectif comme celui-ci ? Le doute qu’elle rejetait toujours à plus tard, le doute auquel elle s’était faite imperméable venait s’insinuer dans tous ses circuits, alors que l’Ours semblait sonné de sa tirade. Le tapotement feutré de ses doigts résonnait, le souffle enfumé continuait sa danse dans l’atmosphère, et Diane attendait posément une réponse à toutes ses réclamations. Enfin le pirate sembla sortir de sa rêverie et lui rendit son regard, sa voix soudainement plus grave et plus posée.

Il lui fit comprendre que si elle donnait sa parole, il donnerait la sienne, à leurs risques et périls respectifs. Diane connaissait la rigueur du code d’honneur des pirates, mais aussi à quel point les exceptions étaient nombreuses. Pourtant quelque chose dans la solennité de son expression donna cette indicible confiance, cette inexplicable volonté de croire qu’en face d’elle il n’y avait pas d’hypocrisie.

Et puis il y avait cette passion quand il évoquait sa cause, cette indignation chronique, qu’elle connaissait pour fréquenter les cafés ouvriers bourdonnants de colère après chaque baisse des salaires. Ce qu’il clamait, il y croyait. Elle ne savait rien de sa vie mais devinait qu’il y avait derrière cette furie, cette haine de l’UNE, des antécédents et des expériences qui l’avaient complètement transformé. Comment aurait-il pu en être autrement ? On ne naissait pas pirate. On ne naissait pas révolutionnaire. Diane n’avait pas menti quand elle avait exprimé son soutien à ce genre d’idées. Enfant des bas-quartiers, elle connaissait la pauvreté, le crime, les hommes au dos brisé par l’usine, les femmes aux mains brûlées par les produits chimiques. Elle connaissait les estropiés, innombrables à Cerka, en quête d’une prothèse pour laquelle ils n’ont pas les moyens. Et surtout, elle avait vu la haute société d’Alexandria, l’élite des sommets qui vivait comme si rien d’autre n’existait sous leurs pieds alors que tout ce qu’ils consomment, tout ce qu’ils gouvernent vient d’en bas.

La nervosité de la jeune femme était descendue en flèche dès que son interlocuteur avait évoqué leur étrange pacte confiance mutuelle. Elle était surprise, encore une fois, par l’inexplicable sensibilité du géant et sentait que peut-être c’était là que résiderait l’essentiel de leur terrain d’entente. Accepter un peu de l’autre pour son propre profit. L’intention pouvait être hypocrite, quelle importance ? La rencontre restait la même. La confrontation, l’enlacement des paroles et des causes. Puis l’homme se pencha vers elle, et elle s’immobilisa, plus attentive que jamais.

« Parole d’honneur. »

La voilà, sa garantie. Elle avait mis le pied dedans maintenant, s’enfonçait jusqu’aux hanches dans ce monde qui la fascinait tant. La possibilité de fouler au pied l’équilibre d’un bastingage, de sentir le vent salé s’engouffrer dans sa nuque, de laisser derrière elle la précarité pour l’incertitude, les petites excentricités pour une grande et vaste folie quotidienne. Peut-être ne savait-elle rien de vrai sur ce monde, mais si elle se berçait d’illusions, elle n’avait pas du tout envie d’en être tirée. Observant le pirate tirer sa dague, elle ne se sentit pas un seul instant en danger, et hocha la tête avec respect devant ce geste symbolique, engageant l’honneur de l’homme du Nord.

Elle n’y était pas forcée, pourtant Diane fit chuinter sa prothèse. Sa lame d’acier refléta la flamme de la bougie, et sans hésiter elle traça une ligne de feu le long de ses phalanges valides, en travers de ses quatre doigts de la main droite juste au-dessus des jointures. Elle tendit le poing et le pressa contre la paume blessée du pirate, signifiant son propre engagement. C’était un signe des quartiers pauvres de Cerka, que se faisaient les enfants-voleurs entre eux, et qu’elle avait gardé comme une part de son identité.

« J’écrirai ton article, en reprenant ton témoignage, et ferai en sorte que tous les papiers contestataires le foutent en première page. Je ferai des pieds et des mains pour que ton message soit transmis, pirate, et peut-être que je me ferai enfermer, censurer, virée. Mais au diable ! La guerre arrive dans ce pays, et ce sont ces opprimés qui iront la faire pour nos dirigeants. »

Rengainant ses lames et baissant son poing, Diane reprit son carnet et y gratta quelques mots clés, quelques citations avant qu’elles lui échappent, ignorant le picotement de sa coupure et le sang qui coulait le long de son stylo, donnant à son encre une teinte rouge. Puis brusquement, elle s’arrêta, leva le regard, et s’autorisa un sourire en prononçant ce mot tout bas, sans préciser le sujet de sa formule.

« Merci. »

Eylohr Lothar
Eylohr Lothar
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Le village de toutes les tentations EmptyVen 8 Mar - 13:03
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Pérégrins -2

  • Quelle étrange sensation. Entailler la chaire, faire couler le sang, pour ajouter du poids à une parole prononcée par un homme que d’aucun traiterait de fou, de d’extrémiste, de terroriste. Offrir sa parole, qu’importe sa valeur, et son sang, qu’importe sa pureté, à une femme qui venait de vivre un enfer bien réel, au milieu d’un village anéanti sous l’égide d’une folie qui tais son nom, et se maquille d’une ambition noble et incomprise, alors qu’il ne s’agit que d’une vengeance qu’il faut assouvir. Sceller une parole, une promesse, au fond d’une geôle humide et poisseuse, aux fragrances immondes et aux perspectives d’avenir perclus. Pourtant, c’est bel et bien là, en ce temps, en ce lieu, qu’un Ours assoiffé de sang donnait sa parole à une femme frêle et fragile, une ingénue, qui n’avait pourtant rien demandée à personne en ce jour funeste et odieux. Pourtant, sa propension à vouloir tirer son épingle du jeu quitte à rejoindre les rangs des pirates était quelque peu déstabilisante. Peut-être que sa présence en se village meurtri, sur ce navire aux voiles noires, face au molosse aux idées sombres, était prévu depuis longtemps. Qui sait. Peut-être les Architectes auraient-ils prévus ce qui allait se passer ?

    Serrant la main de la donzelle, d’une poigne ferme et forte, oubliant un instant que sa force pourrait écraser les phalanges de la journaliste, Eylohr scella définitivement ce pacte qu’ils étaient les seuls à connaître. Il regarda durant quelques secondes la journaliste qui écrivit quelques mots d’une encre sombre pigmentée de sang, avant qu’elle ne le gratifie d’un doux « Merci ». Pourquoi ? A vrai dire, Eylohr n’en savait rien, et il ne voulait pas réellement le savoir. La douceur n’a pas vraiment de place dans sa vie. Pas qu’il la fuit, ou peut-être que si, mais surtout parce que cela est contraire à tous les objectifs qu’il avait pu se fixer jusqu’ici. L’amour, la compassion, l’empathie, la douceur, sont autant de défauts qui peuvent projeter un homme dans les pires tracas. Au moins Eylohr n’avait-il aucune famille, aucun lien, aucune attache. Autant de points faibles en moins à exploiter par ses adversaires quels qu’ils soient.

    Dans un grondement sourd, un raclement de gorge semblable à l’avertissement d’une bête féroce dans la forêt sombre, Eylohr se redressa de tout son long, surplombant la donzelle encore assise. Il balada son regard un peu partout autour de lui, dans une étrange attitude emprunte de mélancolie ou d’incertitude sur ce qui devait advenir dorénavant. Finalement, il fit demi-tour, présenta son dos à la demoiselle et prit le chemin de la sortie. Il s’arrêta devant la grille de fer et dit :

    - T’es libr’ d’faire c’que t’veux ici. Pour l’instant, t’es encore ma prisonnière. Mais personne t’f’ra du mal. T’pourras prendre mes quartiers s’tu l’désir, j’aurais pas l’temps d’m’y r’poser.

    Et il s’en alla, laissant symboliquement la porte ouverte, alors qu’il gronda ses ordres aux gardes et aux hommes d’équipages qui allaient et venaient. Personne ne toucherait à la journaliste prisonnière. Personne ne pourrait lui faire du mal, ou la sentence serait irrévocable.

    Le navire prit la mer, dans un vacarme assourdissant. Non pas qu’il y ai une quelconque technologie motorisée, mais simplement que le victuailles bringuebalant dans les cales faisaient un boucan d’enfer. Ca, en plus des canons qui reprirent une canonnade temporaire afin d’un peu plus détruire les lieux, ou de prévenir un éventuel assaillant. Ils furent plus lents que prévus durant l’assaut, et si les miliciens ne pointaient pas encore le bout de leurs nez, ils voulaient au moins prévenir quiconque s’approchait du village. La canonnade fu brève. Les cordages furent renvoyés à bord, et le navire prit la mer, dans le silence pesant d’un village martyrisé.

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