Ce soir-là, elle s'est couchée tard. Cela n'a rien d'exceptionnel en soi. Elle passe le plus clair de ses soirées à dévorer des livres, étudier des cartes et faire des corrélations entre les deux. Le tout en savourant une habituelle bouteille de blanc se situant quelque part entre la piquette et le grand cru. Un libre-passage pour un sommeil rapide, profond et dénué de rêves. Et l'assurance absolue d'un réveil compliqué... Elle en avait conscience avant de fermer les yeux sans toutefois trop y penser. Mais ce qui est sûr, c'est qu'elle n'envisageait pas un seul instant qu'il fasse encore nuit lorsqu'elle les ouvrirait à nouveau. Et pourtant...
Les coups répétés contre sa porte semblent tout d'abord s'extirper des nimbes séparant le conscience de l'inconscient. L'archéologue y porte une attention bien relative. Elle les entend mais ne les perçoit pas réellement. Il faut d'ailleurs de longues minutes pour pouvoir enfin rejoindre cette réalité dérangeante. Elle se redresse alors en sursaut et cherche à tâtons son briquet. Elle le trouve à côté de son paquet de cigarettes, comme il se doit. Elle allume alors la bougie qui ne tarde pas à déverser sa lumière vacillante dans la chambre.
Les coups redoublent d'intensité et poussent l'archéologue à quitter son lit. Elle enfile rapidement sa robe de chambre puis marque un temps d'arrêt à côté de la chaise sur laquelle repose la ceinture de son revolver. Elle y prélève l'arme avant de se diriger vers l'origine des coups. Elle n'entend pas de sirènes et suppose donc qu'ils ne sont pas en train de se faire envahir par les sauvages de My'trä. L'ennui, c'est qu'elle ne trouve pas de raison susceptible de justifier l'insistance de ce visiteur. Qu'est-ce que c'est que ce bordel?
Les yeux mi-clos, traînant le pied, la jeune femme se dirige le long du corridor jusqu'à la porte qui vibre à chaque coup. Elle fait tourner la clef dans la serrure mais garde la chaîne de sécurité en place. Le visage qu'elle découvre ensuite dans l’entrebâillement de la porte ne lui est pas de suite familier. Elle se contente de l'observer avec l'air qui sied tend à ceux qui ont été tirés de leur sommeil. Et au final ses sourcils se froncent lorsqu'elle reconnaît ce désagréable visiteur.
"Non mais vous avez l'heure...?"
La voix exprime la lassitude. Son regard, la fatigue. Mais au fil des secondes elles sont toutes deux remplacées pas un air profondément irrité. Qu'est-ce qu'il espère trouver chez elle, lui? Pourquoi se sent-il obligé de faire du zèle au milieu de la nuit? Il n'a pas trouvé d'autres façon d'impressionner ses supérieurs? Elle n'est pas une ennemie d'état. Simplement une citoyenne qui estime que la culture doit être accessible à tous et que la connaissance enchaîne la haine. Et qui agit, modestement, à son niveau. Il n'a personne d'autre à aller embêter? Les vendeurs de drogues qui pullulent sous leurs pieds, par exemple?
"Vous savez quoi Elijah? Allez vous faire foutre!"
Elle referme presque aussitôt la porte avant de la verrouiller à nouveau. Quel connard ce type! Charline déambule à nouveau dans le couloir en direction de sa chambre. Elle doit bien avoir du coton qui traîne quelque part. Le temps de s'en enfoncer des tonnes dans les oreilles et elle pourra probablement retrouver la quiétude du sommeil. L'astuce, c'est de ne pas laisser l'opportunité au corps de se réveiller entièrement pour pouvoir mieux replonger dans les abysses du repos!
Espérant que l'autre zélé n'insistera pas trop, elle se glisse à nouveau sous la couette avec la ferme intention de retrouver le néant dont il l'a extirpée...