[Contrat] Âme en peine

Salem voyageait toujours dans la région de Zolios. Il appréciait ce territoire recelant de multiples richesses géologiques ou architecturales. Le Khurmi était satisfait de son choix d’avoir quitté sa terre natale pour partir en exploration du continent. Cependant le coût des déplacements commençait à se ressentir sur les économies du jeune homme. Il décida de se renseigner sur les contrats susceptibles de lui rapporter quelques Irys sans prendre trop de risque. Salem devait gagner de l’argent et rapidement. Sinon il serait obligé de rentrer à Foreal et redevenir garde. Une idée qui ne l’enchantait guère. L’illusionniste décida de se renseigner sur une quelconque mission à faire dans les environs de Zolios. Après quelques heures de recherche, il trouva une offre de contrat plus ou moins intéressante.

Il apprit qu’un jeune marié avait disparu suite aux fiançailles. D’après l’annonce, il n’eut aucun souci durant la cérémonie mais c’est le lendemain que l’homme n’était plus présent. La jeune femme s’appelait Ludivine Hourla. Elle offrait une récompense de 15000 Irys pour retrouver son amant. L’illusionniste prit quelques minutes de réflexion. La mission n’était pas très attrayante mais ne présentait aucun risque. Et le jeune homme voulait un peu de calme suite à ses escarmouches avec des pirates. Finalement l’état actuel de ses économies fut sa plus grande motivation.

La rémunération de la demande était correcte. De plus le commerce de Ludivine se situait dans une ville pas trop éloigné de l’endroit où se trouvait Salem. Il décida de se rendre sur place pour obtenir plus d’information et récupérer un portrait du mari disparu. Le Khurmi pensait qu’avec des informations plus précises sur les lieux susceptibles d’intéresser l’homme, il pourrait le trouver plus rapidement. Il pensa également à un autre détail important, le nom de la personne.

L’illusionniste arriva dès l’aube dans la ville de Losos afin de rencontrer Ludivine Hourla. Le lieu était entouré d’un paysage aux multitudes de couleur sur le sol. L’endroit était réputé pour avoir développé la fabrication et la commercialisation de feu d’artifice. Salem traversait le marché afin de se renseigner sur la boutique du commanditaire du contrat. Il fut étonné de voir autant d’objet pyrotechnique en vente. Cela lui rappelait le fait qu’il n’avait jamais vu un tel spectacle de sa vie. Le mage aurait bien aimé assister à l’une de ces soirées où le ciel ce colore de diverse formes. Mais il n’avait pas le temps de s’attarder. Plus vite la mission serait accomplie, plus vite iront les Irys dans ses poches. Il discuta avec un marchand connaissant le lieu où était le commerce de madame Hourla. Suite aux indications, il partit en direction de la boutique.

Salem se demandait pourquoi l’homme s’était enfui. Plusieurs hypothèses parcoururent l’esprit de l’illusionniste. La première était que sa femme était impossible à vivre. La seconde que l’homme avait eu peur de l’engagement et perdu le contrôle de ses émotions. La troisième hypothèse faisait rire intérieurement Salem. Peut-être que la jeune femme avait traumatisé son mari lors de leur nuit de noces ? A cette idée il ne put s’empêcher de contenir un air amusé ; un enfant... Finalement le jeune homme reprit son sérieux et il se dit qu’il verrait bien lors de la rencontre avec la mariée abandonnée. Cela faisait plusieurs minutes que le mage marchait dans Losos et il allait arriver devant la boutique. Il espérait que Ludivine soit présente et qu’il n’aurait pas à chercher son lieu d’habitation.

Je suis curieux de voir quel type de boutique elle gère. S’interrogea le jeune illusionniste.

Ludivine restait derrière le comptoir, la tête posée sur ses bras, regardant fixement le portrait qu’elle avait sous les yeux. Il avait été dessiné au fusain par une amie de son futur époux qui travaillait à la confection des feux d’artifices, comme beaucoup de gens vivant à Losos. Mais, ces derniers temps, l’humeur à My’trä n’était pas vraiment à la fête et les stocks étaient pleins. Alors, elle n’avait rien à faire et dessinait sur tous les supports possibles, avec un talent qui pourrait peut-être permettre à la jeune commerçante de retrouver son fiancé très bientôt. Mais, pour cela, faudrait-il encore que l’on vienne à sa rescousse. Trois jours, trois jours que son cher et tendre n’était plus revenu. Les yeux de Ludivine trahissaient ses trop courtes nuits et les nombreuses larmes qui ont coulées ces derniers temps, mais elle restait fidèle au poste, accueillant les clients de l’épicerie familiale alors que ses parents parcouraient le pays pour l’approvisionner.

La petite boutique alimentaire ne payait pas de mine, vu de l’extérieur. Une maison bien construite, faite de bois solide, sur deux ou trois étages, difficile à déterminer, et avec de grandes ouvertures rectangulaires sur la plupart des murs, mais qui ne permettaient pas de voir à l’intérieur. D’épais rideaux aux couleurs criardes, mais élégantes, empêchaient les regards indiscrets de voir à travers la plupart d’entre elles. Hormis, bien sûr, les deux qui encadraient la porte principale, et ce pour attirer les clients et que la lumière entre tout de même. C’était à la fois le lieu de travail de la famille et leur lieu d’habitation, d’où les multiples étages. Une maison traditionnelle de la région, en somme, dont on pouvait voir plusieurs répliques à travers toute la ville de Losos. L’épicerie était d’ailleurs encerclée par plusieurs d’entre elles. Enfin, ce qui permettait de savoir qu’on y vendait de la nourriture, c’était tout simplement la pancarte d’ardoise posée contre le mur et où l’on traçait à la craie les différents arrivages, avec un petit mot de bienvenue pour la forme.

En somme, c’était un commerce ordinaire, qui sentait la viande séchée et les aromates très prisées à Zolios. Cependant, même si Ludivine était des plus fières de travailler dans cette épicerie bâtie par ses aïeux, elle n’avait pas vraiment l’attitude aussi enjouée que d’habitude. D’aucuns diront que c’est cette joie qui séduisit en premier son fiancé aujourd’hui disparu. Mais, malgré sa tristesse, elle tâchait de rester alerte et à l’écoute des éventuels clients. Voilà pourquoi, lorsque le jeune Salem arriva devant la maison, elle leva les yeux de sa feuille. Il était étrange celui-là, avec ses cheveux tout blancs. C’était probablement un voyageur. Elle en croisait souvent, de manière générale. Quand un voyageur va dans une ville, il se réapprovisionne, en règle générale.

La jeune femme attrapa la feuille de sa main gracile et la posa dans un des rangements sous le comptoir avant de contourner celui-ci pour venir à la rencontre de ce personnage qui ne semblait pas décider à entrer. Il y avait pas mal de vent ce jour-là et il sifflait dans tous les interstices de la maison, ce qui n’aidait pas vraiment Ludivine à se détendre. C’est donc le visage assez assombri, mais tout de même affublé d’un semi-sourire, qu’elle sorti de l’épicerie familiale.

- Je… peux vous aider, monsieur ?

Elle s’éclaircit la voix. Elle avait plus passé de temps à pleurer qu’à parler ces derniers temps et cela avait un peu enroué ses cordes vocales.

- Vous êtes voyageur, non ? Vous désirez des provisions ? Nous avons de la viande séchée, des bocaux de légumes si vous voulez. On n’a malheureusement pas beaucoup de fruits, vu que le printemps commence à peine à arriver, mais il nous reste des confitures, du thé et plein d’autres choses.

Commencer son énumération l’avait peu à peu fait revenir sur terre. Elle était une commerçante consciencieuse en règle générale, et c’était devenu comme quelque chose de naturel que de bien faire son travail maintenant. Et puis, travailler lui ferait oublier quelques instants l’objet de sa tristesse.

Le jeune homme s’arrêta devant les lieux. il observait la boutique correspondante à l’adresse donnée. Le Khurmi aimait bien le style des maisons en bois de la ville mais il restait souvent sceptique face au choix de certaines couleurs d’apparat. Le panneau devant le magasin indiquait que le lieu était actif et lié à la vente de produit alimentaire. Le bâtiment possédait plusieurs étages et il semblait qu’ils soient consacrés à une partie habitation. C’était une maison-commerce tel que l’illusionniste avait pu en voir sur son chemin dans Losos. Pas de signe apparent d’une différence de richesse par rapport à la majorité des petits commerçants. Une affaire alimentaire banale en soit.

Il semblerait qu’il n’ait pas fui à cause d’un problème financier ou inversement. Pensa l’illusionniste d’après l’apparence extérieure du bien immobilier.

Ayant vu Salem s’arrêter, la tenante du magasin sortit et lui adressa la parole. C’était une femme plutôt mince qui laissait transparaitre un charme certain. Malgré une fatigue apparente, elle se forçait à rester accueillante envers des potentiels clients. Le physique de la jeune femme traduisait qu’elle était une native de la région de Zolios. Malgré le fait qu’ils ne soient pas de la même communauté, elle n’avait pas montrée de froideur particulière. Ce détail était important pour Salem. Lui qui fut habitué à un discours empreint d’une habitude aux mépris de la part des My’tran envers les Khurmis.

Le jeune homme remarqua une certaine tristesse malgré la tentative de la commerçante pour la feindre. Salem comprit qu’il s’agissait du commanditaire de la requête. Les évènements récents avaient marqué le visage de Ludivine. L’illusionniste songea qu’il allait devoir peser ses mots pour éviter de heurter la sensibilité de la jeune mariée. Il ne voulait pas qu’elle se mette à pleurer surtout si des clients devaient arriver. Il était encore tôt aujourd’hui pour la jeune femme d’avoir les yeux empli de larme.

La mémoire de Salem travaillait. Le regard et l’attitude de Ludivine avaient quelques choses de familier. Il avait déjà connu une personne dont les émotions de tristesse rongeaient intérieurement l’énergie et la joie. Ce fut sa défunte mère qui ne s’était jamais remise de la disparition de son père. Mais les deux situations sont différentes. Le mari de Ludivine n’avait pas disparu dans les montagnes à cause du Khoral. Elle avait toute ses chances de le retrouver. Tandis que ses souvenirs remontaient, une empathie soudaine s’empara de Salem. Il comprenait ce que ressentait intérieurement la jeune commerçante. Surtout le manque de réponse à ses interrogations face aux évènements. L’illusionniste plongea son regard ambré dans les yeux de la brunette.

- Bonjour, effectivement, je souhaiterai vous acheter de la viande séchée et deux bocaux de légume, s’il vous plait. Dit-il à l’intention de Ludivine avec un sourire en réponse à son accueil. Salem pris son temps avant de reprendre sur un ton calme et rassurant.

- Je suis également venu par rapport à votre requête, je voudrais vous aider à retrouver votre mari. Lui adressa le jeune illusionniste, tout en s’inclinant légèrement en signe de proposition de ses services.

La commerçante écouta attentivement les requêtes du nouveau client. Ces derniers temps étaient calmes. L'une des périodes denses de l'année venait de se terminer, à savoir le départ de nombreux Khurmis ayant hiverné à Zolios, mais également le passage de beaucoup de caravanes marchandes pour les mêmes raisons, se protéger du Khoral. Voilà pourquoi, après la tempête, le calme était revenu et que c'était le moment choisi par le fiancé de Ludivine pour faire sa demande. Parler mariage dans le brouhaha de voyageurs, de bétail et d'enfants qui envahissait le coin durant le mois précédent aurait pu être maladroit et se solder par un malheureux échec. Mais la période creuse laissait également tout le temps à la jeune femme de ronger son mal depuis la disparition de l'être aimé. Salem, dans cette configuration, était fort bienvenu, et le sourire de Ludivine était bien plus sincère que ces yeux embués ne pouvaient le suggérer, d'autant plus que le jeune homme parlait avec réassurance, un indice pour la commerçante qu'elle ne parvenait pas à cacher sa détresse au tout venant, malgré ses efforts. Une légère honte s'empara d'elle, mais rapidement éclipsée par la suite du discours de Salem.

En effet, elle crut entendre de la bouche de cet inconnu qu'il souhaitait l'aider à retrouver son bien-aimé disparu. Ses yeux s'écarquillèrent, les rendant toujours un peu plus éloquents. Ils devaient être beaux à l'origine, mais Ludivine perdait un peu de son charme après de nombreuses heures à pleurer, on ne va pas se le cacher. Mais elle s'en fichait un peu maintenant. Elle était, si tout se passe bien, toujours fiancée et l'espoir qui venait d'apparaître dans son cœur renversait toutes les hontes qui pouvaient se montrer dans son esprit.

- Je... Vous voulez m'aider ? Vraiment ? Oh je... venez, entrez, je vais déjà vous donner vos provisions.

La commerçante n'attendit pas l'acquiescement du client pour entrer de son côté dans l'épicerie. Elle voulait s'éloigner un peu pour calmer ses émotions et sûrement que s'occuper de la commande de Salem l'aiderait à revenir les pieds sur terres. Mais c'était un peu plus compliqué que prévu. L'enthousiasme la prenait tellement aux tripes que lorsqu'elle décrocha un jambon séché du plafond de la remise, ses bras en tremblaient. Pas de faiblesse parce qu'il était trop lourd, mais simplement d'un espoir nouveau dont elle n'arrivait pas à se détacher pour être un peu plus professionnelle. Ramenant le jambon sur son plan de travail de bois, elle dégaina le grand couteau servant à en découper des tranches et s'employa à le faire au mieux.

- Vous prendrez combien de tranches ?

Peu importe combien il demanderait, Ludivine espérait que le jeune homme ne serait pas très tatillon sur la qualité de ses tranches. Manier le couteau était une tâche compliquée lorsque nos mains tremblent et elle pouvait déjà s'estimer heureuse de ne pas avoir sacrifié un de ses doigts sur l'autel de l'enthousiasme. Le jambon fut ensuite emballé dans un épais papier brun et la jeune fiancée se dépêcha de poser le tout sur le comptoir, devant son client, avec les deux bocaux réclamés. Pendant toute cette préparation, un sourire de circonstance s'était imprimé sur son visage et n'était plus jamais parti.

- Tenez, voilà les légumes et la viande séchée. Je... vous voulez vraiment m'aider ?

On peut la comprendre. Son fiancé n'était parti que depuis trois ou quatre jours à peine ! Elle était bien la seule à se dire qui lui était peut-être arrivé quelque chose ou, pire, qu'il était parti pour de bon. En étant consciente de cela, on pouvait comprendre son étonnement que quelqu'un accepte de l'aider, même s'il y avait récompense à la clé. Voilà pourquoi, malgré son sourire, Ludivine évitait le regard de Salem et préférait faire semblant de se concentrer sur autre chose derrière son comptoir.

- Mon fiancé a effectivement disparu depuis quelques jours. Nous... Nous ne sommes pas encore mariés. Il a demandé ma main la veille de sa... disparition.

La commerçante devait se faire un peu violence pour développer sur le sujet sans laisser ses émotions la submerger de nouveau. Mais elle s'étonna de le faire aussi facilement. Encore une fois, l'espoir nouveau apporté par le jeune homme devait jouer, mais la peur légitime que cet espoir soit vain et que ce gentil sauveur refuse de l'aider après éclaircissement était bien là aussi. Et quelque chose dans la tête de Ludivine lui faisait comprendre que si c'était le cas elle ne s'en remettrait probablement pas. Le stress lui fit user de sa magie pour allumer et éteindre une chandelle sur le comptoir de manière répétée en claquant des doigts. Une façon de s'occuper un peu et d'éviter un accident.

- Que voulez-vous savoir ? Je vous dirais tout ce que vous voulez si ça peut vous aider à le retrouver...

Ludivine fut surprise de la réponse de Salem. La commerçante l’invita à rentrer pour satisfaire sa commande. Surtout du fait qu’il acceptait de l’aider à retrouver son cher et tendre. La boutique semblait ancienne au premier regard. Mais le lieu était parfaitement entretenu. L’odeur présente était attrayante. Les yeux de Salem vinrent se fixé naturellement sur les produits présents. Les denrées alimentaires qu’elle vendait semblés être de bonne qualité. La décoration était classique pour ne pas dire ancienne mais restait agréable à l’œil. Le comportement de Ludivine avait légèrement changé. Elle avait du mal à contenir ses émotions. La jeune femme semblait stressé et cela ce confirma avec la façon dont elle coupait les tranches de viande. Mais Salem s’en fichait ; il n’était pas là pour faire ses courses de base.

- Je prendrai 6 tranches s’il vous plait. En faisant mine de regarder ailleurs pour ne pas mettre la pression à la commençante bouleversé par les évènements.

Vous possédez une jolie boutique, ça fait combien de temps que vous travaillez ici ?

La jeune femme clarifia également la situation. Le jeune couple n’était pas marié. Ce fut le jour de la demande que l’homme disparu. Des circonstances bien étranges. Il était curieux de faire une demande de fiançailles avant de prendre la fuite. Intérieurement il espérait que l’homme n’était pas un pleutre ou qu’il ne menait pas de double vie. Ludivine revint au comptoir avec la commande de l’illusionniste. Le tout était soigneusement préparé et emballé. Malgré les évènements elle était toujours capable de faire toujours du bon travail. Le khurmi trouvait qu’elle possédait une certaine force psychologique pour ne pas se laisser abattre par les évènements. De plus il semblait que cette boutique soit l’une des rares choses à ses yeux lui permettant de tenir mentalement.

- Oui je veux vraiment vous aider. Quel que soit la raison vous méritez de savoir. Et puis je comprends votre situation. J’ai connu une personne très proche qui a perdu son être aimé. Donc si je peux vous aider à de nouveau avoir un visage joyeux et chaleureux, c’est avec plaisir que je ferai tout pour retrouver votre mari. Improvisa Salem pour réconforter Ludivine en esquissant un sourire confiant.

Le jeune khurmi voulait remonter le moral de la commerçante La tenante du magasin se canalisait sur la chandelle présente sur le comptoir. Ce comportement trahissait sa nervosité. Elle était obligée de rester s’occuper de sa boutique. Et tous ses espoirs reposaient sur Salem. L’illusionniste comprenait ce sentiment d’impuissance face aux évènements.

- Est-ce qu’il paraissait comme d’habitude les jours précédents la demande ? Et vous avez une idée de l’endroit où il aurait pu aller ? S’il vous a déjà fait vivre une situation similaire. Demanda-t-il en regardant tranquillement ludivine jouer avec la bougie.

Je voudrai également savoir comment se nomme votre fiancé. Egalement si vous possédez un croquis de lui par hasard.

Bien qu'étant censée gérer le commerce familial, on ne peut pas dire que Ludivine continuait d'y penser alors qu'un espoir de retrouver son mari s'était présenté devant elle. Un vieil homme, un habitué en plus, entra même dans l'épicerie et ne reçut aucune salutation avant d'insister en répétant maintes fois « bonjour » à la jeune fille dont il comprenait pourtant la peine. Tout le quartier connaissait son histoire, les nouvelles allaient vite, mais ce n'était pas une raison pour ne pas être polie, pensait-il !

- Oui, bonjour ! Répondit-elle finalement sans porter un seul regard sur le nouvel arrivant.

Elle était trop occupée à dévisager Salem pour porter ses yeux sur autre chose. D'où venait-il ? Il parlait un peu étrangement, comme ces adeptes de Süns qui étaient si pieux qu'ils en devenaient effrayants, allumant spontanément des feux où ils passaient à la gloire du Griffon Noir. Evidemment, elle savait que c'était surtout pour lui remonter le moral, mais cela la gênait quelque peu. Oh, bien sûr, elle ne lui dirait jamais ! Lui qui avait la gentillesse de venir l'aider ! Elle ne le remercierait jamais assez, quand bien même il était un peu bizarre !

- Eh bien je... merci, monsieur.

Et les questions furent posées, les unes après les autres, passage inévitable auquel Ludivine s'était préparée, mais elle ne pouvait s'empêcher d'appréhender le moment où elle devrait répondre à certaines d'entre elles. En plus, il y avait Huan, l'ancien qui écoutait avec attention, et peu de discrétion, dans le dos du jeune homme tout en mimant d'observer des savons qui étaient pourtant les mêmes depuis sa naissance et même au-delà. Mais elle pouvait peut-être éviter de parler de tout ça à voix haute. Elle dégaina une feuille de papier de sous le comptoir et un fusain qui, à peine saisi, lui noirci le bout des doigts. Elle griffonna le nom de l'endroit où avait l'habitude de se rendre son fiancé, la Butte aux Salkhis, à quelques kilomètres de là, dans les plaines vallonnées voisines.

Là-bas se trouvait un pavillon de chasse très populaire, notamment par son fiancé, qui aimait exercer son talent à l'arc et ramener de la viande en partant de là-bas. L'endroit comptait tellement d'habitués que c'était carrément devenu une sorte d'auberges avec un barde à moitié malade qui jouait mal du luth, beaucoup de boissons et des paillasses pour dormir. Bref, un endroit où tout pouvait se passer et où Salem pourrait trouver des informations. Elle ajouta également le nom du porté disparu, Brat, et elle soupira rien qu'en le revoyant. Elle tendit le papier à l'homme aux cheveux d'argent.

- Tenez, je n'ai malheureusement pas de croquis de lui, mais les gens devraient le connaître là-bas. Et... j'aimerai garder les détails de notre vie privée, si ça ne vous dérange pas... Puis je ne pense pas que ça vous avancera à grand chose de les connaître, vraiment.

Vu les regards appuyés et de plus en plus impatients du vieil Huan derrière, il était temps pour Ludivine de reprendre son travail. C'est donc un peu embarrassée qu'elle tendis de nouveau les provisions demandées au jeune homme.

- Tenez, je vous les offre ! Comme promis il y aura une récompense si vous ramenez mon fiancé. Merci à vous, monsieur...

Et non, elle ne savait toujours pas son nom, mais pas besoin. Elle le reconnaîtrait sans peine, même dans une foule de plusieurs centaines d'âmes. Sa mémoire visuelle était impressionnante en générale, surtout pour se souvenir du visage d'un vieillard qui commençait vraiment à perdre son sang-froid, les bras chargés de savons de différentes couleurs.

- Aller, partez. Oui, monsieur Huan, je m'occupe de vous ! Mais... pourquoi tous ces savons ?

- Ça vous regarde pas, rétorqua sèchement l'ancien.

- Bon... très bien. Bafouilla Ludivine, l'air de plus en plus décontenancé.