Ice-hot maintenance

Dorothea était, comme à son habitude, dans son atelier, en train de travailler. Une autre journée passée à étudier des schémas. Une autre journée passée à marteler du métal. Une autre journée passée à visser, dévisser, ajuster, découper, plier, monter, démonter, essayer, échouer, et peut-être triompher. Et dessiner, dessiner, dessiner, toujours revenir sur les mêmes croquis. Et visiblement, cette journée ne serait pas différente.

Dorothea accrocha les plans au grand tableau de liège et s'approcha de sa forge. La commande qui lui avait été passée était plutôt simple, le client avait approuvé les plans. Il ne restait plus qu'à, comme dirait son père en de telles circonstances.

Malgré la légèreté de sa tenue de travail et le froid qui régnait habituellement à Hinaus, il faisait chaud dans son atelier. Les flammes de la forge rugissaient, et Dorothea actionna le lourd soufflet, ravivant la colère des flammes dans l'âtre de la forge. Elle ajusta ses lunettes sur ses yeux, le respirateur sur sa bouche et son nez, et enfila un lourd tablier en cuir ainsi que des gants du même. Une fois correctement parée, elle attrapa avec des tenailles le morceau d'acier chauffé, qui irradiait une chaleur intense aussi bien qu'il brillait d'une lumière blanchâtre.

Elle amena le barreau d'acier sur l'enclume et commença à le battre avec son marteau. Le bruit métallique des chocs résonnait dans l'atelier, son rythme cadencé coupant et repliant l'acier lentement, puis donnant enfin son profil à la lame. Au fil des coups, Dorothea se sentait renaître, comme à chaque fois qu'elle entendait son marteau chanter.

Le profil de la lame forgée, il ne restait plus qu'à l'affûter. Elle prit la lame dans ses mains gantées, sentant encore un peu la chaleur résiduelle de la lame. Elle s'approcha de l'affûteuse , la lame d'épée à la main et abaissa un lourd levier. Le bruit des pistons qui se vidaient et se remplissaient remplit alors la salle, leurs systèmes mécaniques entraînant une courroie qui lança à son tour la bande abrasive. Approchant la lame lentement de la bande adhésive, Dorothea aiguisa lentement le profil de l'arme, jusqu'à ce que le gris mat de la lame soit remplacée par un bien plus esthétique lustre.

La jeune ingénieure attrapa la lame par la manche et commença à faire quelques moulinets dans le vide, pour tester un peu la réaction de la lame. À ce moment-là, la porte de l'atelier s'ouvrit et le froid hinari s'engouffra dans l'atelier, apportant un vent de fraîcheur bienvenu dans l'atelier. Elle se tourna vers le pas de la porte et, avec toute l'énergie qui lui était caractéristique, elle accueilla son visiteur.

"Bonjouuuuur, et bienvenue dans mon atelier. Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour vous?"

Dorothea retira ses lunettes et son respirateur, révélant la brûlure balafrant la moitié de son visage, et détailla son client du mieux qu'elle pouvait. Il portait un exosquelette qui avait dû voir de bien meilleurs jours. La jeune ingénieure avait toujours imaginé que les soldats avec des exosquelettes et des armures assistées savaient qu'il était primordial pour eux d'en prendre soin. Mais peut-être n'avaient-ils pas les compétences, les moyens ou le temps de le faire. Ce qui rendait le travail des ingénieurs comme elle toujours plus important.

Son interlocuteur, qui semblait être à la fois aussi jeune qu'elle et un soldat vétéran, avait répondu à son accueil.

"Salut... Plein de choses j'en suis sûr! Mais m'est avis que ça ne doit pas être ce que j'ai en tête."

Le seul sourcil de Dorothea se leva presque subconsciemment, et la première pensée qui passa par sa tête fut de se demander si le soldat était sérieux dans ce qu'il venait de dire. Mais elle se ravisa, mettant cela sur la fatigue du soldat et sur le compte de la chaleur qui régnait dans l'atelier, à laquelle il n'était peut-être pas habitué. Elle posa la lame sur l'un des nombreux plans de travail et se tourna à nouveau vers son interlocuteur, qui venait de lui demander si elle pouvait réparer son matériel. En même temps, vu les chocs qu'il avait dû manger, ce serait une bonne idée, oui, de le faire réparer par un professionnel.

"Oui, oui, bien sûr, je devrais être en mesure de le réparer. Il me faudra tout de même faire un diagnostic complet de l'exosquelette, histoire de vérifier si les systèmes ont pu être touchés, et quelle pourrait être l'éventuelle étendue des dégâts. D'autant plus que je vois quelques impacts de balle sur votre armure."

Le regard de Dorothea se posa sur l'un des poignets du soldat, sur laquelle avait été rafistolé un pistolet.

"Et en plus, vous avez improvisé une arme... C'est malin, mais pas idéal, tout ça..."

La dernière phrase était prononcée plus doucement, comme si elle marmonnait dans sa barbe. Ce qui n'était pas vraiment éloigné de la réalité, en fait. Elle était en train de faire le tour de son éventuel client, détaillant mentalement les réparations et éventuelles améliorations qu'elle devrait faire pour le soldat dont elle ne connaissait pas le nom.

"Vous faites pas de la bière aussi des fois que ?"

Ces quelques mots, pronocés d'un air presque nonchalant par l'homme devant elle, coupèrent net son train de pensée et la laissèrent figée en place pendant plusieurs secondes. La première pensée qui traversa sa tête à ce moment fut dirigée vers l'image du soldat my'trän moyen qu'elle avait, pervers et buveur, venait de douloureusement se confirmer chez les daënars aussi. Elle laissa échapper un long soupir.

"Non, je ne fais pas de bière... Je suis ingénieure, pas brasseuse. Toutefois si jamais ça vous intéresse, y a une taverne pas loin qui a une bière plus que correcte."

Elle finit rapidement son observation du soldat devant elle et annonça ses conclusions au soldat qui se tenait devant elle.

"Bon, il semblerait qu'il y ait beaucoup de travail à faire pour réparer votre armure. Genre, de quoi m'occuper plusieurs jours. Entre les impacts de balle, votre exosquelette, vos armes et peut-être d'autres trucs que je n'ai pas encore vus, cela va prendre du temps. Mais c'est possible de réparer votre équipement, oui."

Elle ota ses lourds gants de cuir, qu'elle posa sur le plan de travail proche d'elle.

"Je peux aussi créer d'autres armes, quoique cela prendra un peu plus de temps. Que souhaitez-vous?"

L'euphémisme et l'optimisme étaient probablement deux des principales caractéristiques de Dorothea. Si on oublie ses brûlures, son entêtement et son albinisme. Mais elle avait toujours une fâcheuse tendance à sous-estimer le travail qui l'attendait? Et de fait, elle avait tendance à passer quelques nuits blanches (ou presque blanches) dans son atelier, à travailler dans une chaleur étouffante jusqu'à l'épuisement. Et elle sentait, au fond d'elle, que ce contrat allait encore être une de ces situations.  Mais, comme d'habitude, elle réprima cette crainte d'un "T'inquiète, je te promets, ça passe" intérieur bien senti.

L'homme à la queue de cheval détailla un peu plus les maltraitances qu'avait subi l'exosquelette. De l'eau, de la boue, des balles, du feu, et de la magie my'träne... La première pensée de la jeune ingénieure fut de louer la solidité du travail des gens qui avaient construit et entretenu l'exosquelette avant elle. Il voulait que la protection ne change pas trop.

"Ca doit pouvoir se faire. Il faudra probablement que je remplace quelques plaques, parce que certaines ont l'air d'avoir très sévèrement douillé, mais normalement, je ne devrais pas avoir à altérer la structure générale de l'armure. Pour ce qui est des jointures, je peux tenter des trucs ici et là, mais il faudra probablement sacrifier un peu de mobilité si vous voulez quelque chose qui protège efficacement."

Le sujet suivant fut l'arme improvisée, qui était en remplacement d'un... Lance-flammes. Dorothea écoutait à moitié, en se demandant comment est-ce que l'explosion du lance-flammes n'avait pas emporté sa main avec le reste du lance-flammes, mais la question n'était pas forcément très pertinente.

"le rendre plus solide et plus pratique..."

Dorothea tiqua. Il voulait garder le lance-flammes? Quand bien même il avait manqué d'emporter le bras avec lui... L'idée lui semblait complètement hors de ce monde, mais ce n'était probablement pas à elle de dire au militaire quels choix faire. Elle se contenta d'acquiescer, et de réfléchir à comment renforcer les réservoirs du lance-flammes.

Le soldat enchaîna sur quelques conditions qu'il voulait voir respectées, dans le cas où Dorothea accepterait de s'occuper de l'entretien de l'armure et de l'exosquelette.

"Tout d'abord, je devrais rester avec vous le temps que ce soit fait, pas que je tienne à vous coller quand vous travailler, mais la technologie installée la dessus nécessite certaines précautions, à moins de vouloir faire sauter le quartier."

L'idée plaisait moyennement à Dorothea, elle qui appréciait que son atelier soit pratiquement vide quand elle était affairée à ses projets, avec pour seule compagnie les bruits de ses machines et la chaleur qui régnait, omniprésente, assommante, dans l'atelier. Mais, pour une tâche probablement aussi lucrative que celle-ci, elle serait capable de faire avec et d'accepter. D'autant plus que, si le risque de faire péter le quartier était si important, il valait mieux qu'il soit là.

"Deuxièmement il ne faudra pas s'occuper du fusil installé dessus, technologie militaire tout ça tout ça."

Ah, oui, matériel militaire classifié, évidemment. Dorothea se contenta d'acquiescer.

"Si ça vous va je vous laisse a totalité du matériel à réparer et l'arme à modifier."

La jeune ingénieure fit tourner les idées pendant quelques secondes dans sa tête et tapa dans ses mains, un claquement sec retentissant dans l'atelier.

"Les conditions me vont. Parlons un peu de la partie qui fâche. Pour ce qui est du paiement..."

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase, le soldat sortant une bourse et ajouta

"Paiement immédiat pour toutes les dépenses et les travaux ça conviendra ?"

La jeune ingénieure afficha un sourire tendu.

"Ce n'est pas vraiment la façon dont je le fais, je fais plutôt 50% en acompte et 50% à la livraison, mais si cette solution est celle qui vous arrange le plus, je peux m'en accomoder."

Le jeune soldat avait une dernière requête envers l'ingénieure, et demanda si elle avait les ressources pour entretenir un fusil magithèque. Des étoiles apparurent dans les yeux de Dorothea, elle qui vouait une admiration presque sans limites aux armes magithèques, véritables monuments d'ingénierie.

"Wow, un fusil magithèque... Oui, bien sûr, j'ai de quoi entretenir un fusil magithèque. Vous voulez juste le matériel ou vous voulez que je m'occupe de ça aussi?"

D'une certaine manière, elle espérait que le soldat s'occuperait lui-même de l'entretien du fusil. Elle avait déjà énormément de travail devant elle. Dans sa tête, fusa une simple petite idée... "T'inquiète, je te promets... Ça passe."

Elle commença à sortir du papier et de quoi écrire. Le restant de la journée s'annonçait déjà comme étant long.

"Avant qu'on commence le travail, est-ce tout ou y aurait-il quelque chose d'autre que je puisse pour vous?"