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 :: Les terres d'Irydaë :: Nislegiin
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 Farandole de crins [Kushi & Adaryon]

Kushi Virevenlte
Kushi Virevenlte
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyDim 29 Mar - 18:27
Irys : 141714
Profession : Eleveur de chevaux, chasseur et marchand nomade
Pérégrin 0
Les yeux fixés sur le chapiteau à moitié affaissé, Kushi ne savait pas ce qu'il devait ressentir, ou plutôt ce qu'il aimerait ressentir. De l'excitation, comme à chaque fois ces vingt-deux dernières années, à l'idée que les Grands Jeux d'avril allaient débuter ? Ou de la douleur à l'idée que ce serait la première fois qu'ils se dérouleraient sans Tömör pour remporter au moins une épreuve.

Les couleurs chatoyantes du chapiteau lui paraissaient bien ternes cette année. Était-ce parce que ses yeux, qui avaient vu l'horreur du sort réservé à leurs chevaux dont ils ne récupéraient que la tête et la peau ainsi que la mort de Tömör, avaient perdu de leur gaieté d'autrefois ? Ou tout simplement le passage du temps sur la teinture ? Il n'aurait trop su le dire.

Les pluies torrentielles de la veille, qui les avaient pris par surprise tant ils étaient plutôt habitués à voir le ciel cracher ainsi ses eaux plus tôt dans l'année, avaient retardé les préparatifs des Grands Jeux. Le chapiteau séchait au soleil, attendant son heure, à moitié dressé sur son flanc droit tandis que le gauche pendait misérablement sur le sol. Les hommes du clan avaient bien essayé de le soulever pour éviter de tendre la peau de khippogin d'une aussi barbare extension mais la tente alourdie d'eau avait vaincu leurs efforts.

Kushi en aurait presque ri, amer et sans joie, tant le chapiteau abattu ressemblait à une image vivante des émotions qui lui tordaient les tripes. L’éternel enfant en lui voulait s'amuser, s'exciter dans la joie et la bonne humeur, danser et danser encore, en une farandole virevoltante. Mais l'homme endeuillé ne ressentait que la lourdeur de la tempête de son chagrin alors qu'une seule pensée tournoyait dans sa tête : Tömör ne serait pas là.

Qui allait disputer avec lui le trophée de la course ? Qui serait l'archer dont les flèches égaliseraient ou surpasseraient ses tirs ? Quel fauconnier ferait tournoyer son rapace contre Sarangerel dans la chasse à l'aigle ?

Oh ! Ils seraient nombreux à essayer, même Enkhtuya qui s'occupait dorénavant de l'aigle de Tömör, tout en gérant le fabuleux troupeau qu'elle avait obtenu par son mariage avec le fils du chef et qui serait l'héritage de la petite Altantsetseg. Un doux sourire émergea enfin de la chape de plomb qui s'était posée sur son visage. Pour son premier anniversaire, il avait ramené de Dyen tout une collection de jouets en bois que l'enfant ne lâchait plus d'une semelle.

Le rayon de soleil s'attarda dans le ciel, et dans la tempête de son âme, chassant les vents de mauvais aloi. Ce dernier mois, aucun vol de cheval n'avait eu lieu et tous les membres du clan espéraient un meilleur avenir, même s'ils n'avaient jamais pu attraper les voleurs. Le Troc de Dyen avait été glorieux cette année, malgré la perte de Tömör, car les Grandes Chasses avaient été généreuses ; le clan avait ramené une petite fortune de la cité des dragonniers. De quoi préparer des jeux fantastiques qui resteraient dans les mémoires.

Alors Kushi se laissa glisser dans la joie qu'annonçaient les Grands Jeux. Il ôta la peau de culpabilité qui avait affaissé ses épaules et la jeta au vent pour qu'il l'emporte loin ; il savait pourtant qu'elle reviendrait vite, quand il n'y prendrait pas garde. Pour le moment, le nomade s'offrait un répit : Tömör ne lui en voudrait pas longtemps s'il s'amusait sans lui, si même qu'il lui en veuille une seule seconde.

***

Son état d'esprit joyeux ne le quitta pas malgré la nuit et ses yeux brillaient d'amusement quand le soleil éclatant les accueillit au matin. Il entendait les chevaux s'égayer dans les plaines, là où ils avaient installé leur campement au sud de Dyen après le Grand Troc, et les trilles des premiers poulains de l'année remplissaient son cœur d'amour et d'espoir. Leurs troupeaux retrouveraient leur splendeur si on leur en laissait le temps. Batbayar lui-même serait père de plusieurs juments d'ici le mois prochain.

Mais l'heure n'était plus à la contemplation ! Le chapiteau avait suffisamment séché la vieille, sans qu'aucune nouvelle averse ne vienne gâcher leur patience, et la petite bruine de la nuit n'avait qu'à peine entamé la résistance du cuir de khippogin.

Lorsqu'il arriva sur les lieux, une petite foule était déjà amassée devant la tente immense, répartie en cercle autour de Chingis, le vieux chef, dont le visage ridé était plissé par la concentration. Kushi se glissa telle une anguille entre deux hommes et rejoignit le vieillard. « Alors, vieil étalon, on lambine ? » claironna-t-il d'une voix brillante et taquine, les yeux pétillants de ses anciennes frasques. Un instant, la surprise se lut sur le visage de Chingis avant que l'exaspération ne se dispute au soulagement.  « Cesse de dire des sottises, gamin, et va plutôt soulever ce poteau. Il faut lever le chapiteau, les Chevauche-le Vent ! Les Grands Jeux vont débuter sans nous à ce rythme ! »

Kushi rit gaiement en s'enfuyant d'un pas sautillant vers le poteau porteur que Chingis lui avait pointé du doigt. Son sourire se transforma cependant en grimace quand la lourdeur de l'appareil lui revint en mémoire au moment où il essaya de soulever seul la charpente du chapiteau. De nouveaux rires éclatèrent, cette fois-ci à ses dépens, et d'autres mains vinrent l'aider à soulever le poteau, dressant fièrement une partie du flanc gauche du chapiteau ; d'autres se précipitèrent vers le deuxième poteau porteur pour les aider.

Une fois les poteaux en terres, porteurs comme subalternes, il fallut tendre les cordes d'amarrage puis amener les tapis et les tentures, les tables et les chaises, les coussins et les banquettes, les lanternes et les décorations ; le clan était devenu semblable à une fourmilière bien ordonnée.

Le soir tombait, le soleil disparaissant au centre du monde, quand des enfants déboulèrent au triple galop sur des chevaux trop grands pour eux qu'il fallut retenir par la bride tant leur excitation était grande. Celle des garnements était telle que le garçon de tête chuta au sol dans sa hâte pour rejoindre le vieux Chingis. Kushi l'attrapa par le col de sa tunique pour le soulever devant ses yeux réprobateurs et amusés mais l'enfant n'en eut cure.

« Chef Chingis ! Kushi ! Ya des étrangers qui arrivent ! On les a vus depuis la colline. » Pendant une seconde, tout le clan se figea d'horreur à l'idée qu'il s'agisse à nouveau de voleurs de chevaux. Kushi reposa l'enfant au sol, serrant la poignée de son cimeterre dont il ne se séparait plus depuis la mort de Tömör ; le visage soudainement fermé, il fit volte-face. « Je vais aller me renseigner sur leurs attentions ! » lança-t-il à Chingis en détalant telle une bourrasque, sifflant Batbayar dans le même temps.

Alors que le cheval déboulait d'entre deux tentes, il bondit sur son dos nu, dirigeant le galop puissant vers la colline susnommée. Un autre sifflement retentit, appelant cette fois-ci Sarangerel, puis deux claquements de langue pour lui ordonner de lui ramener son arc. On n'était jamais trop prudents avec de possibles voleurs de chevaux. Derrière lui, d'autres chevaux galopaient vers la plaine pour rassembler les troupeaux dispersés.

Adaryon Maedan
Adaryon Maedan
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyDim 29 Mar - 22:11
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Adaryon n’avait rarement vu quelque chose d’aussi beau.

Les plaines de Nisgeliin, enflammées de rouge, d’orange et de jaune brûlé, semblaient vrombir d’une puissance éthérée sous le joug d’un soleil vibrant qui s'éteignait. Dans sa longue chute pour un bref sommeil, l’astre jouait de ses derniers rayons pour mettre au monde d’incroyables illusions, passant d’un onirisme merveilleux sur un lac lointain à des nuages percés de couleurs poignantes : tout était parfaitement agencé, incomparablement mis en place pour créer un spectacle à en couper le souffle. Même les animaux de ces terres venaient se joindre à l’orchestre visuel, créant une musique unique et précieuse qui rendait le jeune homme en extase devant cet amalgame de beauté. Rajoutée à la séance paradisiaque, une douce odeur d’après-pluie flottait dans l’air, réconfortante et amicale alors qu’elle venait se poser sur son corps émerveillé.

Alors, qu’en dis-tu? C’est splendide, n’est-ce pas?

Le jeune nomade sortit peu à peu de sa contemplation hypnotique, un vague sourire sur le visage, puis pivota sa tête afin de croiser le regard de son mentor. Celui-ci le regardait avec la douceur habituelle de leur relation, ses longs cheveux noirs remuant derrière lui dans les dernières douces bourrasques de la journée. Adaryon, s’il avait pu, aurait gardé Orin et ce territoire pour lui seul encore quelques heures, figeant le temps dans cet ésotérique moment, mais il savait ne pas avoir ce pouvoir incroyable – à son plus grand dam. Il finit donc par répondre avec une mince risette;

C… C’est m-merveilleux.

Les yeux du Khorag brillèrent d’une lueur affectueuse, puis il posa avec tendresse sa main sur l’épaule de son apprenti.

Allez, nous devons repartir, tout le monde est prêt. Avec un peu de chance, nous allons pouvoir arriver à temps pour le lendemain, mais nous établirons un campement de nuit si le clan est trop fatigué.

Adaryon hocha doucement sa tête, puis obliqua en direction de ses autres compagnons. Emboîtant le pas au chef spirituel, il dévala avec sa légèreté habituelle la colline sur laquelle les deux avaient grimpé, puis rejoignit le clan en contrebas qui se préparait à la suite du voyage. Étaient-ils donc tous rendus à lever le camp? Hochant ses épaules, le porteur de don passa sa main sur l’encolure de sa monture, puis s’élança sur son dos avec la grâce du lien que portaient les magiciens de l’araignée. Balayant ensuite de ses yeux ses camarades, il repéra ses meilleures amies et se dirigea vers elles au pas de trot. Le trio se plaça dans les derniers rangs de la marche et se mit à discuter de tout et de rien, attendant le signal du Gharyn pour commencer à se déplacer.

Aaaaah, soupira Mirya en s’étirant une dernière fois. Je le sens qui s’active, j’espère qu’on partira bientôt, rajouta-t-elle en tapotant l’encolure de sa monture. Ça fait longtemps qu’on mérite un bon galop, si vous voulez mon avis!

Les deux autres secouèrent positivement leurs têtes. En effet, tout leur clan avait résidé dans la citée des dragonniers depuis maintenant plus d’un mois, partageant connaissances et pratiques avec ceux-ci. Leur propre base était postée à deux jours de marches de la citadelle, mais la tribu ne la rejoignait que rarement; cinq ou six membres étaient restés là-bas pour veiller sur les familiers, ce qui suffisait amplement. Néanmoins, il était enfin temps aux membres d’aller les rejoindre pour voyager un peu, même si Orin l’avait averti qu’ils retourneraient tôt ou tard à la ville des dragonniers. Autrement dit… Ils allaient enfin pouvoir goûter à l’abandon vibrant d’un galop sans barrières!

***

Les cheveux dans le vent, la joie au sein du le visage, les nomades parcouraient la plaine rougeoyante, s’échangeant leur plaisir à coups de rires gorgés de libertés. Adaryon, se joignant à l’euphorie ambiante qui liait tous les magiciens d’Orshin, demanda mentalement à sa monture d’accélérer afin de rattraper ses meilleures amies, laissant libre cours au chevauchement fougueux de Dallyo. D’un œil extérieur, peut-être les aurait-on pris pour des fous, mais ces moments spéciaux de liaisons avec leurs créatures était ce que chérissait le plus les fils de l’araignée.

Tournoyant, pivotant et vibrionnant, Adaryon laissa un grand sourire gagner son faciès alors qu’il se joignait à la danse. La vingtaine de membres, tous à dos de Shruuga, avaient arrêtés d’avancer vers le campement pour débuter une valse qu’eux seuls connaissaient, mélange harmonieusement chaotique de points qui s’entrelaçaient et se croisaient sans jamais se toucher. Sans même avoir besoin de contrôler leur monture, chaque membre savait qu'en aucuns cas ils n’allaient pouvoir casser l’ordre parfait, tous unis par le lien qu’ils ressentaient envers leurs animaux. Le jeune homme, aussi baigné dans cette paix incassable, expulsa un rire alors que Dallyo accéléra grandement, caressant presque le Shuurga de sa meilleure amie dans son allure.

La valse dura encore pendant quelques minutes, plongeant le groupe dans une paix commune, puis s’arrêta lorsque Orin fit un signe de main vers le haut. Maedan, curieux, demanda doucement à sa monture de s’approcher de son maître, valsant entre les autres membres en vue de se poster à ses côtés – là où il devait habituellement se trouver si celui-ci le demandait. Le Khorag semblait un peu trop raide pour avoir mis fin à l’alacrité à cause du temps qui défilait, hypothèse confirmée par ses yeux qui se plissèrent au loin alors que sa créature remuait avec crainte ses oreilles. Se passait-il quelque chose? L’apprenti suivit son regard, puis fut frappé d’une surprise nouvelle en voyant un point s’approcher dans le soleil.

Derrière moi, clama le chef spirituel alors que le Gharyn venait le rejoindre.

Les membres se placèrent en vitesse, déployant un éventail protecteur devant les plus jeunes. Adaryon, lui, resta proche de son maître en observant la personne qui s’avançait de plus en plus, penchant sa tête vers la droite d’un air curieux. L’ombre fut enfin assez proche pour que le jeune homme discerne un individu montant un cheval et qui, contre toutes attentes, semblait bien seul, ou du moins cachait bien son jeu. Il semblait aussi très petit, mais ce n’était que parce que lui-même montait un Shuurga, bête qui mesurait facilement le 2m50 aux garrots. La plupart des adultes étaient même perchés sur des créatures de 3m50, classique de leurs montures atteignant la maturité.

Salutations, nomade, grimpa la voix du Gharyn dans l’air avant même que l’autre ne les ait atteints. Nous ne cherchons aucun problème, nous retournons simplement à notre campement qui se trouve à un jour d’ici. Adaryon cligna des yeux en direction de l’inconnu, tentant d’apercevoir plus clairement ses traits. Laissez-moi nous présenter : nous sommes des nomades d’Orshin venus de My’tra pour faire affaire avec la cité de Dyen.

Toujours incapable d'entrevoir le visage de l'innommé, Adaryon demanda à Dallyo de s'avancer de quelques pas, façon pour lui de jeter un coup d'oeil plus précis et clair. Néanmoins, même ce stratagème ne porta point ses fruits; le dernier arrivé, à contre-jours dans le dernier cercle du soleil rougeoyant, semblait incarner avec une perfection divine ses terres dans le coucher du soleil de feu. Était-il agressif ?


Dernière édition par Adaryon Maedan le Mar 31 Mar - 20:10, édité 1 fois

Kushi Virevenlte
Kushi Virevenlte
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyLun 30 Mar - 13:54
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Profession : Eleveur de chevaux, chasseur et marchand nomade
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Il ne fallut pas longtemps à Sarangerel pour le rejoindre avec son arc qu'il attrapa habilement alors que l'aigle le lâchait de sa hauteur. L'arme en main, Kushi fit trois gestes circulaires pour lui demander de surveiller le ciel, sans ralentir le galop de Batbayar qui l'emmena rapidement sur la colline que le clan avait choisi comme point d'observation pour surveiller les alentours ; elle était en effet le seul relief des plaines à des kilomètres à la ronde.

Les enfants n'avaient pas menti, pas qu'il en soit étonné. Ce n'était pas dans les habitudes des Chevauche-le-Vent de manquer de franchise ou d'inventer des sornettes. Ils y avaient bien des formes indistinctes dans le lointain rougeoyant du crépuscule. Kushi jura dans son écharpe qu'il avait relevé sur son nez afin de se protéger des gifles du vent lors de la chevauchée. Par moment, il enviait l'ingénierie daënar. Il n'aurait pas dit non à une de leurs longues-vues dans une telle situation ; l'information s'enregistra dans un coin de sa tête.

Si le nomade n'avait pas besoin de selle pour monter Batbayar avec l'aisance d'un homme qui avait passé sa vie sur un cheval, il regrettait maintenant de ne pas avoir pris le temps de seller son cheval ; sans étrier, il lui était difficile de se dresser plus haut que la tête de l'étalon. Même en serrant les cuisses, les genoux remontés sur les flancs de l'animal, il ne voyait guère plus loin que le bas de la colline. Avec un claquement de langue agacée, Kushi se mit totalement debout sur Batbayar qui écarta ses jambes pour donner un angle plus arrondi à son dos et faciliter l'équilibre de son cavalier. Celui-ci ne semblait pourtant pas gêné par sa position instable. Il se tenait droit debout, telle une statue, à peine dérangé par le vent.

Une main en coupe au-dessus de ses yeux pour les protéger de la luminosité du crépuscule, qu'il avait heureusement dans son dos, ce qui lui donnerait un avantage certain si un conflit éclatait, Kushi essaya d'avoir une meilleure vision de l'attroupement qui galopait vers lui à vive allure. Il commençait à identifier des cavaliers sur les créatures. Celles-ci étaient trop grandes et agiles pour être des chevaux, trop petites et terrestres pour être des dragons, même si les cavaliers venaient nettement de la direction de Dyen.

Quoi qu'il en soit, les inconnus ne paraissaient pas être des voleurs de chevaux. Pour autant qu'il le sache... Ces fumiers ne laissaient jamais une piste clairement apparente ! Tout au plus des traces de pas, associés aux sabots de leurs bêtes manquantes, puis le néant d'une mystérieuse disparition. Des chasseurs émérites comme ceux des Chevauche-le-Vent les auraient retrouvé depuis longtemps dans le cas contraire, Kushi le premier. Il se jetait sur leurs traces comme un chien de chasse, en pure perte.

Mais des bandits auraient été moins... expansifs. Il notait de la joie dans les caracoles des créatures dont il n'arrivait pas encore à identifier la nature. La vision finit par lui arracher un petit sourire qui vint trancher ses traits rendus durs par la méfiance. Le nomade se laissa glisser sur le dos de Batbayar et accrocha son arc à l'accroche qui pendait près de son cimeterre ; il doutait désormais d'avoir à l'utiliser en cette soirée.

Il n'en quitta pas pour autant sa position en hauteur, plus propice pour répondre par une charge à un retournement de situation impromptu. Plus il voyait les étrangers approcher, plus il devinait qu'il serait surpassé en taille comme en nombre. Il convenait de rester prudent et de garder sous le coude son avantage de terrain. On ne savait jamais ce qui pouvait arriver par inconscience.

La mort de Tömör lui avait au moins appris à réfléchir sagement, quand il n'était pas dans le feu de l'action.

***

Maintenant que le groupe inconnu s'était suffisamment avancé pour qu'il discerne leurs traits, Kushi pouvait mettre un nom sur leurs montures. Des Salkhis de Kolios, s'il ne se trompait pas. Il n'en avait vu qu'une fois, il y avait bien longtemps, lorsqu'une caravane en provenance de My'trä avait fait une escale chez les Chevauche-le-Vent. Il devait avoir six ou sept ans à cette époque.

Les animaux l'avaient pourtant fortement marqués. Plus que leur capacité géophage, il avait été impressionné par leur taille immense et la grâce de leurs pattes sans fin. Leurs caracoles volages, leurs folles farandoles, leurs danses gracieuses... Ah ! Il aurait dû remarquer plus tôt tous ces indices qui ne trompaient pas. Et si le petit garçon s'était senti minuscule, même l'homme adulte ne pouvait pas se séparer de ce sentiment.

Batbayar était peut-être un étalon parmi les plus grands de tous les troupeaux des Chevauche-le-Vent, leurs chevaux n'avaient jamais été réputés pour leur taille, loin de là ! Certains étrangers osaient même les outrager en les insultant du terme de poneys ; ils déchantaient rapidement lorsque les Chevauche-le-Vent les invitaient à monter sur le dos de leurs chevaux libérés de mors.

L'hospitalité des Chevauche-le-Vent était généreuse mais pas au point de laisser des inconnus se moquer impunément de leurs chères montures ! Et puis, des fesses douloureuses et quelques quolibets amicaux n'avaient jamais tué personne.

La méfiance, par contre, en avait mené plus d'un à la mort. Et la honte faisait ployer les épaules de Kushi maintenant qu'il avait un visuel des étrangers. Comment Tömör réagirait s'il apprenait, où qu'il soit désormais, que son clan avait laissé la défiance transformer des inconnus en ennemis ? Les exactions des voleurs de chevaux avaient laissé plus de séquelles psychologiques qu'il ne l'avait d'abord pensé.

Mais sa posture devait encore être tendue car les étrangers s’arrêtèrent à l'ordre de leur chef et se resserrèrent les uns contre les autres, les jeunes relégués à l'arrière, en une position visiblement défensive. En réponse, Kushi leva une main au ciel dont il ferma le poing ; Sarangerel déboula en piqué des nuages pour se poser sur son dos comme elle aimait le faire pour éviter de le déséquilibrer.

Le nomade abaissa son écharpe pour présenter son sourire amical aux visiteurs et fit s'avancer tranquillement Batbayar vers les Salkhis. « Bienvenue, nomades d'Orshin de My'trä ! » dit-il d'une voix claire alors qu'il s'arrêtait devant l'homme qu'il avait identifié comme le chef. Son sourire était éclatant, presque aussi flamboyant que sa chevelure rousse qui prenait des allures de flammes dansantes avec le soleil qui se couchait derrière lui. « Je suis Kushi fils de Ganbaatar des Chevauche-le-Vent. Les miens m'appellent Virevenlte, vous pouvez en faire de même. »

Sarangerel lui mordilla soudainement l'oreille et il glapit dans un rire clair. « Ne sois pas impatiente, mon amie, j'allais y venir ! » Kushi adressa un regard espiègles aux nomades d'Orshin, qu'ils savaient à même de comprendre, mieux que personne, le lien qu'il entretenait avec ses animaux. « Kushi Virevenlte ne voyage pas seul. Voici Sarangerel, une harpie féroce de nos jungles à l'ouest des montagnes de Dyen, et mon fidèle étalon, Batbayar, qui protège mon troupeau des prédateurs et ma vie en toute occasion. » Il grattouilla d'une main les plumes de l'aigle qui claqua du bec dans le vide, bienheureuse sous la caresse, et flatta de l'autre l'encolure puissante de son cheval qui souffla en détendant un cou apaisé.

Le visage curieux d'un jeune homme attira son attention alors qu'il se faufilait entre ses camarades pour l'observer et il lui sourit plus largement, un silencieux « Bouuuh ! » étirant ses lèvres. Ses cheveux aussi blancs que la neige des lointaines contrées du grand ouest l'intriguaient ; il n'en avait jamais vu de tels sur un visage aussi jeune. Si les nomades d'Orshin s'attardaient dans leur campement, il comptait bien rechercher la compagnie du jeune homme pour satisfaire sa curiosité.

Car, passée la première méfiance, seule subsistait la joie d'accueillir des étrangers lors des Grands Jeux : il n'y avait pas de meilleurs moments de l'année pour s'amuser ! Kushi se redressa donc sur son cheval, son corps agile tendu par l'effort que lui demandait sa posture acrobatique, ses genoux serrés sur les côtes supérieures de Batbayar étant sa seule accroche maintenant son équilibre, et ouvrit de grands bras accueillants. « Il se fait tard et la nuit apporte son lot de dangers. Si vous le désirez, les Chevauche-le-Vent seront heureux de vous offrir le lait de jument de l'hospitalité. Demain s'ouvriront nos Grands Jeux ! Il y a donc suffisamment de yourtes pour protéger vos corps de la pluie et de nourriture pour combler vos ventres affamés. Vous êtes les bienvenus chez les Chevauche-le-Vent ! »

Tömör serait sans doute fier de lui, à le voir ainsi prendre ses responsabilités sans rechigner, avec autant de sérieux que de bonne humeur, de sagesse que de frasques, de brises calmes que de bourrasques ! Les yeux pétillants et la bouche souriante, il n'y avait plus qu'à attendre la réponse.

Adaryon Maedan
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyLun 30 Mar - 20:26
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Enfin, Adaryon pouvait le voir.

Dorénavant discernable entre les rayons de l'astre, l'inconnu semblait encore plus être l'incarnation de ses terres; cheveux aux tons de roux enflammé, yeux ambrés de lumières jaunes, peau mate forgée par le soleil... C'était comme si la plaine leur avait envoyé son propre architecte de feu. Pourtant, ce n'était qu'un membre des Chevauche-le-vent, un clan qui, se doutait le jeune apprenti, devait ressembler beaucoup au sien. Kushi, fils de Ganbataar, marmonna l'adepte pour lui-même, d'un ton murmuré si bas que personne ne l'entendit. Ce Virevenlte avait dit ce nom d'une voix si fière, si claire, comme Myria lorsqu'elle parlait; pourtant, dans sa propre bouche, il ressemblait aux mots bégayants qu'il déblatérait chaque jour de sa vie. Certains étaient nés pour être meneurs, d'autres non, et Adaryon ne le serait jamais.

Son faciès se moulait dans un froncement significatif alors qu'il fouillait au creux de ses pensées. Néanmoins, avant même qu'il n'ait pu poser le doigt sur ce qui le dérangeait, un rire éclatant l'expulsa de sa tête avec la force d'un Bukh: un rire qui venait de Kushi. « Ne sois pas impatiente, mon amie, j'allais y venir ! »  Conscient qu'il parlait de sa compagne de ciel, le porteur de don posa ses yeux sur elle, intrigué. Elle ressemblait beaucoup à son Shalshogu, Iryza, mais quelques caractéristiques bien précises différaient, comme la différence de taille des deux. « Kushi Virevenlte ne voyage pas seul. Voici Sarangerel, une harpie féroce de nos jungles à l'ouest des montagnes de Dyen, et mon fidèle étalon, Batbayar, qui protège mon troupeau des prédateurs et ma vie en toute occasion. »  Un murmure d'approbation s'éleva dans les rangs de ses camarades. Rares étaient les occasions où on voyait un inconnu présenter ses créatures comme des compagnons, sauf s'ils étaient fils d'Orshin... Et ce seul fait fit baisser de plusieurs crans la défense mentale de certains. Adaryon, lui, se contenta d'afficher un bref sourire sur son visage, poussant de ses mains sur l'encolure de son animal pour détailler cedit étalon.

Ainsi fixant avec précision la monture, il remonta doucement vers son maître et eut la brève surprise de voir ses yeux posés sur lui. Les deux inconnus s'échangèrent des coups d’œil précis, puis ce nouveau venu étira ses commissures pour lui offrir un sourire éclatant. Pourquoi lui avait-il offert ce signe amical ? Adaryon cligna lentement ses yeux, puis fronça ses sourcils lorsque le visage de Kushi se détacha du sien.  

« Il se fait tard et la nuit apporte son lot de dangers. Si vous le désirez, les Chevauche-le-Vent seront heureux de vous offrir le lait de jument de l'hospitalité. Demain s'ouvriront nos Grands Jeux ! Il y a donc suffisamment de yourtes pour protéger vos corps de la pluie et de nourriture pour combler vos ventres affamés. Vous êtes les bienvenus chez les Chevauche-le-Vent ! »  

Le jeune obliqua son attention vers Orin et le Gharyn, observant l'échange silencieux qui apparaissait entre le duo de regards sans émotion. Pour sa part, le jeune chasseur aurait bien voulu que la réponse soit positive; il pourrait remplir son carnet de nouveaux dessins, à commencer par Batbayar qu'il ne cessait de regarder d'un air impressionné. Il avait déjà remarqué certaines races de chevaux de loin, mais celui-ci était différent, et ne manquait pas de fougue et de beauté.

Merci de votre proposition, Kushi fils de Ganbataar des Chevauche-du-Vent. Notre tribu est en effet fatigué par ce voyage et cette hospitalité tendue avec autant de respect ne saurait se confronter à un refus. Nous acceptons donc avec grand plaisir ! Un sourire crépita sur les lèvres de leur chef, puis il continua; Je me nomme Batvon Lellan, Gharyn de notre clan de nomade, et voici Orin, le Khorag. Il y a aussi Roqhan, que je ne saurai oublier, ajouta-t-il avec humour en posant sa main sur sa géante monture.

Des murmures amusés s'élevèrent au sein de leurs rangs, la pression d'un futur combat définitivement relâchée. Adaryon, les yeux toujours posés sur Kushi, n'écouta que d'une oreille distraite son chef distribuer de rapides ordres. Il ne réalisa ceux-ci que lorsque Vata'ka siffla pour attirer son attention, puis lui envoya un signe amical de la main. Elle et deux chasseurs partiraient ce soir pour le campement, transportant les ravitaillements et équipements inutiles pour les membres restants. Le jeune garçon hocha donc la tête vers son amie, posant sa main sur son cœur et abaissant la tête de quelques centimètres.

Nous voilà donc prêts ! Sans même poser ses mains nulle part ni faire aucun mouvement, la monture de son Gharyn s'avança sous la demande du lien d'esprit. Merci encore pour l’hospitalisé, Kushi des Chevauche-le-vent. Je ne peux point vous donner beaucoup, mais l'honneur des membres d'Orshin attache énormément d'importance à remercier ceux qui leur viennent en aide. J'aurai donc des remerciements à faire au meneur et des présents à lui offrir.

La politique ne l'intéressant que peu, Adaryon laissa Batvon parler avec le nouvel arrivant afin de se caler à côté d'Orin. Celui-ci, une étincelle dans le regard, observait son apprenti avec une touche inconnu qu'il n'arrivait pas encore à comprendre. Il haussa ses sourcils, mais son maître, fidèle à lui-même, ne lui offrit qu'un sourire ambigu avant de se mettre à avancer au trot. Tout cela était bien intrigant... Murmurant à son égard, il laissa sa monture suivre le mouvement de l'avancée pour plonger sa main dans son sac, puis sortit de celui-ci son carnet et un crayon. Il les rangea tous deux au fond de sa petite sacoche et, ainsi sa tâche terminée, accéléra sa vitesse dans le but de retrouver son mentor.

Quelque temps plus tard, il perçut entre ses yeux plissés les contours d'un campement se rapprochant progressivement. Dallyo, sous la demande de son porteur de don, exécuta un long cercle pour briser en douceur les rangs, puis s'arrêta à la toute fin de la ligne, là où les plus jeunes devaient se trouver dans de telles circonstances. Il avait bien hâte de se jeter au sol pour arpenter un peu les alentours, même s'il savait malheureusement que la politique devançait toujours son envie intarissable envers les créatures inconnues.

Il est pas mal ce Kushi, pas vrai, Chuluun ? Glissa Mirya à ses côtés, retenant un gloussement enfantin. En tout cas, je veux bien partager ce lait de jument avec lui s'il me le demande...

Maedan sentit ses commissures s'étirer sous l'intonation idiote de son amie, mais se força à ne pas échapper un rire lorsqu'il sentit le groupe s'arrêter aux abords des installations. Il n'avait jamais vraiment compris l'attirance des adolescents de son clan, trop concentré à son apprentissage pour même penser songer à quelqu'un plongé dans ce genre de pensées. Pourtant, ses yeux traînèrent avec curiosité autour de lui pour tenter de retrouver ce Virevenlte. Rien. Avait-il disparu dans une des habitations, où se trouvait-il au-devant de la ligne ? Ses épaules se haussèrent mollement; il attendrait que le tout soit fini, voilà tout. En attendant, ses prunelles s'accrochèrent au dos d'Orin, qu'il ne lâcha pas même lorsqu'il entendit des voix s'élever.

Kushi Virevenlte
Kushi Virevenlte
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyMar 31 Mar - 14:56
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Même si son geste n'avait pas été sciemment pensé pour leur plaire, Kushi était heureux d'entendre des murmures d'approbation courir parmi les rangs des étrangers. Il devinait sans peine qu'il avait touché une corde sensible de ces adeptes d'Orshin et qu'ils se détendaient en conséquence, quittant peu à peu leur posture défensive. La curiosité du jeune homme repéré plus tôt s'en retrouvait même amplifiée, s'il devait en croire les yeux qu'il laissait courir sur Batbayar alors qu'il se tenait en retrait de la conversation.

Etant ainsi admiré, et reconnaissant les regards pour ce qu'ils étaient, Batbayar ne pouvait s'empêcher de caracoler. Il avait redressé la tête sur un port altier, les naseaux frémissants de la force de son souffle puissant, les jambes sautillant d'un sabot à un autre, la queue secouée de mouvements dominants ; il était un étalon protecteur de troupeaux et ne se laissaient pas facilement intimider par la taille des shalkis.

Amusé par son petit caprice, Kushi le laissa volontiers faire, suivant ses mouvements avec une aisance qui ne pouvait qu'être née de l'habitude. Lui aussi sentait les frissons de la joie de la nouveauté et de l'excitation de la curiosité emplir son corps en envoyant des décharges dans chacun de ses nerfs ; s'il n'avait pas à suivre le rythme effréné des pas dansants de Batbayar, à ne pas en douter, c'aurait été lui qui aurait eu du mal à tenir en place.

« Vous me voyez plus que ravi, Garyn Batvon Lellan, par l'acceptation de mon invitation. Chingis, notre chef, sera enchanté que je lui ramène des invités. » Il faillit ajouter que leur arrivée allait détourner le clan de la mort de Tömör, du moins pour un temps, en accaparant leurs esprits sur autre chose. Mais l'affaire était aussi douloureuse que privée, et il se doutait que des nomades d'Orshin seraient incapables de comprendre leur affliction, et il garda donc la pensée pour lui. « Oh ! Vous savez, votre simple présence sera un cadeau en soi. Voilà longtemps que nous n'avons pas eu de concurrents extérieurs pour nos Grands Jeux. Nous commencions à tourner en rond à concourir contre les mêmes personnes. » ajouta-t-il plutôt, le faciès semblable à un renard espiègle. « La victoire perd de sa saveur quand elle est redondante. »

Peut-être trouverait-il même parmi eux quelqu'un à même de lui faire oublier, sur la piste des épreuves, le fantôme de Tömör et le vide insoutenable de son absence. Il se sentait un peu honteux de vouloir l'oublier ainsi, même pour quelques secondes d'adrénaline, mais il n'était pas suffisamment enfoncé dans le déni pour nier l'intérêt de toute l'affaire ; il n'avait pas le luxe de pouvoir patauger indéfiniment dans le marasme de sa tristesse. Même Enkhtuya - la belle et forte Enkhtuya - faisait face à l'affliction avec plus de courage qu'il n'en avait par moment.

Il devait donc impérativement cesser de penser à Tömör pour se concentrer totalement sur les étrangers qu'il avait invité au nom des Chevauche-le-Vent, et dont il était désormais garant... et responsable. Ce serait sans doute à lui de s'assurer que leur confort serait conforme aux traditions hospitalières du clan, et le seul coupable si un incident advenait. L'idée d'une telle responsabilité lui faisait nettement moins qu'il ne l'aurait cru.

Alors que le Gharyn envoyait des cavaliers déposer le surplus de leurs affaires à leur camp, Kushi prit la tête du convoi pour les emmener jusqu'aux Chevauche-le-Vent. Levant le bras pour libérer le vol de Sarangerel, il l'observa tournoyer dans les airs, aussi curieuse des shalkis que lui, et sans doute très intéressée par l'envie de jouer avec eux. Il remisa l'idée dans un coin de sa tête, un sourire étirant ses lèvres ; plus tard, lorsqu'ils se connaîtraient mieux. « Vous arrivez juste à temps. Nous venons de finir de monter le chapiteau des Grands Jeux ! Il se dresse fièrement maintenant dans toute la splendeur de ses couleurs chatoyantes... un peu délavées par le temps, malheureusement. Nous allons sans doute repasser la peau de khippogin dans la teinture avant le retour de la saison des pluies, afin que le chapiteau soit flamboyant de vie pour l'année prochaine. » Bercé par son babillage chantant, ils cheminèrent vers le camp en contre-bas de la colline.

Dès qu'ils furent repérés par les Chevauche-le-Vent, un attroupement de cavaliers galopa vers eux. Il y repéra avec soulagement sa vieille amie Enkhtuya. Sans cesser de sourire au Gharyn, Kushi pressa les flancs de Batbayar et rejoignit au petit trot les cavaliers. Il attendit cependant que Batbayar soit doucement enfoncé dans leurs rangs, le nez près de la croupe, la croupe près des nez, pour murmurer : « Fausse alerte. Ce sont des nomades d'Orshin. Je les invités à nos Jeux. » Un jeune adolescent allait s'exclamer un quelconque reproche lorsqu'un homme plus âgé lui frappa les côtes de son coude. « Kushi parle au nom du clan. » siffla-t-il à l'impertinente. Même Kushi en fut surpris : il n'était pas encore habitué à voir tant de respect lui être dû ; encore une chose que la mort de Tömör avait changé.

Enkhtuya pressa alors sa jument contre le flanc de Batbayar pour le fixer dans les yeux, caressant affectueusement son bras. Elle dut y trouver ce qu'elle y cherchait car un sourire rassuré chassa les ombres de son visage. « Va prévenir le chef Chingis, je m'occupe de nos invités. » lui dit-elle, bondissant en avant sans qu'il puisse lui rétorquer quoi que ce soit sous les regards moqueurs des autres cavaliers. Kushi soupira d'un air fataliste, une moue boudeuse au visage. « Allez avec elle, petits taquins. Je n'ai pas besoin de votre protection pour affronter le vieux Chingis. » Ils rirent de ses frasques mais obéirent promptement. Kushi les regarda s'éloigner pour rejoindre les shalkis puis poussa Batbayar en avant afin de trouver au plus vite le chef du clan.

Chingis n'avait pas bougé de place, supervisant toujours l'installation du chapiteau. Kushi sauta à bas de Batbayar avant qu'il ne se soit arrêté et finit sa foulée avachi sur les épaules du vieillard, un sourire espiègle ourlant ses lèvres. « Nous avons des invités. »  chantonna-t-il gaiement en réponse à son sourcil interrogateur. Mais le sourcil ne faisant que se rehausser, il s'expliqua  : « Loin d'être des voleurs de chevaux sans cœur ni trace d'empathie pour amoindrir leur avarice - maudits soient ces fumiers ! Ahem... Je disais donc qu'il s'agit de nomades d'Orshin. Tous à dos de shalkis. Les enfants vont a-do-rer. Et nous avons besoin de concurrents pour les Jeux. » Il n'osa pas rappeler à Chingis l'absence de son propre fils mais le vieil homme dut comprendre le fil de ses pensées car ses yeux s'adoucirent de peine et de compréhension.

« Et où allons-nous les loger ? » demanda-t-il cependant en grommelant, son sourcil expressif toujours dressé en sa direction. Kushi gémit pour la forme ; comme il l'avait deviné, il s'était chargé le dos de plus de responsabilités. « Nous avons suffisamment de yourtes montées. Même si nous avons énormément acheté au Grand Troc de Dyen, trois yourtes pour les réserves, c'est seulement au cas où un accident se déclare et ne pas tout perdre en même temps. Nous pouvons facilement en vider une et transférer les réserves dans des yourtes personnelles. » Chingis sourit en tapotant sa joue. « Tu apprends vite, gamin, même lorsque tu mimes le vent-renard ! Je prendrai une partie dans mes réserves... et toi, le reste ! C'est ton idée après tout. »

Des rires éclatèrent autour d'eux, car ils étaient beaucoup à suivre leur conversation avec une attention curieuse. Kushi fit donc semblant d'être exaspéré par la décision du vieux chef. « Tu es dur avec moi, Chingis ! Où donc vais-je ranger mes robes, mes bijoux, mes tapis ?! Ma yourte va ressembler à un bazar en plein Troc de Dyen ! Si j'invite quelqu'un dans cette jungle sans queue ni tête, il va fuir avant de boire quoi que ce soit. » La brise de rires devint une bourrasque d'hilarité à cette sortie, et il crut même entendre la voix de Tömör s'esclaffer au creux de son oreille. « Oh ! Je ne m'en fais pas, Virevenlte, tu as assez de bagou pour retenir l'objet de tes attentions dans tes virevoltes. » répondit malicieusement le vieil homme. Kushi s'inclina joyeusement en reconnaissant sa défaite.

Chingis se redressa pour déclarer de sa voix de stentor : « Que l'on m’amène mon cheval ! Je vais aller accueillir nos invités comme il se doit. Et qu'on aille aussi quérir suffisamment de lait de jument chaud pour calmer la soif de tous nos invités et qu'on prépare également la yourte pour qu'un juste repos leur soit possible, les Chevauche-le-Vent ! Le vent des plaines nous a mené  des contes que nous n'avons encore jamais entendu. Ce soir sera une nuit de liesse ! » Des cris excités répondirent aux injonctions du vieux chef. Kushi y joignit sa voix claire alors qu'il bondissait à nouveau sur le dos de Batbayar qui caracola tout naturellement aux côtés de l'étalon blanc de Chingis lorsqu'il s'élança à la rencontre des nomades d'Orshin.

Adaryon Maedan
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyMar 31 Mar - 22:21
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La nuit s'était installée.

Loin d’être lourde comme les jungles électrices de Mytra, la rareté de la végétation était d'une beauté particulièrement touchante en cette ésotérique sorgue, la lune baignant la plaine dévoilée d'une douce lumière nacrée. L'astre du ciel peignait en délicatesse la toile qu'elle contemplait chaque jour de son antre, prenant un réel plaisir à étendre ses rayons translucides, les faisant ricocher sur innombrables surfaces. Ils se fichaient dans la terre meuble, reflétaient la beauté au creux des yeux multiples et caressaient le pelage des animaux, les rendant irréels pendant des secondes qui paraissaient infinies. Ce temps semblait durer éternellement pour eux, les quadrupèdes se vantant de contempler la magnificence nouvelle de leur bizut physique brillant; les lointains ruisseaux chuchotaient conte et légende, les maigres arbres bruissaient en écoutant leurs douces voix. On s'arrêtait, penchait notre tête, accueillait la paix.

Préparez les cadeaux. La voix chaude et lumineuse de son meneur le sortit de sa contemplation distraite, provoquant un bref sursaut en lui après ce temps de silence. Mirya, Ekhorim, placez vous à mes côtés.

Son amie lui envoya un clin d’œil complice, le laissant seul au bas de la file alors qu’elle la remontait avec aisance. Ses yeux la suivirent, l’observant se tenir à l'aide de l'élégance d’une cheffe sur sa monture et, tout cela, malgré son jeune âge. Dos droit, aura charismatique et présence flamboyante, Adaryon n’aurait pu imaginer une meilleure future Gharyn pour leur clan… Un bref sourire s’éveilla sur son visage auparavant pensif. Lui n’aurait jamais pu diriger quiconque et se retrouvait, sans tristesse ni regret, du côté d’Orin et de sa présence discrète, porteur de don avide de savoir, mais pas de pouvoir.

Salutations, chef des Chevauche-le-Vent! Je me nomme Batvon Lellan et vous remercie une nouvelle fois tout votre clan pour l’hospitalité aussi aimablement offerte. Il posa son poing sur sa poitrine et se baissa, sa monture exécutant le même mouvement en pliant sa jambe droite. Je veux offrir, au nom de tous ceux derrière moi, des présents pour vous gratifier comme il se le doit. Sa meilleure amie et un autre chasseur s’approchèrent, se plaçant de chaque côté du Gharyn avec un sac dans les mains. Il y a là-dedans un arc natif de notre clan, des habits créés au moyen d'amour et respect des créatures, puis certaines concoctions dont nous avons le secret. Bien sûr, nous avons encore de la nourriture que nous serons ravis de partager avec vous pour le repas de ce soir!

Synchronisé sur les paroles du chef, le duo présenta quelques objets, donc l’arc brillant sous les rayons de la nouvelle lune. Se détournant de la contemplation qui ne l’intéressait que peu, Adaryon passa avec amour sa main sur les oreilles de Dallyo, grattouillant celles-ci alors qu’elles bougeaient sous l'attention naissante. Suite à cette démonstration d’affection, il posa un bref bisou sur le haut de son crâne, puis laissa échapper un mince rire lorsque sa monture s’ébroua avec amusement. Jamais n'aurait-il remplacé toutes ses créatures pour des responsabilités politiques…

Comme s'il se moquait de ses pensées, son ami démarra avec un bon brusque vers l’avant, suivant la troupe qui s’avançait enfin vers les habitations. Le porteur de don laissa passer un bref gloussement en tapotant son encolure, puis regarda à l’avant pour essayer de discerner le campement des Chevauche-le-vent. Malheureusement, il n’aperçut que son chef discuter avec celui de l’autre tribu, suivie de Kushi et de Mirya, qui regardait le chasseur d'un air d'alanguissement qui n’était point très subtil.  

Adaryon, appela Orin avec sa douceur habituelle. Vient ici, veux-tu? Celui-ci accéléra la vitesse dans le but de dépasser ses compagnons, puis s’arrêta à côté de son mentor. Occupe-toi des Shruuga Orshin lorsque nous arriverons, s’il te plaît.

Il hocha doucement sa tête pour démontrer qu’il avait compris. Après cet échange, il ne fallut que quelques minutes de déplacement avant que les habitations se montrent enfin, éclairées par les étoiles qui apparaissaient et le doux feu qui ronronnait. L’apprenti ne put s’empêcher de jeter des œillades au grand chapiteau installé, celui-ci lui rappelant une mauvaise aventure avec des dragons et… Ne valait mieux pas y penser. Il débarqua de Dallyo en un saut rapide, puis aida ses compagnons à décharger tout ce qui se trouvait sur les bêtes. Quand ils furent libres de leurs charges, Adaryon sifflota doucement, les amenant derrière lui alors qu’il s’enfonçait hors du campement.

Après deux un trois minutes de marche, il s’accroupit afin de poser ses genoux sur le sol, les yeux fermés et les sens en alerte. Une respiration, deux, trois: le vide se fit dans son esprit, permettant au magicien de titiller le lien qui l’unissait à Iryza. Après cet exercice, il ne fallut que quelques minutes avant que son oiseau débarque en chute libre, poussant un cri ravi en voyant son maître sur le sol. Celui-ci rigola doucement, levant son bras pour permettre au Shalshogu de se poser avec l’aisance dont elle faisait toujours preuve.

–  Bonsoir, ma belle, commença-t-il en lui grattouillant le haut de la tête. La suite de la discussion se fit mentalement, Adaryon lui demandant poliment; Voudrais-tu surveiller les alentours pour voir s’il y a des dangers qui approchent? Je te garderai une bonne part de viande, s’ils en ont.

Son oiseau ébouriffa ses plumes et lui picora affectueusement le front.

Tu sais bien qu’aucun danger ne viendrait à bout d’une meute de Shruuga.

La réponse d’Iryza le fit pouffer doucement alors qu’il secouait sa tête. Contente de cette réaction, elle s’envola en poussant un cri joyeux, puis s’en alla d’un battement d’ailes faire les rondes dans la nuit profonde. Le fils de l’arachnide, lui, resta sur ses genoux encore quelques minutes, caressant Dallyo d’une main distraite. Il aurait bien voulu rester avec eux toute la nuit, mais savait qu’Orin attendait son retour. Il se leva donc avec habileté, épousseta ses habits et retourna en direction des installations.

Les rires commençaient déjà à fuser d’un peu partout et l’ambiance, joyeuse et festive, entoura vivement Adaryon dès qu’il posa le pied au sein du campement. Les deux tribus s’étaient déjà mélangées autour du feu et discutaient entre eux, comme s’ils formaient une grosse famille qui se connaissait depuis des lunes et des lunes. Le jeune tenta de retrouver son mentor, mais celui-ci était déjà entouré de deux personnes, plongé dans une discussion qui ne semblait pas vouloir connaître de fin. Il haussa donc les épaules et alla s’asseoir un peu plus loin, plongeant son regard dans le feu rougeoyant en attendant que quelque chose se passe. Connaissant ses compagnons, l’un d’eux n’allait pas tarder à proposer musiques et chants et Mirya le presserait à se joindre aux bataillons de représentations… Il profita donc des minutes de paix pour fermer les yeux, se préparant à la future tempête.

Kushi Virevenlte
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyJeu 2 Avr - 0:00
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Le clan des Chevauche-le-Vent était extrêmement fier de leurs endurants et petits chevaux. Alors qu’ils galopaient en direction des Salkhis, le sentiment ne faisait qu'enfler dans la poitrine de Kushi. Le roulement de tonnerre des sabots nus sur le sol de la steppe vibrait comme le martèlement effréné d’un cœur vivant au rythme des saisons. La forme arrondie de leurs pieds épousait parfaitement le sol inégal de la plaine, le souffle puissant de leurs naseaux s’enveloppait dans les danses de la brise, l’écume de leurs flancs généreux s’en allait abreuver la terre fertile ; la plaine faisait ressortir leur fougue et leur force, là où l’agilité et l’intelligence prévalait dans la jungle.

L’étalon pommelé et le blanc cheval s’arrêtent devant les immenses ombres des salkhis dans un bel ensemble. Les longs crins de leurs crinières virevoltant au gré du vent et les yeux farouches de leur ardeur sauvage, ils compensaient leur petite taille par la grandeur de leur majesté. En retrait maintenant que le vieux Chingis s’était déplacé auprès de leurs invités, Kushi observait la scène sans rien dire, un petit sourire aux lèvres. Le vieillard se redressa sur ses étriers, mit le poing sur le cœur et s’inclina bien bas en réponse au salut du gharyn.

« Salutations, gharyn des membres d’Orshin ! Je me nomme Chingis fils d’Altaï des Chevauche-le-Vent et c’est moi qui vous remercie de nous réjouir de votre présence alors que les Grands Jeux sont imminents. » déclama d’une voix forte ce vieil ours, véritable force de la nature. Le chêne qui soutenait le clan avait à peine ployé à la mort de Tömör, son fils unique, la prunelle de ses yeux, son héritage sur cette terre ; il avait surmonté la force des bourrasques de sa douleur pour continuer de supporter les fondements qui maintenait droite la course des Chevauche-le-Vent et avait transféré son héritage à un autre. Kushi se demandait parfois ce qu’il avait vu en lui, derrière ses frasques et son insouciance, et sa culpabilité dans la perte de Tömör.

Mais les généreux cadeaux des nomades d’Orshin titillèrent suffisamment sa curiosité pour qu’il laisse ces sombres pensées de côté et se penche sur l’encolure de Batbayar pour les observer plus en détails. L’arc au bois si poli qu’il en brillait sous les éclats de la lune attirait particulièrement son attention. Il ne ressemblait en rien aux arcs composites que son clan utilisait. Petits et nerveux, ces arcs s’accordaient parfaitement à leurs chevaux. Il en était de même avec cet arc-là : aussi grand et élancé que les salkhis, il devinait à la forme raccourcie de sa branche basse qu’il était utilisé en archerie montée, alors même que sa branche haute permettait une portée conséquente. Kushi sentait monter en lui l’envie intense de l’essayer, d’apprendre ses subtilités car il devinait aisément qu’il ne devait pas s’employer de la même manière que leurs arcs composites.

Il y avait également des habits de fourrure, visiblement chauds, qu’on leur apprit confectionnés en poils d’erch. Kushi jeta un regard interrogateur vers Chingis et trouva le vieux chef profondément songeur alors qu’il caressait le poil soyeux sous sa main. « Nous pourrons nous enfoncer plus en avant dans les plaines gelées du lointain sans soleil grâce à ces habits. Soyez-en remerciés. Ces terres contiennent des denrées rares dont notre clan pourrait avoir besoin. » Agité d’une subite agitation, Kushi se trémoussa sur le dos de Batbayar pour tendre le bras vers la fourrure, avide de toucher comme un enfant découvrant le monde ; il s’imaginait en explorateur conquérant la cartographie de nouvelles terres inconnues.

Quant aux concoctions et à la nourriture, elles furent accueillies avec un sourire ravi et un éclat de rire alors que le vieux Chingis tapait dans son ventre rond, l’amusement faisant trembler ses rides. « Il y aura toujours un ventre affamé pour accepter avec joie de la viande et d’autres mets ! Mais c’est à nous d’ouvrir la danse des saveurs, invités des Chevauche-le-Vent ! Je vous prie, suivez-moi, que je vous offre solennellement le lait de jument chaud de notre clan. J’ai envoyé quérir nos meilleures juments laitières pour vous accueillir ! » Il ouvrit chaleureusement le bras vers les yourtes colorées et, à son geste, son cheval blanc fit volte-face d’un mouvement de reins agile ; c’était comme si l’homme et l’animal avait fusionné. Même Kushi n’en était pas à ce niveau d’harmonie avec Batbayar.

Le nomade décala ses jambes pour ordonner à son étalon de suivre le mouvement de son comparse et les deux cavaliers trottèrent jusqu’au camp, suivis par leurs invités. Le clan n’avait pas chômé pendant leur échange de politesses. Un immense tapis coloré les attendait quand ils mirent pied à terre devant le chapiteau. Au fil de ses couleurs chatoyantes caracolaient des chevaux sauvages entre plaine, montagne et jungle, accompagnés dans le ciel ombré d’ocre par les silhouettes d’aigles aux multiples formes. Le clan s’était posté en demi-cercle autour du tapis sur lequel trônait une immense marmite en fer forgé recouvert d’une fine couche dorée ; le plus grand trésor du clan, transmis de génération en génération. Kushi s’alanguit sur l’encolure de Batbayar alors que le délicieux fumet du lait de jument frais s’imprégnait dans ses narines. Il en avait l’eau à la bouche.

Alors qu’ils démontaient, les premiers chants se firent entendre au rythme lent du tambour. Les voix rauques, forgées par la vie rude et les vents, s’élevèrent de part et d’autre, emplissant leurs oreilles de leurs sons sauvages. Puis vint la douceur de la mandoline et de l’innocence des enfants. Le pas lent, Chingis se dirigea vers la marmite devant laquelle il s’inclina en remerciant la bonté des juments qui partageaient le lait de leurs poulains avec les Hommes. L’œil taquin sous ses sourcils broussailleux, qui lui donnaient un air si sérieux que Kushi devinait qu’il était le seul à le déchiffrer amusé, il lui fit signe de le rejoindre pour se tenir à ses côtés comme le futur chef qu’il était désormais ; Kushi chassa d’un sourire la panique du poulain qui sent venir sur son dos le poids de la selle et bondit aux côtés du vieillard pour s’emparer de la lourde louche en bois quand il le lui indiqua.

« Approchez, nomade d’Orshin ! Que nous puissions partager le lait de nos juments si généreuses ! » Ainsi débutée par cette phrase ritualisée, la cérémonie d’accueil put elle enfin commencer. Kushi n’en retint pas tout le déroulement, même s’il pouvait renommer chacun des étrangers qui n’en étaient plus puisqu’il avait été aux premières loges pour apprécier les traits de leurs visages. A son grand dam, il ne revit pas passer le jeune homme aux cheveux blancs dont la curiosité avait attiré la sienne comme un papillon traîné par la force d’attrait d’une chandelle.

Dès que la cérémonie fut terminée, les chants changèrent de nature, passant du ton solennel aux trilles joyeuses de la fête. Les tambours se firent plus vifs, les mandolines plus mélodieuses, les voix plus entraînantes. La marmite de rituel fut remisée de côté alors que l’on ouvrait en grand les pans du chapiteau pour révéler sous les cris d’admiration et les rires les tables chargées de victuailles et d’alcools à perte de vue, dans toute la largesse dont les Chevauche-le-Vent étaient capables. Il y avait là des tartares d’eeverkhei, des steaks de khippogin, du fromage au lait de jument, de l’alcool de pomme, du lait de jument fermenté, du porridge d’avoine… et tant d’autres mets savoureux ! Le vent charriait des valses entremêlées d’odeurs et de goûts. « Dansez ! Chantez ! Vivez ! » hurla Chingis en ouvrant grand les bras, la poitrine gonflée par un souffle du défi qu’il envoyait, comme chaque fois, mais avec encore plus de cœur désormais, contre la mort. Cette terrible affliction qui leur avait volé Tömör.

L’injonction du vieux Chingis fut comme un électrochoc pour Kushi. Comme mu par la force d’un éclair, par l’âme du renard, par l’esprit de la fête, Kushi déchaîna sa folle farandole dans toute la beauté effrénée dont il était capable. Il dansa et dansa encore, véloce comme le vent, avide de mouvement, le corps envahi par un rythme inhumain. Il charma aussi, fier paon à la voix de miel, aux yeux suaves, aux mains tendres ; et il entraîna dans ses voltes plus d’une femme, plus d’un homme, faisant honneur à l’air d’intéressé de plus d’un, de plus d’une, notamment cette jeune Mirya, si altière, cette future gharyn. Il n’avait pas été dupe : ils avaient eu le même rôle dans les échanges de politique. Il chercha également, vainement, le jeune homme aux cheveux blancs dont il ne savait pas encore le nom.

Subitement, les mains qu’ils venaient d’attraper, ces jolies mains qu’il reconnaissaient comme étant celles d’Enkhtuya, l’arrachèrent à ses cabrioles pour l’entraîner un peu plus loin, là où le calme des discussions enthousiastes fit un peu retomber le sang de son adrénaline. Mais Kushi avait également avalé plusieurs verres d’alcool et son sang en était encore plus fouetté que de son excitation. « Pourquoi m’arrêtes-tu dans mes caracoles, ma sœur ? Viens danser ! La nuit est encore longue ! » gémit-il en s’étalant sur ses épaules alors qu’elle l’asseyait en riant ; elle aussi semblait avoir fouetté son sang de l’alcool de pomme. Peut-être avait-il été un peu plus fort que l’année précédente ? Ou un peu plus amer peut-être ? Il se rembrunit à la pensée. « Tu es trop... fiévreux, Kushi. » souffla Enkhtuya dans ses cheveux alors qu’une ombre passait aussi sur son visage. Sans mot dire, il s’appuya sur elle, fourra son nez dans son cou, respirant son odeur rassurante pour y trouver du réconfort.

Il n’avait pas besoin de dire « Il me manque. ». Le fantôme de Tömör les entourait de toutes parts. Kushi soupira et ferma les yeux, s’enivrant de la chaleur d’Enkhtuya, plus douce liqueur encore que celle des pommes. Quand il rouvrit les yeux, comme attiré par l’instinct, il tomba sur les nuances d’une blancheur dont il avait mémorisé la curiosité ; il se redressa soudainement comme un faucon ayant repéré un rongeur à des kilomètres au sol. A ses côtés, Enkhtuya abreuva ses oreilles de son joli rire et lui ébouriffa les cheveux en se relevant. « Je vais voir Atlantsetseg, elle se réveille parfois en pleine nuit. Fais attention à toi, Virevenlte. Tes virevoltes sont si fougueuses que tu me fais peur, parfois. » Kushi sourit et se pencha pour embrasser sa joue. « N’aies crainte, ma sœur ! Je serai prudent, je ne tomberai pas du monde. » lui répondit-il d’un ton léger avant de bondir dans une nouvelle cabriole en direction de la chandelle qu’il avait cherché une bonne partie de ses danses.

Après un crochet à la yourte-cuisine, le Negiin se rapprocha, le pas léger et silencieux, jusqu’aux cheveux blancs dont il avait mémorisé l’emplacement et se pencha subitement depuis son dos. Le visage à l’envers, le sourire espiègle et ses cheveux lui chatouillant les joues, il dédia ses dents blanches au jeune nomade d’Orshin. « Salutations à toi, étranger ! Je ne t’ai pas vu au rituel du lait de jument. » L’œil mutin, il lui tendit un verre plein à ras bord d’un liquide épais, aussi blanc que la neige, mais dont l’odeur chaleureuse emplissait les narines. « S’il te sied de partager le lait de jument avec Kushi Virevenlte, en voici à peine sorti des pis d’une jument généreuse de mon troupeau. Son poulain est déjà si fort qu’il m’en faut vanter, avec véracité, la puissance ! »

Adaryon Maedan
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyJeu 2 Avr - 8:36
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La fête battait son plein.

Adaryon était émerveillé. Plongé dans ce kaléidoscope de sensations, il ne pouvait point poser ses yeux quelque part sans être assailli par des visions incroyables de la liturgie festive qui régnait. Au centre? Une table qui ployait sous les mets apportés par les deux campements, aussi colorée qu’abondante. À droite, à gauche? Des musiciens et des danseurs qui se mélangeaient dans des valses fiévreuses, tournoyant et éclatant de rire à chaque pas esquissé sur la piste. Vers le haut ? L'habitat et sa toile qui claquait sous le nouveau vent frais de la nuit, tel un accompagnateur solitaire des pirouettes toupillées. Peu importe l’endroit, le jeune homme se retrouvait devant des images de rires et de sourires étincelants, comme si cette soirée venait de sceller entre les deux clans une amitié indélébile.

Loin être frustré de l'action, il profita de ce moment où personne ne l’avait remarqué pour sortir son carnet et son crayon, traçant sur les feuilles quelques fragments de la réception ludique. Il aurait aimé retranscrire les tons passionnés qui brûlaient devant ses yeux, mais ne disposait que d’un simple outil noir et de pauvres pages éreintées par le temps. Heureusement, sa mémoire se souviendrait toujours du pouvoir des couleurs en cette soirée, comme si un véritable arc-en-ciel intérieur s'était déployé, là, juste devant lui ! Cet amarante poignant qui ornait une des mandolines, le bleu cobalt accroché à la veste flottante d’un danseur hilare, les jaunes d’ors de deux petites qui riaient dans un coin de la tente, le zinzolin d’un chanteur… Tout était si beau, si chatoyant! Adaryon aurait pu rester comme ça pendant toute la soirée, si… Si... S'il n'avait pas vu arriver cette personne comme un griffon en furie.

Ahahah, Adaryon, te voila, te voila! Je ne t’ai même pas vu au feu, tu étais encore en train de t’occuper des animaux? Ça ne m’étonnerait pas, humpfh, tu les aimes plus que nous… Allez vient, vient, faut que tu goûtes à ça!

Mirya lui attrapa le bras pour le tirer vers la table, le faisant trébucher alors qu’il se dépêchait à ranger ses objets. Oscillant plus que marchant, il traversa difficilement les danseurs pour arriver devant les mets, s'excusant bêtement aux bateleurs bousculés dans leur chemin. Même à cette distance, l’adepte pouvait sentir les aliments comme s’ils étaient déjà au sein de son estomac, faisant crier d’indignation son ventre affamé.

ÇA, s’écria son amie en lui enfournant une cuillère dans sa bouche. Au nom d’Orshin, c’est bien trop bon!

Le garçon mâcha longuement la pâte spéciale, étonné du goût puissant, mais pourtant raffiné de la texture aux légers arômes de noisettes. Même l’arrière-goût de cet aliment était tout à fait délicieux, rappelant les sous-bois et les champignons fraîchement cueillis. La chasseuse éclata de rire devant son air surpris, puis disparut dans un tourbillon de tissus au moment où il allait lui demander la provenance de ce repas. B...Bon, murmura-t-il pour lui-même. Il était rendu là, alors pourquoi ne pas goûter au tout? Il piocha dans les divers repas et boissons, puis se fraya tant bien que mal un chemin vers un coin dénudé de danseurs. Saveurs astringentes, piquantes, sucrées, amères, Adaryon ne cessait de surprendre ses papilles gustatives en enfournant de nouvelles choses au sein de sa bouche, comme un enfant qui aurait enfin découvert le charme de ses aliments. Comment tous les plats pouvaient-ils être aussi bons? Le mariage entre les épices nomades d’Orshin et celles des Chevauche-le-Vent était superbe, même un noble de grandes cités n’aurait pu dénier ce fait. Ainsi repu et charmé, il ferma ses paupières et posa sa tête contre un meuble inconnu, se reposant de sa razzia de nourriture.

On se repose déjà? Tu n’as même pas dansé, à ce que je sache, Chuluun! Tu deviens vieux!

Le garçon rouvrit ses yeux d’un air amusé, poussant sur ses mains pour se redresser devant sa camarade. Accompagnée cette fois-ci d’un inconnu et de deux trois verres d’une substance louche, elle semblait profiter de la soirée bien plus que lui… Pourtant, elle fit signe à l’innomée d’aller s’amuser sans sa présence et s’évacha à ses côtés, puis poussa un énorme soupir plutôt exagéré.

Ce truc me retourne vraiment l’esprit, ça tourne partout. Maaaiiiissssss… et elle envoya une pichenette sur le front de son ami, j’ai dansé avec Kushi! Et en plus d’être beau, c’est un très bon danseur. Mirya lui tendit un des deux breuvages qu’elle tenait, puis le fit tinter avec le sien. Allez, pour Vataka qui manque cette bonne soirée! Pour Vataka, répéta le garçon en observant son amie vider d’un coup le liquide. Il lui lança un regard humoristique en la voyant faire un drôle de visage, puis la rejoignit en buvant rapidement son contenu.

Une brûlure féroce accueillit son action intrépide. Descendant dans sa gorge, le liquide lui arracha l’intérieur comme s’il venait d’avaler une cuillerée de bave de Melki, le faisant tousser avec une force nouvelle. Orshin, sauvez moi ! Trop occupé à gérer ses propres quintes de toux, il ne vit que du coin de l’œil la chasseuse se lever pour tituber en dehors du chapiteau, marmonnant des phrases sur le fait qu’elle devait prendre l’air sur-le-champ. Qu’était-ce donc ce goût horrible? Du haut de ses 17 ans, il n’avait jamais goûté à quelque chose d’aussi… D’aussi… Il ne savait même pas comment décrire le goût, à vrai dire. Le porteur de don crispa son visage en une moue écœurée, puis posa le contenant vide avant d’en reprendre un rempli d’un arôme plus doux et sucré.

Sirotant le tout — après la tempête —, il passa un regard attentif sur les personnes présentes au cœur de l’assemblée de réjouissance. Il remarqua Orin et son père discuter dans un coin, deux adolescents de son clan s’élancer en chœur avec un autre membre des Chevauche-le-vent, et… Kushi? Ses yeux se posèrent sur le premier nomade qu’ils avaient rencontré, toujours aussi brillant de cette énergie qui l’entourait. Néanmoins, il n’était pas seul cette fois-ci; une femme était à ses côtés, riant et lui souriant d’un air qui lui rappelait un peu celui de son mentor. Pourtant, il aurait plus penché du côté de la petite amie, car l’homme avait enfoui son nez dans le cou de sa compagne, geste qui semblait plutôt intime – et qui, d’ailleurs, le fit se détourner d’un air gêné. Sans vraiment savoir pourquoi, il se leva d’un bon nerveux et s’esquiva de cette vision en allant se remplir un nouveau verre. Arrivé près d'une cruche quelconque, il versa une décoction inconnue aux allures sombres au creux de sa choppe, puis la leva pour observer le fond. Là... Ce n'était pas des morceaux étranges et inconnus qui calaient dans le creux de son gobelet ? Plissant les yeux, le garçon mit tout son attention dans la tâche, tentant d'oublier la vague embarrassé qu'il avait auparavant ressenti.

Un frisson parcourut soudainement le corps de l’adepte alors qu’une odeur inconnue se mélangeait à la sienne, odeur qu’il ne reconnaissait point en celle de Mirya ni d’Orin. « Salutations à toi, étranger ! Je ne t’ai pas vu au rituel du lait de jument. » S’exclama le porteur de l’arôme alors que, de ses cheveux sauvages, il chatouillait doucement la joue du jeune. Celui-ci se tourna avec une surprise non cachée en direction de la voix chaleureuse, découvrant le cavalier qu’il avait auparavant caché de sa vision. « S’il te sied de partager le lait de jument avec Kushi Virevenlte, en voici à peine sortis des pis d’une jument généreuse de mon troupeau. Son poulain est déjà si fort qu’il m’en faut vanter, avec véracité, la puissance ! »  Il ponctua sa phrase en lui tendant un verre rempli d’un liquide blanc nacre, réceptacle qui semblait contenir ledit lait de jument dont avait mentionné ce Virevenlte.

Hummmm, marmonna Adaryon, encore étourdi des événements qui s’étaient déroulés bien vite et, sans se mentir, de la boisson brûlante qui lui avait maintenant monté au cerveau. M-Merci, Kushi V.. Vi.. Vire...  Il fronça ses sourcils et pris une grande inspiration pour combattre les mots qui voulaient se presser hors de sa bouche, symptôme de son bégaiement de naissance. Virevenlte. Je, j’accepte avec p-plaisir ce b-breuvage.

Tendant la main pour l’attraper, il le porta à son nez d’un air circonspect. Peut-être ce liquide avait-il le même goût que l’ignoble chose que lui avait donnée son amie? Néanmoins, l’odeur lui criait le contraire, riche et chaleureuse dans ses narines, et il finit par poser avec douceur le contenu au bord de ses lèvres, puis avaler avec plus d’entrain une fois la certitude passée.

C’est… C’est excellent! S’exclama le jeune avec un sourire brillant, relevant ses yeux bleus glacés pour croiser l’ambre des prunelles feux de son compagnon. N-nettement meilleur que... Que ce b-breuvage étincelle qui b-brûle la gorge, ça c'est... Ça c’est sur, ajouta le fils de l’arachnide avec son habituelle franchise – et un léger sourire en coin. Adaryon Maedan, c’est m-mon nom.  Il lui tendit le verre avec le reste du liquide dedans, consciencieux que la part soit partagée, puis ouvrit la bouche pour rajouter quelque chose, mais fut coupé par une voix plus âgé et chaude.

Ah, tu es là, Adaryon, je te cherchais depuis quelques minu…  Orin, la main posée sur son épaule, se rendit compte de la présence de Kushi au milieu de sa phrase, la laissant en suspens pendant une longue seconde qui parut interminable à son apprenti. Minuteeess.. Désolé de te déranger, Chuluun! Je voulais simplement te dire que je vais coucher Mirya dans une des yourtes, elle a trop bu de ce liquide fort goûteux. Ravi de vous revoir, Kishun Virevenlte, termina le Khorag en souriant au garçon devant lui. Il termina sa tirade en se penchant vers Adaryon, puis plissa ses yeux en essuyant d’un air concentré un bout de nourriture sur sa mâchoire. L'élève sentit des rougeurs s'accaparer pendant quelques secondes son visage, couleurs expliquées par la mince frustration de se voir traiter comme un enfant. Était-il vraiment obligé de venir faire ça devant un inconnu, agissant comme si de rien était ? Il avait 17 ans, pas 6 ! Il détourna brièvement ses yeux, sentant encore la douce brûlure du pouce d'Orin sur sa mâchoire contractée.

De plus, au cours de ses paroles, la musique avait changé de rythme, les précédents musiciens ayant rejoint la piste de danse en laissant la place à d’autres. Ceux-ci étaient formés d’un mélange équitable de nomades d’Orshin et du clan Chevauche-le-vent, expulsant dans la tente des sons enchanteurs qui auraient endiablés n’importe quels bipèdes sur la piste. Le jeune n’avait jamais vraiment cherché à avoir d’amis (il n’en avait que deux, trois s’il comptait celui qui l’enseignait) et ne pouvait jamais espérer être doué avec ce genre de relation, mais l’homme devant lui l’inspirait d’une quelconque manière, quoi que ceci pût vouloir dire. Ce fut pour cette raison, et peut-être aussi à cause de l'alcool et de la frustration envers son professeur qu'il exposa donc dans l’air sa voix angélique et satinée, la tête légèrement penchée vers la droite;

Tu... Tu veux aller d-danser?

Maedan n’appréciait point virevolter avec n’importe qui, mais tout l’invitait à la fête, passant par l’ambiance de célébration jusqu’aux lueurs uniques dans les yeux de son nouveau compagnon.

Kushi Virevenlte
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyJeu 2 Avr - 22:20
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Profession : Eleveur de chevaux, chasseur et marchand nomade
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Kushi Virevenlte était un homme qui avait de fortes convictions. Parmi elles figurait le fait qu’aucun étranger ne pourrait refuser de goûter au lait de jument si ouvertement offert. Son attente était donc pour la forme, dans l’idée de ne pas imposer au jeune homme ses effusions d’hospitalité. Le bégaiement, lui, fut une surprise. Était-il si intimidant qu’il en volait les mots à son interlocuteur ? La chose n’était pas impossible. Le Negiin connaissait bien, malgré ce que d’autres pouvaient croire, sa propension à avaler sa vie d’une façon si entière qu’il en faisait peur à autrui ; Enkhtuya lui avait encore rappelé pas plus tôt que quelques minutes auparavant tant sa fièvre l’avait inquiétée.

Il sourit donc avec indulgence au plus jeune, se forçant au silence d’un jour sans vent, alors même qu’une farandole agitait toujours son esprit et son sang enivrés d’alcool et de danses ; il avait rôdé sa technique auprès des jeunes enfants du clan dont il appréciait la compagnie et qu’il prenait bien souvent sous son aile. Comme Tömör l’avait fait avec lui auparavant. Chasser le fantôme de son mentor lors d’une conversation lui était également devenu aussi facile que de cligner des paupières, s’il ne laissait pas l’émotion s’agripper à sa gorge.

La méfiance du garçon lorsqu’il lui tendit le verre de lait de jument l’aurait blessé s’il n’avait pas noté ses joues rosies d’alcool. Il avait la peau tellement pâle qu’il était aisé, même pour des yeux embrumés de liqueur, de deviner qu’il avait été surpris par quelques saveurs enfiévrées. Un sourire un poil taquin ourla ses lèvres à la pensée. Alors qu'il dégustait son verre, Kushi pencha la tête sur le côté afin de l’observer sous toutes les coutures, en un geste qu’il avait acquis de Sarangerel à force de la côtoyer, ses cheveux fous n’en rebiquant que davantage dans la posture, leur flamboyance accrochant les rayons de la lune et des étoiles.

Les cheveux blancs qui avaient attiré son attention n’étaient pas aussi enneigés qu’il l’avait d’abord cru. Loin de la vieille blancheur des anciens, ils avaient la nuance du crème de la robe des chevaux parmi les plus altiers de leurs troupeaux. Sa peau également portait ces couleurs lui rappelant la douceur du lait de jument ; il doutait qu’elle puisse un jour se parer de l’or du soleil tel que son teint mate se gorgeait. Les grains de sable qui parsemaient cette peau délicate n’en ressortaient que davantage, attirant les yeux sur les secrets de leurs entrelacs. Sa silhouette était fine, élancée, gracile, tel un roseau, bien loin de la force majestueuse des chênes. Ce garçon n’était pas un guerrier, à ne pas en douter, pas même un imitateur du vent véloce comme lui, mais il ne s’en dégageait pas moins une noblesse paisible qui s’exprimait dans toute sa splendide sensibilité dans les deux lacs qui perdaient les soleils de Kushi.

Comme il le détaillait sans vergogne, le Negiin ne put louper la détente de ses épaules alors qu’il buvait plus avidement le lait de jument. Qu’avait-il craint ? Qu’avait-il goûté plutôt ? Les Chevauche-le-Vent proposaient bien des mets dont certains étaient à même de surprendre les papilles peu habituées à leurs saveurs épicés, âcres ou profondes ; fortes comme la vie, goûteuses comme l’air de tempêtes, surprenantes par la vivacité de leur goût. Mais le jeune homme ne pouvait que se détendre : il goûtait désormais à leur plus douce boisson, celle qui recelait les saveurs exquises de la chaleur maternelle de la générosité de leurs juments laitières. Le petit rire amusé qui l’avait tout d’abord secoué devint éclatant devant l’enthousiasme des yeux clairs. La voix de satin s’emplissait des froufrous du délice ; le serpent charmeur se demanda soudainement s’il pourrait en entendre d’autres échos inconnus.

« J’espérais bien contenter tes papilles, Adaryon Maedan, avec ce lait de ma plus jolie jument que la beauté du crème de tes cheveux surpasse encore plus, ce que je n’aurai jamais cru possible. » Son rire se déchaîna en un tourbillon de bonne humeur lorsqu’il lui vanta la force du « breuvage d’étincelle » qui avait, semblerait-il, réussi à embrumer son esprit. « Était-ce la liqueur de pomme ou notre koumis, le vin de lait qui fait la fierté de notre clan ? Le lait de jument fermenté est très doux et sucré les premiers jours mais plus il vieillit et plus il se corse. Et nous avons sorti nos meilleurs crus pour vous accueillir. Celui servi sur ces tables a été mis en bouteille il y a un an ! » C’était même Tömör qui avait procédé à la manœuvre. Kushi s’en rappelait comme si cela datait d’hier : il avait été à ses côtés, il avait ri avec lui, il avait décrit les saveurs qu’ils envisageaient pour fêter le prochain Grand Troc Dyen ; l’ombre chassa les rayons de ses yeux, son sourire se fana, ses épaules se voûtèrent. Tömör n’était pas là pour tenir le pari des goûts qu’ils avaient alors imaginé.

Cette fois-ci, il ne put camoufler sa souffrance qui l’éloigna quelques minutes de la conversation. Il se renferma sur lui-même pour chasser le sourire de Tömör de son esprit tant le souvenir le torturait pour l’heure alors qu’il n’avait pas encore réussi à traiter sa perte ; il se souvenait seulement de ce pari, de cette promesse de goûter ensemble le koumis, de cette nouvelle absence dans sa vie. Un trou qu’il n’arrivait pas encore à combler et doutait de pouvoir jamais y arriver. Heureusement pour lui, ce fut à ce moment-là que le khorag Orin s’approcha du jeune homme, lui permettant de reprendre contenance derrière un sourire de circonstance, tellement faux qu’il lui en était douloureux. Il s’adoucit vers plus de sincérité devant leurs échanges dénotant une douce habitude et un lien fort qui n’avait pas besoin d’être mis en mots.

Son rire éclata à nouveau quand Orin leur apprit que la jeune Mirya avait succombé à l’alcool. Décidément, il avait la réponse à sa question : soit ces jeunes gens étaient encore plus des enfants qu’il ne l’avait d’abord cru, soit ils avaient eu l’imprudence de goûter un peu trop avidement l’ivresse du koumis. « Qu’elle ne s’en fasse pas, nous avons quelques recettes secrètes pour les lendemains trop arrosés. » s’amusa le nomade avec un petit clin d’œil taquin. Lui-même en usait un peu trop au goût d’Enkhtuya depuis la mort de Tömör. Pouvait-on vraiment lui reprocher de s’accrocher à l’enivrement de la fête plutôt que de plonger dans les affres de sa douleur ? Il faisait des efforts pour aller de l’avant. La venue des nomades d’Orshin pour les Grands Jeux était ainsi une véritable aubaine pour se sortir du marasme du manque qui martelait ses tripes depuis une année maintenant.

Une fois qu’Orin fut reparti, Kushi sourit avec indulgence, attendri par le geste que l’homme plus âgé avait eu envers Adaryon et les rougeurs que celui-ci ne pouvait cacher dans sa moue boudeuse. « C’est parfois l’adulte qui a du mal à laisser l’oisillon voleter de ses propres ailes. » lui dit-il avec une sagesse qui lui parut étrange en une telle soirée ; le vieux Chingis commençait à dépeindre sur lui à force de le traîner à ses côtés lors des rituels et des discussions importantes.

Mais son calme vola totalement en éclat alors que la musique changeait de ton pour s’élancer dans un rythme endiablé qui fouetta son sang tel un électrochoc. Ses yeux s’écarquillèrent comme s’il avait consommé des champignons hallucinogènes alors qu’un long frisson lui remontait le long de la colonne vertébrale jusqu’en en faire friser les cheveux de ses tempes ; il gémit d’envie, le corps enivré par la musique, les membres déjà agités par la danse qui l’appelait à lui. A sa grande surprise, ce fut pourtant Adaryon qui eut l’initiative de faire une demande. Un sourire éclatant illumina son visage d’une oreille à une autre alors qu’il buvait d’un coup le lait de jument restant, jetait négligemment dans un coin le verre vide et attrapait la main du garçon avant de sauter sur la piste de danse en le traînant à sa suite.

Des rires accueillirent le retour de ses cabrioles et les siens, connaissant ses frasques habituelles et l’ampleur de ses pas, s’écartèrent prudemment pour lui laisser la place de se mouvoir dans toute la beauté effrénée de ses virevoltes. Attentif à ne pas perdre son partenaire dans la puissance de sa danse, il ne lâcha par ses mains ni ses yeux, ne cessant pas un instant de sourire. Sa queue de cheval voletait dans son dos au rythme des tambours, ses hanches tournoyaient au son des mandolines, ses jambes sautillaient à la cadence frénétique imposée par la mélodie entraînante. Et si son compagnon de volte commençait à faiblir, il venait gentiment soutenir son pas en enlaçant sa taille, ralentissant son impétuosité pour se caler sur des voltes plus voluptueuses que férocement exaltées. Alors qu’il ne semblait jamais vouloir s’arrêter de voltigeait de ses foulées voletantes, ses gestes laissaient le choix à son partenaire de s’arrêter là s’il n’arrivait pas à en suivre les infernales enjambées. Ce n’aurait pas été la première fois qu’il fatiguait avant de sentir la moindre lassitude un danseur dans sa fougue papillonnante.

Mais Kushi ne voulait pas faire fuir le jeune homme dans sa folle course vers une vie qui avait cessé de lui chuchoter sa beauté à tous les instants, et dont il ne voulait pas se rappeler les ombres de la mort. Il inspira donc l’air froid de la soirée pour adoucir ses sens sollicités à l’extrême et ramena finalement Adaryon sous la chaleur apaisante du chapiteau dont les tables se vidaient peu à peu de leurs victuailles à mesure que la nuit se languissait du petit matin. Il se glissa près des assiettes du fromage, le ventre tonnant comme un ouragan de la saison des pluies, et se lécha les lèvres en observant le choix avec un regard affamé. « As-tu goûté nos fromages, Adaryon ? » demanda-t-il d’une voix chantante. « Il est impossible de faire suffisamment fermenter le lait de jument pour faire du fromage alors nous le coupons avec du lait de khippogin. Mes préférés sont ceux qui sont frais et auxquels nous avons mélangé la douce saveur de baies sucrées. » Tömör préférait les fromages plus vieux, lui, et plus forts en goût ; Kushi en prit également une part, rien que pour se rappeler son ami, puis sautilla prudemment jusqu’à une autre table.

« Ils sont encore meilleurs lorsque nous les étalons sur du pain d’avoine. Surtout celui à la pomme et au miel. » Kushi rit de lui-même en s’entendant vanter son amour du sucré comme un enfant. « Batbayar aussi adore ce pain ! Il essaye de me le voler des mains si j’en mange près de lui. S’il n’est pas assez rusé, il a développé une moue boudeuse tout à fait satisfaisante. Je me fais souvent avoir. » Il cessa son babillage pour tendre une assiette au jeune homme en souriant, les yeux éclairés d’une joie sans nuage. Même le souvenir de Tömör s’était renfoncé dans un coin de son esprit ; il était en bonne compagnie et comptait en profiter. « Je ne te propose pas du koumis mais la liqueur de pomme est douce. » Son air se fit doucement taquin alors qu’il se penchait vers Adaryon. « Ou alors, il y a la jarre des enfants qui est encore moins alcoolisée. »

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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyVen 3 Avr - 18:24
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Sans plus attendre, Kushi attrapa sa main d’un mouvement fébrile.

Surpris par ce contact soudain, Adaryon n’eut pas le temps d’émettre quelconques sons d’ébahissements avant de se faire vivement tirer vers la piste bondée. Maintenant, tout de suite ? Hésitant au début, il se reprit néanmoins après un ou deux trébuchements esquissés en essayant de suivre son nouveau compagnon, distribuant aux gens accrochés une petite mine désolée. Ce fut seulement lorsqu'il se retrouva dans les bras du plus vieux qu'un sourire éclaira son visage alors que ses anciens souvenirs de gênes disparaissaient, balayés par un souffle joyeux.

Eau et feu, tornade et vent doux, tsunami et grand lac, les deux garçons aux contraires se mélangeaient et se déplaçaient entre les autres couples à la manière d’un torrent contrôlé, s’échangeant rires et sourires sans jamais se lâcher du regard. C’était la première fois qu’Adaryon expérimentait une danse de la sorte, mais le résultat était loin de lui déplaire… À mesure que les pas s’enchaînaient, il oubliait peu à peu tous les problèmes qui roulaient en boucle au creux sa tête; il n’y avait que Kushi et lui, que la chaleur de ses mains dans les siennes, que ses gemmes aux rayons de soleil qui se posait sur son corps en mouvement. Autrement dit une bulle de paix, bien que formée d’enthousiasme et d’une incandescence qui aurait fait fondre la plus dure des roches. De plus, bien que l'allure du duo était différente, l'une par sa liberté sauvage et l'autre par sa précision gracieuse, elle restait parfaitement accordée en un amalgame fascinant de deux inverses qui s'entrechoquaient.

Pendant les quelques pauses que le jeune adepte dût prendre pour s’abreuver, il ne lâcha jamais son complice du regard, un vague sourire flottant sur son visage. De son angle de vue un peu plus éloigné, il pouvait l’observer d’un point d’ensemble, détaillant ses muscles bronzés ruisselants d’une mince couche de sueur et son longiligne corps musclé qui se déhanchait, comme s’il ne connaissait ni la fatigue ni la faiblesse. Rajouté au spectacle envoûtant, ses cheveux attachés louvoyait autour de lui comme une mèche enflammée, brillant à l'égard de ses bijoux singuliers qui paraient ses habits. Il était là, à la manière d'une flamme, attirant l'attention de tous par sa seule présence exaltante, impétuosité d'un éclair qui frappait la plaine, passion insoumise des chevaux martelant le sol. Kushi Virevenlte.

Ainsi terminant ses verres en une grande gorgée, il se dépêchait de retourner aux côtés de son acolyte, retrouvant la fougue de son corps contre le sien alors qu’il l’attirait dans des voltes plus douces et voluptueuses.

Ils dansèrent ainsi pendant un laps de temps inconnu, tourbillonnant dans l’air frais de la nuit à l’instar de deux étoiles qui jamais ne s’éteindraient. Malheureusement, même les astres devaient disparaître face à l’arrivée du soleil et le duo finit par s’arrêter sur la dernière musique festive, contrôlé par les musiciens meneurs. Ceux-ci remplacèrent l’air impétueux par des sons plus doux de fin de soirées, forçant les acrobates fébriles à reprendre leurs souffles volés par les anciens mouvements enthousiastes. Néanmoins, cet arrêt ne sembla pas couper les ardeurs de Kushi, celui-ci lui attrapant à nouveau la main pour le diriger vers le chapiteau et les grandes tables qui s’étaient nettement allégés de victuailles.

As-tu goûté nos fromages, Adaryon ? L’adolescent secoua négativement sa tête pour répondre à sa question, posant ses mains sur le rebord du meuble de manière à soutenir ses muscles tremblants. « Il est impossible de faire suffisamment fermenter le lait de jument pour faire du fromage alors nous le coupons avec du lait de khippogin. Mes préférés sont ceux qui sont frais et auxquels nous avons mélangé la douce saveur de baies sucrées. » Baie sucrés, lait de jument et de khippogin? Qu’est-ce qui pouvait aller mal? Son ventre, grondant d’une approbation nouvelle, supporta ses pensées alors qu’il souriait devant l’assiette du chasseur qui se remplissait de fromages. Après tout ce temps passé à bouger, l’odeur des promesses alléchantes de Virevenlte était accueillie avec plaisir, même un peu trop pour son propre bien…  Ainsi, il suivit avec délice le garçon, l’écoutant parler des pains aux pommes et miels et de l’anecdote concernant Batbayar, qui le fit pouffer de rire en imaginant la scène. Décidément, son cheval était un peu comme Iryza et les morceaux de viande! Il termina son éclat en attrapant l’assiette que venait de lui tendre son acolyte, plongeant ses yeux dans les couleurs des aliments qui pétillaient devant ses prunelles affamées.

Je ne te propose pas du koumis mais la liqueur de pomme est douce. Les commissures de sa bouche s’élevèrent sous ce commentaire, rappel du début de la conversation où il lui avait mentionné la vieillesse de ces grands crus – approximativement un an. « Ou alors, il y a la jarre des enfants qui est encore moins alcoolisée. » L’air taquin fit une nouvelle fois élever la voix angélique d’Adaryon sous la forme d’un doux rire, puis de phrases délicatement émises; Ah, on v-verra b-bien qui rira le d-dernier! Je p-prendrai la liqueur de p-pomme, alors, m-mais seulement si tu me... Me jures que je ne finirai p-pas dans le m-même état que Mirya ...

Suite à ses paroles, il enfourna un drôle de petit fromage blanc dans sa bouche, puis... Aaaaah – il sentit une nouvelle fois le plaisir l’envahir alors que la douce pâte fondait au sein de sa bouche, emplissant ses papilles gustatives d’arômes sucrées de baies et de noix. Cette luxure n’avait-elle donc pas de fin? Réjoui par sa première bouchée, il goûta à un autre disposé sur le plateau, puis à un autre à peine quelques secondes plus tard. Ceux-ci restaient un moelleux, mais un d’eux avait des fragrances de fumées qui se répandirent divinement lorsqu’il déglutit la dernière portion.

La t-texture, ce goût spé - spécial... Je p-pense que je n’ai jamais goûté à d’aussi b-bons fromages, commenta-t-il avec son sourire toujours autant étiré. Sur ses joues s’abattaient les rougeurs de la danse et de l’alcool, le rendant un peu différent qu’à l’habitude – et surtout plus bavard; Mais tu me fais sa... Savourer tant de nouvelles choses d-délicieuses depuis le d-début de la soirée et moi, moi je ne t’ai même p-pas offert un mets de mon clan! Orin ne serait p-pas fier de moi… A-Attends moi un peu !

Revigoré d’une force nouvelle, il bondit sur ses jambes pour se diriger (un peu plus lentement cette fois-ci, les tourbillons frénétiques titillaient encore ses jambes) vers une des grandes tables qu’ils venaient de quitter. Assiette à la main, il prit deux plats différents; l’un était un ragoût d’Erch macéré dans divers légumes de potagers, l’autre un bout de tarte gavé de fruits sauvages qui venaient directement de Kharaal Zagar. Fier de ses choix, il revint se planter devant Kushi en deux pas précis.

Voilà p-pour toi! Et puisque Batbayar n’est p-pas là, tu n’auras pas à surveiller d-derrière ton épaule pour p-parer d’éventuels vols. Enfin, et il imita le même genre d’air taquin que l’autre lui avait donné autrefois, sauf si... sauf si j’essaye de t’en p-prendre quelques bouts.

L’adepte ponctua sa phrase d’un sourire éclatant alors qu’il penchait sa tête vers la droite, plongeant son regard bleu clair dans celui de l’autre. Il espérait que le chasseur allait apprécié ses plats natifs comme il avait aimé les siens, mais savait que tous les goûts n’étaient pas pareils; ce fut pour cela qu’il attendit calmement sa réaction, les mains jointes sur ses genoux dans un geste attentif. Néanmoins, avant qu’il puisse s’enquérir de sa réponse, il sentit un poids lourd s’abattre sur son épaule, puis faire sursauter son corps d’un même mouvement. L’apprenti crut en premier que le membre appartenait à Orin et que celui-ci revenait l’humilier, mais ce fut en tournant sa tête qu’il découvrit qu’il s’était trompé – et grandement, d’ailleurs. C’était en effet une des musiciennes de son clan, une femme d’une trentaine d’années, qui lui souriait de toutes ses dents, flûtes entre ses doigts.

Vient jouer un air avec nous, Chuluun! C’est un de nos derniers avant que nous partions nous reposer et tu n’as même pas encore chanté ni jouer de lyre. Tu le fais toujours dans nos soirées habituelles, pourtant…

Il murmura quelques faibles objections, mais sa nature docile le fit foncièrement plier aux intentions de l’artiste alors qu’elle le tirait vers les autres interprètes. L’adolescent offrit néanmoins un visage désolé à celui qu’il quittait, se demandant s’ils se feraient interrompre pendant toute la soirée par des personnes différentes. En effet, après Orin, c’était le tour de sa compatriote aînée et, malgré sa tendance à abdiquer à tout et à rien, il aurait bien voulu rester auprès de Kushi pour l’observer manger et entendre encore son rire éclatant. Malheureusement, tout ne pouvait pas aller comme il le voulait… Et il se retrouva sur scènes avec ses compatriotes nomades d’Orshin, une lyre enfournée entre ses mains.

Ce n’était pas son propre instrument, cadeau de son mentor qu’il avait laissé au campement principal mais, et Adaryon passa rapidement ses doigts sur les cordes envoûtantes, celui-ci irait très bien. Savourant alors ce contact qu’il connaissait presque aussi bien que le pelage de Dallyo, il se joignit aux premières notes limpides de la chanteuse, reconnaissant les paroles claires qui s’élevaient de son être. La mélodie était un hymne à Orshin qu’ils chantaient dans certaines cérémonies précises et n’était point compliquée, mais très soyeuse au sein de chaque partie raisonnée dans l’air.

Ses doigts traversaient avec une précision acquise les cordes, libérant de ses mouvements l’hymne favori de son être qui se réjouissait. L’adepte maniait les notes avec un air de concentration léger, la tête inconsciemment penchée vers la droite alors qu’il écoutait passivement son instrument ronronner de tout son esprit; la poésie le traversait, bourdonnait d’authenticité au creux de son ventre, s’échappait de sa bouche avec un doux soupir de délectation. Il finit par rejoindre sa voix à celle des autres, caressant l’air de son intonation duveteuse et claire, loin d’être grave comme celles des hommes de son village. Elle était aussi vierge des balbutiements qui accaparait son dialecte, ce qui n'arrivait que très rarement, mais qu'il profitait toujours. Enivré dans le chant spirituel qui vibrait autour de lui, il ne s’aperçut de la fin que lorsque la musicienne lui posa sa main sur l’épaule, le remerciant de sa participation alors que les quelques spectateurs restants applaudissaient humblement. Adaryon hocha la tête vers sa camarade puis posa son instrument, se dépêchant de retourner à son ancienne place pour voir si son nouvel acolyte était encore présent.

P-pardon pour la n-nouvelle interruption, je fais vraiment un piètre invité, souffla-il d’un sourire désolé lorsqu'il le retrouva. Tu as goûté aux... Aux p-plats que je t'ai offerts ? Il leva sa main pour passer derrière son oreille une mèche de cheveux, déconcentré par le flou crème qu'il voyait danser devant ses yeux. Oh, et je voulais te re... Te remercier p-pour la danse. Tu es un p-partenaire très doué, même si tu as b-bu beaucoup plus de Koumis que moi... J'espère ne p-pas trop t'avoir fait honte.

Il se laissa tomber sur la chaise en décochant un bâillement, posant le dos de sa blanche main longiligne contre sa bouche. Quelle heure était-il, exactement? Avec les repas, la danse, musique et toutes les cérémonies, il se demandait où la lune était rendu dans le ciel… Son regard se posa vers un coin et un autre de la pièce alors qu’il remarquait que leur effectif était descendu à une petite dizaine. Maintenant qu’il y pensait, où allait-il dormir?

Kushi Virevenlte
Kushi Virevenlte
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptySam 4 Avr - 17:09
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Profession : Eleveur de chevaux, chasseur et marchand nomade
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L’alanguissement de la musique avait apaisé l’ouragan enflammé qui avait porté ses pas une bonne partie de la nuit. Alors que son excitation retombait, Kushi était plus conscient de la bonne fatigue qui avait fourbu ses muscles et de la sueur qui collait ses cheveux à ses tempes et ses vêtements à sa peau. Avachi sur un blanc, le dos amollit contre une table, il regardait avec un sourire en coin le franc enthousiaste qui agitait son jeune invité. Il avait nettement entendu le grondement de son ventre et la joie dans sa voix délicate. Maintenant qu’il y songeait, tout était d’une finesse élégante chez ce jeune homme, même dans la façon dont il avait calé ses pas dans la fougue de ses voltes.

Mais il s’était trompé en attribuant le bégaiement à de la timidité. Adaryon Maedan n’avait rien de timide en cette soirée. Kushi ne cessait d’être stupéfié par la hardiesse dont ce garçon faisait preuve à chaque instant à ses côtés, et la chose était loin de lui déplaire. Voilà qu’il répondait sans hésiter à ses provocations amicales en lui interdisant de se laisser vaincre par la force de leurs alcools. A cette idée, le Negiin rejeta la tête en arrière pour libérer l’intensité de son éclat de rire qui secoua son corps alangui. « N’aie crainte, Adaryon ! Voilà bien longtemps que même le plus puissant des koumis ne peut venir à bout de mes voltes. C’est plutôt le jour qui éteint mes flammes tant j’ai harassé mes muscles de cette douce folie. » Il se pencha en avant, les yeux pétillants, les cheveux en pétard bondissant dans tous les sens. « J’ai la fougue de la plaine, la vitalité de la jungle et la férocité du vent dans le sang, accrochés à mes os, voltant dans mon âme même, entrelacés pour soutenir l’ardeur des farandoles du Virevenlte. Surtout en si bonne compagnie… Comment pourrais-je laisser une quelconque faiblesse m’en priver ? »

Le ton charmeur dont il avait inconsciemment commencé à teindre sa voix s’envola sous l’impétuosité d’une nouvelle hilarité en le voyant enfourner les différents fromages un par un avec une voracité certaine ; il comprenait parfaitement le sentiment. « Je ne saurais dire ce que je dois vanter le plus entre la fraîcheur du fromage qui vient tout juste d’être moulé et saupoudré d’herbes aromatiques et la vigueur du fromage qui a vécu plusieurs saisons et en profité pour incorporer toutes les subtilités des saveurs. Ah ! Mais voilà que je viens d’équitablement chanter les louanges de l’un comme de l’autre, ce qui m’évite de me m’emmêler la cervelle. »  Le visage espiègle, Kushi pencha la tête sur le côté pour apprécier le spectacle des tâches de rousseur qui n’en ressortaient qu’avec plus d’élégance sur les rougeurs des joues de son partenaire de soirée, mélange d’alcool et d’agitation. La tête appuyée sur son poing, le sourire en coin, les yeux étincelants, il écoutait attentivement les ressentis d’Adaryon sur la nourriture, de retour dans le charme inconscient sans s’en rendre compte, les lueurs des lanternes jouant un ballet d’ocre et d’or en capturant les éclats de ses bijoux et de ses cheveux.

Un rire intrigué le fit quitter son immobilité alors que le jeune homme bondissait lui chercher des plats de son clan et il le suivit des yeux d’un air curieux. Accaparé par l’excitation de la fête, Kushi n’avait pas encore goûté aux plats qui garnissaient les tables du chapiteau, s’étant à peine sustenté de quelques gâteaux au miel et de fromages par-ci, par-là quand on lui en proposait une bouchée ; il ne se rendait compte que maintenant que de nombreux membres de son clan, Chingis, Enkhtuya, ses parents notamment, s’étaient relayés pour veiller à ce qu’il mange alors qu’il avalait des litres de koumis et d’alcool de pomme. Lui-même prenait pour acquis ces petites attentions, au point d’avoir l’imprudence d’oublier de prendre soin de lui sans leur aide. Tömör lui aurait tapé sur les doigts s’il avait été là ; il entendait sa voix le réprimander au creux de son oreille. Son esprit s’éloigna du présent, ses yeux se voilèrent en dérivant dans le vague, ses lèvres chuchotèrent une promesse muette ; il ne comptait pas se laisser dangereusement aller dans cette spirale destructrice en pleine conscience.

Les odeurs entremêlées des épices du ragoût et du sucré de la tarte aux fruits sauvages le ramenèrent sur la terre ferme. Il arqua un sourcil, dans un geste qu’il avait cette fois-ci volé au vieux Chingis depuis qu’il le fréquentait bien plus qu’auparavant, devant la taquinerie d’Adaryon. Il s’avança à nouveau dans l’espace personnel de son interlocuteur, homme bien trop tactile pour ne pas empiéter sur ses bords, et, clin d’œil à l’appui, il lui souffla d’une voix suave : « Je te mets au défi d’essayer. » Capturé par le scintillement céruléen des deux lacs dans lesquels il perdait bien trop facilement ses soleils, il ne se jeta pas dans l’immédiat sur les plats qui affamaient pourtant ses papilles excitées par leurs odeurs appétissantes et son ventre qui se délectait d’avance du contentement qu’il entrevoyait sous peu. Il ne pouvait pas s’empêcher d’être encore une fois attendri par la façon dont le garçon attendait sa réaction avec un calme impatient ; quelle déception de se le voir ravir avant qu’il ne puisse satisfaire sa curiosité !

Mais Kushi ne resta pas frustré longtemps. Les yeux écarquillés, le corps penché en avant pour en apprécier chaque note, les oreilles grandes ouvertes, il se gorgea de la musique qu’Adaryon tira du luth et des chants qu’il déclama de sa voix satinée. L’idée de se sustenter s’était envolée de son esprit, ou plutôt ce dernier avait-il pris la tangente sur un vent ensorcelé par les mélodies qui emplissaient ses oreilles, son corps, son âme. Il partait à la dérive dans la sensation. Ses muscles se réveillaient, sa fougue fouettait son sang d’une nouvelle ardeur, ses pieds tapaient le sol dans le rythme qui menaçait de le perdre tout entier ; il voulait danser aux sons de ce luth, sous la douceur de cette voix, se laisser bercer et commander par toute cadence que voudrait bien lui offrir le jeune nomade. Kushi n’était que plus envoûté par la manière dont Adaryon donnait tout son être aux mélodies qu’il tirait de sa voix et de son luth, qui ne souffraient plus ni de bégaiements ni de malaise. Il se voyait en miroir lorsqu’il laissait la passion de ses chorégraphies dicter ses voltes, jusqu’à en tirer déraisonnablement sur les cordes de son endurance.

Le Negiin était encore perdu dans les échos de la musique alors qu’Adaryon était déjà revenu à ses côtés et sa question le prit au dépourvu dans ses errances. Il cligna des yeux plusieurs fois pour stabiliser sa vision sur le jeune homme et lui dédia un sourire un peu rêveur, encore vague de son égarement.   « Je crains que non… » Se ressaisissant enfin, sa voix devint plus veloutée.     « Comment aurais-je pu goûter à ces plats, malgré mon ventre affamé, alors que j’étais ainsi pris dans les rets du sortilège de ta  musique ? » Il ne plaisantait même pas, affirmant dans sa franchise habituelle ce qu’il pensait vraiment. « Et puis, tu semblais tellement impatient de voir mes réactions de tes propres yeux, je ne pouvais pas t’en priver. » Son regard se fit choqué à l’idée qu’il soit un mauvais invité et il rit gaiement en tapotant la table de son hilarité. « Je t’assure que je n’ai pas eu honte le moindre instant lors de notre danse, au contraire d’autres partenaires parfois trop imbibés pour aligner deux pas et que je devais plutôt porter malgré mes secousses riantes. Je recommencerai volontiers des telles voltes, même si je désire encore plus danser en solitaire au son que tu tires de ton luth avec autant d’engouement. »

Le charme revint teinter sa voix de notes mielleuses. Kushi était ainsi fait, c’était comme une seconde nature dont il ne comptait pas se débarrasser, et puis il appréciait sincèrement la fraîcheur apaisante qui se dégageait de son interlocuteur. « Enfin… Où serait le jeu si je mange loin de l’oiseau chapardeur que j’ai mis au défi ? » Homme de peu de timidité, le Negiin tapota le nez du jeune homme avant de bondir vers un feu de camp afin de réchauffer son ragoût qui s’était nettement refroidi alors qu’il s’égarait dans la musique. Cuillère à la bouche, il revint d’un pas lent, les yeux écarquillés tandis que les saveurs explosaient dans sa bouche. Il n’avait jamais goûté une viande au goût aussi intense ! La chair d’Erch se plaça immédiatement parmi ses viandes favorites et il se rua comme un enfant sur le ragoût dès qu’il se fut à nouveau assis, insatiable de ce goût si puissant, d’autant plus qu’il était rehaussé par les légumes et les épices dans lesquels il avait mariné des heures durant. Il termina les dernières bouchées plus calmement, plus longuement aussi, afin de mieux graver sur ses papilles et dans son esprit ce goût exquis dont il ne pensait pas jouir avant de longues années, les Erchs n’étant pas spécialement répandus dans le Nislegiin, si ce n’était pas du tout ; il nota dans un coin de son esprit d’en chercher au prochain Grand Troc de Dyen, même si les troupeaux d’Erchs les plus proches se trouvaient en My’trä.

Comme il n’appréciait que moyennement mêler le salé au sucré, lorsqu’il ne s’agissait pas du doux miel qu’il dévorait qu’importe la façon dont il était cuisiné, Kushi se leva à nouveau pour aller se resservir un verre de koumis, rapportant de l’alcool de pomme à Adaryon dont il nota alors le bâillement avec un sourire en coin. « Déjà fatigué ? » demanda-t-il, mutin. « La lune entame à peine sa descente. Nous avons encore quelques heures avant de voir le soleil se lever à son tour. » Il but la moitié de son verre puis le posa sur un plateau avec sa part de tarte et le verre d’alcool de pomme, tendant la main vers le jeune homme. « Je peux te porter à la yourte que nous avons aménagé pour ton clan si tu veux. Ou alors, ma yourte personnelle est réputée pour sa chaleur accueillante. » Une moue passa sur son visage alors qu’il minaudait, mine de rien. « Quoique je n’ai pas encore vu le bazar qu’ils ont fait de ma belle yourte en entreposant nos réserves pour libérer la vôtre. Mes robes ! Mes bijoux ! Mes selles ! Tout doit être en fatras s’ils n’ont pas fait attention, pauvre de moi. » Son air affecté ne tint pas longtemps avant qu’il ne soit secoué d’un rire ; quoiqu’il dise, l’alcool avait quelques effets sur son espièglerie enfantine. « Et je pourrai te parler de nos chants diphoniques traditionnels. On ne me dit pas très doué avec ma voix, sauf lorsque je m’essaye seulement à imiter le vent dans les plaines, entre les arbres et se fracassant sur les flancs de la montagne ; je dois juste éviter les mots pour ne pas affoler tes oreilles de musicien. » Il tira une langue amusée, peu touché par sa maladresse orale. Il n'y avait pas besoin de mots pour faire danser les sons diphoniques de leurs chants traditionnels.

Adaryon Maedan
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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyMar 7 Avr - 20:53
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Je crains que non… Comment aurais-je pu goûter à ces plats, malgré mon ventre affamé, alors que j’étais ainsi pris dans les rets du sortilège de ta  musique ?

Autrefois, l’érubescence de son faciès avait été provoquée par le kumis énergique, tout comme la danse que le duo avait longuement complétée ensemble. Cette fois-ci, la cause était inconnue; son visage, se réchauffant sans qu’il ne puisse l’en empêcher, prenait une douce teinte rosée sous les compliments et la voix veloutée de ce Kushi Virevenlte. Intrigué de sentir cet effet inhabituel, il essuya avec nervosité ses paumes moites sur son pantalon, puis tenta de calmer son cœur qui avait décidé de courir de Zolios jusqu’à Khurmag. Au nom d’Orshin, mais que représentait donc la ruade de son corps? Il décida de détacher ses  yeux du regard de son camarade, un peu nerveux. Peut-être avait-il trop mangé de fromages… Perdu dans les interrogations de sa tête, il manqua le début des mots de l’homme, mais se repris vite en ramenant son attention sur lui.

… Pas eu honte le moindre instant lors de notre danse, au contraire d’autres partenaires parfois trop imbibés pour aligner deux pas et que je devais plutôt porter malgré mes secousses riantes. Je recommencerai volontiers des telles voltes, même si je désire encore plus danser en solitaire au son que tu tires de ton luth avec autant d’engouement.

Rougissant encore plus sous les compliments mielleux que son compagnon déversait sur lui, l’adepte se mit à sourire d’un air attendri. On lui avait déjà dit que son talent musical était captivant, mais jamais avec cette intonation spécifique ni avec ces prunelles ambrées qui luisaient d’émotions enflammées… Et si l’adolescent devait s’avouer quelque chose, que ce soit sous le joug de l’alcool ou non, c’était qu’il n’avait jamais vraiment rencontré quelqu’un comme Kushi. Il aurait presque eu envie de se relever pour retourner sur la scène, abdiquant aux demandes de son acolyte pour le voir vibrer au même son que sa voix. Ce fut pour à cet effet qu’il ne souffla qu’un petit merci délicat, un air de remerciement vaguement gêné s’étendant sur son visage.

Enfin… Où serait le jeu si je mange loin de l’oiseau chapardeur que j’ai mis au défi ? Ajouta son interlocuteur avec sa voix aux accents adorables.  

Pour ponctuer son énoncé, le membre du clan lui tapota le bout du nez, des étincelles taquines brillant dans ses yeux. Celui touché répondit au contact par une risette, le suivant du regard alors qu’il allait faire réchauffer le ragoût de son peuple. Voulait-il vraiment le mettre au défi? Si oui, alors son attaque se ferait plus tard, lorsqu’il ne s’y attendrait pas… Et serait vive et rapide. Il revêtit un air angélique à son retour (il ne fallait pas se faire prendre!), mais l’adulte n’aurait même pas vu un Galtuulyn devant son visage : il mangeait avec tant de bonheur qu’Adaryon crut presque à une blague. Pourtant, ce ne l’était pas, et le cavalier alla même se servir une deuxième fois, le visage déformé en un plaisir bien évident. Le fils d’Orshin, voguant sur la réjouissance communicative du nomade, laissa un rire combler le silence de la dégustation. Le tout était une très belle scène, c’était le cas de le dire… Surtout que lui aussi avait dû ressembler à cela pendant son appréciation des fromages.

Ainsi bien ancré dans sa chaise confortable, il remercia d’une harmonieuse voix l’être de feu alors que celui-ci lui rapportait un alcool de pomme. Il porta le breuvage à ses lèvres, puis avala quelques gorgées en remerciant mentalement la vie pour ce goût frais et fruité qui roulait sur sa langue. Bien installé et avec un verre dans la main, il laissa passer un autre petit bâillement, qui fut cette fois-ci vite repéré par les yeux ambrés.

Déjà fatigué ? La lune entame à peine sa descente. Nous avons encore quelques heures avant de voir le soleil se lever à son tour.

Le garçon secoua doucement sa tête, puis la tendit vers l’avant en écoutant la suite des paroles de Kushi. S’il devait choisir entre la yourte bondée de membres de son clan et celle solitaire du garçon, le dilemme n’allait pas être très difficile… Mirya allait sûrement ronfler, comme à son habitude, puis il allait probablement devoir s’étendre à ses côtés en l’attendant imiter une avalanche qui déboulait – et le tout, sans fin jusqu’au matin. Ou pire, ce serait Orin et son air un peu trop amical qui le prendrait encore pour un enfant, murmurant à son oreille des choses qu’il savait déjà en l’empêchant de s’assoupir. Bref, tout sauf un paradis sur terre… Alors que d’un autre côté, le chasseur lui offrait encore plus de discussions, choix attirant pour l’adolescent aux cheveux de neige qui ne souhaitait pas que la soirée se finisse déjà. Il tendit donc sa main pour attraper celle offerte par l’homme, un sourire aux lèvres.

T-ta yourte me semble le p-parfait endroit pour passer la nuit, même si je regrette qu’ils aient p-possiblement ruiné ton... Ton arrangement de vêtement. M-moi qui ne demandais qu’une petite d-démonstration de tes habits, bijoux et autres, je me retrouverais b-bien déçu si tu n’arrivais plus à les... À les retrouver, rajouta le garçon d’un doux sourire taquin. Et j-je serai aussi ravi d’entendre ces chants d-diphoniques qui m’ont l’air, je l’avoue, très intéressants.

En effet, le bipède n’avait jamais entendu ce genre d'hymne de la nature, bien qu’on lui en avait déjà parlé une ou deux fois dans son éducation. Il ne se rappelait que peu des notions apprises par son professeur sur les tribus faisant l’appel de la nature (il avait probablement été occupé à penser aux créatures), mais l’envie d’écouter le tout l’inspirait beaucoup plus maintenant que Kushi en avait parlé. Quand il était dans les airs, incarnant le corps d’Iryza, il aimait beaucoup le bruit du vent lorsqu’il plongeait en tourbillon, chœur de la planète qui vibrait tout autour de lui. Est-ce que les sons diphoniques étaient un peu comme cela?

D’ailleurs, je d-dois aller faire un tour p-pour voir les Shuurga plus tard, histoire de vérifier si tout va bien… M-mais surtout, je dois rapporter un peu d-de viande à mon rapace, sinon elle v-va me bouder. Il poussa un doux rire en penchant sa tête à droite, clignant de ses paupières. Je pense que, que... Que tu peux me comprendre sur ce point!

Il se rappelait encore le lien qui unissait Sarangerel et son ami humain, comme celui qui liait les maîtres d’Orshin à leur deuxième moitié… Sans surprise, car ce fait avait été la première chose qui l’avait intéressé à cette personne.

Tu p-pourrais m’accompagner, si tu veux. Je te présenterais Dallyo et Iryza, et tu p-pourrais peut-être même m-monter sur un des Shuurga si tu le veux… La liberté d’être sur eux et de crier alors qu’ils c-cavalent à 80 km/h est quelque chose d’unique, je dois l’avouer. Le v-vent dans les cheveux, les muscles roulant sous les jambes alors qu’il enjambe une r-rivière en un géant bon… Je n’aurais p-pas p-pu tomber sur meilleur compagnon que... Que mon jeune ami, si tu veux tout savoir. Perdu dans sa passion sans fin pour les créatures, il ne remarqua pas tout de suite qu’il avait serré la main tendue de Kishu. Entraîné par son enthousiasme, le jeune calma un peu ses ardeurs pour rajouter précipitamment; Bien sûr, je p-peux y aller seul si tu préfères ne pas m’accompagner, je comprendrais v-vu l’heure tardive. Pardon, je me suis un peu emporté.

Il s’excusa d’un air désolé, puis décida d’enfin se lever de son petit coin occupé depuis les dernières minutes. Il était temps de bouger avant de s’endormir sur place, c’était peu dire… S’étirant comme un félin, il décida d’ailleurs de mettre son plan en exécution, étirant le côté de sa bouche dans une moue espiègle. – Dis, ta yourte se trouve dans quel coin? N’attendant pas sa réponse, il s’empara d’un geste spontané de l’assiette de son camarade contenant la tarte, puis recula de plusieurs bons agiles.

Tu v-veux rattraper l’oiseau chap... chapardeur avant d’aller dans t-ta Yourte?

Sur ce, il s’esclaffa et détala vers les yourtes, tentant de courir le plus vite possible avec le plat dans ses mains. Bon, il n’allait pas aller très loin avec sa vitesse et un chasseur qui savaient tous les recoins de son campement comme ses poches, mais pourquoi pas… Poussant un dernier rire, il détala plus loin entre les habitations en lui envoyant un sourire joueur. Si Mirya l’avait vu en ce moment…

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Farandole de crins [Kushi & Adaryon] EmptyJeu 9 Avr - 15:35
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Son charme ne semblait pas sans effet s’il devait en croire les rougeurs qu’il arrivait à en tirer. Un museau de renard envahissant ses traits, Kushi ne s’en trouvait pas peu fier, il en ricanait même amicalement en voyant le jeune homme être si gêné des compliments et ne s’en trouvait que plus déterminé à continuer dans cette foulée si c’était pour avoir ce genre de réaction. Le jeu avait toujours eu une forte emprise sur son être, et plus encore maintenant qu’il l’éloignait de sa mélancolie, de sa douleur, de l’absence de Tömör.

Le Negiin prit la remarque taquine sur ses vêtements en désordre avec des yeux espiègles. Les coins de la bouche retroussés vers ses oreilles, il rebondit dessus comme le renard qui avait envahi son corps d’un souffle plaisantin. La voix amusée, l’œil pétillant, la langue à moitié tirée dans ses pauses, il s’agita gaiement autour du garçon, le pas dansant de sa fougue qu’il n’arrivait plus à canaliser. « Oh ! Mais je te prends au mot, Adaryon. Tu ne sauras plus où donner des yeux devant ces étoffes aux couleurs si chaudes, devant ces fourrures aux nuances si riches, devant ces bijoux aux lueurs si éclatantes ! Je rivaliserai de beauté et de grâce avec tous les oiseaux multicolores des jungles, avec toutes les teintes exubérantes du ciel, avec toutes les étoiles de la nuit dont j’éclipserai la lumière, celle du soleil même ! » Il était après tout un homme toujours prêt à relever un défi quand on lui en proposait un et celui-ci le tentait particulièrement, surtout qu’il se savait apte à le relever, avec une touche de vanité pour saupoudrer la réalité.

Mais il n’avait pas assez d’arrogance dans l’ensemble de son corps pour camoufler une autre vérité. « Je dois cependant te prévenir que je suis loin d’être la plus belle voix du clan quand il s’agit de chanter. Les chants diphoniques ne me sont pas hermétiques mais dès que je mets à articuler les mots d’une chanson, c’est drôle, on me supplie de me taire. Ma jolie voix plaît pourtant par ailleurs ! Sauf pour le chant… quelle désolation. » Il était dans le jeu et l’accentuation mais il ne pouvait totalement cacher sa déception quant à son échec récurrent ; rien à faire, quand il chantait, c’était comme secouer des casseroles ensemble. Tömör s'en était toujours amusé, Enkhtuya ne cessait pas de s'en moquer, mais ils avaient aussi eu l'oreille patiente pour écouter ses essais désastreux.

Son rire éclatant était heureusement mélodieux et il retentit à nouveau devant l’image du caprice des rapaces qui semblait, une nouvelle fois, être un point commun pour tous ceux qui vivaient aux côtés de ces nobles oiseaux. « Sarangerel va en effet bouder si je ne vais pas lui donner sa gâterie du matin, malgré la courte nuit dont j’aurai pu jouir. Elle n’a que faire du repos de son hommes, cette princesse ! Tout ce qui lui importe est la viande fraîche au petit matin avant de fourailler ses serres dans mes cheveux puis s’envoler à mes côtés alors que je bondis sur le dos de Batbayar afin de dévaler la plaine vérifier l’état de mon troupeau. » Mais son enthousiasme n’était rien comparé à la passion qui dévala soudainement d’entre les lèvres de son compagnon de soirée. Kushi sourit d’un air plus calme, attendri. Il aimait visiblement ses animaux. Il les aimait même beaucoup. Et le nomade pouvait comprendre le sentiment.

« Batbayar en sera sans doute jaloux mais j’accepte ton offre. Nos chevaux sont endurants mais ils ne peuvent pas galoper aussi vite qu’un salkhi, malheureusement. Je vous aurai défié à la course sinon ! Mais j’ai bien peur de peiner mon cher étalon en le lançant dans un défi perdu d’avance. » A moins qu’il n’arrive à surpasser par la ruse le manque de vitesse… mais les salkhi étaient aussi agiles que véloces. Il se demandait néanmoins s’ils arriveraient à se mouvoir aussi rapidement et agilement que leurs petits chevaux à la souplesse vive. « Tu n’as pas besoin de t’excuser, Adaryon, tu en trouveras beaucoup parmi mon clan pour partager ton enthousiasme, moi le premier ! Et je vais te proposer un marché : je vais monter avec toi sur tes fameux shuurgas mais seulement si tu acceptes de danser avec mon cheval libéré de son mors, dans toute la force de sa fougue aussi farouche que le vent. Par chez nous, nous avons un proverbe : monter un cheval, c’est comme avoir des ailes. Nos chevaux sont capables d’une vivacité exceptionnelle. Ils sont comme ma harpie féroce dans la jungle, si agiles qu’ils peuvent virevolter entre les arbres resserrés et fondre sur nos proies déstabilisées par leurs ombres véloces. »

Il babillait tant qu’il ne put prévoir l’attaque subite de l’oiseau chapardeur. Adaryon avait de plus suffisamment attendu pour qu’il ait oublié ce petit défi là, trop accaparé par ses louanges qu’il déversait sur ses chevaux, et il avait baissé sa garde en conséquence, tel un fou inconscient. Il en était à pérorer sur l’élégance gracieuse de ses plus belles juments quand il s’arrêta en pleine phrase en constatant l’absence de son assiette. Un air outré s’inscrivit sur ses traits alors qu’une moue boudeuse déformait ses lèvres. L’assiette s’était subitement volatilisée de ses mains ! Et l’oiseau chapardeur qui s’éloignait déjà en quelques bonds de cabri en le défiant de l’attraper. Ne savait-il pas qu’il avait affaire à l’un des plus grands chasseurs des Chevauche-le-Vent ? Il ne perdait rien pour attendre !

Kushi se détendit comme un cobra, passant de l’immobilité choquée au mouvement fougueux en un souffle de temps, le tintement de son rire comme seule indication de son emplacement. Le pas dansant, il prit en chasse l’oiseau chapardeur, vif et agile alors qu’il tournoyait entre les tentes telle la harpie féroce entre les arbres de la jungle. Il connaissait en outre le camp sur le bout des doigts car les Chevauche-le-Vent installaient leur village de tentes de la même façon depuis des générations et il naviguait dans ses ruelles de cordes depuis plus de temps que l’âge du garçon qu’il pourchassait. Il le laissait donc s’éloigner pour prendre un virage dont la boucle lui assurerait une prise en tenaille. Ceux qu’il bouscula dans sa course folle ne semblèrent pas surpris, arrivant même à l’éviter d’un bond souple en soulevant leurs verres de koumis, alors qu’il galopait entre les peaux et sautait par-dessus les cordes.

Comme il désirait faire durer le jeu le plus longtemps possible, le Negiin modifia sa traque en rabattage pour mener Adaryon jusqu’à sa yourte alors qu’il évitait ses assauts joueurs. La tente se dressa bientôt au milieu de l’enclos familial qu’il partageait avec ses parents, ses grands-parents et ses oncles, tantes et autres cousins. Quelques chevaux paissaient tranquillement entre les cordages et levèrent la tête quand ils déboulèrent dans leurs jambes. Ils hennirent joyeusement en secouant la queue et s’écartèrent de leur passage. « Fssst ! Rejoignez les prairies avant de vous emmêler les pieds dans les cordes. Allez, hue ! » leur lança Kushi avec amusement en agitant les bras. Les plus jeunes détalèrent en se cabrant mais une vieille jument renifla en recouchant son encolure sur l’herbe, peu pressée de se lever. Le nomade se laissa glisser sur son ventre rebondi avec une moue taquine sur son visage qu’il pressa sur la peau chaude. « Allez, grand-mère, tu as donné le mauvais exemple aux poulains, n’est-ce pas ? Je vais t’aider à te relever mais tu retournes à la prairie. »  Joignant le geste à la parole, il contourna la jument pour soulever son flanc et l’animal daigna enfin se remettre sur ses jambes en soufflant. « Va donc. » Il lui tapa la croupe et la jument se rua en avant en évitant prudemment les cordages tendus entre les yourtes.

« J’ai appris à monter sur le dos de cette jument. » dit Kushi à Adaryon dont il lorgnait toujours l’assiette, attendant son heure. « Comme je ne devais pas m’éloigner de la surveillance de mes parents, elle a été autorisée à se balader entre les yourtes et croit ce droit lui être acquis éternellement. Mais les poulains la prennent en exemple ! Si on ne le surveille pas, on pourrait se trouver envahi comme ce soir. » Il fourragea dans ses cheveux pour les remettre en ordre alors qu’il babillait à nouveau, l’œil attentif dardé sur sa proie derrière les mèches rousses et l’apparent calme qu’il affichait. « Et le pire dans toute cette histoire, c’est que je ne suis jamais tombé de cheval même lorsque je n’avais que deux ou trois ans. Je suis né avec l’assiette d’un cavalier ! J’ai même mis plus de temps à savoir courir qu’apprendre à galoper. Alors ils auraient pu me laisser gambader dans la plaine… »

Son apparence placide vola soudainement en éclat alors qu’il voltait vers le garçon pour attraper le plat qui lui avait précédemment volé. Il ne lui arracha cependant pas des mains, souriant simplement de son air canaille. « Je t’ai attrapé, petit oiseau. » ronronna-t-il avec un amusement tendre. Il se redressa sans lâcher l’assiette pour tirer l’un des lourds pans d’entrée de sa yourte, inclinant le torse avec élégance. « Si tu veux bien t’en donner la peine, je serai honoré d’être ton humble hôte, Adaryon Maedan. » Il pencha la tête dans l’espace chaud et assombri, essayant d’en distinguer les formes connues par cœur malgré la pénombre. « Ils ont l’air d’avoir pris soin de mes affaires, le bazar ne devrait pas être trop choquant. » minauda-t-il avec cette même moue boudeuse qu’il travaillait avec soin depuis des années.

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