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Diane Stëelk
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Payer sa dette, trouver sa voie. EmptyMar 14 Avr - 20:29
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Mémoires de l'an passé

Avril 94 - Cerka

Traversant à pas larges la salle centrale de la rédaction, Diane serrait contre elle quelques dossiers scellés. Elle ne prêtait pas attention aux nombreux regards intrigués qui la suivaient, comme c’était le cas depuis presque deux mois. Vive et précise, elle rejoignit son bureau, verrouilla son casier et rangea plumes et feuilles dans sa sacoche. A quelques mètres, de la salle de réunion, Hector adossé au cadran de la porte l’observait quitter les lieux d’un air soucieux.

Sa jeune recrue lui avait fait part une semaine auparavant des responsabilités qui lui incombaient, pensant trouver en lui un confident fiable et une aide potentielle. Mais le vieux journaliste, tout ami de Diane qu’il était, n’était pas prêt à se mettre en danger pour une cause qui le dépassait. Il avait promis de garder le secret de ses lourdes révélations, signant même une assurance écrite qui pourrait être utilisée contre lui lors d’un procès. Mais il n’avait rien dit ou fait qui puisse ouvertement aider la jeune femme d’une quelconque manière. Pour le reste, il lui avait peut-être glissé quelques adresses qu’un autre que lui aurait parfaitement pu lui fournir, mais rien de plus consistant.

Depuis son passage sur le bateau d’Eylohr Lothar – elle n’avait pas tardé à trouver son véritable nom – le mois précédent, Diane était devenue la bête de foire de la rédaction.  « La journaliste qui s’en était sortie ». Ce titre avait beaucoup profité au Pointilleux qui avait doublé ses ventes depuis que l’attaque de pirates avait fait la première page, triplé quand elle avait commencé à publier en feuilletons le récit – qu’elle avait sans peine réussi à faire passer pour un épisode violent et traumatisant –  de ses combats, de son enlèvement, de son « sauvetage ». Malgré l’évident crédit qu’elle venait de prendre dans toute la ville, cette célébrité ne convenait pas à son caractère, alors elle se faisait encore plus discrète qu’à l’accoutumée.

Diane avait bénéficié d’une semaine de congés pour se remettre de ses émotions, semaine qu’elle avait mise à contribution non pas pour prendre soin de sa santé mentale – qui allait très bien, merci beaucoup – mais plutôt pour commencer immédiatement ses recherches sur les journaux anarchistes du pays. Elle était même entrée en contact via un ami coursier avec les financiers de ces papiers à Cerka – foyer miraculeux de protestations, grâce à la forte densité d’ouvriers. Elle avait reçu quelques réponses très floues, quelques refus nets, mais aussi des retours très positifs et même une convocation à une entrevue. Elle avait vite tiré de cela quelques conclusions, notamment celle qu’en ces temps troublés, ce qu’elle pouvait offrir à l’opposition tenait du trésor imprimable. Dangereux, friable, mais qui pourrait faire de sacrées étincelles en étant bien exploitées. Et Diane comptait boire le nectar de son exclu jusqu’à la lie.

De nombreux rendez-vous étaient déjà calés avec des intermédiaires, rendez-vous auxquels elle-même ne se rendrait pas en personne. Elle avait bien conscience de la facilité avec laquelle le gouvernement pouvait intercepter ses petites correspondances et l’attraper sur le fait lors d’une fausse entrevue. Elle s’était déjà volontairement compromise, son nom avait beaucoup circulé depuis son retour en ville. Prudemment, elle œuvrait à la diffusion du message de l’Ours et filait son réseau, envoyait des coursiers, planifiait tous les itinéraires. Pour seule garantie, cette certitude : si on lui demandait, elle dirait qu’on l’avait forcée, et elle pourrait s’exiler sur un bateau.

Plongée dans ses pensées, Diane quitta le bâtiment de la rédaction et prit le chemin de son appartement en rabaissant ses lunettes sur ses yeux. Elle devait passer à la gare acheter ses billets pour Alexandria, donner les dernières instructions aux coursiers, régler sa prothèse, écrire un billet pour l’édition du lendemain ... En refaisant cette liste mentale, elle se surprit à sourire en coin. Elle adorait cette sensation, ce frisson qui lui descendant le long du dos à l’idée de s’immerger dans le travail, de jouer sur plusieurs tableaux. Elle débordait d’une énergie nouvelle. Parfois, il est vrai, elle se réveillait au milieu de la nuit en sueur, assaillie par des visions de la boucherie à laquelle elle avait échappé. Elle se revoyait, seule, dans cette maison abandonnée où elle avait repris son souffle, et se faisait égorger par un pirate sans visage. Les cris des otages que Chafouin et elle avaient laissé périr sans vergogne lui revenaient plus clairement que jamais. Mais elle avait appris à gérer ces angoisses, et elles se faisaient de plus en plus rares. Ne restait plus qu’à se concentrer sur le véritable enjeu de son travail, désormais : donner un bon coup de pied dans la fourmilière.


Diane Stëelk
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Payer sa dette, trouver sa voie. EmptySam 18 Avr - 13:59
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Février 95

La violence de la tempête de grêle, à travers le carreau de sa chambre, n’empêchait pas Diane de gratter frénétiquement, de barrer, recopier, souligner des dizaines de mots apparemment sans liens, sur une feuille presque illisible. Elle avait les mains tâchées d’encre, et ses yeux brillaient d’une excitation toute professionnelle. Personne à part elle ne pourrait démêler les informations claires de ces brouillons sur lesquels elle s’acharnait. A dire vrai, il n’y avait pas grand-chose à comprendre. Ce qu’elle avait sous les yeux n’était qu’un moyen pour elle de laisser déborder son esprit, dans lequel s’organisait de plus en plus précisément le corps de son article. Article, ou plus précisément manifeste, fruit de longs mois de travail, destiné à tous les papiers anarchistes sur lesquels elle avait pu mettre le grappin. A force d’acharnement, de diplomatie et de travail, elle avait réussi à entrer en contact avec quatre des plus influents journaux protestataires du pays, qui eux-mêmes avaient une emprise sur des papiers annexes, plus nombreux, dans des zones plus spécifiques.

Deux d’entre eux trouvaient leur foyer à Cerka même, et soutenaient la cause des ouvriers : le Grand brûlé et L’Estropique. Ses premières pistes s’étaient conclues par des échecs, ce dont elle déduit qu’il ne fallait pas passer par les financiers, mais par les rédacteurs mêmes. Il n’avait pas été très difficiles de les dénicher, car Diane fréquentait depuis longtemps les recoins brûlants de la classe populaire. Elle aimait se rendre dans les cafés les plus miteux, les zones communautaires, les innombrables skouats d’estropiés, et se mêler sans peine à la foule. Elle s’était parée de son plus profond accent populaire, et en avait bu, des bières, avant que les patrons lui accordent leur confiance et la serve sans qu’elle ait besoin de rien dire. Très vite, à elle aussi on lui passa les journaux sous la table, et elle put prendre part à leur colère, leur engouement pour ces canards et leur venin antisystème. La suite se fit toute seule. Elle repéra les distributeurs, joua un peu de ses charmes, et s’infiltra en quelques mois dans la toile. En renouant avec cette population d’oubliés et de miséreux, elle finit de se convaincre de la justesse de sa cause. Même si celui pour qui elle faisait cela au départ avait les intentions les plus égoïstes, elle, était persuadée qu’il fallait rendre au peuple les dés que ce régime lui avait volé. Tout était parti de là.  

Grâce à ses connexions chez les insurgés de Rathram, elle obtint l’adresse de plusieurs autres rédactions clandestines. Elle n’avait pas réussi à se rapprocher de Zuhause, où les milieux protestataires étaient rares. La rudesse du climat allait de pair avec celle de ses habitants, qui défendaient fièrement leur capacité à survivre loin des intrigues politiques. Pas d’intéressés fiables de ce côté du pays. D’un côté, cela l’arrangeait, elle aurait eu bien du mal à faire le déplacement jusque là-haut sans une bonne excuse, et si elle pouvait rester loin des grands froids du Vereist, elle ne disait pas non. Sans compter que ce grand Nord était sûrement déjà bien au courant de l’existence du tonitruant barbare pour qui elle écrivait.

A Ankär, elle avait eu recours au réseau d’Hector. Tout se fit d’abord par courrier. Elle prenait garde d’envoyer ses lettres au départ d’autre ville de Rathram, via un intermédiaire sympathisant qui changeait son message d’enveloppe et l’envoyait pour elle. Ainsi, avec ses missives tapées à la machine, impossible de remonter jusqu’à elle, qui utilisait un pseudo. Après quelques semaines de silence, la Force Blanche avait accepté de lui servir de haut-parleur, à condition qu’elle prouve être une personne physique, et non un ensemble de décideurs abstraits. Elle s’était alors rendue dans la capitale sous couvert d’un reportage, et avait rencontré dans un speakeasy deux amis de son collègue Cerkan. Cette facilité de contact était bien sûr permise par le fait qu’ils étaient chacun recommandés par une personne de confiance. Diane avait peut-être tort, mais elle refusait d’imaginer qu’Hector puisse la jeter dans un traquenard de l’Etat.

La rencontre s’était passée sans encombre. Ils l’avaient bombardée de questions, avaient demandé son récit complet, qu’elle avait donné avec force détail, sans omettre ou voiler aucun détail. Quelques jours plus tard, un accord avait été scellé au cours d’une soirée arrosée de liqueur de mûre. Elle avait gagné par la même occasion deux amis fiables, dont elle partageait les opinions et respectait le combat. En quelques mois, leur relation s’affirma. Ils échangeaient régulièrement par lettre, et cela l’aidait grandement à faire face à l’ombre planante de son corsaire commanditaire.

Le cas d’Alexandria avait été un peu plus délicat. Bien que la ville recèle de surprenantes ressources intellectuelles et un foyer brûlant de contre-pouvoir, s’y insérer était bien plus difficile. Tant la distance que l’absence de contact interne fiable l’avaient poussée à prendre plus de risques que de raison. Elle avait dû se rendre sur place, prenant parfois sur ses congés par manque de déplacements professionnels. Cela avait eu un prix, le plus conséquent étant le temps perdu dans ses allers-retours. La toile militante de la capitale était vaste, mais terriblement tortueuse. Les journaux anarchistes étaient plus sérieux, plus lus, et par conséquent plus méfiants sur qui souhaitait les approcher. Il fallait un réseau impeccable, des références, et plus important encore, un mental inflexible. Pour tester la fiabilité de ses visiteurs, les groupuscules de rédaction passaient au crible la moindre faiblesse, le moindre indice pouvant mener à de funestes conclusions. Ils ne prenaient aucun risque. Diane le comprit très vite, en voyant les portes se fermer les unes après les autres devant son nez avant qu’elle ait pu ne serait-ce qu’aborder la question du manifeste. Elle décida de se concentrer d’abord sur les journaux dont elle avait la confiance, puis de s’en servir comme levier pour toucher enfin le Graal qu’était Alexandria. En tout pragmatisme, si son papier avait le retentissement escompté, elle n’aurait même pas besoin de faire le moindre geste vers eux – ce seraient les journaux qui demanderaient le droit de diffusion.

Mettant la capitale dans un coin de son esprit, elle se dévoua donc comme prévu à son travail dans les autres régions. Et en décembre dernier, enfin, hors de nulle part, elle reçut une lettre adressée à son nom de plume anarchiste, « Gavroche », envoyée très habilement à un café militant des bas-fonds de la ville. Comme le réseau de Cerka était étroit, et qu’elle y baignait pratiquement tous les jours, la lettre n’eut aucun mal à lui parvenir. L’auteur s’y présentait comme le responsable d’un jeune journal, une Beuglante comme ils les appelaient à Ünellia, dont les débuts auraient bien besoin d’une exclusivité, d’un coup d’éclat. Il semblait dire qu’il avait eu ses désaccords avec les autres rédactions, et qu’il s’était mis en tête de gérer sa propre affaire, pour pouvoir hurler bien fort ce qu’il voudrait, comme il le voudrait. Ce fameux auteur, un certain Jeannot, cachait derrière son pseudonyme attendrissant une plume acérée et une jolie petite réputation dans le milieu. Son propre nom, à elle, lui était parvenu par hasard en discutant avec un des rédacteurs qui l’avait mentionnée entre deux anecdotes. Apparemment, son agaçante détermination à se faire entendre avait fait tiquer son interlocuteur – ainsi le fruit de la chance, et de sa voix portante.

Il ne leur fallut pas longtemps pour trouver un terrain d’entente. Uniquement via correspondance, elle apprit à connaître le lascar et ses opinions. C’était une forte tête, sans pitié pour le régime. Il écrivait d’un verbe magnifique, marquant sans effort. Mais elle n’arrivait pas à complètement lui faire confiance. Jamais elle ne dévoila plus sur son identité que ce qu’il savait d’origine, et jamais il ne lui demanda de le faire. Elle changeait toujours d’adresse de réception, lui demandant également d’écrire d’autres prénoms de destinataire, au cas où les postiers prendraient des notes. C’était le seul qu’elle s’était permise de ne pas rencontrer avant la publication. Néanmoins, elle écrivait régulièrement pour lui, des chansons satyriques et des colonnes acides, jouant de l’esprit pour masquer l’absence de fond.

Au final, elle y prenait goût, à ce fameux anarchisme.

Diane Stëelk
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Payer sa dette, trouver sa voie. EmptySam 18 Avr - 16:28
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Avril 95

Ainsi, plus d’un an après son enlèvement, elle s’était installée lentement, laborieusement, dans les rangs de cette presse interdite. Elle publiait pour elle à quelques occasions, toujours sous un nom de plume et avec toutes les précautions possibles pour que l’on ne remonte pas à sa source physique. Elle avait maintenu un rythme de travail au Pointilleux très louable, compte-tenu de son temps divisé. Si sa réputation de « story-porter » avait longtemps été une véritable sensation locale, ayant boosté les ventes de son papier et l’ayant amenée sur des terrains passionnants, elle s’était maintenue installée dans une position plus stable, moins éclatante. Mais surtout, et c’est cela qui lui importait, plus discrète.

Elle continuait à écrire des reportages sur le modèle de l’aventure plus ou moins romancée, des rencontres avec des personnages exceptionnels, des milieux insolites. La popularité du journal s’était stabilisée à un rang nettement supérieur à sa position originelle, et cela en partie grâce à elle. Il fallait dire aussi que la rédaction avait été renouvelée, rafraîchie par de jeunes plumes en quête de sensations, et complétée par de nouveaux journalistes reconnus dans les analyses politiques et les scandales.

Diane n’approuvait pas forcément tous ces changements, car il arrivait que ces gens-là appuient un peu trop fort sur les points sensibles et déloyaux du royaume de l’information. Chantage, facilités, provocation … ils avaient appris à travailler ainsi, car c’est ce qui à, leur sens, rendait la presse très grand public. La classe ouvrière avait rarement le temps de lire les longs décryptages d’un énième décret qui ne les concernait pas. En revanche, quand ils pouvaient mettre la dent sur un détail salé ou une histoire de magouille, c’était jackpot. Ces rédacteurs de peu de scrupules étaient de fait gardés par l’œil vigilant d’Hector, désormais directeur de publication. Ils gardaient encore certaines limites éthiques. Tant que le Pointilleux restait loin du terrain des tabloïds, la direction n’avait rien à redire. Et Diane non plus. Cela même servait ses intérêts : comment croire qu’une anarchiste secrète se cachait parmi les rangs d’un journal si politiquement correct, ou du moins, n’émettant que des critiques conventionnelles et inoffensives ? Leur travail se basait sur des faits et des chiffres, après tout. Et avec la guerre qui, inexorablement, menaçait de sa noirceur l’ensemble du pays, il n’était pas de bon ton de se démarquer de la masse en avançant de grandes théories complotistes, ou en fouillant trop profond dans la mare à boue.

Le climat d’avant-conflit mettait les journaux à rude épreuve. Les papiers interdits redoublaient de virulence et de critiques, touchant de nouveaux publics, tandis que la presse traditionnelle se rétractait peu à peu dans une forme de tolérance uniforme. En tant de guerre, leur pays pouvait accuser n’importe qui de trahison pour des faits passés, présents, ou pressentis. La guerre, c’était l’effort collectif, le sacrifice patriotique. Personne ne voulait se faire envoyer dans un tribunal pressé et corrompu pour quelques mots passés un peu trop acides. Cette lâcheté intellectuelle donnait encore plus de raisons à Diane de travailler au cœur de l’opposition. Elle se sentait utile, écoutée. Elle servait un contre-pouvoir essentiel à l’équilibre d’une société qu’elle voulait croire moderne. Et si la perspective d’un pays en conflit la réveillait parfois la nuit, en sueur, elle gardait le cap.

En avril de cette année, son manifeste serait enfin publié. Plusieurs pages de mise à nu implacable des injustices et atrocités commises par le régime, ou avec son consentement tacite. Le fruit de son propre travail de recherches et de témoignages directs des divers concernés, recueillis par ses partenaires de diffusion. Chaque affirmation, chaque ligne de feu gravée à l’encre de sa machine était appuyée par des preuves tangibles, qu’il n’avait pas été simple de recueillir. L’UNE avait un don pour sceller ses démons sous terre en se persuadant qu’ils n’y seraient plus dangereux. Mais son travail à elle, c’était de creuser. Même si cela impliquait de s’exposer à la bête et à ses geôliers. Terribles, sales vérités. Elle savait depuis toujours que les inégalités dans son pays étaient vertigineuses, et l’avait mesuré encore plus en découvrant les premiers quartiers d’Alexandria. Journaliste et fille d’ouvrière, enfant des rues en pleine ascension sociale, elle avait le cœur à la cause et les mots pour la défendre.

De toutes ses histoires, celle-ci serait une des plus dramatiques. Elle avait eu la main généreuse sur les métaphores, les procédés sentimentaux. L’exercice avait été aussi éprouvant qu’exaltant. Son public n’était pas du tout le même – du bourgeois qui survole la Une à l’heure du thé, à l’estropié qui tire avidement la feuille du caniveau, il y avait scission. Elle avait trouvé beaucoup de plaisir à chercher des formules percutantes, à puiser dans ses propres expériences de la pauvreté pour interpeller ses semblables. Et les nombreux témoignages permettaient d’élargir encore plus le cercle des concernés. C’était le cri de rage d’un ras-le-bol général, là, à même les pieds des géants du pays. Et le sol allait sacrément trembler, elle en était sûre.

Restait à trouver comment justifier la présence d’Eylohr dans toute cette mélasse. A force de s’enfoncer dans les milieux protestataires, et le temps passant, elle avait de plus en plus repoussé le moment où il faudrait écrire, quoi qu’elle en pense, que les révoltés auraient une figure pour les guider s’ils voulaient prendre les armes. Une sorte de figure de proue à l’insurrection si elle devait avoir lieu. Diane avait beaucoup réfléchi, et beaucoup discuté avec ses amis de la Force Blanche. Tout comme elle, ils semblaient assez sceptiques à l’idée d’une armée de laissés-pour-compte. L’objectif n’était pas, in fine, la guerre civile. C’était plutôt le soulèvement populaire et consensuel de la majorité pour faire tomber au mieux, réformer au moins, leurs institutions politiques. C’était la dénonciation sans fard d’un système parfois despotique et toujours injuste.

Mais la guerre frappait déjà à leur porte, et leur pays n’avait pas besoin de se diviser encore plus. La lutte sociale pouvait bien céder sa place, pour un temps au moins, à l’unité nécessaire à de pareilles époques. Et même, elle pourrait s’appuyer sur les dégâts et les horreurs de celle-ci pour alourdir ses accusations dans le futur. C’était ce que disait Lois, l’une de ses amies d’Ankar. Et une partie de Diane, la plus rationnelle, était d’accord. Les pauvres gens n’avaient pas besoin qu’on leur inflige un autre de ces grands bouleversements qui n’intéressait que ceux ayant le loisir de s’en encombrer l’esprit.

Une autre part d’elle, en revanche, penchait pour les arguments intraitables de Rohan, son collègue électrique et grisonnant. Il soutenait que la misère sociale n’avait que trop durée, et qu’il y aurait toujours des raisons pour l’entretenir de peur d’aggraver sa situation initiale. Pourtant ceux qui allaient souffrir de la guerre, c’étaient d’abord les opprimés. C’étaient leurs maisons qui allaient brûler, leurs enfants qui seraient appelés sous les drapeaux. Profiter de la distraction prodiguée par la guerre leur permettrait de plus facilement renverser le gouvernement – et ce faisant, de permettre l’apaisement des tensions, voire même un sursit indéfini à la paix. Le problème de ce pays, d’après lui, dormait dans son incapacité à se remettre en cause. Sa fierté symptomatique. Mais cette fierté était un vice, qui conduirait comme elle l’avait déjà fait au commencement de leur histoire, à la division, la haine et la mort.

En définitive, c’était difficile de trouver un compromis entre ses convictions et sa parole. Mais plus elle grattait, plus elle raturait, plus les options s’amenuisaient. Elle voyait le bout du tunnel. Elle lui dédierait un paragraphe entier, en usant de son nom parmi ceux d’autres anarchistes notoires, mais en l’évoquant plus souvent pour qu’il reste dans l’esprit du lecteur un acteur principal de son mouvement. Et puis, il ne pourrait pas se plaindre, elle avait passé presque un an de sa vie à lui pondre un boulot consistant, riche, mêlant solidité des informations et virulence du propos. Elle sentait que ce serait un moment important, pour son histoire, celle des ouvriers. Une fois larguée la bombe, qui sait comment elle allait exploser, où irait son souffle ?

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