Epreuve 5 : la première pierre

Petite précision sur l'univers:

Yenlu !

Yenlu, où es-tu ?

Réponds-moi, Yenlu !

Than cherche à joindre son animal de lien. Elle le sait mais elle continue d’essayer de la joindre, de saisir une réponse. Elle sent bien que leur lien télépathique est rompu. Elle est morte, réalise-t-elle. C’est un cri de désespoir qui sort de sa gorge, celui d’un animal blessé au plus profond de son être. C’est le cri d’une louve pour ses petits. Ses blessures physiques n’ont aucune comparaison avec cette déchirure psychique.

Au milieu du paysage ravagé par le feu, elle pleure à chaudes larmes. Puis elle se calme petit à petit, fatiguée de crier et de hurler sa peine, ce qui ne l’empêche pas de s’effondrer en frémissant de tristesse. Elle accepte peu à peu la triste réalité qu’elle savait inéluctable mais qu’elle n’attendait point si tôt. Son maître lui avait dit que le lien entre un chasseur et son animal était ce qu’il y avait de plus fort, que malheureusement quelque soit l’espèce choisie, celle-ci mourrait avant son chasseur. C’était un futur lointain, ça aurait dû être un moment doux. Elle aurait aimé pouvoir serrer contre son cœur le corps du hibou et de sentir son esprit partir doucement. Mais enfin ! Elle avait encore quelques années à vivre avec Yenlu !

Elle se redresse enfin et contemple durement la carcasse du dragon responsable de son malheur. Cet idiot a épuisé ses forces pour souffler le paysage. Il n’aurait pas dû ! Qu’il tue toute sa famille, certes ! Elle l’aurait tué ! Mais il ne devait pas toucher à Yenlu ! Elle l’aurait tué quand même ! Yenlu est était celle qui la connaissait le mieux !

La chasseresse porte enfin un regard sur les alentours. Ceux-ci resteront stériles un bout de temps. Il n’y a d’autres choix que de partir et revenir dans une décennie ou deux pour peut-être pourchasser un autre dragon. Alors, elle rassemble ses affaires et marche jusqu’à la carcasse calcinée du dragon. Elle prend une dague de son barda et marque dans l’os du tueur le nom de sa victime.


Tiens, prends-toi ça, dragon ! N’oublie pas son nom ! Moi, je t’oublierai avant elle !

L’elfe noire s’en va vers d’autres horizons, continuer sa vie comme elle avait l’habitude. Elle continuera sa chasse aux dragons et attaquera quiconque s’en prendra à des rapaces nocturnes. Elle quitte Isotier, ville qui l’a vu grandir. Elle sait que sa mère n’y est plus, soufflée par le souffle du dragon. Soufflée aussi la tante qu’elle apprenait à aimer, soufflé aussi le père qu’elle découvrait tout juste. L’endroit où Than est née et l’endroit où Yenlu est morte. Et quand on lui demandera d'où elle vient, elle répondra : "je viens de là où Yenlu a quitté ce monde".

Que son nom reste à jamais gravé à la vue du ciel.


L’herbe a repoussé sur le sol et les restes d’un squelette de dragon. Une haute silhouette elfique avance en traînant un chariot. Elle s’arrête et contemple le paysage. Personne ne s’est installé ici sur cette terre dépouillée au bord de la mer. Alors, elle s’approche des os et gratte l’herbe à un certain endroit, révélant une épitaphe qu’elle contemple longuement.

Ensuite elle relève ses manches et sort les peaux de son chariot pour les assembler autour de l’énorme carcasse. Pourquoi pas après tout ? Il n’y a pas de bois viables aux alentours. Il lui faut bien tout la journée pour bâtir un abris avec ce qu’elle a.

La nuit venue, elle prend sa réserve de viande séchée et s’adosse contre le mur de sa nouvelle maison, juste à côté de l’os qui n’est pas recouvert de peaux.

Son regard se perd dans le ciel étoilé.