Deux âmes, deux destins différents.

Après quelques semaines agitées dans la vie de Lizzie, la jeune femme avait décidé de se retirer, de faire une pause, d'arrêter les combats et jeux de pouvoir pour se ressourcer. Elle n'avait pas vraiment d'endroit où aller, le bordel où elle avait grandi n'étant plus une maison, n'ayant plus d'équipage ni d'aéronef comme repère, plus de famille. Il lui restait néanmoins deux choses qui pouvaient lui apporter cette quiétude du retour à la maison, cette sensation de pouvoir enfin se reposer. L'un était l'atelier du prothésiste à Onaël, l'autre une tribu nomade de my'träns vénérant Amisgal. Elle avait été recueilli par eux lors du naufrage de la caraque de Will Rackvan et avait enfin pu à leurs côtés se reposer et oublier ses soucis. Néanmoins, elle avait dû les quitter pour leur éviter des problèmes, car même s'ils avaient été bons de la recueillir, elle n'était pas comme eux et cela était mal vu à My'trä. De plus, son coeur bouillonnait de désir d'aventures, et la paix n'était pas faite pour elle. Elle en avait pourtant eu besoin en cette fin de mois de février, et était partie à leur rencontre.

Les retrouver ne fut pas chose aisée, les nomades ne restant jamais longtemps au même endroit. Remontant la piste, les traquant en bonne chasseuse qu'elle était, la jeune femme avait fini par les trouver dans le désert de Kharaal Ghazar. Mais ce ne fut pas une tribu heureuse et épanouissante qu'elle retrouva, mais une famille déchirée par la peine et la colère. Une épidémie sévissait parmi les enfants de la tribu, et ils allaient bientôt les perdre si des soins n'étaient pas donnés rapidement. La discorde venait du fait qu'une partie de la tribu refusait de faire appel à un médecin des Cercles de l'Aube, et la décision ne pouvait pas se prendre à la légère. Même s'ils avaient recueillis Lizzie, qui ne croyait pas en leurs divinités, laisser quelqu'un d'extérieur à leur tribu toucher les enfants était contre-nature pour eux. Lizzie, ne sachant que faire, resta en retrait dans cette histoire. Une mère vint la voir un soir, pour lui demander de leur apporter son aide, de trouver un médecin pour soigner les enfants. La jeune femme envoya une missive aux Cercles de l'Aube pour leur demander d'envoyer quelqu'un, de préférence avec une certaine sensibilité pour les Architectes. Elle indiquait dans sa missive qu'elle attendrait le médecin à Busad. Aussi la jeune pirate, venant à peine de retrouver ses amis, dut partir aussitôt pour tenter de leur venir en aide.


Lizzie errait à Busad depuis deux jours, attendant le médecin qui n'arrivait pas. Elle avait loué une chambre dans l'auberge où ils avaient rendez-vous, et passait ses journées à attendre et maugréer. Elle avait bien essayé de réclamer l'aide d'un médecin de Busad, mais eux-même disaient avoir déjà bien trop à faire pour partir s'occuper d'une tribu mineure. Et elle ne pouvait pas les démentir, de nombreux malades s'amassaient devant leur porte... C'était toujours le problème des grandes villes. Ce jour-là, elle décida d'aller tuer son ennui par une balade dans la rue, peut-être cela lui donnerait-il des idées pour aider ses amis. Elle laissa néanmoins sa carabine dans l'auberge et s'habilla avec de longs habits my'träns. Elle avait gardé son revolver, caché, mais ne souhaitait pas se faire remarquer au milieu des passants.

Delkhar, son faucon, volait au-dessus d'elle, faisant des allées et venues dans le ciel de Busad. Lizzie le fixa un moment, ce qui finit par l'éblouir quand il passa entre elle et le soleil. Ne voyant plus rien devant elle, la jeune femme tituba et heurta quelque chose. Ou plutôt quelqu'un, un énorme mastodonte de près de deux mètres. Toujours éblouie, la jeune femme ne voyait pas l'homme clairement, mais l'entendit tout de même s'excuser. Pourquoi s'excusait-il, d'ailleurs ? C'était elle qui lui était rentré dedans ! L'homme ne semblait pas pressé, puisqu'il ne reprit pas son chemin, scrutant Lizzie du regard. Celle-ci se frotta les yeux pour faire disparaître la lumière fantôme du soleil dans ses yeux, puis posa son regard encore flou sur le jeune homme. Torse nu, il présentait une musculature saillante bardée de quelques cicatrices. Ses avant-bras et son crâne chauve était recouverts de roche. Il avait un visage dur, comme ciselé dans la roche lui aussi, mais néanmoins attrayant. C'était un très bel homme, en fin de compte. Et Lizzie était sûre de ne jamais l'avoir vu auparavant, elle se serait souvenue de pareil spécimen.

- Non, je ne crois pas vous connaître. Et excusez-moi, c'est moi qui vous suis rentrée dedans, je regardai le soleil...

Lizzie allait reprendre sa route quand elle remarqua l'attroupement qui venait de se former autour d'eux. Mais que se passait-il donc ? Les gens la regardaient avec frayeur ou haine, en chuchotant entre eux. Certains pointaient quelque chose à ses pieds. Elle baissa la tête pour voir l'objet du crime, et vit son revolver, qui gisait à terre. Il avait dû tomber quand elle avait heurté le mastodonte. N'était pas correctement fixé mais plutôt glissé dans une poche de son ample vêtement, ce n'était pas une vraie surprise...

"C'est une Daënar", entendit-elle là-bas. "Une espionne cachée sous nos vêtements...", distingua-t-elle un peu loin. "Elle est venue apporter leurs engins de mort dans notre ville !", s'effraya une vieille femme. Lizzie, avec un regard de doute envers l'homme dans lequel elle était rentrée, ramassa son revolver, suscitant une vague de peur entre les My'träns. Elle tenta de s'expliquer, maladroitement, envers des gens qui semblaient n'entendre que des injures sortir de sa bouche, tellement ils semblaient choqués.

- Je ne suis pas Daënar ! Je ne crois pas en l'idéologie des technophiles et suis contre leur gouvernement, moi aussi ! Je ne vous veux aucun mal, je suis ici pour trouver un médecin !

La pirate ne savait pas si elle croyait vraiment ce qu'elle venait de dire, elle ne s'était jamais posée la question, mais il fallait trouver des arguments pour éviter de se faire lapider en place publique. Elle jeta un regard à l'homme toujours face à elle, entre incompréhension et peur. Lizzie Seavey avait peur. Elle ne voulait pas mourir en anonyme dans une rue my'tränne, lapidée par une foule en délire. Evidemment, si cela devait arriver, elle ne serait pas partie sans faire elle-même quelques victimes, mais à quoi bon, finalement...

Aussi vite qu'il s'était formé, l'attroupement disparut et Lizzie put ramasser son revolver et le glisser dans les plis de son vêtements, en le fixant un peu plus solidement. Son sauveteur, malgré son invitation à le suivre, était déjà loin, ce qui surprit la jeune femme. Rien ne le forçait à agir ainsi, il avait pris sa défense et maintenant il n'attendait pas un merci en retour ? La jeune Seavey le trouva un peu rustre sur le coup, et le rattrapa rapidement. Posant sa main sur son épaule, elle l'incita à se retourner.

- Attends, laisse moi te dire merci, au moins !

Echangeant un regard avec lui, la jeune femme fut destabilisée. Il ne semblait rien attendre d'elle, et avait certainement plus intéressant à faire. Il devait se demander pourquoi elle était encore là à l'embêter. Mais Lizzie n'en démordait pas.

- Euh... bah... merci du coup. C'était sympa de ta part. Je peux te payer un coup à boire au moins ?

L'ambiance était pourtant un peu trop tendue, et Lizzie ne se sentait pas à l'aise. Elle essaya de calmer l'atmosphère en tentant une autre pique humoristique, mais elle se rendit compte en la prononçant qu'elle pouvait passer pour de la provocation.

- Tu peux toujours essayer de me broyer le crâne, d'ailleurs, je suis pas sûre que tu y arrives !

Se giflant mentalement pour s'empêcher de continuer à parler, la jeune femme décida d'attendre la réaction du mastodonte. Peut-être allait-il vraiment essayer de lui broyer le crâne ? Il était sûr qu'avec des mains énormes comme les siennes, il pourrait y arriver. Enfin, c'était sans compter l'agilité de Lizzie, qui ne se laisserait pas avoir si facilement... Mais pourquoi pensait-elle à le combattre ? Il venait de lui sauver la peau, elle voulait juste lui montrer qu'elle était redevable ! Elle chassa ces idées de la tête, se résolvant à attendre qu'il lui réponde...

Le rire d'Akirss était communicatif. Après sa comique tentative d'intimidation, presque plus destinée aux badauds qu'à Lizzie, la jeune femme éclata elle aussi de rire. Ses grandes mains n'auraient effectivement aucun mal à la broyer, mais la diablesse qu'était Lizzie ne se serait pas laissée faire aussi facilement néanmoins. Ce grand personnage l'intéressait au plus au haut point. Il était imprévisible et drôle. Elle avait bien envie de rester dans son sillage un peu plus, de toutes façons sa recherche n'allait pas plus avancer, elle devait attendre que les Cercles lui envoient quelqu'un...

La pirate le suivit en silence, étudiant les rues de Busad. Elle avait évité les grandes villes de My'trä jusqu'à maintenant, même si ça faisait deux mois qu'elle traînait sur ce continent, justement pour éviter le genre d'événements qui avait eu lieu plus tôt dans la rue. Mais il fallait dire que tout était fascinant, pour quelqu'un qui avait grandi à Daënastre. La jeune femme avait du mal à s'intégrer, à part quand elle était avec la tribu nomade qui l'avait recueillie, mais elle trouvait les my'träns et leurs coutumes très intéressants. Elle venait même à penser que peut-être que leurs fameux Architectes existaient vraiment...

Ils arrivèrent enfin dans la taverne que son nouvel ami lui avait promis. Ils entrèrent et s'installèrent au comptoir, où il commanda une brune. Décidant de rester sage et ne pas entamer tout de suite une bouteille de rhum, Lizzie demanda la même chose. Rien ne valait son or liquide, mais parfois, il fallait savoir s'habituer aux coutumes des autres.

- On dirait peut-être pas comme ça, mais ça fait deux mois que je réside à My'trä. Comme je disais tout à l'heure dans la rue, je ne suis pas daënar, je ne l'ai jamais vraiment été même si j'y suis née. Je crois qu'on appelle les gens comme moi des pérégrins. Je me balade, quoi.

Lizzie n'en avait que faire des gens qui pouvaient écouter la conversation. Si ça pouvait remettre les pendules à l'heure, peut-être que ça l'aiderait à être tranquille.

- J'essaye de rester discrète en général, je sais que mes manières et mon accent me trahissent, mais là j'étais obligée de venir en ville. Je cherche un médecin my'trän pour une tribu nomade qui vénère Amisgal. Leurs enfants sont tous malades. J'ai contacté les Cercles de l'Aube et j'attends qu'ils m'envoient quelqu'un pour l'accompagner là-bas. Tu vois, je suis pas une méchante daënar, je me préoccupe de la vie des gens auxquels je tiens, quel que soit leur lieu d'appartenance. N'en ayant pas moi-même, je peux pas détester quelqu'un qui en a.

Le tavernier servit les deux grands verres de bière brune à ce moment-là. Lizzie leva son verre vers son nouvel ami.

- Merci pour tout à l'heure. Je m'appelle Lizzie Seavey au fait.

Ils trinquèrent, puis la jeune femme but une grande gorgée de bière. Elle était bonne. Ça ne remplaçait pas le rhum, mais c'était tout à fait acceptable. Peut-être allait-elle passer une meilleure journée que ce qu'elle aurait pu croire une demi-heure auparavant ?