Contrée enchanteresse, mortel enchantement [Terminé]

Deux yeux encore emplis des échos de la nuit s’ouvrirent, se fermèrent, se rouvrirent à nouveau, et ce plusieurs fois.  L’esprit embrumé de Meylan restait encore accroché aux limbes du sommeil à quelques endroits, et elle avait du mal à démêler tout ce qui s’y bousculait.  Aux poutres qui soutenaient le plafond de sa chambre se mêlaient des visions de paysages nocturnes et de pics enneigés.  Aux bruits qui montaient déjà de la rue malgré l’heure matinale se mêlait une voix aux accents familiers qu’elle ne parvenait pourtant pas à remettre.  Au repos que sa nuit lui avait apporté se mêlaient des battements de coeur trop frénétiques pour le peu d’exercice qu’elle avait fait ces dernières heures.

Perplexe, elle laissa retomber sa tête sur son oreiller pour essayer de faire le tri dans la masse de noeuds qu’était son cerveau.  Elle ferma les yeux à nouveau, espérant sans trop y croire que l’obscurité lui permettrait de retrouver un début de piste.  Pourquoi diable était-elle aussi emmêlée dans ses draps?  Et pourquoi est-ce qu’elle sentait encore le contrecoup d’une peur sans nom?  Et pourtant aussi un certain…apaisement?  Qu’est-ce qui pouvait bien lui être arrivé pendant la nuit pour lui inspirer des sentiments aussi contradictoires?

Petit à petit, sa respiration saccadée se calma et quelques bribes lui permirent de reconstituer ses aventures nocturnes.  Des paysages montagnards, une vision d’horreur absolue, la terreur et le deuil suivis d’une lassitude écrasante…la compréhension, enfin.  Et une personne dont les traits lui échappaient obstinément.  Seule en restait une impression générale de pâleur autour de deux joyaux, l’un un saphir, l’autre une émeraude.  Bien sûr il ne s’agissait que de flashs indistincts, la plus grande partie de son rêve restant aussi cachée que la partie immergée de l’iceberg proverbial.  Mais au moins cela lui donnait certains éléments de réponse.

Une fois les battements de son coeur calmés et sa respiration revenue à un rythme normal, elle autorisa une nouvelle fois ses yeux à s’ouvrir.  Aucune vision de neige ne vint entacher le plafond de sa chambre, cette fois.  Les derniers lambeaux de sommeil avaient quitté la ménestrelle, et même les bribes qui avaient ressurgi si récemment commençaient à s’estomper.  Etant donné que se rendormir n’était pas une option, il était temps pour elle de se lever.

D’un mouvement souple, elle envoya ses jambes par-dessus le bord de son lit et s’assit pour éviter de repartir sans s’en rendre compte pour un voyage au pays de Morphée.  Dehors, le soleil ne brillait pas encore, mais le ciel qui s’éclaircissait annonçait sa venue imminente.  Dans la pièce dont les rideaux n’étaient pas tirés, la lumière suffisait à Meylan pour s’orienter.  Elle n’eut donc aucun mal à localiser une tunique ocre et des chausses brunes.  Ses bottes, par contre, avaient décidé d’aller se nicher dans un coin d’ombre, les rendant plus difficiles à dénicher.  Enfin, elle s’attaqua à la masse de boucles noires qui lui servait de chevelure et parvint à la convaincre de prendre une place plus ou moins acceptable plutôt que de tenter de coloniser chaque parcelle d’air autour de sa tête.  Elle jeta un bref regard dans le miroir, mais ses yeux s’arrêtèrent plus longtemps que prévu.  Ce n’étaient ni ses cheveux (désormais sages) ni ses traits (qu’elle connaissait par coeur) qui attirèrent son attention.  Pas même le scintillement, étrange à cette heure, qui habitait ses yeux.  Ce qui la fit fixer l’image plus longtemps que d’habitude, c’était cette étrange impression de voir un ciel étoilé derrière son reflet.  Il était grand temps qu’elle le fasse, ce voyage à Khurmag.