Chants et mages - Meylan (Irydaë ) et Viholvärakuuna (Nano RP)

Elle était une chenille, bien au chaud dans son cocon de laine, attendant sa transformation future. Le cocon serré l’empêchait de bouger, mais elle n’en ressentait de toute façon pas le besoin. Son esprit errait dans quelque dimension onirique d’où lui provenaient des sons indistincts, mais pas inquiétants pour autant. Elle errait à la frontière entre le réel et l’illusion et elle avait l’impression que ce n’était pas la première fois, sans pour autant comprendre d’où cette impression lui venait.

Une lumière vive l’éblouit brièvement, la sortant de sa torpeur. Elle s’étira et étendit ses… ailes ? Oui, ses ailes. Pourquoi était-elle étonnée ? Sans importance. Un éventail de couleurs chatoyantes ornait cette paire de membres nouvellement acquise et elle s’extirpa de sa chrysalide, puis vit cette dernière disparaître, purement et simplement. La lumière inconnue vacillait, tremblotait selon un rythme irrégulier, comme si elle dansait sur une musique inaudible. Attirée par ce mystère, le papillon s’éleva dans les airs en quelques battements d’ailes.

Elle sentait le vent la porter. Il charriait une légère odeur de sel qu’elle ne pouvait expliquer. Le vol lui procurait des sensations nouvelles, grisantes. Elle ne s’était jamais sentie aussi libre, rien n’était hors de sa portée ! Elle pourrait même toucher les lunes et le soleil si elle volait suffisamment longtemps ! Et pourtant, la lumière dansante restait obstinément tout juste hors de portée.

Une ombre passa entre elle et la lumière, lui ôtant toute possibilité de s’orienter. Elle réalisa soudainement qu’il y avait des murs tout autour d’elle : elle était prise au piège. La texture de ces murs l’intriguait toutefois. Ils n’avaient pas la rugosité dure de la pierre ou la patine lisse du bois, mais semblaient composés d’un maillage qui lui rappelait vaguement quelque chose.

Au loin, une nouvelle lueur brillait, moins vacillante mais tout aussi chaude. Meylan mit le cap dans cette nouvelle direction de toute la vitesse de ses ailes, sans plus s’interroger sur son étrange prison de mailles. Elle ne tarda pas à déboucher sur un lac de lave en fusion. Le feu liquide gargouillait, agité ici et là par de lents remous. Comme tout papillon digne de ce nom, elle n’hésita pas, et plongea tête la première dans la fournaise incandescente.

Nager dans la lave ne s’avéra pas bien différent de voler, en fin de compte, si ce n’était que les embruns marins avaient disparu. Elle avait chaud, sans brûler pour autant. Ses ailes gagnaient en force à chaque battement, et la propulsèrent bientôt vers la surface. Elle émergea dans une vallée inconnue et voulu pousser un cri de joie, seulement un jet de flammes jaillit de sa gueule ouverte. Le papillon était devenu dragon. Peu embêtée par cette nouvelle métamorphose, elle s’éleva une nouvelle fois dans les airs, bien décidée à aller rendre visite au soleil qui brillait de mille feux dans le ciel.

Combien de temps vola-t-elle ainsi ? Difficile à dire, mais le soleil ne se rapprochait pas. Une nouvelle ombre vint finalement l’occulter lui aussi, et perturber par la même occasion la quiétude de Meylan. Comme une fausse note discordante au sein d’un ensemble musical, un faux-pas dans une chorégraphie. Ses ailes se figèrent soudain et elle se retrouva immobilisée. Membres plaqués contre son corps, enfermée dans un corset invisible, elle se sentit chuter comme une pierre. La tête lui tournait, impossible de distinguer le haut du bas, elle allait s’écraser…

Elle ouvrit les yeux et du mouvement à hauteur de son épaule attira son regard. Ah oui, le dragon avec qui elle s’était embarquée dans une quête folle. Et ses membres étaient en effet immobilisés, enserrés dans une couverture en laine aussi douce que chaude. Les mailles du tricot rappelaient quelque chose à Meylan, mais pas moyen de se souvenir quoi.

« Hmm, encore quelques minutes, dragon, j’étais presque au soleil… »

Elle était prête à se retourner et à se rendormir, mais une voix un peu plus loin l’arrêta.

« Rendors-toi maintenant, scalde, et je ne donne pas cher de ta peau. »

Ah oui, le guerrier. Il était là aussi. Il y avait toutefois du changement de son côté : son ton n’était pour une fois ni agressif ni accusateur, simplement factuel. Quelque part dans la partie un peu réveillée de l’esprit de la musicienne, son instinct de survie lui soufflait qu’il avait raison. Meylan extirpa ses mains du cocon de laine pour se frotter les yeux dans l’espoir d’en chasser les restes de sommeil. Heureusement que le dragon s’était déjà chargé de la mettre en position assise, sans quoi elle aurait eu toutes les peines du monde à le faire.

Une gourde apparut dans son champ de vision, et elle la saisit, non sans observer que ses mains tremblaient. Les premières gorgées d’eau furent une bénédiction pour sa gorge sèche, et elle vida la moitié de la gourde presque sans respirer. Elle se reprit toute fois à temps pour ne pas la vider entièrement et la tendit au guerrier, mais celui-ci lui fit signe de la garder.

« Je me suis déjà désaltéré et il y a une rivière à deux pas d’ici. »

Rassurée, elle prit encore quelques longues gorgées avant de reposer la gourde presque vide à terre. L’odeur de la nourriture fit gargouiller l’estomac de Meylan et elle accepta avec gratitude le pain et la viande que lui tendait le guerrier.

« D’où viennent ces vivres ? »

Sa voix était si faible qu’elle s’effrayait elle-même. Elle espérait que les deux autres ne s’attendaient pas à repartir sans se reposer (pour de bon) avant ça.

« Il y a une ville à portée de marche d’ici. »

Même si elle n’appréciait pas forcément le scepticisme de l’homme face à sa participation à leur quête, elle était impressionnée qu’il ne se soit pas écroulé de fatigue comme elle. Il devait avoir une constitution digne d’un serviteur de Möchlog. De son côté, elle était trop fatiguée pour faire plus que hocher la tête en réponse à l’explication du guerrier. La nourriture calma bientôt une faim que la soif avait occulté jusque-là. Désaltérée, repue et réchauffée, elle ne tarda pas à somnoler à nouveau.

« Juste quelques minutes… »

L’inquiétude du dragon n’allait pas redescendre de ses hauteurs de sitôt. Voilà que SON Papillon se mettait à divaguer des inepties à propos d’atteindre le Soleil ! Ne savait-elle donc pas qu’il se trouvait loin dans le ciel, si haut que même la Splendeur d’un dragon ne pouvait s’en approcher, sauf lors d’une volvä, et que se rapprocher de l’Astre du jour, c’était à coup sûr mourir par ses Flammes incandescentes ? Il brillait tel le Cœur de Feu d’un dragon géant, créateur primordial du monde.

- Comprends-donc, MON très cher Papillon, que ton projet est en grande partie irréalisable. Même avec la parure d’une dragonne, il te serait difficile de rejoindre le Soleil. Nous ne pouvons que l’effleurer des griffes, dans le plus beau des cas, et laisser ses Glorieux rayons réchauffer nos écailles mais il nous reste inaccessible.

Un gloussement interrompit sa tirade alors qu’il tournait la tête vers Gunther, les naseaux vrombissant de l’insulte qu’il ressentait devant cette interruption aussi inélégante. Le pillard leva deux mains apaisantes mais son sourire restait goguenard.

- Allons, Dragon, la paix. Ta protégée doit se sustenter et tu la déranges. Viholvä roula des yeux en grommelant mais ne quitta pas le chevet de SON Papillon, souffla un air chaud sur son visage pour qu’elle reste éveillée le temps de manger et de boire ; qu’il était bon de la voir suffisamment en état pour même poser des questions ! Il avait vraiment craint le pire.

Mais voilà qu’elle se rendormait sitôt après avoir avalé une maigre pitance au regard d’un repas de dragon ! Et non, il n’était pas en train de paniquer, pas du tout, il était Viholvärakuuna fils de Valkulohikäärme le Chante-Mage ! Il ne paniquait pas pour si peu, allons donc. Ce n’était qu’une petite agitation passagère pour réinstaller confortablement Meylan dans ses anneaux et l’entourer d’une nouvelle couche de vapeur délicatement chaleureuse, en prenant bien garde à ne pas agresser la peau fragile des humains.

- Une vraie poule, se moqua soudainement Gunther et toute gentillesse quitta le dragon alors qu’il se tournait brusquement vers le pillard en montrant les crocs, une langue sifflante jaillissant de ses crocs. L’Homme recula de quelques pas hésitants, la main sur la poignée de son épée sans la dégainer, ayant conscience de l’irrationalité d’un tel geste qui le condamnerait à coup sûr. Il semblait avoir oublié, dans un moment d’égarement, la dangerosité représentée par le dragon ; le rire de son Hiisi se répercuta lugubrement dans la grotte. Mais le son, pour menaçant qu’il soit, calma la fureur du dragon.

- Tu ferais mieux de dormir aussi, Pillard, au lieu de servir de jouet à un Hiisi, grogna Viholvä en les foudroyant l’un et l’autre du regard ; l’ombreux démon ricana en se faufilant entre deux rochers, à l’abri de sa pénombre. Le visage de Gunther blanchit d’outrage. A qui la faute d’une telle infamie ? gronda-t-il en avançant un doigt menaçant vers le dragon. Le tonnerre repartit de plus belle dans la poitrine du dragon… et alors, SON Papillon se mit à gigoter entre ses anneaux, gémissant faiblement comme si elle commençait à se réveiller. Et pas d’une agréable façon. Gunther eut au moins le bon sens de se retirer dans un autre coin de la caverne devant le regard silencieusement furibond qu’il lui lança. Un silence tendu tomba sur le petit groupe mais un silence tout de moins.

Viholvä ne dormit pas. Il était suffisamment reposé pour voler encore des jours et ne se sustenter que dans des mois. La faiblesse des Humains ne lui sautait que plus au visage alors qu’il les côtoyer. Mais son esprit ne s’ennuyait pas alors qu’il avait alangui son corps contre la roche réchauffée par sa vapeur ; il songeait à ses projets pour Meylan Lyrétoile, SON Papillon. Et ce qu’il entrevoyait ne lui plaisait guère. Il lui apparaissait de plus en plus clairement que l’enlever de son monde, corps et âme, déstabiliserait tant leurs deux univers que leurs échos respectifs les entredétruiraient. Et il était un chamane accompli, jamais ne laisserait-il une telle chose arriver, même pour satisfaire un caprice. Quelle déception ! Il devait donc trouver un autre moyen de combler ses envies sans dérégler la trame des mondes. Rien qu’un chamane de sa trempe ne puisse régler avec un peu de réflexion.

Mais ce qui était pour lui des secondes s’avéraient des heures pour ces pauvres mortels et le Soleil levait déjà sa gloire étincelante sur la forêt environnante quand le dragon reprit conscience avec la réalité. Ils devaient reprendre leur route avant que la lassitude liée au maintien de son corps-image ne lui fasse rompre sa volvä. Le dragon rapprocha donc son museau de SON Papillon pour lui chatouiller le visage des douces écailles de son museau. Gunther commençait déjà se réveiller de son propre chef dès les premières lueurs de l’aube, eût-il passé une nuit agitée à cause de son Hiisi. Il se releva en grogna tel un ours mal luné et partit se débarbouiller. Quand il revint, il semblait prêt à affronter l’ours qu’il imitait juste avant ; Viholvä en aurait été presque impressionné. Presque. Il ne pouvait pas cesser de se rappeler le conflit qui l’opposait au pillard.

- La scalde doit rapidement se réveiller. Nous avons une longue route encore, et je préfère voler sous un ciel diurne. Et dégagé par-dessus le marché. Nous avons la mer à traverser, plein est. Puis il faudra à nouveau s’arrêter pour faire une pause, Dragon. Selon notre fatigue, bivouaquer sur la côte, ou tenter d’atteindre une localité vers le nord. Mais il faudra encore une journée de voyage au moins avant d’atteindre le Finnmark. Il frissonna à ce nom, invoquant la protection de ses dieux. Viholvä n’avait cure de sa frilosité. Il observait SON Papillon revenir à la conscience, espérant la trouver dans une forme meilleure que la dernière fois qu’elle avait ouvert les yeux.

Les mots du dragon glissaient sur l’esprit embrumé de Meylan comme l’eau sur une feuille lisse de plante succulente. Elle était vaguement consciente qu’il babillait quelque chose, puis que lui et le guerrier se chamaillaient (mais quand ne se chamaillaient-ils pas ?), mais seules des bribes de leurs tirades arrivaient jusqu’à elle. La chaleur qui l’enveloppait et finissait de chasser le froid de leur voyage aérien était bien plus réelle et tangible pour elle.

Elle dormit d’un sommeil profond et sans rêves cette fois, seulement brièvement troublé par une agitation dont elle ne se souviendrait même pas au réveil. Elle fut éveillée par une sensation inédite qu’elle mit un moment à identifier. Bien mieux reposée qu’à son dernier réveil, elle dut toutefois cligner des paupières quelques fois pour en chasser les derniers restes de sommeil. La vue en gros plan d’une tête de dragon lui indiqua ce qu’elle avait senti en se réveillant et, au passage, que cette folle aventure n’était pas une hallucination. Ou alors une hallucination sacrément réaliste et prolongée.

« Bonjour », tenta-t-elle de projeter avec son esprit. Elle n’avait aucune garantie que les voies de Khugatsaa porteraient jusqu’à un dragon (qui relevait plutôt du ressort d’Orshin), mais elle n’avait jamais rencontré de dragon doué de parole et d’une magie si semblable à celle du Griffon Blanc auparavant non plus.

La voix bourrue du troisième membre de leur étrange équipage l’arracha à ses réflexions, et elle bâilla, puis s’étira dans les anneaux étrangement confortables du dragon. Elle n’était pas sûre d’apprécier cette impression d’être la marmotte du groupe, mais au moins elle était en meilleure forme.

« Bonjour à vous aussi. Je me réveille, je me réveille. Loin de moi l’idée, ou l’envie, de nous mettre en retard. Quoique la nuit n’ait pas semblé gêner notre ami aérien jusque là. »

Sa réflexion lui valut un regard noir, mais elle était arrivée à la conclusion que c’était le seul type de regard dont cet homme soit capable. Elle s’assit, prit une nouvelle gorgée d’eau, puis sortit sa lyre de sa besace pour s’assurer qu’elle n’avait pas trop souffert de leurs récentes péripéties. Le chaud-froid auquel elle avait été soumise l’avait entièrement désaccordée, mais ni le cadre en bois ni les cordes ne semblaient avoir été endommagées. Ouf.