Epreuve 2 : NanoRP - SAO rpg

La question, qui hantait ses pensées depuis que Kirito avait ouvert les yeux, s'était imposée plus que jamais quand il avait enfin compris ce qu'était la sensation qui le taraudait depuis plusieurs minutes. Le long couloir bordé d'une noirceur abyssale intangible qu'il arpentait depuis son éveil donna sur des marches en verre lumineuses, séparées les unes des autres; et quand il arriva au sommet, sur une plateforme flottante, il pivota dans tous les sens avant de se figer net, le regard vers le ciel.


Tout autour était dépossédé de sens. Le grand arbre vert près lequel il s'était assoupi dans la plaine caressée par les rayons du soleil estival de fin de matinée, sous l'ombre fraîche et chaleureuse était au-dessus de lui.


De toute évidence il n'y avait jamais eu un tel dédale transparent dans la voûte céleste virtuelle quand  il s'était endormi. En outre, le ciel était nocturne alors que la steppe baignait de lumière: par conséquent soit il était dans une zone inconnue de l'Aincrad, le château flottant qui retenait captif des milliers de joueurs, soit dans un autre univers - mais comment aurait-ce été possible? Ils étaient déconnectés de tout environnement extérieur.
Et surtout... Pourquoi possèderait-il encore son équipement?
Il restait encore une ultime explication, bien que trop simple, mais qui expliquerait sans doute l'absurdité de l'endroit: il était en train de rêver. Des songes incroyablement réalistes, à l'instar de la technologie de la console qui maintenait les joueurs dans le coma.

Dans tous les cas, il ne devait pas rester ici et trouver un moyen de sortir ou de se réveiller. La lumière vive en haut des dernières marches, aussi clichée dans la fiction qu'inaccessible par la hauteur, semblait néanmoins être une excellente candidate.

Sa main droite bascula le vide pour invoquer son interface holographique, mais comme il l'avait essayé plus tôt, rien ne parut.

Soudain, il sentit qu'on l'observait. Sursautant il fit un bond en arrière et dégaina son épée sombre.

- Qui est là?

La présence qu'il avait redoutée menaçante, parce qu'elle s'était manifestée d'une seconde à l'autre, n'était en rien semblable aux monstres générés par le système familier. D'un autre côté, elle ne ressemblait pas non plus à une intelligence artificielle comme celles qui délivrent des quêtes aux joueurs.
Le plus proche aurait été un juste milieu entre les deux; peut-être un Boss, ces gardiens plus grands et puissants que les autres créatures.


La silhouette élancée, que Kirito avait aperçue à quelques mètres, se trouvait désormais juste devant lui comme si elle s'était téléportée. Et surtout... La distance avait pu perturber ses sens, mais n'était-elle pas plus petite? Rentrant un peu la tête entre les épaules face à son ton subtilement partagé entre douceur et autorité, il serra la fusée de son épée en entrouvrant les lèvres, abasourdi.

- L'Esprit de la... Shaman...?


Il secoua la tête en réalisant que si c'était réellement la trame qui se déroulait, il avait définitivement perdu les notions du monde réel. Car cette jeune femme aux traits doux et aux cheveux brumeux, qu'il avait l'impression de percevoir comme faiblement translucide, ne pouvait certainement pas être apparue un jour dans le monde d'où il s'était connecté.
Bafouillant une brève justification pour essayer de mieux comprendre, l'adolescent rengaina son arme dans son fourreau dorsal.

- Non, pas un shaman... Je suis un épéiste. Je m'appelle Kirito.

Adressant un sourire confus qu'il espérait pouvoir servir d'excuse quant au malentendu, il déporta son attention vers la voûte céleste qui les encerclait à l'exception du sol de la plaine et de l'escalier de verre.


- Savez-vous où nous sommes? Et surtout... Comment sortir d'ici?

Plissant doucement les sourcils, il préféra miser sur l'entraide que sur l'affrontement et partager ses théories.

- On dirait que nous sommes dans un rêve... J'étais en train de dormir avant d'arriver... Là. Et vous?

Il tourna à nouveau les yeux vers la jeune femme.

Si cette jeune femme était un esprit comme elle l'affirmait, ce qui était tout à fait possible si, comme il le supposait, il était en train de rêver, deux détails avaient frappé l'épéiste qui tentait d'y trouver une explication. La première était que se présentant comme l'incarnation de la pluie, il semblait aussi simple que naïf de supposer qu'il aurait du pleuvoir autour d'eux; or aucun nuage ne venait embrumer le ciel nocturne sous leurs pieds. La seconde, qu'elle semblait certaine d'apparaître ainsi si on l'avait appelée - mais dans ce cas, qui était son invocateur? Ils semblaient être seuls ici: en outre, Kirito était incapable des prouesses d'un shaman comme elle l'avait appelé, d'autant que la magie n'existait pas dans le monde d'où il s'était endormi.
Ses sourcils se froncèrent davantage quand il comprit qu'il était le seul à pouvoir qualifier ce monde étrange de 'rêve', s'il était le seul à pouvoir en reconnaître un.

- Il est impossible de savoir de quoi les gens songent vraiment quand ils dorment. La plupart des souvenirs s'effacent dès le réveil, mais...

Une bouilloire apparut de nulle part, vira au jaune au contact des doigts graciles de l'esprit, puis au violet duveteux arrosée par la pluie. L'adolescent écarquilla les yeux.


- ... Non. Aussi étrange que ce soit à comprendre, j'étais déjà en train de rêver... En quelque sorte. Je ne peux pas abandonner cet autre rêve si facilement.

Il n'avait pas le droit de fuir les combats, les autres guerriers, les joueurs qui oeuvraient en arrière-ligne, ses frères d'arme et sa fidèle coéquipière. Soupirant, il se tourna vers la jeune femme aux traits délicats: rien que contempler son visage l'apaisait, et provoquait une satisfaction semblable aux gouttelettes de pluie qui coulaient contre les carreaux d'une vitre parfaitement transparente.

- Je crois que votre aide serait la bienvenue, Varsha. J'aimerais avoir la même certitude que vous de pouvoir facilement quitter cet endroit.

Un instant son regard scruta la plaine - le vide - et il songea à sauter. Mourir était aussi une solution plausible après tout.

[color=#3333cc][b]- Si vous pensez avoir été invoquée... Croyez-vous que nous sommes seuls?

Bien entendu, l'adolescent n'avait jamais croisé d'être aussi irréel. Certes sa prison pixelisée était habitée par des monstres imaginaires et des plantes animales, mais rien n'était semblable à une incarnation proche d'une divinité. Pourquoi son inconscient aurait créé quelque chose d'aussi lointain de toutes ses expériences déjà surréalistes?
Se pouvait-il que l'esprit existât vraiment, quelque part, et fût capable de visiter les gens dans leurs songes?

Par conséquent, que se passerait-il s'il se réveillait? Le plus probable aurait été que Varsha fût expulsée de ce monde onirique.

- Savez-vous ce qu'est un... Monde virtuel?

Baissant la tête pour réfléchir à des explications quand la jeune immortelle redevint paisible et d'une taille humaine, il entrouvrit les lèvres avant de voir, agglutinée à elle, la masse vaporeuse qu'il attendait.
Mais bien plus tôt - et surtout, contrôlée par sa souveraine.

- Euh...

Kirito finit par grimacer un sourire quand il remarqua la gêne de la jeune femme masqué par une dignité princière.

- Il se pourrait que ce monde vous échappe également... Surtout si vous ignorez comment rêver.

Faisant quelques pas pour dépasser Varsha, il se risqua à empoigner le nuage - et contre toute attente, il y parvint. Secouant sa main, puis son bras englués dans la volute tangible, il tira de toutes ses forces. Le bruit d'un ressort s'éleva quand l'entité se décolla du dos translucide; projetant la masse au loin pour ne plus être gênés dans leur progression, il adressa un signe de tête à l'esprit avant de se mettre à courir: tout autour d'eux s'étaient formés d'autres nuages, et dès qu'il changeaient de couleur, en passant du blanc au noir, du bleu à l'orange ou même du rose au vert, ils chargeaient impitoyablement les deux silhouettes intruses.
Le problème, c'était que la plateforme touchait à sa fin et que plus aucun escalier ne se distinguait dans la suite du ciel.

- Si vous avez une idée d'un chemin à emprunter...

Essayant de tenir à distance les indisciplinés de leur Reine en récupérant son arme, pourvu qu'il fût capable de trancher, Kirito recula d'un pas - le dernier possible.

C'était un réflexe de défense aussi machinal que la respiration plus qu'un besoin de protéger quelqu'un - car un esprit était manifestement bien plus à craindre qu'une épée - qui avait guidé sa bravoure. L'un d'entre eux chargea à pleine allure et l'épéiste abattit sa lame sombre, qui passa naturellement au travers de la masse informe. L'entité brumeuse le recouvrit, dépassa, et vint se déposer contre sa souveraine comme s'il s'était soudain solidifié; mais la jeune femme, absolument pas perturbée par la rébellion de ses sujets, ne transpirait pas la moindre goutte d'inquiétude. Au contraire, elle semblait à peine affectée par cette révolte qui ne devait pourtant jamais se produire.

Varsha décolla du sol - du ciel - et Kirito leva machinalement les yeux vers elle. La lame sombre fut rengainée quand son porteur perçut la vacuité du métal contre la vapeur, tandis que l'esprit attirait à elle ses sbires comme se concentrerait de l'énergie statique.
Tranchant la bonne décision lorsque la brume crépusculaire engloutit son doux visage dans l'opacité, il posa la pointe du pied sur l'ultime limite tangible avant de s'élancer.

Mais il est impossible de saisir l'eau.
Sitôt qu'elle est capturée dans la paume, elle file entre les doigts.

La peau liquide se déroba à sa tentative, et il chuta au-delà de la plateforme, jetant un dernier regard paniqué à la jeune femme.


Certainement pas un Paradis ni même un Au-delà.
Mais la terre ferme.
Celle du château virtuel, plus concret que jamais.
Et la plaine verdoyante dans laquelle il s'était laissé bercé par le soleil.

Sentant son corps comme déposé en douceur par l'écume d'une mer calme, Kirito garda les yeux clos quelques instants; mais un coup de tonnerre suivi d'une pluie battante estivale le dissuada de se prélasser plus longtemps. Elle avait du débuter pendant son sommeil.
Il se redressa en toute hâte pour se mettre à l'abri, tandis que s'affrontaient ses pensées à peine sorties du monde onirique.