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Chroniques d'Irydaë
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 :: Les terres d'Irydaë :: Daënastre :: Vereist
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 Au bord du monde

Invité
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Au bord du monde EmptyVen 9 Fév - 22:54
Il était dans le noir. Sur l'Intrépide. Il ne savait pas comment il le savait. Il n'y avait pas un souffle de vent pour agiter l'aéronef. Il ne savait pas non plus comment il était arrivé là. Il n'y avait pas de matelots, ce qui était encore plus étrange. Il aurait du s'inquiéter, mais il ne le faisait pas. Tout lui semblait parfaitement normal alors que rien ne l'était. Et puis il y eu a de la lumière. Il aurait du être aveuglé, il ne l'était pas. Une flamme se dressait en plein milieu de son bateau. Il songea un instant aux risques d'incendies et les balaya. La flamme dansait, envoûtante. Elle prenait l'allure d'une femme, qu'il ne se souvenait pas avoir déjà rencontrée. Il s'approcha d'elle mais elle recula, tout en dansant, comme si elle l'invitait à le suivre. Il le fit, à pas précipité. Quelque chose cogna contre son genou et le fit basculer en avant : la rambarde de l'Intrépide. Il eut une brève pensée à la longue chute qui devait l'attendre. Le choc survint bien plus tôt qu'il ne s'y attendait.

Dazen émergea soudainement de son sommeil. La lumière crue, vive, qui coulait par les fenêtres l'éblouit un moment avant qu'il ne réussisse à identifier où il se trouvait : au pied se son lit, le visage écrasé contre le plancher. Quelque chose le gênait du côté de sa troisième côte et il gesticula un moment avant de réussir à dégager une flasque de whisky vide. Il la jeta en grommelant dans un coin de la pièce, où elle rebondit contre des bouteilles avec un tintement cristallin. Il faudrait qu'il range son appartement un jour... Il se leva en bataillant contre le drap qui l'avait accompagné et parvint finalement à s'asseoir sur le rebord de son lit. En se grattant la barbe il chercha à se rappeler ce qu'il avait à faire dans la journée. Son regard tomba par hasard sur une lettre dont le cachet brisé portait les emblèmes de l'armée de l'air.
Ah, oui, ça.


L'Amirale Orea était installée derrière son bureau et fixait Dazen de ses yeux gris autoritaires. Un air renforcé par sa coupe strict, ses cheveux blonds dorés impeccablement coiffés en chignon sobre. Elle ne portait pas son uniforme bleu royal, mais une chemise assez simple, à la coupe droite et d'un gris terne.

« Vous avez une mine affreuse.
-Merci. Vous êtes ravissante vous aussi. » Elle esquissa un sourire. Dazen savait que sa carrière devait beaucoup au fait qu'Orea appréciait d'une certaine manière son comportement.
« J'ai une mission à vous confier. Une mission qui vient directement du commandement de l'UNE. »

Il se redressa sur sa chaise et se frotta les yeux pour se remettre les idées en place. Habituellement les missions étaient d'origine locale, parfois ordonnées par le Colonel en chef d'Ünellia. Une mission qui venait de plus haut signifiait qu'elle impliquait plusieurs régions. Elles étaient à la fois importantes et excitantes, pas de risques de se retrouver avec une simple patrouille. Orea lui laissa le temps d'assimiler avant de continuer en étalant une carte de Daënar sur le bureau entre eux.

« Vous devrez vous rendre à Klumpen » elle pointa du doigt une ville, à l'extrême nord de Vereist, au bord de la carte. « pour sécuriser un convoi de magilithe et rapatrier plusieurs savants stationnés là-bas. Vous les ramènerez ensuite tous à l'altiport de Cerka. Cette mission est classée en haute priorité et strictement confidentielle. Vous n'avez pas autorisation de dévoiler à qui que ce soit, pas même vos subordonnés, la teneur de votre mission, tant que vous n'êtes pas en plein ciel au moins. Des questions ?
-Plusieurs en fait. Déjà, je lis mal la carte ou Klumpen se trouve au bord du monde ?
-C'est le cas. Les conditions de vol seront particulièrement difficiles, peu d'engins se sont aventurés dans ces zones et nos informations sont fragmentaires. C'est pour ça que le commandement a fait appel aux forces d'Ünellia. C'est moi qui ai mis votre nom en avant, quand ils m'ont demandé qui était le plus à même de remplir ce genre de mission.
-Vous êtes géniale ! » Il arborait un visage qui trahissait l'enthousiasme qui s'était emparé de lui et cela arracha un vrai sourire à l'Amirale. Elle secoua un peu la tête :
« Attendez d'affronter Vereist pour me remercier. Vous voulez savoir autre chose je crois.
-Oui. Klumpen. Qu'est-ce que... qu'est-ce qui s'y passe ? »

Il haussa les épaules en posant sa question. Il n'en savait pas plus que tout le monde, il avait juste lu ce qu'on trouvait dans la presse et assurait que les petits problèmes étaient maintenus sous contrôle par le gouvernement. Orea se cala un peu plus dans son fauteuil et son visage s'assombrit. Elle prit la parole avec cette voix qu'elle avait quand le sujet était terriblement sérieux, qui calmait même les plaisanteries de Dazen.

« Là encore, ce que je vais vous dire doit rester le plus confidentiel possible. Klumpen, vous le savez sans doute, est une véritable mine de magilithe comme nous n'en possédons aucune autre. Toute la ville est comme une gigantesque exploitation. Mais la magilithe en telle quantité pose... des problèmes. Certains semblent ne pas supporter le contact avec la pierre brute. C'est pourquoi l'UNE a finis par isoler la ville et envoie régulièrement des savants pour étudier ce qu'il s'y passe et quelques militaires pour assurer l'ordre.
-C'est dangereux pour mes hommes ?
-Aucun risque, tant que vous n'y restez pas longtemps. Et vous n'êtes pas autorisés à y rester longtemps. Ce que vous devez savoir c'est que Klumpen est importante, peu importe son état actuel, et que Cerka attend sa magilithe et ses savants. Je fais confiance à votre sens de l'improvisation pour composer avec ce qui pourrait arriver au cours de la mission. Rompez. »

Dazen se leva, salua impeccablement puis quitta le bureau.


Il était à nouveau sur son vaisseau, plongé dans le noir. Mais cette fois il n'eut pas le temps de se poser des questions avant que la lumière ne revienne. C'était encore la même femme, cela ne faisait aucun doute. Ses cheveux étaient de feu et ses yeux envoûtants semblables à des émeraudes. Elle lui souriait. Un sourire indescriptible, à la fois charmeur et inquiétant. Il voulait la rejoindre mais craignait de se brûler. Une forme se dessina derrière elle, s'éleva dans les airs, les dominant tous deux de toute sa masse. Le long cou et la tête effilée rappelait de vieilles légendes. Dazen était partagé entre peur et admiration. Le dragon hurla soudainement, un cri à déchirer les cieux, comme un roulement de tonnerre.

Une nouvelle secousse tira définitivement Dazen de son sommeil. Il émergea dans son lit, à bord de l'Intrépide et n'eut que quelques secondes pour se remettre les idées en place avant qu'une embardée ne vienne lui éclater le front contre une poutre. Il jura tout ce qu'il connaissait tout en se relevant. Il attrapa de quoi s'habiller, enfila son manteau d'officier puis un autre manteau, contre le froid. Il enfonça sur son crâne un bonnet de laine épais et glissa devant ses yeux des lunettes de pilote avant de quitter sa cabine. Il progressa rapidement dans les coursives, ballotté par les mouvements du vaisseau, avant d'émerger sur le pont.
Le froid le frappa comme une vague, manquant lui faire perdre son souffle. Foutu pays de glaces éternelles... Puis ce fut la grêle. Et le vent. Il eut l'impression fugace que le monde lui tombait dessus. Puis la sensation passa et il se dirigea vers le château arrière. Alors qu'il s'habituait aux conditions, il prit conscience de l'affairement de son équipage : les marins courraient en tout sens, tendaient des cordes, sécurisaient le matériel, ramenaient les voilures, orientaient les gouvernails tandis que Nimbilay beuglait des ordres pour se faire entendre par-dessus le vent.
Arrivé sur le château, un matelot lui tendit un corde pour qu'il s'assurer, ce qu'il fit de quelques gestes experts, puis s'adressa à Nimbilay :

« Qu'est-ce qu'il se passe bordel !
-Tempête soudaine capitaine ! On a rien vu venir ! Le vent s'est levé d'un coup et... putain ! »

Elle venait de lâcher la barre. Dazen se précipita pour la rattraper et, à eux deux, ils parvinrent à la stopper. Il prit sa place à la barre et commença à vociférer ses ordres pour se faire entendre au-dessus du vent, plus pour rassurer les marins en leur donnant quelque chose à écouter que pour reprendre les ordres de Nimbilay.

« Rabattez toutes les voilures. Assurez les gouvernails, doublez tous les cordages et les sécurités. Nim', descend en cale pour vérifier que tout est arrimé correctement.  Merde, rafale de vent. Déployez les voilures côté babord, plus vite que ça ! Maintenez les machines au maximum vous m'entendez, au maximum ! Et je ne veux pas la moindre couche de glace sur les pistons ! Mettez plus de lest sur la quille, je ne veux pas de dérive supplémentaire ! »

Le froid pénétrait sa gorge et il se dit qu'il n'aurait bientôt plus la force de crirer. Mais il s'en fichait et continuait. La grêle frappait ses joues nues mais il l'ignorait. Une rafale de vent secoua tout le brick et manqua le jeter au sol mais il tint bon, accroché à la barre, bandant tous ses muscles pour rester debout sans perdre le contrôle des gouvernails... Une telle tempête ne pouvait pas durer encore très longtemps, si ?
Il était tellement occupé à surveiller son navire et son équipage qu'il ne vit pas arriver la forme sombre sur leur tribord.

Luka Toen
Luka Toen
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Au bord du monde EmptyDim 11 Fév - 16:00
Irys : 594730
Profession : Historienne et naturaliste à ses heures perdues, médecin officiellement
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« Tu ne pourras pas t’y rendre. »
« J’y suis déjà allée. »
« Oh, je ne remets pas cela en cause, mais c’était il y a combien de temps ? Trois ans ? »
« J’ai toujours les autorisations et le laissez-passer. Et puis… Je compte sur le brassard des Cercles de l’Aube pour les dérider. Qui n’a jamais eu besoin d’un médecin ? »
« L’endroit va grouiller de Régisseurs et de bombardiers !
« Comme à l’époque ? Rien de nouveau sous le soleil. »

Cela ne se voyait peut-être pas, mais elles avaient tenu cette même conversation une bonne dizaine de fois déjà. Leurs répliques n’étaient qu’un simulacre d’échos répétés demeurant inchangés car ni l’une ni l’autre ne daignait abandonner ses arguments. Luka s’accorda un court répit dans ses préparations pour poser une main rassurante sur l’épaule d’Halissa, herboriste soignante et amie résidant dans l’une des filiales des Cercles située à Rathram.

« Je serai prudente, tu me connais. Et puis Renkhii surveillera mes arrières ! »
« Ce n’est pas ton gros reptile qui passera la muraille là-bas si l’armée refuse de te laisser rentrer. Leurs défenses sont faites pour empêcher les Régisseurs de s’inviter et massacrer leurs mineurs, alors… »

Luka posa son index contre la croix rouge qui signalait la position de Klumpen sur le vélin du papier, vaste carte qu’elle avait déployée au centre de la pièce.

« Mes recherches reprennent ici de toute façon. Il n’y a pas trente-six endroits au monde comprenant un fort taux d’Anomalies et un cadre sécurisé. D’autant plus que pour une fois je n’y serai pas la proie chassée, ajouta-t-elle avec une touche d’humour joyeuse dans les prunelles. De vraies vacances ! »

Elle ignora le soupir excédé qui franchit les lèvres de son amie et s’appliqua à rouler la carte entre ses doigts pour mieux la ranger dans son étui de protection. Elle n’ignorait pas que trois ans étaient longs pour des êtres condamnés à se cristalliser, et qu’il y avait de bien maigres chances qu’elle y retrouve des visages connus. Si tant est qu’elle-même parvienne à se remémorer les chemins d’autrefois, les voix, les habitudes, et toutes ces choses qui n’avaient été qu’un rêve agité fort brumeux dans son esprit d’Anomalie psychologique... Ce n’était pas qu’elle fut plus différente physiquement entre hier et aujourd’hui, mais elle paraissait une toute autre personne, à tel point que bien heureux serait celui capable de la reconnaitre. De coquille vide, voilà que son corps était à présent habité par sa conscience, et cela seul suffisait à se dire « Non, ce n’est pas elle finalement, j’ai dû me tromper ». Advienne que pourra, se disait-elle toutefois. Elle ne vivait heureuse que dans les voyages jusqu’au bout du monde.


►◄


La neige recouvrait l’horizon d’un profond silence. Une plaine filante d’un blanc cotonneux, une réverbération lumineuse d’un gris tamisé que rien ne venait perturber. Pas un être à perte de vue, les animaux s’étaient tus et les végétaux se faisaient discrets loin sous les couches de glace dans une terre refroidie par l’hiver. Il y avait quelque chose de surnaturel à se tenir debout dans ce néant d’extrémité du monde, cet endroit que personne n’avait foulé, à la frontière de la civilisation et des montagnes de Vereist. Luka remettait distraitement ses moufles, contemplant la valse lente et silencieuse des flocons qui glissaient du ciel et venaient se tapir à ses pieds en petits monticules de poudreuse. La voûte n’était qu’une toile blanche et unie, une étrange couleur qui n’était ni obscurité ni jour pleinement déployé, à cheval entre deux états incertains. Et tout était si calme que la beauté des lieux en était métamorphosée… Il n’y avait qu’eux deux ici-bas, et dragon et humaine n’osaient se faire trop remuant par peur de briser un équilibre naturelle qu’ils ne pouvaient que pressentir.

Ce fut un coup de museau de Renkhii dans son épaule qui l’arracha à ses rêveries, n’ayant d’autre choix que d’effectuer un pas brusque en avant pour ne pas perdre l’équilibre. La neige craqua sous ses semelles d’aviateur, et le froid la happa comme une réalité qu’elle avait tâché d’ignorer jusqu’à présent.

« Oui oui je sais… On y retourne. »

Un roucoulement modulé lui répondit, gratouillant de ses mains les tendres écailles qu’elle savait cachées sous son cou, protégées par la collerette de sa mâchoire. Il se faisait plus endurant de semaines en semaines et réagissait très bien aux exercices qu’elle lui imposait malgré une sociabilité difficile à entretenir avec autrui. Qu’importe, l’énorme reptile se faisait chat alangui entre ses mains, et c’était bien tout pour la ravir ! Rôdé par l’habitude il se tapi donc dans la neige afin de laisser sa maîtresse réinstaller leurs provisions dans les sacoches à l’arrière de sa selle. En parfait équilibre sur les flancs de l’animal, elle vérifia les sangles, passa la corde dans une boucle solide pour maintenir l’étanchéité de ses affaires sous le cuir. Après quoi revint-elle s’asseoir sur sa selle désormais froide, grimaçant de l’humidité d’ores et déjà présente dans ses vêtements d’hiver. Retenant un frisson, elle ferma précautionneusement les pans de Kharan Shar sur sa silhouette et se prépara à encaisser la secousse du décollage :

« Allez ! »

Renkhii se ramassa sur lui-même, les muscles gonflés d’une énergie nouvelle. Ses ailes s’étendirent comme d’immenses voiles à la mer et, d’une formidable détente qui souleva un cercle de neige brumeux, il se propulsa dans les cieux.


►◄


Oh oui, il n’y avait plus que l’obscurité dans ce ressac de vagues aériennes terribles, un roulis de tempête infernale qui engloutissait les lumières dans des tumulus sans retour. Parfois un éclair déchirait le ciel de part en part, un couteau chauffé à blanc qui roussissait les écailles de Renkhii d’un éclat violent, un blanc qui vous imprimait la rétine et glissait sur le velours de la peau en électricité latente. Elle sentait le corps du dragon sous elle tendu par l’effort, une masse musculaire à la puissance phénoménale qu’il déployait pour maintenir le cap, lutter sans cesse contre ce vent qui hurlait à leurs oreilles et cherchait à les clouer au sol comme de vulgaires insectes. Luka avait abandonné l’idée de lui donner des consignes et ne criait plus que des encouragements arrachés à ses lèvres dans l’instant loin derrière eux : l’instinct animal de Renkhii était une source bien plus sûre que ses élucubrations d’humaine. Pour la centième fois consécutive semblait-il, il décrocha brutalement, une torpille d’ailes repliées rabattues contre ses écailles pour n’en pas déchirer la voilure, chutant de plusieurs dizaines de mètres d’un seul souffle. Luka s’était allongée contre le dos de l’animal, les jointures blanchies par l’effort qu’elle mettait à n’offrir aucune résistance au vent, à ne pas gêner les manœuvres périlleuses de son compagnon.

Et puis, il y eut une lumière. Une lueur dans le lointain, à peine un tremblotement fugace comme une luciole perdue en pleine tempête. A cette hauteur… ? Luka chassa la pluie qui ruisselait sur son visage et lui encombrait les cils et la vue, un infime instant perplexe quant à cette vision miraculeuse sortie du néant. Avait-elle rêvé… ? Non, car une autre seconde suivante, une trouée dans cet océan de nuages hargneux fit réapparaître ce point de lumière éphémère. Un aéronef… ? Sa main fusa en direction des flancs dégagés de Renkhii qu’elle tapota avec moult force pour attirer son attention. A droite, lui intima-t-elle, à peine un report de poids qu’elle fit pour l’inciter à changer de cap et qu’il suivit immédiatement, brassant l’air de ses grandes ailes couleur de nuit. Ils mirent un temps infini à se rapprocher entre les giboulées, le gel et la glace encombrant leurs mouvements. S’il s’agissait bien d’un aéronef… Pirates ou Daënars, cela lui importait peu en cet instant tant qu’elle pouvait permettre à Renkhii d’atteindre cette planche de salut. Les voiles et la technologie avaient bien davantage de prise au vent que son compagnon épuisé !

Ils longèrent la coque de l’immense navire, un brik put-elle constater entre deux flashs violents d’éclairs qui zébraient toujours la zone. Elle ne reconnut pas ses couleurs, mais crut n’apercevoir aucun pavillon arborant les stigmates agressifs des forbans des airs. Le pont lui apparaissait dans l’obscurité, quelques points agités courant sur le bois comme autant de fourmis en alarme. Et une distance de trois ou quatre mètres à peine pour se glisser entre les cordages qui maintenaient l’immense ballon au pont… A cette vitesse, un échec ferait d’eux de charmants confettis contre ce quadrillage d’acier serré. Presque inconsciemment, Luka puisa dans la magie inhérente à son manteau. Puis serra les cuisses, plus que jamais fondue au dos de son compagnon ailé.

Il fondit sur l’aéronef comme une fusée en chute libre, les ailes rabattues contre son poitrail, un virage de bord qui lui permit de franchir in extremis les cordages. Alors Luka lâcha les poignées de sa selle, chuta droit vers le pont, Kharan Shar enroulé sur sa peau en un couffin de plumes ébènes. Elle eut pour réflexe de déployer ses ailes, parvint à se retourner un tantinet malmenée par un reflux de vent qui la projeta beaucoup plus loin qu’elle n’avait prévu d’atterrir. Et puis, le sol, enfin. Ses semelles dérapèrent sur le bois glissant, et elle n’eut d’autre choix que d’effectuer une roulade pour amortir le choc, se réceptionnant à l’extrémité du pont comme un beau diable sorti de sa boite. Où était passé Renkhii… ? Elle porta une main à sa tête, un brin sonnée, et retint un léger gémissement de souffrance lorsque la magie de Kharan Shar reflua dans son corps, des plumes abimées dans le grain de sa peau régressant à l’état de non existence. Des voix percèrent la tempête, un ton interrogateur qu’elle ne sut interpréter. Des hommes d’équipage s’approchaient d’elle, et bon sang, rien ne disait qu’ils prenaient à merveille sa venue impromptue…

« Ne tirez pas ! s’empressa-t-elle de crier pour se faire entendre par-dessus le vacarme environnant, parfaitement consciente que les Daënars venaient rarement sans armes à feu. Je suis une voyageuse, nous avons vu votre aéronef et… »

Un hurlement coupa court à sa remarque, une ombre gigantesque s’abattant juste à côté d’elle, un grondement du fond des âges grimpant de ses entrailles. Toutes écailles hérissées, la gueule luisant de flammes qui lui léchaient les crocs de longues langues de suie, Renkhii donnait à l’équipage une mise en garde évidente. Ses prunelles fendues brillaient dans la nuit et sa queue s’agitait tel un gros chat courroucé cherchant à se placer entre sa maîtresse et ce qu’il prenait pour une menace immédiate.

« Espèce de reptile débile, jura-t-elle entre ses dents, n’ayant pas grand espoir quant au gagnant entre ses écailles et une balle bien placée. »

Elle manqua glisser sur le bois détrempé mais parvint à se précipiter devant le fauteur de trouble, une main rassurante tendue vers lui, l’autre en direction du malheureux équipage assailli en signe de paix.

« Renkhii, sookh ! »

Et son ordre claqua comme un fouet, un non d’ancien my’trän qui lui fit brusquement fermer la gueule sur son feu et se rasseoir tel un animal indocile et vexé. Elle retourna sans attendre son attention sur les hommes en face d’eux, ôta sa capuche pour mieux dévoiler son visage, une nuée de mèches flammes trempées de pluie et le regard droit et ferme d’une âme honnête :

« Je voudrais parler à votre capitaine, nous réclamons l’asile le temps de cette tempête ! Je ne suis pas My’trän, j’ai des papiers si vous désirez les voir. »

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Au bord du monde EmptyLun 12 Fév - 22:40
Une ombre s'abattit sur le pont, renversant deux marins et un tonneau d'huile pour lanterne qui éclata sur le sol en répandant son contenu. La surprise fit sursauter tout le monde et Dazen lâcha la barre qui se mit à tourner rapidement. Les gouvernails s'affolèrent, s'égaillant au vent avant qu'il ne la rattrape et ne la bloque, s'arc-boutant dessus pour l'immobiliser. Pendant ce temps sur le pont les militaires avaient réagis comme on leur avait appris : des carabines avaient été échangés de main en main et une demi-douzaine braquait la silhouette humaine qui se relevait, puis la monstruosité qui leur fit face. Seul la pluie battante les avait rendu suffisamment lent pour qu'ils n'aient pas tirés avant que la jeune femme n'ait eu le temps d'essayer de s'expliquer. Mais les hommes ne se calmèrent pas pour autant et les armes restèrent brandis.
Nimbilay arriva en première, de derrière le dragon et en le contournant à bonne distance, une main sur son pistolet encore dans son étui. La femme brune à l'air strict vint se planter devant l'inconnue, en la dévisageant avec méfiance, l'air de se demander s'il s'agissait vraiment d'une humaine. Et s'il y avait bien un dragon assis sur le pont de son vaisseau. Quand l'inconnue affirma qu'elle n'était pas my'trän, la second la regarda comme si elle refusait d'y croire. Mais elle contempla un instant le dragon avant de se tourner légèrement vers l'arrière du brick et de crier, par-dessus la tempête :

« Dazen ! On te demande !
-Grand-Leo ! Ramène ta carcasse de géant ici pour tenir cette foutue barre. » lui répondit le capitaine, difficilement visible pour ses hommes dans la faible luminosité, surtout que la secousse avait fait tomber la lanterne du château.

En réponse un des marins armés, avec une carrure de colosse et qui se tenait le plus près du dragon, comme s'il n'était pas vraiment effrayé, renâcla un moment avant qu'un rappel à l'ordre accompagné d'une bordée d'injures et de punitions très imaginatives ne le fasse obéir et qu'il se désolidarise du groupe. Quelques instants de tension plus tard, Dazen rompait le cercle de ses hommes pour s'approcher de la femme, en faisant de son mieux pour ne pas tomber sur un pont recouvert d'un mélange d'huile, de neige et d'eau. Il releva ses lunettes de pilotes pour essayer de voir un peu mieux ceux qui prenaient son brick pour une piste d'atterrissage. La vision de cette femme et de ce monstre le déstabilisa un instant suffisant pour qu'une bourrasque le fasse trébucher vers l'avant. Il se rattrapa heureusement avant de se réceptionner de façon fort peu courtoise sur cette inconnue aux cheveux de feu qui lui était étrangement familière. Il aurait pu rester abasourdis si le grondement du monstre juste derrière ne l'avait pas rapidement ramené à la réalité et qu'il n'avait pas fait un pas en arrière par réflexe. Il essaya de reprendre une contenance, ce qui n'était pas évident vu les circonstances avant de s'adresser à la jeune femme d'une voix suffisamment forte pour que ses hommes derrière lui l'entendent clairement :

« Gardez vos papiers à l'abri de ce temps de merde, pour l'instant je me fiche au service de qui vous êtes, vous pouvez rester sur le vaisseau tant que cette foutue tempête n'est pas calmée. Veillez juste à ce que votre... » il allait dire monstre mais se retint de justesse « animal ne dérange pas mon équipage et n'abîme rien de plus. » Puis il se retourna vers ses hommes et avec de grands gestes de la main : « Allez dégagez le plancher, reprenez vos positions, ces cordes ne se tendront pas toutes seules ! Et posez-moi ces putain d'armes. »

Joignant le geste à la parole il arracha l'une des carabines des mains d'un matelot beaucoup trop nerveux à son goût et les hommes se dispersèrent petit à petit. Il continua de distribuer des ordres depuis le pont, ne s'éloignant pas trop de l'inconnue à qui il jetait des coups d’œils de temps en temps, comme s'il se demandait si elle n'allait pas disparaître lorsqu'il lui tournait le dos.
Et puis sans prévenir une rafale de vent plus forte que les autres encore. Le mélange de neige et de grêle l'aveugla mais il entendit très bien, comme tout le monde, le craquement du bois suivis d'un hurlement de douleur. Il se retourna soudainement dans la direction d'où tout cela venait : un des supports de voilure avait été arraché par le vent et n'était plus retenus que par les cordages. Malheureusement, l'une des cordes s'était enroulée autour de la jambe d'un des hommes et avait été brusquement tendue lorsque la voilure avait été emportée, plaquant l'homme contre la rambarde, comprimant sa jambe qui semblait déjà afficher un angle peu naturel et qui saignait abondamment. Les plus proches et les plus prompts essayaient déjà de retenir la voilure et de la ramener sur le vaisseau en tirant les autres cordes pour dégager le blessé, mais contre ce vent, c'était peine perdue et Dazen le savait.
Il dégaina son sabre et s'élança en direction du bord. Certains prirent peur en le voyant faire, notamment celui qui s'imagina brièvement victime d'une amputation à la barbare mais le capitaine prit appui sur le bastingage et, se balançant à moitié dans le vide, une main accrochée à l'un des cordages latéraux, fendit l'air de son arme pour trancher ce qui retenait encore la voilure. Les cordes étaient nombreuses et solide et il dut s'y reprendre à cinq fois, manquant de tomber malgré deux hommes qui eurent la présence d'esprit d'agripper son manteau pour le maintenir à bord. Finalement les derniers cordages rompirent d'eux-même et la voilure fut comme aspirée par la tempête. En voulant rengainer son arme le pied de Dazen glissa contre le bois humide et il faillit passer par-dessus bord mais se rattrapa in extremis. Plusieurs marins le hissèrent et, quand il eut une bonne prise sur le bastingage et qu'il était sûr de ne pas s'offrir le plus beau plongeon de sa vie, il leur cria pour se faire entendre :

« C'est bon les gars, je vais bien ! Occupez-vous de lui plutôt. Et rabattez moi complètement la voilure de l'autre côté, avant qu'on ne parte encore plus en vrille qu'une danseuse de ballet d'Alexandria ! »

En retour la plupart s'égaillèrent, un seul resta près de lui jusqu'à ce qu'il passe de nouveau de leur côté de la rambarde et ne se laisse chuter lourdement sur le pont avec un grognement de douleur. Il se releva et décida d'aller voir le pauvre gars qui avait le plus morflé dans cette histoire.

Luka Toen
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Au bord du monde EmptyDim 18 Fév - 15:37
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« Dazen ! On te demande ! »

Dazen reprit-elle pour elle, cherchant à dévoiler les nuances de que ce que ce nom impliquait, désormais gravé dans sa mémoire à l’image d’une saveur exotique. Celui qui le portait en sus du statut de capitaine apparut si tôt après, et la sensation fugace d’un déjà-vu prégnant heurta sa conscience.  Sous la pluie battante, l’obscurité et le brouhaha apocalyptique de cette tempête, il lui était difficile de le dévisager tout son saoul ni même de le faire poliment. Bien que la politesse lui importait toujours peu d’ordinaire lorsqu’il s’agissait de satisfaire sa curiosité, elle eut le bon goût de rester consciente du nombre d’yeux braqués sur elle… Elle aurait eu grand peine à expliquer pourquoi son visage arborait un air surpris comme s’il se fut agi de retrouver une vieille connaissance.

« C’est un dragon, précisa-t-elle en contrepartie pour se donner contenance. J’y veillerai, je vous remercie. »

Bien, rester dans un coin, ne pas gêner les manœuvres, se répéta-t-elle, un pas discret en arrière pour se soustraire tant que faire se peut aux regards toujours méfiants de la population locale.

« Ignorez-le et il fera de même, lança-t-elle aux quelques curieux susceptibles d’hésiter à passer dans le voisinage proche du reptile, il ne mord pas. Il pince simplement de temps en temps. »

Son ton se fit désabusé, car son grand dadais de compagnon ailé avait d’ores et déjà entrepris de se rouler en boule dans son coin pour mieux bailler à s’en décrocher la mâchoire. Hé bien, la défense allait deux minutes et trente secondes, après quoi sa crédibilité allait en s’étiolant : il n’avait plus cure de ce qui pouvait bien leur arriver. Elle lui flatta le flanc avec une once d’affection amusée, concevant sans peine combien cette lutte en plein vent avait dû l’épuiser. Prenant soin de ne pas gêner les hommes qui courraient de ci de là en un mouvement qui lui échappait, elle s’abandonna pour sa part dans la contemplation de ce remue-ménage tout en dessellant Renkhii. Le fonctionnement des aéronefs lui demeurait opaque, n’ayant eu l’occasion dans sa vie d’y monter qu’une ou deux fois uniquement. Elle se révélait incapable de comprendre l’utilité d’un nœud de corde et la chorégraphie des hommes entraînés, et cet état de fait lui titillait l’esprit, parfaitement étrangère à son environnement proche. Voilà qui était tout à fait regrettable et faisait naître en elle une fascination frustrée. Par Amisgal, ne pouvait-il y avoir des sous-titres et des explications pour néophyte… ?!

Elle n’eut guère le temps de creuser la question, pour la deuxième fois en peu de temps un hurlement éclata parmi les voix étouffées des marins. Sur le pont inondé de pluie boueuse, Luka réagit avec l’instinct d’un médecin bien entraîné. Ses mains lâchèrent spontanément la sacoche qu’elle tenait, et ses prunelles se tournèrent vivement en direction du bruit, accrochant immédiatement les teintes vermeilles qui maculaient la jambe du malheureux. Quant au capitaine… Elle n’en trouva trace que suspendu au-dessus du vide dans une fort dangereuse acrobatie. Oh, il semblait connaître à merveille son travail et le navire était presque une extension de lui-même tant ses semelles devaient en avoir poncé le bois. Et pourtant… Pourtant Luka suivit ses gestes avec l’attention exacerbée de quelqu’un prêt à sauter. S’il dérapait… Kharan Shar sur ses épaules, il ne lui faudrait qu’une fraction de seconde pour enjamber la rambarde et tenter une manœuvre qu’elle n’avait fait qu’imaginer jusqu’à présent. Elle se tint donc coite comme tous les autres, n’osant respirer à nouveau que lorsque Dazen revint enfin s’écrouler sur le « plancher des vaches », la victime libérée de ses cordages. Elle prit le temps de laisser filer un profond soupir pour se calmer, n’osant imaginer la suite du voyage… Diantre, que ces militaires étaient difficiles à tenir en place, cinq minutes à bord et voilà qu’ils tentaient déjà d’enchainer les situations périlleuses !

« Ne le déplacez surtout pas ! héla-t-elle les membres d’équipage réunis autour du blessé. »

Si on lui jeta derechef des regards incongrus et menaçants, elle les chassa d’un vague mouvement du poignet :

« Oh, allez, vous vous méfierez plus tard. Pour le moment votre ami risque de se vider de son sang dans les prochaines minutes si nous ne faisons rien. »

Elle fouilla l’une de ses poches et en sortit son brassard des Cercles de l’Aube qu’elle leur brandit au visage sans même détacher son regard de la victime. Elle s’accroupit tout aussitôt, ôta Kharan Shar sans l’once d’une hésitation puis le second manteau qui recouvrait ses épaules d’une chaleur bienfaisante. En termes de tissu propre, c’était bien tout ce qu’elle avait sous la main pour le moment...

« Vous, désigna-t-elle le marin le plus proche, maintenez ça en boule sur sa plaie. Appuyez convenablement, mais pas trop fort. Il s’agit d’une fracture ouverte, mineure je l’espère. Que quelqu’un aille me chercher de la glace ! S’il n’y en a pas, improvisez, nous sommes à Vereist après tout. Et deux planches, de cette taille environ. »

Elle ouvrit pour sa part l’une des sacoches qui ne quittaient jamais sa ceinture et en sortit une étrange boule d’herbe séchée. Cette fois-ci, elle s’adressa à l’homme à terre, et son ton se fit beaucoup plus doux, presque un sourire sur les lèvres :

« Je vous préviens, le goût est aussi atroce que vous l’imaginez. En contrepartie je vous promets que vous aurez l’esprit tellement ailleurs que votre fracture vous paraitra le dernier de vos soucis. Vous dormirez d’ici quelques minutes. Avalez tout rond. »

Ses diverses commandes ne tardèrent pas et elle dut s’échiner à placer méticuleusement les deux planches de part et d’autre de sa jambe malgré les roulis du navire. Elle ficela le tout d’une corde et fut soulagée de constater que le saignement se tarissait.

« Je vais devoir opérer. Vérifier si l’os est touché en profondeur ou fendu. Auriez-vous une cabine au calme à me suggérer ? Une de préférence qui ne nécessitera pas d’être propre après ça… »


►◄


Luka étira ses membres endoloris, réprimant un frisson glacé dans ses vêtements trempés. Les mains débarrassées du sang qui les maculaient, elle n’avait pas eu autant de chance avec feu son manteau, désormais inutilisable et revisité d’une charmante odeur… Elle l’abandonna dans la pièce avec une grimace chagrinée, peu désireuse de retourner à l’air libre avec pour seul haut une tunique détrempée. Elle le fit pourtant et tâcha de remettre la main sur son capitaine qui avait décidément la bougeotte, à des années lumières des hauts gradés qu’elle connaissait, préférant mille fois le confortable d’une bonne chaise au cœur des opérations.

« Dazen… ? »

Elle l’interpella par son prénom malgré leur statut d’illustres inconnus, ignorant son nom car personne n’avait eu l’heur de le prononcer devant elle jusqu’à présent.

« Votre homme guérira. Il ne se réveillera pas avant demain, et il lui faudra voir assez vite un médecin pour un suivi lorsqu’il sera revenu sur la terre ferme. Il est possible qu’il en ait pour neuf à dix mois d’immobilisation complète. »

Alors plissa-t-elle les yeux en une mimique suspicieuse et son regard dériva très nettement sur ses mains de marin, passa sur son torse puis fila jusqu’à sa jambe droite avec un aplomb tout à fait dérangeant :

« Je vous préviens, pas de mensonges. Vos mains, et votre genou droit, dans les cordages tout à l’heure… ? Vous êtes blessé ? Si vous avez deux minutes à m’accorder et que vous n’avez pas peur des soins d’une étrangère - et le mot fut prononcé avec une évidente ironie humoristique - je peux vous arranger ça. En échange de quelque chose à boire par exemple ? »

Et ses lèvres se fendirent d’un sourire malicieux, trop peu intimidée par un environnement militaire pour ne pas tenter sa chance. Il faisait froid à mourir, elle était épuisée, et rien ne saurait se mettre en travers de son chemin si un bon verre de boisson chaude l’attendait quelque part !

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Au bord du monde EmptyMer 21 Fév - 23:52
Les hommes n'attendirent pas que Dazen approuve : la demoiselle avait un brassard des cercles de l'aube après tout, ils avaient suffisamment voyagé tous pour reconnaître le symbole. Ça voulait donc dire qu'elle savait ce qu'elle faisait et même Greg, qui tenait normalement lieu d'infirmier et essayait de maintenir tout le monde à bord du navire en bonne santé -en insistant beaucoup pour faire manger des oranges à tout le monde, notamment- suivaient sans rechigner ses instructions, ce qui était chez lui la preuve qu'il reconnaissait les compétences de son interlocuteur. Le capitaine s'agenouilla à côté du marin et lui tapota l'épaule en lui adressant un sourire confiant. Il aurait bien aimé pouvoir prendre le temps de s'assurer qu'il allait s'en remettre. Mais il y avait déjà d'autres choses dont il fallait s'occuper, la tempête ne leur offrait aucun répit pour le moment.

La voilure désormais privée de sœur jumelle avait été repliée, mais déjà on le demandait à l'avant du pont. Il courrait, beuglait par-dessus le vent et la tempête pour se faire entendre, aidait des hommes à sécuriser un tonneau qui manquait de s'écraser au sol ou à tendre les amarres qui retenaient des voiles secondaires... Et ce sale temps n'en finissait jamais. Il passa à plusieurs reprises devant le dragon, qui restait immobile comme l'avait promis sa cavalière. Il ne pouvait s'empêcher de le regarder. Profitant d'une accalmie, Nimbilay s'approcha de lui, Grand Léo toujours occupé à maintenir le cap en suivant les instructions de ses supérieurs, les muscles contractés sous l'effort pour garder la barre immobile.

« C'est pas normal capitaine.
-De quoi tu parles ?
-D'elle. Les médecins ça se déplace pas à dos de dragon.
-Et les aéronefs ne volent pas en pleine tempête de neige de Vereist. Tu veux qu'on se pose pour arrêter ? » La réflexion énerva plus qu'autre chose la second :
« Tu sais très bien de quoi je parle. Et puis elle nous tombe dessus par hasard ? Vu là où on va ? Les gens qui chevauchent des dragons, ils viennent de l'autre côté de la mer, on peut pas se permettre d'en emmener une là-bas. » Cette fois ce fut lui qui s'énerva, ce qui se sentait au ton plus sec qu'il employait, ce ton de commandant qui n'aimait pas être contredit trop longtemps :
« Et tu veux qu'on fasse quoi ? Qu'on la balance là-dedans ? » il engloba la tempête qui persistait toujours d'un geste de la main : « Autant lui trancher la gorge, ça sera plus humain. J'ai dis qu'elle pouvait rester, pas de discussion. On avisera plus tard ce qu'on fait exactement. Et puis merde, si elle réussit à sauver la jambe de Will, je suis prêt à faire des confettis avec le règlement pour la garder à bord un peu plus longtemps. »

Nimbilay ne trouva rien à redire à ça et se contenta de se taire tandis qu'ils se replongeaient dans l'examen du pont et de son équipage. Il y avait un genre de routine qui s'était installé, à peine interrompu par les lames de vent, les grêlons plus gros qu'un pouce ou les ordres beuglés par Dazen et Nimbilay quand ils voyaient quelque chose qui leur déplaisait.
Et puis, à un moment, le capitaine pointa de ses doigts raidis malgré l'épaisseur des gants devant eux. Nimbilay regarda, plissa les yeux, mais ne voyait rien d'autres que deux masses nuageuses. Elle osa avouer :

« Je suis censée voir quelque chose ?
-Les deux nuages, ils sont en rouleaux inversés. On peut tenter de...
-Hein ! Non ! Non, non, non. C'est du suicide. La dernière fois s'en était déjà et pourtant on était au-dessus de la mer. On pouvait se poser. Là il se passera quoi si les machines faiblissent un peu trop ?
-Vereist est recouvert de neige et de glace, c'est juste de l'eau un peu plus fraîche.
-Tu ne peux pas être sérieux, si ?
-Et comment. Grand-Léo ! Six degrés bâbord ! » Il attrapa un cornet de communication avec le ballon : « Al' ! Dis à tes gars de diminuer la puissance progressivement, je vous indique quand vous arrêtez. » Il monta sur un tonneau, en se tenant d'une main à une corde tendue entre le ballon et une amarre, pour avoir l'attention de tous : « Déployez toutes les voilures et inclinez les au maximum à l'horizontale. On va chevaucher le rouleau et se sortir de ce merdier. Allez plus vite que ça ! »

La pagaïe fut totale. Ce genre de manœuvre était généralement considéré comme du suicide. Les brick, malgré leur apparence, n'étaient pas des bateaux et l'air n'était pas de l'eau, même quand elle était aussi chargé en neige et en glace que celle-ci. Pour passer entre les deux courants qui constituaient le cœur de la tempête il fallait une précision incomparable : s'ils montaient trop haut ils se faisaient happer par le courant supérieur et le ballon pouvait être arraché avant qu'ils n'aient le temps de réagir. Trop bas et ils décrocheraient du courant et s'écraseraient. Mais s'ils y arrivaient, il irait deux fois plus vite et directement en direction de la sortie de la tempête.
Les instructions devenaient plus précises, plus fréquentes : ajuster un peu cette voilure, tendre celle-ci, rabattre une autre, augmenter un peu la pression des moteurs ou ouvrir les soupapes, déséquilibrez le vaisseau pour piquer un peu de nez, réorientez le gouvernail... Le plus perturbant était qu'il n'y avait rien pour leur dire s'ils avaient réussit. Le brick était à peu près stable, malgré les occasionnelles et violentes turbulences, et la neige recouvrait toujours tout ce qu'on laissait libre. Aux yeux de tout un chacun rien n'avait changé. Mais Dazen savait lire les petits signes. Les voiles étaient gonflées par le bas, les mouvements de l'aéronef commençait toujours par le bas et se répandait vers le haut, comme sur un vrai bateau -d'après ce qu'on lui avait dis-, les hélices tournaient dans le vide, l'enveloppe du ballon était un peu affaissée...
Ils flottaient entre deux eaux et la sensation était grisante pour lui. Tous les autres étaient crispés, agrippés à une corde, même les mécanos il pouvait le deviner à la respiration d’Alan qu'il entendait à l'autre bout du cornet, forte et rapide. Ils s'attendaient à la chute, à ce que quelque chose se passe mal. Personne ne faisait ça. Mais non, ils flottaient. Ils tenaient le fin équilibre. Grand-Léo fut le premier à réagir, partant d'un grand éclat de rire qui couvrait le bruit du vent. Tous le reprirent en chœur. Même Nimbilay s'autorisa à soupirer de soulagement et se détendant un peu. Dazen leur laissa deux secondes d'enthousiasme avant de les rappeler à l'ordre :

« On reste concentré ! Ça ne dure que tant qu'on se maintient parfaitement en position. Alors chacun à son poste ! Vous pourrez dormir et vous laissez aller quand on reverra ces putains d'étoiles. Pas avant ! »

Le moment s'étendit. Longtemps. Plus que Dazen n'aurait pu l'imaginer. Il commençait à se demander s'il n'avait pas fait une erreur, si le rouleau de les entraînait pas au cœur de la tempête, quand les nuages au-dessus d'eux commencèrent à se dissiper. Des tâches de noir intense apparurent au milieu du gris uniforme et la neige se faisait moins dense, libérant peu à peu la vision. Il se permit même d'ôter ses lunettes de pilotes et de les passer à sa ceinture.
Puis il se pencha un peu par-dessus le bastingage. Il jeta un œil en bas. Il resta immobile une seconde, dont il allait longtemps se demander si elle ne lui manquerait pas, avant de se jeter sur le cornet :

« Alan, machines à fond ! Tout de suite ! » relâchant l'entonnoir métallique il se tourna vers l'équipage qui s'était figé : « Relancez les hélices, déployez toutes les voiles, je veux un maximum de portance ! Exécution !
-Même la voile solitaire ?
-Même la voile solitaire ! Toutes ! »

Nimbilay risqua un œil vers le sol et regretta aussitôt. Ils étaient beaucoup trop bas. Le nuage aurait du les porter plus haut. Et il y avait une ligne de crêtes devant eux. Elle ne voyait pas comment ils pouvaient passer. Et pourtant Dazen continuait de donner des ordres, ne laissait pas le temps aux autres de se poser des questions. Il les maintenait occupé. Ou il pensait vraiment pouvoir le faire, elle ne savait pas.
Il regardait tout le monde s'activer avec appréhension. Est-ce que c'était suffisant ? Il l'espérait de tout son cœur. Sans cette crête, il en aurait été sûr. Bordel ! Tout s'était trop bien passé, il aurait du s'y attendre. Le plus frustrant c'était que la chute était lente. Le brick penchait très légèrement. Il ne fonçait pas vers le sol, il planait plutôt comme une feuille au vent. Mais les conséquences de toucher le sol n'étaient pas les même pour une feuille que pour un navire entier. Cela leur laissait le temps d'essayer de relancer la pression dans le ballon, de gonfler l'enveloppe pour reprendre de l'altitude. Mais le principe était lent. Il mettait tout ce que l'aéronef avait à sa disposition pour essayer de stabiliser la descente. Ils ralentissaient, il pouvait le sentir, mais était-ce assez.

Il entendit son nom, prononcé par une voix féminine dont il n'avait pas l'habitude. Il se retourna pour voir l'inconnue ressortir sur le pont. Il avait presque oublié sa présence. Il avait retenu le dragon, évidemment, ne serait-ce qu'à cause de la place qu'il prenait, mais il avait eu l'esprit tellement occupé qu'il n'avait plus pensé à rien d'autre que le pilotage. Il se demandait un peu comment il avait fait en la voyant revenir. Il faut dire que sa tunique, qui ne devait pas la réchauffer pour deux sous, soulignaient toutefois sa silhouette très différemment de son épais manteaux précédent.

« Merci de l'avoir aidé, je... » il s'interrompit quand elle le scruta. C'était déstabilisant. Il devrait sans doute mieux la prévenir qu'ils risquaient de déraper sur la glace à tout moment. Mais elle ne lui en laissa pas le temps. Comment avait-elle pu... c'était tout juste s'ils s'étaient vu depuis qu'elle était sur à bord. Il hésita un peu, ouvrit la bouche pour ne rien dire puis se contenta d'un sourire amusé : « Très bien, vous aurez tout ça d'ici quelques minutes, mais avant, je me dois de vous prévenir que nous continuons de nous rapprocher un tout petit peu trop vite du sol et que même si je suis sûr que nous n'allons pas le toucher, je vous conseille de vous accrocher... » il s’approcha un peu d'elle et passa une corde de sécurité autour de sa taille avant d'en faire le nœud dans un geste expert. Il n'avait pas vraiment réussit à détacher ses yeux du regard de la jeune femme : « juste au cas où je ne suis pas aussi bon que je le pense. »

Il n'y eut pas à attendre très longtemps. Comme Nimbilay le craignait, comme Dazen s'y attendait un peu, le brick se redressait trop lentement et quand il arriva au niveau de la ligne de crête le bout de sa quille était légèrement trop bas et frappa en plein dedans. Mais il n'y eut pas une secousse. Au lieu de ça un frottement fort, comme lorsque les gamins dévalaient les escaliers recouvert de neige d'Alexandria en se servant de cageots comme luge, mais en bien plus soudain, plus fort et plus prolongé. Des gerbes blanches jaillirent sur les côtés du vaisseau, comme de l'écume le ferait sur un véritable navire, les lumières de torches se reflétant dessus, et retombèrent sur les marins. Puis le bruit cessa et l'Intrépide continua d'avancer. Il y eut un certain temps de silence, avant que quelques uns ne se penchent par dessus le bord pour regarder derrière eux : dans la crête de neige, l'aéronef avait laissé une large marque, mais aucun rocher n'était visible, seulement le blanc immaculé.
La félicité se répandit comme une traînée de poudre. Les premiers rires ne tardèrent pas, rapidement suivis par d'autres. Même Dazen s'autorisa un peu à relâcher la tension. Ils remontaient désormais, le temps s'était découvert et l'on pouvait voir les étoiles. Il se débarrassa de son bonnet qu'il secoua pour en ôter la neige et de la corde de sécurité qu'il avait depuis le début. Son regard se posa de nouveau sur la jeune femme aux cheveux de feu.

« Oh merde vous devez vous les pelez. Prenez-ça. » il se défit de son épais manteau qu'il lui donna : « On va aller se poser dans le mess des officiers pour discuter. J'aimerais quand même comprendre ce que vous faites ici. Et on a du thé. Nim' ! Occupes toi de réorganiser les quarts, d'envoyer dormir ceux qui le doivent et rejoint nous au mess. »

Puis il guida l'inconnue à l'intérieur et dans les coursives supérieures jusqu'à une salle qui servait autant à prendre les repas qu'à organiser le vaisseau : une armoire contenant des cartes et des instruments était posé sur un mur, en face d'un buffet abritant divers couverts. La place restreinte à bord d'un tel engin obligeait même les officiers à faire des sacrifices. Néanmoins c'était largement suffisant pour deux.

« Installez-vous. Je crois qu'il y a des couvertures dans un coin, ça sera sans doute mieux que mon manteau. » Il sortit trois tasses en fer du buffet qu'il posa sur la table et s'approcha d'un petit âtre dans lequel était posé une théière et où il alluma le feu : « L'eau va mettre un peu de temps à bouillir. Vous voulez un petit remontant avant ? »

Il sortit de son manteau sa flasque de whisky et en proposa, avant de s'en verser. Il se laissa tomber sur la chaise et but une gorgée. L'alcool lui réchauffait le palais. C'était encore meilleur après avoir affronté la tempête. Un doux rappel qu'il était en vie alors qu'ils auraient tous pu y passer dix fois cette nuit. Il reposa la tasse et essaya de se composer un air sérieux, même s'il avait du mal.

« Bon, par contre, vous voir débouler en pleine tempête, perdu au fin fond de Vereist, sur mon brick, ça me fait poser des questions. J'ai vu votre brassard, je veux bien examiner vos papiers maintenant qu'on a un peu de temps même si je doute pas vraiment qu'ils sont bien, mais je pense que vous comprenez qu'il me faut un peu plus que ça. Surtout avec ce qu'il s'est passé à l'exposition. Alors si vous pouviez me dire où vous alliez avant de nous croiser et d'où est-ce que vous venez, j'aimerais bien savoir.
Vous en faites pas, quoi que vous me dites, je vais pas vous jeter dehors ou vous mettre aux arrêts, je vous dois bien ça. Quoiqu'à la réflexion, si vous me disiez que vous comptez vous rendre à Alexandria pour y faire sauter le siège de l'UNE, je vous arrêterais, je pense, quand même. Mais je serais sympa, je m'assurerai que vous ayez un procès. »


L'humour était clair, il avait le visage fendu d'un sourire d'une oreille à l'autre. Entre l'euphorie d'avoir survécu, d'avoir dompté la nature elle-même une fois de plus, et cette femme qui lui faisait un effet qu'il ne comprenait pas, il n'avait vraiment pas envie de s'intéresser aux questions militaires et de sécurité. Sur n'importe quelle autre mission il les aurait chassé d'un revers de la mains. Mais là, c'était plus compliqué. Alors il essaya quand même de rester attentif.

Luka Toen
Luka Toen
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Au bord du monde EmptyDim 25 Fév - 15:37
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Profession : Historienne et naturaliste à ses heures perdues, médecin officiellement
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C’eut été un mensonge que de dire que Luka parvint à rester imperturbable. Elle qui avait le pied tout aussi aérien que les navigateurs ici présents et savait Ô combien la terre pouvait être dure pour une chute de plusieurs centaines de mètres, blêmit un tantinet lorsque ses prunelles suivirent le geste de Dazen pour se poser sur la cime des montagnes. Bigrement proches, soit dit en passant. Avec l’air de ne pas y croire, et probablement une injure ou deux au bord des lèvres, son regard revint s’ancrer à celui du capitaine avec toute la lenteur d’une vive incrédulité. Par tous les Architectes et leurs enfants réunis, où avait-elle atterri ?! L’idée qu’elle aurait eu meilleur temps de se laisser engloutir par la neige lors de son précédent vol lui effleura bien l’esprit, mais elle n’était pas femme à apprécier le froid, lui préférant mille fois la chaleur de son Zochlom natal… Quitte à mourir donc, autant apprécier la solidité du bois sous ses pieds et la température chauffée d’un aéronef militaire. Elle se retint avec justesse de s’enquérir de l’utilité de la corde puisqu’il lui assurait que tout irait bien : elle n’avait plus vraiment envie de connaître la réponse à cette question. Elle qu’une chute dans la vide n’effrayait pas ne disposait pas du même aplomb quant à la rencontre impromptue d’un vaisseau et de plusieurs kilomètres de roche solide… Ses ailes lui permettaient de voler librement dans un ciel dégagé, elles n’avaient aucune utilité si obstacle il y avait.

« Êtes-vous sûr de… »

Sa phrase fut coupée dans son élan par un grincement métallique de fin du monde, un ralentissement perceptible qui manqua l’envoyer au sol si elle n’avait eu le réflexe de se raccrocher au bastingage. Elle fit ce que tous les autres faisaient, retenir son souffle et prier quelques puissances tutélaires que ce coup de bluff passe. Maîtresse inquiète pour son nouveau compagnon, elle se rassura immédiatement quant au sort de Renkhii d’un rapide coup d’œil. Dérangé dans son sommeil, le reptile ailé eut à peine un grognement irrité, son museau désormais englouti sous une aile tel un adolescent renfrogné. Que les humains étaient bruyants ! Et puis la délivrance, ce remous subtile lorsque la coque se délivra subitement de toute empreinte, sa voilure à nouveau libre d’agir et de reprendre un solide courant. Luka ne put retenir un sourire malgré elle, l’euphorie générale était contagieuse et sa méconnaissance des aéronefs ne l’empêchait nullement de comprendre qu’une manœuvre délicate s’était jouée ici à quelques millimètres de différence. Vous êtes tous fous eut-elle l’envie de leur annoncer dans l’un de ses plus merveilleux sourire. Et de sa bouche, il n’était pas sûr qu’il s’agisse d’une mauvaise critique…

« Ne vous inquiétez pas, j’ai le cuir solide, lui mentit-elle avec tout l’aplomb d’une jeune femme trempée jusqu’aux os et aux lèvres bleuies par le froid. »

Elle n’avait pas fini de lui répondre que sa main s’était déjà tendue avec soulagement vers le manteau protecteur, un soupir d’aise clairement visible sur son visage. Les manches dépassaient certes de ses mains telle une enfant dans un vêtement d’adulte, mais il y avait là toute la chaleur d’un geste gratuit et profondément humain. Et c’était bien tout pour chasser l’ère glaciaire de Vereist !

« Je vous suis, ajouta-t-elle, liant le geste à la parole. »

Il la guida dans un dédale de cabines que ses prunelles suivirent avec beaucoup d’intérêt. Les My’träns avaient beau dire, il y avait de l’incroyable également dans ce que les Daënars étaient capables de concevoir… Elle n’eut qu’un léger sursaut lorsqu’il l’invita à s’asseoir, les doigts déjà inconsciemment à mi-chemin d’un instrument probablement précieux, dévorée d’une curiosité qui dépassait ses pensées. Heureusement, il ne parut pas s’en offusquer.

« Puisque vous proposez, j’accepte avec plaisir. Il ne sera pas dit que j’aurais tourné le dos à un verre de whisky. Et je crois que je vais en avoir besoin, au vu de votre propension à vous fourrer dans les ennuis… »

Son ton prit les intonations d’une donzelle de bonne famille offusquée, aussitôt démentit par le rire dans sa voix et les étincelles goguenardes qui luisaient dans le vert de ses prunelles. Elle ôta la lourde veste de ses épaules, pas si ignorante que cela de l’apparence qu’elle présentait. Oh, elle n’ignorait pas que le tissu trempé de son chemisier lui collait au corps avec des plis fort suggestifs, un reste de neige fondue qui glissait de ses longues mèches flammes pour se faufiler sur sa peau et souligner le contour de sa poitrine. Luka n’était pas une sainte innocente, et ce capitaine ici présent avait le tort de ne pas lui déplaire… Elle s’en amusait donc innocemment, le rouge de ses lèvres à peine ombragé d’une moue sensuelle et de l’aplomb d’une femme que les affaires charnelles n’effrayaient nullement. Elle n’oubliait pas cependant qu’ils n’étaient pas tout à fait dans le même camp, et qu’il y avait pour l’heure affaire plus importante à gérer que ses attirances naturelles. Aussi attrapa-t-elle l’une des couvertures conseillées pour mieux s’en revêtir, essorant un tantinet la masse de ses cheveux trempés de pluie.

« Je m’en voudrais de vous forcer à effectuer un ennuyeux procès, je renonce donc à mes projets d’attaque de la capitale. C’est bien dommage, j’ai souvenir que le vin est bon là-bas. »

Elle eut une mimique théâtralement désolée. L’humour était un jeu dangereux, mais elle pressentait qu’il n’était pas du type à s’effaroucher de quelques piques malgré son poste hiérarchique. Bon sang que sa seconde devait s’arracher les cheveux devant le peu de protocole dont il faisait preuve… ! Son verre de whisky dans une main et ses papiers dans l’autre, elle fit glisser ces derniers sur la table jusqu’à lui :

« Je me nomme Luka Toen, je suis Second Cercle auprès des Cercles de l’Aube comme en témoigne mon brassard et mes papiers. Je ne suis… Pas exactement Daënar. Mais je ne suis pas non plus My’trän. »

Elle posa sur lui l’ancre de son regard, un vert d’eau profonde et l’intensité d’un aimant. Que devait-elle lui dire… ? Quelle était la part de vérité qu’il devait connaître pour consentir à la laisser aller en paix ? La mention du bal avait ravivé chez elle une ancienne émotion d’urgence pesante, et le goût de la cendre sur sa langue réveilla un court instant de difficiles souvenirs. Si cet événement se mettait en travers de sa route… Et s’il savait qu’elle était là pour sauver une My’trän, son unique sœur… ? Elle parut faire un choix dans le cénacle de son esprit. Ses traits qu’elle détaillait comme à la recherche d’une réponse universelle lui inspirèrent l’envie de lui accorder une grande part de la vérité. Quel âge avait-il et en quoi croyait-il, la nuit, seul dans sa cabine… ?

« L’on pourrait me définir comme Pérégrine, si vous voulez. J’ai néanmoins travaillé pour l’UNE à de nombreuses reprises par le passé, en tant que chercheuse et scientifique. Je cherche… Certaines réponses à Vereist. Klumpen plus précisément. Je reviens aujourd’hui terminer ce que je n’ai pas eu le temps de finir il y a trois ans, et j'ai l'intuition que votre aéronef se rend dans la même direction vu que nous survolons des zones inhabitées. »

Cette fois-ci, c’est un papier élimé par le temps qu’elle sortit de l’une de ses poches. Un laissé passer à son nom datant de 930 pour une incursion payée par l’UNE entre les murs de Klumpen.

« Nous avions pour principale mission d’apporter des soins aux mineurs encore en fonction. Et de mener une ou deux recherches sur la magilithe. »

Elle omit de lui préciser qu’elle ne conservait que la moitié d’un souvenir de cette époque, elle-même alors Anomalie. Qu’elle n’avait pas exactement 24 ans, mais bien dix ans de plus n’en déplaise à sa biologie interne. Que son héritage était bien davantage my’trän qu’il n’était daënar, le feu qu’elle se savait désormais capable de maîtriser pour preuve implacable… Elle ne prenait néanmoins aucune position dans cette guerre si ce n’était celle des victimes, et c’était bien suffisant pour traduire la franchise dans sa voix. Elle s’accorda une rasade de whisky et savoura un instant le liquide chaud dans ses veines, une moue appréciatrice sur ses traits :

« Soit vous êtes connaisseur, soit vous avez un bon fournisseur ! »

Alors ses prunelles s’ourlèrent d’un tantinet davantage que des rapports purement professionnels et cordiaux, son sourire subtilement plus fin tel un chat plus intéressé qu’il n’y paraissait par un met de choix. Elle pencha sensiblement la tête vers lui, un bruissement de mèches glissant de l’une de ses épaules :

« Je ne sais comment vous pousser à me croire, mais je ne suis pas une ennemie. Pas la vôtre en tous cas. Dazen… ? Dazen avec un nom de famille ou Dazen tout court ? Ou devrais-je vous appeler capitaine ? »

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Au bord du monde EmptySam 3 Mar - 18:25
« On a pas vécu la même chose, j'ai l'impression. C'est vous qui êtes venus vous poser en trombe sur mon vaisseau, donc c'est plutôt vous qui vous attirez des ennuis. » Il argumentait comme le ferait un gamin qui ne veut pas se faire dire qu'il a eu tort, rien de tout ça n'était sérieux. « Et peut-être à moi aussi par la même occasion. Mais bon, j'ai toujours trouvé que les ennuis rendaient la vie plus intéressante, pas vous ? »

Non, décidément il ne prendrait rien au sérieux. Il n'en était tout simplement pas capable. Il y avait un dragon sur son pont et sa dragonnière en face de lui, les choses n'étaient de toutes façons pas normales, autant le prendre à la légère. Si une tempête comme celle-là leur retombait dessus ils pourraient bien tous mourir d'ici le lendemain alors...
Toutefois, alors qu'il l'écoutait se présenter, la mention de Klumpen fit tiquer son cerveau. Ce n'était pas prévu, attendu et surtout pas souhaité. C'était censé être secret comme mission. Bon, certes, comme elle le faisait très justement remarquer un aéronef en plein désert de Vereist, plus au nord que n'importe quelle autre ville, ça n'était pas très dur à percer à jour néanmoins on n'allait pas apprécier ça pour autant en haut-lieu. Bon au moins tous les papiers lui semblaient parfaitement en règle, y compris et surtout l'ancien laissez-passez. Trop datés, ils ne valaient en réalité rien, mais si les huiles lui avait fait confiance une fois, pourquoi pas deux ?

« A vrai dire votre destination m'embête un peu. Comme vous l'avez deviné nous nous rendons à Klumpen, mais ce voyage était supposé resté le plus confidentiel possible. Et puis, techniquement ce laissez-passez ne vaut rien. Sauf si l'expédition n'est toujours pas finis mais j'en doute.
Vous me posez un sacré problème... »


Il se pinça l'arrête du nez et la détailla vraiment pour la première fois. Elle était... unique. C'était le mot qui lui venait à l'esprit, qui s'imposait à lui.Elle ne ressemblait pas aux citadines, loin de là, elle émanait cette sensation de liberté, d'indépendance mais aussi d'assurance. Elle bavardait tranquillement avec lui, civile sur un vaisseau militaire, sans sembler ne rien craindre. S'il la contrariait, elle lui semblait parfaitement capable de remonter sur son dragon et de repartir sur l'instant.
Et puis il y avait ses yeux. Au début, vu l'état de sa tenue, il avait surveillé que son regard ne dérive pas pour ne pas sembler grossier. Mais rapidement il avait été absorbé par ses yeux, ce regard l'envoûtait, capturait le sien et ne le laissait pas s'échapper. Il parvenait tout juste à suivre ce qu'elle disait. Quand elle le complimenta sur l'alcool il eut un sourire et leva légèrement sa tasse comme pour trinquer :

« C'est un petit revendeur d'Alexandria qui s'est fait une spécialité du whisky. Visiter sa boutique vaut le coup rien que pour l'entendre vous en parler. Pas donné, mais ça vous remonte le moral comme rien d'autre pendant une veillée ennuyeuse. Et puis à situation exceptionnelle comme celle-là, il faut une boisson qui la mette en valeur. »

Quand elle se pencha, le regard du capitaine suivit la mèche qui dégringola, comme une flamme dansant en l'air l'espace d'un instant. Il parcourut du regard la courbe d'un sein moulé par le tissu humide avant de revenir un chouïa trop brusquement sur son visage. Se faisait-il des idées ? Ou bien son expression avait-elle légèrement changée, était-elle un peu plus...
Il se passa distraitement une main dans la barbe, en faisant tomber un peu de neige, avant de lui répondre.

« Guile. Mais appelez-moi comme ça et je vous appellerai Madame Toen jusqu'à ce qu'on ai débarqué à Klumpen. Dazen suffira très bien, capitaine si vous aimez-vous la jouer comme un matelot à bord. » Il lui tendit les papiers pour qu'elle les reprenne, puis avec un sourire et un ton un peu trop solennel pour être sérieux : « En tout cas bienvenue à bord de l'Intrépide Luka. Vous êtes libre de rester à bord jusqu'à ce que nous ayons atteint Klumpen. Et pour le retour, si notre planning vous convient. »

Il s'aperçut qu'avec tout ça, ils n'avaient jamais eu le temps de faire des présentations, ce qu'ils venaient plus ou moins de rattraper à l'instant, mais il manquait encore un détail essentiel. Il lui tendit la main dans un geste universel de bonne entente. Quand elle lui serra, il resta délicat et, attrapant ses doigts entre les siens, transforma le geste en un baise-main un peu gauche. Puis, machinalement, il resservit les deux tasses avec une rasade de whisky et leva la sienne pour trinquer avec son invitée impromptue mais pas indésirable. Après avoir bu une autre gorgée, il repensa à un détail qui l'avait perturbé un peu plus tôt, alors que la jeune femme venait de revenir sur le pont, juste avant qu'il ne frôle l'atterrissage forcé.

« Tout à l'heure, vous avez mentionné mon genou droit. Une vieille blessure de guerre, un violent coup de sabre, qui me relance de temps en temps. » expliqua-t-il comme pour répondre à une question muette : « Mais comment vous avez pu le voir aussi vite ? C'est vraiment impressionnant ! Enfin je suppose que vous avez du voir bien des choses avec les cercles mais... waouh quoi. Et puis votre arrivée... Je ne vais pas mentir, je n'ai jamais rien vu de tel, même les meilleures -ou les pires, je suppose que ça dépend du point de vue- acrobaties en frégate ne valaient pas ce spectacle. »

Il s'emportait, il parlait plus vite qu'il ne réfléchissait. Il se calma un peu, même si l'on pouvait sentir qu'il aurait pu continuer comme ça encore longuement. Il sentait le whisky qui se frayait doucement un chemin jusqu'à sa tête. D'habitude, il avait plutôt l'alcool triste, il n'aurait su dire qui de l'adrénaline ou de Luka était responsable de ce changement, mais il le trouvait plutôt bienvenu. Il s'était un peu rapproché de la table, et d'elle par la même occasion, et il avait toujours autant de mal à regarder autre chose que ses magnifiques yeux.

Luka Toen
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Au bord du monde EmptyVen 9 Mar - 0:24
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Profession : Historienne et naturaliste à ses heures perdues, médecin officiellement
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« L’Intrépide, ainsi donc. Je crois savoir pourquoi. »

Son sourire se fit persistant, l’once d’une dent blanche dans un écrin vermeille. Il n’y avait pas meilleur adjectif pour qualifier cet aéronef dont l’équipage n’était pas exactement le commun des mortels. Et plus encore que les matelots, il y avait bel et bien chez ce Dazen quelque chose qu’elle sentait confusément… Et réveillait certains élans en elle. Ils étaient différents, à mille lieux des mêmes horizons, des mêmes fréquentations. Et pourtant ! Il paraissait respirer sur une fréquence semblable à la sienne, une recherche d’oxygène perpétuelle qu’ils traduisaient différemment l’un et l’autre et pourtant d’une exacte même mesure : il leur fallait davantage que le seul bleu du ciel. Ses prunelles jade coulèrent sur sa main dans la sienne, cette paume chaude qui lui brûlait la peau. Il eut l’éducation de transformer cette poignée de main conviviale en un baisemain inattendu, et il n’en fallut guère plus pour amuser Luka… Fichtre, voilà dix bonnes années qu’on ne l’avait point traitée en dame ! Elle qui passait la majeure partie de sa vie à déambuler sur les routes n’avait que rarement la surprise de se confronter aux bonnes mœurs de Daënastre. Tout au plus un Mogoï poli daignait parfois ne pas saccager son feu de camp. La scène ne manquait pas d’humour, tous les deux trempés comme des chiens perdus, ébouriffés de vent, de neige et de givre qui recouvrait par endroit leurs vêtements, tels des convives de haute société autour d’un excellent verre de whisky. Luka n’aurait pas rêvé meilleure soirée.

« Pitié, épargnez-moi le Madame Toen, et je promets de ne pas vous donner du Sir Guile. Pensez-vous que votre équipage me pardonnera cette offense ? »

Et sa seconde, tout particulièrement, qui allait décidément très vite avoir de nouvelles raisons de souffrir d’une effroyable migraine. Non content d’héberger momentanément une illustre inconnue, il lui proposait désormais de rester en leur compagnie jusqu’au terme de leur voyage si elle le désirait. Etait-ce sincère ? Elle fouilla les traits de son visage, à la recherche d’un signe qu’elle n’aurait pas été en mesure de voir. Elle n’était toutefois pas fille de cour, et de possibles hypocrisies passaient beaucoup trop loin de son propre monde… Quand bien même chercherait-elle qu’elle ne verrait rien, et ma foi, cela lui était complètement égal ! Elle n’était que trop bien placée pour savoir combien le monde était immense, et les tempêtes opaques : quel intérêt aurait-on à désirer la piéger, elle qui n’avait rien que ses maigres possessions et sa mémoire ?

« C’est une blessure ancienne ? s’exclama-t-elle, je l’ignorais totalement. »

Sa découverte était sincère, et son intérêt d’autant plus décuplé. Les prunelles emplies d’une curiosité dévorante, ses mains volubiles commencèrent à s’agiter au-dessus de la table tandis que l’enthousiasme la gagnait. Le whisky tout autant, soyons honnêtes.

« Je n’en savais rien, vous avez simplement eu tout à l’heure un… Léger report de poids en atterrissant, lorsque vous êtes revenu sur le pont ? J’ai imaginé que vous vous étiez éraflé dans les cordages. C’est assez commun, lorsque le corps est en proie à une souffrance récurrente. Il réagit instinctivement pour ne pas réveiller cette douleur par d’infimes précautions. Par exemple vous appuyer davantage sur votre jambe gauche. »

Elle eut alors l’un de ces élans spontanés qui lui étaient si caractéristiques, patience humaine tactile et sensible. Sa dextre vint se glisser autour du poignet de Dazen avec la légèreté et le naturel d’une âme sociable, déployant la main ainsi saisie de ses doigts fins, presque une caresse, pour mieux en désigner la paume. Une main d’homme comme elle les aimait, aux pliures dépeignant une vie agitée mais bien remplie, l’une de celles qui avaient vécu et grandi sous le soleil et le vent qui régnaient bien au-dessus des nuages :

« Vous avez des mains de marin, cela aussi cela se voit. Vous avez tenu de nombreux cordages, et n’avait pas rechigné au travail. Vous paraissez jeune, mais vos mains sont expérimentées… Elles ont vécu, et je les trouve belles pour cette raison. Vous pourriez être surpris de tout ce que l’on peut lire d’un corps, de sa façon de se mouvoir et des marques qui le parsèment. Exactement comme un livre. »

Il avait pourtant conservé toute son agilité, et sa douceur. En témoignait le baisemain qu’il lui avait si gracieusement décerné quelques minutes plus tôt, et qui faisait naître en elle bien d’autres pensées beaucoup moins chastes. L’idée brève que cette entrevue ne prenait pas du tout la tournure espérée à l’origine lui arracha un fragment de sourire. Si sa seconde ou n’importe quel autre membre de son équipage ne débarquait pas dans cette pièce trop chauffée dans les minutes à venir, elle ne répondrait de rien quant à son comportement… Fort mauvaise idée de la laisser seule avec leur précieux capitaine. Sa réflexion lui tira pour le moins un grand rire, prise de court face à un compliment qu’elle n’avait pas du tout vu venir :

« C’est bien la toute première fois qu’on m’encense pour ma souplesse ! Vous exagérez, je n’ai fait que tomber pourtant, sans parler des glissades bien moins classieuses… »

Elle eut une mimique charmante, un pincement de lèvres et un pétillement des prunelles. Il y eut durant l’espace d’un instant une toute autre Luka bien présente derrière sa façade policée, une Luka plus ensauvagée, une once d’adrénaline qu’elle adorait savourer sur sa langue :

« Je n’ai pas la chance de posséder vos capacités à l’arme à feu, j’ai dû développer d’autres avantages naturels. »

Ainsi qu’un manteau enchanté par les arts de Möchlog en personne. Mais cela, elle se garda bien de le préciser. Au lieu de quoi leva-t-elle son verre en l’honneur de son nouveau partenaire de beuverie, dans un état désormais absolument similaire au sien. Ah ils étaient beaux les sauveurs de cette journée, dans un bien piètre état !

« Vous vous êtes vu au moins ? Je n’avais pas vu pareille prise de risque depuis mes vingt ans ! Bon sang, si j’avais su que l’UNE possédait dans ses rangs des capitaines aussi doués en maniement d’aéronef, j’aurais probablement changé de métier. Et quelle idée saugrenue de vous suspendre au-dessus du vide, sans ailes secondaires ! N’avez-vous donc jamais peur de tomber ? D’écraser l’Intrépide à terre ? »

Et, puisqu’elle avait l’art de sauter du coq à l’âne, sa main se tendit à nouveau pour se suspendre à un battement de cœur de la joue du capitaine, les lèvres sensiblement entrouvertes, curieuse comme une enfant dévorée d’une soif qui la dépassait continuellement :

« Et cela, cette trace de brûlure ? s’enquit-elle dans un souffle. La guerre également ? »

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Au bord du monde EmptySam 10 Mar - 16:46
Il la laissa parler et l'examiner autant qu'elle le voulait, buvait ses paroles et savouraient ses attentions. Le contact de ses doigts dans sa paume était électrisant. Il avait envie de l'attraper, de l'attirer à lui. Il n'en fit rien, toutefois, peut-être trop bien éduqué pour cela. A moins qu'il ne fut trop impressionné ? Difficile à dire. Il se contenta de faire une blague sur ce que pourrait dire son corps, qui n'avait pas beaucoup d'autres arguments pour faire rire que son ton chaleureux, enjoué et où l'on percevait les voluptés de l'alcool.
Elle rit, de son compliment, de son attitude peut-être, un rire charmant, chaleureux, qui exposait sa gorge à la peau claire, qu'il ne pouvait imaginer autrement que d'une douceur incomparable. Il eut l'envie de la dévorer de baisers, d'enfouir son visage dans ce cou gracieux et cette chevelure rousse, pleine de vie et possédant l'attrait des flammes d'un feu de camp en pleine tourmente. Il s'était encore un peu rapproché, si bien que leur genoux se frôlaient désormais et que, penché vers elle, il pouvait en oublier le monde extérieur : le bruit du vent à l'extérieur, de la neige qui s'écrasait parfois sur la vitre quand une bourrasque en soulevait, le roulis de l'aéronef dans le vent, les craquements du bois et le claquement des voiles, le ronronnement des machines... il n'avait d'oreilles que pour l'éclat de son rire, la douceur de ses paroles et de son souffle, d'yeux que pour la commissure de ses lèvres qui se relevait d 'une charmante façon à chaque fois qu'il parvenait à la faire sourire, révélant une blancheur nacrée digne des plus beaux bijoux au milieu d'un écrin vermeil, que pour les yeux de jade que surplombaient des cils dont chaque battement manquait de lui faire chavirer le cœur.
La tempête n'avait pas réussit à le mettre à terre, mais Luka aurait pu le faire d'une simple parole. Elle faillit le faire, involontairement peut-être, mais peut-être pas au vu de cette mimique si attirante, de cet éclat derrière ses iris qui fit rater un battement de cœur au capitaine. Il trinqua avec elle comme dans un rêve et vida ce qu'il restait dans sa tasse. Il réussit toutefois à donner une réponse cohérente malgré sa gorge en feu :

« Bien sûr que si j'ai peur. » Il eut un petit rire. « Lors de mon premier vol j'étais terrorisé. Mes camarades s'amusaient à dire que j'avais hurlé si fort qu'il ne devait plus rien me rester pour les suivants. Et pourtant... Au troisième vol, j'ai vu le pilote qui m'accompagnait glisser des boules de cire dans ses oreilles avant d'enfiler son casque. » Il ne savait même pas pourquoi il lui racontait ça, certainement pas son souvenir le plus glorieux. « Mais quand je suis dans l'action, je n'ai pas le temps d'avoir peur. Les autres comptent sur moi pour garder la tête froide et je me refuse de leur faire défaut. Alors je ne crie pas, ou seulement sur eux, » Nouveau rire « je ravale ma salive et j'empêche mes mains de trembler. Je fais ce que j'ai à faire, en me focalisant dessus. L'Intrépide aurait pu s'écraser au sol, mais tant qu'il était en l'air je devais me concentrer sur ça. Pour être honnête il y a un moment où j'aurais pu avoir peur, vraiment : juste avant qu'on ne passe la crête, dans cette insupportable attente où plus rien ne pouvait se tenter. Fort heureusement, j'ai été détourné de ces pensées par la plus singulière et magnifique apparition qu'il m'ait été donné la chance d'apercevoir. »

Il lui sourit, un grand sourire chaleureux, avec un regard emplis d'admiration et, oui, de désir. Il détourna toutefois rapidement la tête, sans se départir de son sourire toutefois, comme un adolescent qui n'assumait pas sa propre témérité mais se fichait bien des conséquences. Il ne se souvenait pas la de la dernière fois qu'il avait pu se retrouver dans une semblable situation. Se devait-être avec Nerra, des années en arrière. Et curieusement, le souvenir ne le plongea pas dans la morosité comme il en avait l'habitude. Au contraire, presque, c'en était troublant.
La main de Luka lui fit tourner de nouveau le visage du capitaine vers elle. Elle arborait une moue pensive, curieuse. Une expression, il le remarquait maintenant, qu'elle avait souvent eu quand son regard s'était posé sur les instruments de navigation ou sur toute autre objet ou spectacle curieux. Elle avait suspendu ses doigts juste au-dessus de la trace de sa brûlure et l'interrogea dessus à voix si basse qu'il aurait pu ne pas l'entendre si toute son attention n'avait pas été portée vers elle. Il soupira légèrement : puisqu'il en était aux souvenirs un peu honteux après tout... Il approcha sa chaise, ils étaient presque côte à côte désormais, et planta son regard dans le sien

« Oh oui, une guerre terrible, sale, épuisante. » Sa voix était devenue plus sombre, trop peut-être pour être vraiment crédible. Il essayait d'avoir l'un de ses regards durs mais on pouvait y lire le plaisir de la farce en s'y attardant suffisamment. « J'étais en pleine bataille, mes jambes endolories, mon bras fatigué... je donnais les derniers coups de chiffon à l'intérieur du tuyau d'échappement des fumées quand mon coude à heurté une valve ! La soupape à légèrement sautée et un filet de vapeur bouillante fondit sur mon visage. Je n'ai pas peur de dire que cette attaque surprise, violente, me prit de cours et que je me cognais violemment le crâne contre un coin du moteur, ce qui me laissa à moitié sonné tandis que mon compagnon d’arme me tirait de là et appliquait un linge d'eau froide sur ma blessure. » Il avait eu du mal à finir son histoire dans son hilarité contenue. Il s'autorisa un peu de temps pour reprendre son souffle avant de dire, comme une conclusion :
« Je devrais trouver une meilleur histoire à raconter non ? »

C'est quasiment ce moment que choisit la porte du mess pour s'ouvrir et laisser apparaître une Nimbilay transie de froid. Elle s'arrêta sur le pas de la porte et parcourut du regard la petite pièce, passant de Luka à Dazen, de Dazen à Luka, de l'un et l'autre à la flasque de whisky et aux verres. Avant que Dazen, qui avait eu besoin d'un peu de temps pour réagir, ne prenne la parole elle leva une main pour l'arrêter et déballa d'une traite, sur un ton où transparaissait son épuisement :

« Non, ne dis rien. Je n'ai pas la force de débattre maintenant de tes décisions. J'ai réorganisé le pont et les hommes de quart. J'ai bloqué la barre et dis à Siffleuse de surveiller ce qui se passe et de te prévenir en cas de problème. Moi je vais dormir. »

Et elle repartit en fermant la porte sans que le capitaine n'ait pu placé un mot. Il regarda Luka, l'air déchiré entre deux possibilités. Finalement il se leva lentement et, en s'inclinant légèrement pour s'excuser :

« Bien que cela me peine, je ferais mieux d'aller veiller sur le pont. Je peux vous indiquer une cabine pour les quelques fois où nous avons des passagers où vous pourrez vous reposer autant que vous le voudrez. » Il allait l'inviter à le suivre, quand il eut l'air d'avoir une idée et, après un bref coup d’œil aux carreaux de la pièce, dépourvus de toute trace de neige, il lui fit une toute autre proposition : « Toutefois j'ai entendu dire que les nuits à Vereist sont magnifiques quand le temps le permet, et les nuages se sont levés. Si cela vous dit, je suis sûr qu'il y a suffisamment de couvertures et de whisky sur ce rafiot pour ne pas avoir froid. Surtout à deux. »

Il avait à nouveau le regard empli de désir et un sourire tentateur, sauf qu'il ne fuyait pas celui de Luka cette fois. Au contraire, il lui tendit sa main pour l’aider à se lever et la guider vers ce qui la tenterait le plus.

Luka Toen
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Au bord du monde EmptyLun 12 Mar - 23:46
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« Et votre coude n’a pas répliqué à cette violente agression ?! »

Son visage s’empara d’une expression faussement outrée, une main délicate placée devant sa bouche horrifiée. Elle ne put néanmoins retenir le rire qui étincelait dans ses prunelles lorsque Dazen se mua dans une déconvenue toute humaine, riant aux éclats à en avoir sensiblement mal aux joues. Elle essuya ses iris embuées d’un revers de main qui avait cédé la grâce au naturel, papillonnant pour retrouver contenance dans ce qui avait désormais des allures de hammam. Par tous les Architectes, ses abdominaux lui faisaient subir le martyr, et ce traitre d’immuable sourire ne paraissait plus vouloir se décoller de ses zygomatiques…

« Vous avez une bien drôle de manière de charmer les Dames, eut-elle pour toute réplique taquine, trop à bout de souffle pour oser prononcer l’irrémédiable mot de trop vers une nouvelle crise de fou-rire. »

L’existence ne quémandait pas grand-chose. Où était la nécessité de la démesure lorsqu’une simple conversation alléchante entre deux étrangers suffisaient à réparer bien des maux ? Parce qu’ils étaient eux, parce qu’ils étaient inconnus l’un à l’autre, au-delà du monde, dans ces confins où nul n’était en mesure de les juger et de les rattraper pour leur passé, l’étendue des possibles était un ravissement. A cette heure de la nuit où son corps portait encore les stigmates de l’exposition, de son enlèvement tout à la suite et des semaines passées à fouiller l’obscurité à la recherche d’un remède inexistant, la simplicité de son partenaire de beuverie lui faisait un bienfait terrible. Un poids qu’elle n’avait pas senti s’installer s’étiolait de plusieurs kilos, et l’idée que personne ne saurait jamais, qu’il leur suffirait de disparaitre un instant et de ne plus être eux avait de quoi étourdir ses sens. Où était le capitaine militaire, fourbu de responsabilités, de devoirs, et à la stricte autorité méfiante ? Où était le médecin, une étrangère en période de guerre, les traits ombragés des destins qui pesaient sur sa conscience ? Elle ne savait guère, mais ils n’étaient point dans cette pièce. Une immédiateté qui la laissait grandement étonnée, pourtant pas le moins du monde récalcitrante lors de ses précédentes rencontres. Qu’avait-il de si différent… ? La question l’intriguait tandis qu’elle le dévisageait.

Plus que sa voix, Luka pressentit le regard qui les auscultait avant que son esprit n’appréhende la présence d’une tiers personne. Son verre à mi-chemin de ses lèvres, elle tourna vers la nouvelle venue des mirettes prises de court. Cela importait peu de toute façon, la militaire n’avait d’yeux que pour son supérieur hiérarchique, et l’échange qu’ils eurent fut infiniment enrichissant. Oh ça, Luka ne se trouvait aucun atome crochu évident avec « Nim’ », tel qu’elle avait entendu Dazen l’interpeller un peu plus tôt. Toutefois… Elle ne put s’empêcher de ressentir une once de compassion envers cette femme fatiguée, bien trop consciente de ce que la société exigeait d’eux et pourtant en proie à un capitaine au tempérament fort indépendant. Depuis combien de temps volaient-ils ensemble ? Cet équipage qui le suivait au doigt et à l’œil, non par crainte comme elle avait pu le constater, mais par une sorte de respect presque spontané. Elle manqua laisser filer un profond soupir. La vie était trop courte pour toutes les questions qu’elle avait à poser !

Elle le suivit des yeux tandis qu’il se levait, pressentant la fin d’un moment qui s’était tenu en parti hors du temps. Hé bien quoi, à présent ? L’étrangeté de la situation lui revenait en mémoire, la singularité des lieux également. A des mètres d’altitude, une autorisation périmée pour unique identité. Elle le vit hésiter, de ces suspensions au-dessus du vide qui vous maintiennent l’espace d’un infime instant en émois intérieurs. Et puis, une décision prise, un mouvement qu’il réinitia d’une main tendue vers elle. Elle s’en saisit.

« Je ne suis pas coutumière du froid, mais pour vous je ferai une exception. J’ai une petite idée du spectacle qui nous attend… »

Ils avancèrent dans les couloirs silencieux, une pénombre nocturne qui embrassait l’aéronef dans un cocon discret. La neige s’était tue, un tapis de soie mousseux sous leurs semelles et la délicieuse touche glacée du bois humide sur les lèvres. L’air était coupant, et sitôt qu’elle franchit l’habitacle elle sentit la fraicheur s’insinuer contre sa peau, lui arrachant immédiatement un léger frisson glacé. Son souffle se condensa dans l’atmosphère, un délicat nuage pailleté pour seul rappel de sa présence dans cette nuit latente, la lueur tamisée de leurs prunelles pour unique lien entre eux. Ils étaient désormais chats nocturnes, chapardeurs festifs à une heure qui n’avait plus aucun témoin : le pont était déserté, ou du moins ne pouvait-elle apercevoir que l’ombre vague d’un marin détendu sur sa barre, peut-être un quart paisible de surveillance qui n’intéressait que lui. Elle brassa l’horizon du regard, une étendue divine à perte de vue, à fleurs des nuages qui effleuraient la coque. Et pour couronne sur leurs têtes, les larmes des Architectes comme aimait tant le dire son grand-père… Une nuée de constellations, les étoiles qui longeaient le sommet du monde. Ted bainah, ils veillent prononçait-il alors, et sa main se portait à son front en signe de respect. Sur le pont d’un bâtiment daënar, Luka ne put qu’en rêver encore les consonances, car l’ancien my’trän ne devait pas franchir son esprit.

« Êtes-vous déjà venu à Vereist ? Qu’espérez-vous y trouver ? »

Perdue dans la contemplation du ciel, elle revint ancrer ses prunelles à la terre et cessa de courber la nuque dans l’espoir de saisir l’entièreté de la voie lactée. Pour le regarder lui, à quelques distances d’elle qu’un froid bénéfique avait enfin un peu réveillée.

« Vos armoiries. Je n’ai pas su reconnaitre, je m’y connais peu quand il s’agit de l’armée daënar. Pourquoi le choix d'un tel secteur de métier ? Vous m'avez tout l'air d'être trop libre pour le sérieux des armes... »

Un doux hululement qui lui était déjà si familier attira son attention un peu plus loin sur le pont. Bien malgré elle son corps amorça de lui-même un pas immédiat vers l’avant, un sourire amusé comme un fragment joueur sur son minois :

« Hé satané reptile, tu as manqué nous faire tuer tout à l’heure et tu ronronnes maintenant comme un gros matous content. »

Toujours lové dans son coin, Renkhii avait pourtant dressé un museau intéressé dans leur direction. Il accueillit la main caressante de sa maîtresse d’un cou ployé, les paupières à demi fermées tel un animal heureux et somnolent. Par moment un grondement de bien-être faisait vibrer ses flancs, et ses écailles irisées renvoyaient l’exact même reflet du ciel : un bleu de nuit sombre aux plumes fugacement argentées.

« Dazen, je vous présente mon abruti de compagnon, Bürenkhii. »

Elle se tourna à demi vers lui, encourageante et rieuse. Alors, une idée lui traversa l’esprit. Un courant frais qui fit frémir le velours de sa peau, ancra son regard d’un vert d’eau profonde et fit disparaître tout sourire de son visage. Un drôle de sérieux s’empara de ses traits, avivée d’une étincelle farouche et sauvage, droite face à lui avec tout l’aplomb d’un incendie dans la tempête :

« Voudriez-vous voler ? Si cette occasion vous était donnée, le feriez-vous ? Il se trouve que nous avons des ailes à vous prêter, et la nuit est incroyablement belle. »

Comme percevant la différente subtile qui s’était opérée chez sa maîtresse, ce regard d’attention flamboyante qu’elle ne détachait pas de Dazen, Renkhii se redressa sur ses pattes et toisa la nouveau venu de ses étranges iris par trop reptiliennes. Il eut un roucoulement guttural, ses collerettes animées d’une excitation sous-jacente, observant l’humain avec presque autant d’attente que la jeune femme à ses côtés.

« Si vous tombez, je vous rattraperai. Au bout du monde s’il le faut, ajouta-t-elle, un craquant sourire en coin et la franchise d’une vérité absolue. »

Oui, s’il tombait, elle le rattraperait, et aucun doute n’était visible sur ses traits. Qu'importe ? Ils n’en diraient mot à personne et seraient de retour avant le temps d’un rêve : elle le lui garantissait.

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Au bord du monde EmptySam 17 Mar - 20:28

Il aimait le pont la nuit. C'était calme, reposant. Le sol invisible lui donnait l'impression d'être perdu quelque part dans l'immensité des cieux tachetés d'étoiles. A Vereist c'était un peu différent : la neige au sol reflétait la pâle lueur des étoiles et, un peu en mer, donnait l'impression qu'elles se trouvaient autant dessous que dessus. Et les masses sombres des montagnes se découpaient très légèrement, les glaciers comme des miroirs renvoyant une image déformé de la voûte céleste. Le silence était reposant, même s'il n'était pas complet : le ronflement des machiens au-dessu de leur tête était omniprésent, mais au moins n'y avait-il pas de matelots en train de crier à tout bout de champ. Il resta un moment le nez en l'air, perdu dans la contemplation du ciel, exhalant de petits panaches de vapeur à chaque respiration. Il ne baissa la tête que lorsque Luka lui posa une question :

« Non, je n'étais jamais venu aussi loin au nord, tout au plus j'avais parfois survolé le sud de la région. Quant à ce que je m'attends à y trouver... A peu près tout et n'importe quoi, les explications que j'ai eu sont maigres. Je crois qu'on m'a choisis pour ça d'ailleurs. La seule chose dont je suis sûr » un grand sourire naquit sur son visage « c'est que je refuse de partir avant d'avoir vu les falaises du Bord du monde ! »

Lorsque la mission lui avait confié, les tempêtes de neige, le trajet, le froid et la perspective de mettre les pieds dans la ville la plus redoutée de tout l'UNE lui avaient semblé un prix bien maigre à payer à côté de l'idée de pouvoir voir le Bord du Monde... et c'était toujours le cas, même après avoir affronté trois des quatre périls qui l'attendaient.

« Et vous, vous vous attendez à quelque chose ? »

Il se disait qu'elle avait participé à établir un hôpital ou ce genre de choses, vu qu'elle appartenait aux Cercles de l'Aube. Il l'avait vu prendre en main Will et ne doutait pas de ses compétences. Sans doute que les mines de magilithes débordaient de blessés de ce genre. Voir de choses plus sinistre, se fit-il la réflexion tandis que les parole de l'amirale lui revenaient en tête. Elle avait parlé d'effets de la magilithes, mais de quel genre ? Tout ce qu'il connaissait de cette pierre s'était à travers l'aéronautique. Il savait par exemple qu'elles étaient toujours stockés bien à l'abri dans les hangars, et à l'écart, mais n'avait aucune idée de la raison. Et on évitait de maintenir les pilotes de frégates, tout proches de leur moteur, en poste trop longtemps...

« Ah, oui, je ne suis pas surpris que n'ayez pas réussit à reconnaître au milieu de toute cette neige. En fait, c'est si vous l'auriez fait que j'aurais eu un peu peur, je crois. » Nouveau rire « Mon équipage et moi venons d'Ünellia, d'Alexandria pour une bonne partie. Nous sommes bien loin de chez nous, mais on dit que personne n'égale un üni lorsqu'il s'agit de piloter un aéronef, alors lorsqu'il fallait aller raser le Bord du Monde, les généraux se sont tout naturellement tournés vers nous. » Il venait de dire à demi-mot que sa mission était commandé par les généraux directement. « Hum... à la réflexion je n'aurais peut-être pas du dire ça. Est-ce que ça vous dérangerait de l'oublier ?
Quant à pourquoi l'armée... mon père était dans l'armée de terre, un gradé. Il avait de nombreuses exigences envers mon frère et moi.Envers ma sœur aussi, même si j'avais du mal à le voir à ce moment là. En ce qui me concernait, le seul moyen que je voyais pour le rendre un peu fier était d'emprunter la même voie. Et puis j'ai demandé à passer dans la flotte aérienne. Il était furieux. Nous nous parlons peu, depuis. Une franche réussite que toute cette histoire donc. »


Sa voix n'exprimait aucun regret pour autant. Si rentrer dans l'armée n'avait pas eu l'effet escompté, il n'avait jamais regretter ce choix après tout. Ou presque.

« Si je ne parais pas fait pour obéir à la hiérarchie, vous vous semblez faites pour votre métier en revanche, mais je suis sûr qu'il y a une petite histoire à l'origine de votre choix ? Et de votre compagnon. » il eut un mouvement de tête en direction du dragon qui se réveillait doucement alors qu'ils s'étaient approchés : « Je peux l'entendre ? »

En parlant de l'imposante créature -bon, moins imposante que certaines qu'il avait côtoyé, après tout il vivait à Ünellia, patrie des monstres géants reconnue- celle-ci s'approcha d'eux tandis qu'ils discutaient et Luka, en maîtresse bienveillante, fit les présentations. Dazen était fasciné par l'animal, désormais que la surprise du premier contact en pleine tempête était passé. Il en avait vu, quelques uns et de loin, à l'exposition mais n'avait alors pas trouver le temps de s'approcher. Il imaginait le dragon filant majestueusement à travers les cieux... quelle sensation incroyable se devait être ! Aussi mit-il un peu de temps à réagir quand Luka lui parla. Plus encore à réaliser qu'elle avait bien dis ce qu'il rêvait d'entendre. Reprendre le contrôle de sa mâchoire ballante fut la dernière étape et il sourit comme si rien ne s'était passé :

« Tomber me semble soudain la chose la plus attrayante au monde. » Il se perdit un instant dans ce regard émeraude qui attendait sa réponse, puis se reprit, passant sa main dans ses cheveux qui commençait à se couvrir d'une légère couche de givre : « Évidemment que j'aimerais, j'adorerais même, peu importe les risques ou ce qu'on en dira. Tant qu'il est d'accord bien sûr. »

Il eut un léger signe de tête en direction du dragon qui le fixait avec un regard troublant d'intelligence. Voler à dos de dragon, c'était un rêve qui menaçait de devenir réalité. C'était même encore mieux que cela, puisque jamais ses rêves n'avaient été suffisamment fou pour inclure le fait d'être en selle derrière une femme comme Luka. Chacune de ces perspectives individuelles étaient incroyablement séduisantes, les deux ensemble dépassait ses espoirs les plus fous.


Dernière édition par Dazen Guile le Sam 2 Juin - 17:40, édité 2 fois

Luka Toen
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« Je m’attends à beaucoup de choses, Capitaine, mais vous demeurez l’équation incertaine du tableau. »

Elle lui sourit, de ces sourires renards qui s’arquent sur l’ombre d’un croc, s’amusant visiblement du terme de capitaine qui le faisait tant grimacer. Sa dextre vint glisser avec la légèreté d’une aile sur l’épais manteau qu’il portait, deux doigts facétieux courant sur son torse pour mieux s’arrimer à l’arrête d’un col mal ajusté. L’air de rien, une innocence qui n’en était aucunement une, elle lissa le tissu sous ses doigts fins, replaçant un invisible défaut vestimentaire mis à mal par la tempête. Alors ses prunelles coulèrent jusqu’aux siennes, de dix bons centimètres plus grand qu’elle.

« Je prétendrai n’avoir rien entendu, c’est promis, lui répondit-elle sentencieusement, ton pourtant démenti par le rire dans sa voix. Vous n’aurez qu’à me mettre aux arrêts pour de bon si je fais mine d’être trop curieuse ! Entre nous, j’ai toujours rêvé d’être une criminelle de guerre… »

Les Généraux hein ? L’UNE était un bien grand mystère. Des années que l’affaire Klumpen ne trouvait aucune solution viable, et le gouvernement continuait d’envoyer ses agents de par le continent. A quoi cela rimait-il ? Quelle était précisément la mission de Dazen et ses hommes ? Le déplacement d’un tel brik devait être bigrement coûteux, tout à la fois en ressources et en temps perdu… A l’aune de la guerre, les frontières méritaient davantage de surveillance aérienne qu’un village maudit aux confins de l’univers. Elle fouilla ses traits à la recherche d’une réponse qu’elle ne trouva pas, un terrible instant tentée de briser derechef sa promesse. Elle n’en fit rien, se contenta de reculer d’un pas, rapatriant ses mains intrusives auprès d’elle. Pourvu que cela ne gêne en rien ses propres objectifs, elle se devait de rester focalisée sur sa tâche…

« Les parents qui attendent de nous que nous poursuivions leur rêve, j’ai connu cela, soupira-t-elle. Vous avez eu du courage de suivre votre propre voie, quitte à perdre le soutien de votre père. Non, je veux dire, je suis heureuse que vous l’ayez fait en réalité. Si je vous avais croisé dans l’armée de terre, nous aurions dû marcher pour nous rendre à Klumpen… »

Elle eut une grimace fort équivoque, non sans un léger rire immédiat.

« Si vous voulez bien me suivre… La Air Toen compagnie vous attend. »

Elle le gratifia d’une révérence théâtrale, absurde sur ce pont recouvert de neige et détrempé de pluie, le vent nocturne échevelant ses longues mèches flammes comme un feu follet dans l’obscurité. Mû par des années d’habitudes Renkhi se ramassa sur lui-même, offrant l’étendue de son dos solide à ses deux invités, tâchant de ne point gêner sa maîtresse tandis qu’elle l’harnachait promptement.

« Faites attention à la membrane de ses ailes, c’est comme une voile d’aéronef. Les jointures sont solides, vous pourrez y placer vos jambes. »

Elle l’observa monter d’un œil attentif, rajusta sa position de quelques indications précises.

« C’est un poids moyen, d’ordinaire un cavalier seul ne peut perturber son vol. Nous serons toutefois deux… La plupart du temps les gens cherchent spontanément à pencher leur corps dans la direction opposée à celle où Renkhii penche, comme un réflexe de survie : c’est mauvais pour le dragon car cela gêne son équilibre. N’hésitez pas à vous pencher complètement vers le vide s’il vire ou pique vers le sol. N’oubliez pas que votre corps aussi fait barrage au vent. »

Elle sauta en selle d’une détente habile, un franc sourire taquin étirant ses lippes de mille et une promesses.

« Quant à vous tenir... »

Les reins courbés d’une subtile inclinaison, elle vint chercher ses mains et les positionna sur la cambrure de sa taille, l’obligeant par là-même à se coller à elle s’il ne voulait pas tomber… Plus joueuse qu’un chat face à une alléchante souris !

« Serrez tant qu’il vous plaira, je suis résistante. »

Alors eut-elle un claquement de langue sonore, une moue diablement excitée sur ses traits, Renkhii ramassé sous elle comme un fauve déchainé. Il eut un bond formidable, un sursaut musculaire effroyable, rabattant toute l’envergure de ses ailes sur le pont pour mieux se propulser entre la grille de cordages. L’air les plaqua un instant au dos de l’animal, la puissance de son énergie palpable sous leurs cuisses et puis… Ce fut la chute libre. Toute voilure rabattue sur son corps, l’animal vrilla telle une flèche pour s’éloigner un tant soit peu de la proximité dangereuse de l’aéronef. Il ne rouvrit l’envergure de ses ailes qu’une poignée de secondes passées, le vent s’engouffrant dans ses voiles avec un claquement sonore qui le suréleva immédiatement.

« Allure de croisière Renkhii ! l’enjoignit-elle tout en lui flattant le flanc d’une caresse heureuse. »

C’était une vue à laquelle Dazen ne manquerait pas d’être habitué, lui qui était tout aussi aérien qu’elle. Ils n’avaient de cesse que de parcourir le ciel à leur manière, lui en aéronef, elle à dos de dragon. Et pourtant… Peut-être y avait-il quelque chose de singulièrement différent entre le bois solide d’un pont et le dos d’un dragon, le seul obstacle à la vue n’étant qu’une poignée d’écailles et le brassement régulier de ses ailes. Le sol sous eux filait à vive allure, un ou deux monticules de neige à peine visibles, et là, peut-être la silhouette sombre d’un Matar en chasse qui les observa passer à des mètres d’altitude de ses yeux luisants. Elle s’inclina sur sa selle et Renkhii amorça une remontée puis un large virage qui vinrent le replacer à hauteur de l’immense brik. Le vaisseau était impressionnant d’ici (et beaucoup plus visible sans tempête !), presque un cétacé étrange glissant dans les cieux avec le calme gracieux des animaux ancestraux.

« C’est un sacré aéronef que vous avez là… Il est magnifique. J’espère que nous n’allons pas faire paniquer votre vigie ! »

Moqueuse et joviale, elle se redressa un tantinet sur ses étriers pour adresser un grand salut à l’éventuel marin qui ne devait pas manquer de frémir d’inquiétude à l’idée d’apercevoir son capitaine juché sur un animal volant. Ledit dragon profita d’un courant ascendant pour s’élever de quelques mètres supplémentaires et bientôt dépasser sensiblement l’allure du brik : ils n’eurent plus que l’horizon du bout du monde pour leur faire front. Alors, ils purent apercevoir de légers scintillements loin à la lisière des montagnes, une lueur défragmentée et vive, plus incertaine qu’un mirage… Un bourdonnement latent l’accompagnait par instant, un son qui n’était plus que l’ombre de lui-même lorsqu’il leur parvenait et qui faisait pourtant trembler en échos les plaines alentours.

« Klumpen… »

Sa voix avait changé. Ses traits se plissèrent d’une ridule soucieuse, le vert de ses prunelles teintés d’un gris métallique ombrageux.

« Cette nuit encore les canons magithèques tiennent à distance les Régisseurs. L’on dit que le bruit des canons s’entend à des kilomètres des cratères qu’ils forment… »

Elle fit virer Renkhii de bord, s’arrachant à la contemplation de ce spectacle macabre. Ils contournèrent le brik et revinrent se poser avec délicatesse sur le bois dégagé du pont. Elle demeura figée sur sa selle un instant, le regard perdu dans un ailleurs qui n’existait plus depuis de nombreuses années.

« Dazen… Vous vouliez connaître mon histoire. M’arrêterez-vous si je vous dis que je ne viens pas à Klumpen pour sauver des vies, mais celle de ma sœur ? Je suis à la recherche de quelque chose. Un remède à l’état d’Anomalie. »

Elle descendit de son perchoir, revint ancrer ses yeux aux siens. Serait-il dégoûté ? Effrayé ? Se fichait-il des Anomalies ? … Et des My’träns ? Une part d’elle-même craignait sa réponse.

« J’ai vécu là-bas deux mois, très loin de celle que je suis à l’heure d’aujourd’hui. La… Personne qui m’accompagnait avait pris des notes, et c’est ce carnet resté dans notre ancienne demeure que je compte récupérer. Je suis persuadée qu’il s’y trouvera un indice. Que pensez-vous des Anomalies, Dazen ? De la magilithe ? De cette guerre folle qui embrase les foules aux quatre coins d’Irydaë ? »

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Au bord du monde EmptySam 7 Avr - 15:47

Dazen suivit le plus scrupuleusement les indications lorsque Luka lui expliqua comment se positionner. Ah ça, nombre de ses anciens profs auraient aimé bénéficier d'autant d'attention et de sérieux pendant qu'il apprenait à piloter. Mais outre que Luka le captivait, il y avait aussi son expérience : il se doutait à quel point le poids et la charge d'un homme ne devaient pas être anodin pour un dragon. Il avait essayé une fois de piloter une frégate avec un chargement supplémentaire sur le dessus de la carlingue et ça avait été une plaie. Il ne comptait pas handicaper l'animal. Des fois que celui-ci lui en veuille, ou pire, que sa charmante maîtresse ne lui en tienne rigueur. Il s'en mordrait les doigts pendant longtemps.

« J'ai déjà eu des consignes plus désagréables. »

Il n'avait pu s'empêcher de dire la phrase tout haut tandis qu'elle lui positionnait les mains autour de la taille. Il sentait son dos contre son torse tandis que ses cheveux roux venaient lui chatouiller le menton et le cou. Il aurait presque pu oublier qu'ils se trouvaient sur plus de dix quintaux de muscles qui se ramassaient sur eux-même, prêt à bondir. Le premier choc l'empêcha d'ouvrir la bouche. Bon sang, combien de temps depuis la dernière fois qu'il s'était envolé ainsi ? Ça devait remonter à ses débuts dans l'armée de l'air, à plus de six ans. Six ans qu'il n'avait pas pris une simple frégate en tant que pilote ou même passager... Comment cela avait-il fait pour que ça ne lui manque pas ?
Il sortit instantanément de ses brèves réflexions quand le dragon piqua vers le sol, vrillant en l'air. Dazen ne retint pas un cri de joie mêlé de rires pendant cette chute libre. Quand les ailes de l'animal se déployèrent, son souffle fut coupé par la soudaine secousse et ses mâchoires claquèrent violemment, manquant de lui cisailler un bout de la langue. Au goût cuivré qui se répandit dans sa bouche, il avait du au moins s'entailler la joue mais n'y prêta aucune attention. Ils survolaient les étendues gelées en silence : pas de bruits de vapeurs, pas de souffle chaud des machines... juste le battement des ailes, à peine perceptible au-dessus du sifflement du vent, les mouvements du dragon entre ses jambes et la présence de Luka tout contre lui, qui en cet instant le réchauffait plus que tout l'alcool qu'il avait jamais pu ingurgiter.
Il tourna la tête sur le côté pour regarder l'Intrépide suspendu en l'air.

« J'ai rarement l'occasion de le voir ainsi. Je te remercie doublement. » Il aperçut une petite silhouette à l'arrière de l'appareil qui, il aurait en jurer, levait quelque chose qui ressemblait à un verre, ou une bouteille peut-être, dans leur direction. Un salut auquel répondit Luka, si elle l'avait vu. Il ajouta : « C'est Siffleuse qui est de veille. Elle m'a déjà vu dans des situations bien pires, dont l'une impliquait une corde trop longue, un colosse un peu trop tenté par la viande et une seule botte. »

Il rit à l'évocation de ce souvenir, un rire léger qui se perdit dans l'air. Puis il aperçut devant eux la ligne d'horizon. Au-delà ; le vide. Il ne pouvait pas le voir, mais c'était comme s'il le devinait, par-delà cette limite absolue, cette ultime frontière... C'est le bruit qui capta de nouveau son attention. Des scintillements dans le lointain, sur la bande de terre qui était leur destination. C'était loin, flou, mais il s'agissait sans aucun doute d'explosions. Et pour qu'elles soient ainsi visibles, elles devaient être colossales. Luka parla de magithèques, il n'en aurait pas été surpris. Elle parla aussi de régisseurs. Il ne savait pas ce que c'était, mais le terme sonnait lugubre dans sa bouche.
Elle les arracha à la contemplation de ce paysage pour revenir se poser sur le brick. C'est à ce moment, qu'ils étaient silencieux et pensifs, qu'il le remarqua : chaque fois qu'il sentait le dos de Luka se presser un peu plus contre son torse alors qu'elle inspirait, il pouvait deviner le poitrail du dragon s'élargir entre ses jambes tandis que celui-ci avalait de grandes goulées d'air. Il resta contemplatif de cette alchimie entre les deux, se sentant un peu comme un étranger, mais un étranger très privilégié.

Ce deuxième atterrissage fut bien plus doux que le premier, que Dazen n'avait pu qu'entrapercevoir dans la tempête. Il descendit avec une certaine raideur, les jambes un peu arquées. Il se rendait compte seulement maintenant qu'il avait un sol ferme sous ses pieds -enfin suffisamment ferme à son goût en tout cas- que chevaucher n'était pas de tout repos. Il s'étira un peu, puis remarqua que Luka n'était pas encore descendue. Elle avait l'air un peu perdue. Quand elle lui parla, il haussa un sourcils : les régisseurs et maintenant les anomalies ? Il ne savait pas exactement de quoi elle parlait mais le briefing d'avant mission lui revenait en mémoire, ainsi que de vieilles histoires de monstres auxquelles il avait cessé de croire depuis des années. Mais l'explosion dans la nuit lui avait semblé bien réelle, elle.
Aussi quand elle posa ses questions, il prit le temps d'y réfléchir. Il fit quelques pas, tourna sur lui-même et vérifia que Siffleuse était loin, s'assit sur une caisse de matériel au milieu du pont, faisant face à l'immensité de la voûte étoilée.

« Je ne sais pas. Ces histoires d'anomalies, comme tu dis, ne me rappellent que de vieilles histoires d'enfants. Pour la magilithe... » il haussa les épaules « je ne suis pas un ingénieur, je ne sais que ce qu'on m'en dit. On m'a dit qu'à Klumpen, elle affectait les gens. Certains en tout cas. Que je n'aurais pas de problèmes si je ne restais pas longtemps. En dehors de ça, je connais les consignes pour la conserver et je les applique. »

Il resta silencieux un temps. Puis il reprit, sur un ton plus bas, comme s'il lui faisait une confidence :

« J'essaye encore de croire que cette guerre n'arrivera jamais. Je ne suis pas un lâche, mais si je me suis engagé c'est pour protéger les gens, ceux qui ne peuvent le faire eux-même. Je suis prêt à tout pour défendre mon pays, mais ça ne veut pas dire que je suis impatient d'aller découper ceux d'en face. Si l'on pouvait s'ignorer les uns et les autres, je serais parfaitement heureux. Voir pourquoi pas, soyons fous, discuter plutôt que de se faire sauter chez les uns et les autres. » Il fit une nouvelle pause, moins longue que la précédente. Quand il reprit sa voix était plus forte, plus chaleureuse : « En tout cas s'il y a une chose que je comprends parfaitement Luka, c'est que tu veuilles sauver ta sœur. Si jamais je peux t'y aider lorsqu'on sera à Klumpen, n'hésites pas à demander surtout. »

Une bourrasque traversa les cordages qui frémirent et fit claquer le manteau de Dazen qu'il referma sur lui-même. Pendant le vol il en avait complètement oublié le froid, mais il revenait, s'insinuait entre ses vêtements jusqu'à le faire frissonner. La douce chaleur de l'alcool s'était progressivement estompée et il se retrouvait à grelotter. Et ça devait être encore pire pour son invité. Il se défit de son manteau et lui passa autour des épaules.

« Je pense que l'on devrait se mettre à l'abri. »

Il 'entraîna à nouveau à l'intérieur du bâtiment. La différence se fit sentir rien qu'en passant la porte : ils échangeaient l'air sec, pur et glacial de Vereist contre celui lourd, renfermé et un peu moins froid de l'intérieur du brick. Dazen secoua la tête pour débarrasser ses cheveux et sa barbe d'un peu de neige qui s'y était déposée pendant leur escapade. Il désigna d'un bras un couloir qui partait sur leur gauche :

« Tu n'as qu'à t'installer dans une des cabines par là. C'est pas extrêmement confortable, mais ça sera sans doute mieux qu'un hamac dans l'entrepont. Tu peux garder le manteau pour l'instant, au cas où tu ai froid. »

Il se tût. Il ne savait pas quoi rajouter. Ils étaient là, face à face, dans cet espace étroit, à peine réchauffés. Il aurait sans doute pu lui souhaiter bonne nuit et rejoindre sa cabine, mais il ne parvenait à s'y résoudre. Ils auraient pu aller de nouveau partager un verre dans le mess, mais il doutait de retrouver la magie de l'instant. Alors il prolongeait le moment qui s'étirait un peu inconfortablement mais aucune alternative ne lui semblait meilleure. Puis il se fit la réflexion qu'il était un parfait crétin.
Il détailla une fois de plus son visage, les lèvres délicates et ses deux yeux d'émeraudes, si vifs, si envoûtants. Il crût y lire une invitation, à moins, bien sûr, qu'il ne projette que ce que lui désirait y voir. Sans y réfléchir davantage il brisa la distance qui les séparait encore, une main vint se poser sur la hanche de la jeune femme, une autre glissa une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille, caressant du bout des doigts la joue au passage. Luka pencha légèrement la tête en arrière et leurs lèvres se rencontrèrent. Le baiser fut d'abord hésitant et, pour tout dire, un peu maladroit : elle avait les lèvres fraîches, presque glacées, et lui le visage engourdi, tous deux à cause du froid de Vereist. Le sang lui montait aux joues, battait à ses tempes au rythme de son cœur qui s'accélérait. Sa main sur la hanche de Luka glissa dans le bas du dos de la demoiselle, les attirant un peu plus l'un contre l'autre, tandis que l'autre main continuait de lui caresser la joue, le cou, la nuque et ses épais cheveux à la couleur de feu.
Malgré ses vantardises face à la tempête, ses plaisanteries sur le règlement, son enthousiasme à l'idée de voler sur une bête capable de le dévorer si l'envie lui en prenait, Dazen était intimidé et cela se ressentait dans ces gestes, dans ces petites hésitations à chaque fois qu'il prolongeait leur baiser. Son cœur battait à toute vitesse, tant de désir que de peur. Peur d'être rejeté : il l'avait désirée dès qu'il l'avait vue sur le pont, même au milieu de la tempête, même en rêve, et cela faisait des années qu'il n'avait rien ressentis d'aussi fort.
Leurs lèvres et leur corps se séparèrent, bien qu'il laissa ses mains reposer autour de la taille de sa compagne. Il avait le regard empli de bonheur et de désir et détaillait chacun des traits du visage de Luka comme pour s'en souvenir à jamais. Il flottait sur ses lèvres un sourire un peu béat. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais chaque mot qu'il aurait pu vouloir prononcer restait bloqué dans sa gorge et il la referma sans avoir rien dis. Pour une fois, il ne voyait rien à dire, aucune plaisanterie à faire, même un compliment lui paraissait inutile et superflu.

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