Un torrent d’information pour la fouine ?

L’hiver grondait à l’extérieur de la citée état d’Aildor, on pouvait entendre le vent siffler dans les tunnels alentour. La température de l’air intérieur, légèrement plus basse qu’à l’accoutumé ne devait pas dépasser les dix-huit degrés. Ce n’était certainement pas le jour pour aller se promener dehors. Heureusement pour la Khashan, son esprit était bien trop absorbé par la préparation d’un voyage vers My’trä pour s’en préoccuper. En plus de ça, la douce brise qui s’échappait de faille dans le plafond rocheux lui soufflait sur le visage, exhalant la fraicheur iodée distinctive de l’océan et invitant son imagination au voyage.

Elle parcourrait donc les étals à la recherche d’information, même les plus insignifiantes. Une matinée à collecter des renseignements sur sa première destination, Zagash. Le quartier abritait les mages de Dalai établis dans la ville, situé dans une caverne humide du bassin. Une grande étendue d’eau d’une vingtaine de mètre de long, pour une dizaine de mètre de large trônait au centre de la place. Un étang ceinturé par les multiples échoppes réunies sur la première moitié, laissant la seconde partie couverte par les habitations typique de Zagash. Des demeures à l’architecture de pierre blanche polie, finement sculptée de mosaïque et encadrée par endroit de fenêtre aux contours ciselés de motifs aquatiques.

Il y avait dans ce marché une multitude d’article et de bibelot qui n’évoquait pas grand-chose à la jeune fille. Néanmoins les commerces les plus nombreux abritaient des aquariums emplis d’animaux bizarre avec des pinces et de longues antennes, des tortues, des crabes, des crevettes et autre poissons. Les restaurants mettaient en avant la fraicheur de leurs produits, issus de la pêche matinale au large d’Als'kholyn, dont les eaux gorgées de planctons devaient être un paradis pour la faune marine. Cet environnement singulier pour Isyel, emportait ses sens dans d’interminable conjecture quant au mode de vie de ces créatures étranges.

La population n’était pas en reste pour étonner la Khashan, beaucoup d’entre eux utilisait la magie d’une façon tout à fait naturelle. Un homme faisait voltiger des spirales d’eaux devant lui pour amuser des enfants, qui fascinés par le spectacle en restaient bouche bée. Un autre marchait carrément sur l’eau comme si son action était normale et inconsciente. On ne peut pas dire qu’Isyel s’attendait à autre chose, mais entre l’imaginer, le lire et le voir pour de vrai avec ses propres yeux, il y avait une énorme différence.

La raison qui expliquait autant d’émerveillement demeurait assez simple, la jeune fille n’avait pas cherchée le contact avec les mages. Pas avant de s’être complétement résolue à voyager vers My’trä. Ne voulant pas attiser plus de passion et d’envie qu’elle n’en avait déjà, et puis elle vivait paisiblement dans son quartier tranquille alors elle n’avait pas de raison d’aller se frotter au reste du monde. Cependant comme dit l’expression, « c’est le premier pas qui compte. » Et ce premier pas, la décision, l’avait forcé à en faire un autre, jusqu’à courir vers son utopie du continent magique. Ce qui la conduisit ici, dans ce coin aquatique de la ville.

Ensuite, après des heures à déambuler dans le marché, Isy s’installa à la terrasse d’un restaurant pour prendre le repas du midi. Elle commanda une spécialité régionale de Zagash afin de se familiariser un peu avec ce qui l’attendrait surement dans les mois à venir. Le serveur, lui sourit malicieusement en apportant une assiette avec un crabe entier, carapace inclus. Il fallut quelque minute à la jeune fille pour comprendre comment appréhender la bête, aidée bien malgré elle par les autres clients qui eux, ne semblaient avoir aucune difficulté à casser l’armure de chitine qui protégeait les entrailles du crustacé. La texture filandreuse n’était pas désagréable et la sauce servie avec, relevait subtilement les saveurs, pas de quoi en tomber à la renverse non plus.

Après un repas agréable, elle vida un grand verre d’eau d’un trait et s’essuya la bouche d’un revers de manche. Les pieds posés sur une chaise à côté d’elle, s’étirant de tout son long, épaules et bras, jusqu’aux doigts tout en jouant avec une pomme entre ses mains. Pas de ciel ici, seulement quelques fissures dans un plafond rocheux qui laissait entendre le tonnerre rugissant à l’extérieur. La neige qui fondait en entrant dans la caverne faisait ruisseler des gouttes d’eau, qui tombait dans l’étang avec ce bruit caractéristique de clapotis, « Clip, clap, clip, clap ». Une vraie symphonie naturelle que même les meilleurs compositeurs ne pourraient jamais égaler.

Seulement elle n’était pas venue apprécier la musique des lieux, alors elle se leva rapidement et paya au serveur le montant de l’addition. Il lui fit la grimace et garda la paume de la main ouverte réclamant un pourboire. Isyel avait déjà tourné les talons, fallait pas déconner, il l’avait mis bien dans la mouise avec sa carapace. Elle n’avait reçue ni aide, ni conseil et en plus il lui avait semblée que ce serveur s’était moqué d’elle et de sa visible ignorance en matière de décorticage de crustacé.

La jeune fille reporta donc son attention sur le marché, aucun des commerçants ne lui avaient appris quoi que ce soit d’intéressant jusqu’à maintenant. Ils vivaient tous à Aildor depuis longtemps, toute leur vie pour la plupart et personnes n’avaient de réelles informations qui auraient captées l’attention de la Kashan. Alors debout dans l’allée elle levait les yeux, cherchant quelconque inspiration, peut-être des soldats en vacance ? ou des marins qui feraient escale dans les ports de Zagash ? Ou alors elle pourrait utiliser ses informateurs moins conventionnel, tel que les prostituées avec qui, elle entretient des relations amicales.

Prise dans ses réflexions, Isy ne vit pas la fillette d’une dizaine d’année qui fonçait en courant, jetant derrière elle des regards inquiet dans sa course. La petite portait dans les bras une corbeille de pain et la tenait fermement pour éviter à son contenu de s’échapper. Alors l’inévitable se produisit et la gamine cogna violemment la Kashan, toutes deux furent repoussées au sol sur les fesses, et le pain vola dans les airs puis dans la poussière. La fillette resta confuse pendant que son poursuivant l’attrapait par le col en vociférant des insanités.

- Voleuse ! Je vais te couper les mains moi, tu vas voir ce que tu vas prendre, des coups de bâton, voilà ce que tu mérites !!! Hurla-t-il, des gouttes de sueur perlant sur le front.

Isyel, toujours au sol, levait les yeux vers ce qui semblait être un restaurateur, un tenancier parmi d’autre. Il vociférait contre une gamine crasseuse, visiblement terrorisée par les menaces et cherchant à se défaire de l’emprise de son agresseur. La Kashan ne se rendit même pas compte de ses gestes. Elle se releva d’un bon pour asséner un uppercut magistral au bonhomme, qui de stupéfaction lâcha sa prise, en titubant de trois pas en arrière sans pour autant tomber. La petite s’échappa rapidement, sous les yeux médusés de la foule. Isy  l’observa avant de partir à sa poursuite en criant.

- Hé gamine ! Arrêtes toi !

Après dix minutes à tourner en rond dans des ruelles, la fillette fatiguait s’arrêta. Vêtue d’une robe en haillon, ses cheveux gras et poisseux tombaient sur un visage émacié par la faim, mais son regard. Le regard pénétrant de ceux qui n’ont rien, rien à perdre, rien à gagner. Une fois à sa hauteur la Khashan leva les mains en signe de transparence sur ses intentions, la petite avait l’air à la fois méfiante et curieuse, inclinant la tête de côté comme pour mieux juger du danger potentiel. Doucement, sans geste brusque, Isy sortit une pomme de sous sa veste et la lança gentiment à la gamine qui l’attrapa adroitement.

- Salut, moi c’est Isyel. Ta pas l’air en forme, tu veux un coup d’main ?, pas de réponse mais elle grignotait la pomme.
- Mon père m’a appris à aider les enfants, c’est pour ça que je t’ai suivie.
- Moi j’ai pas de père. Répondit elle d’une petite voix.
- Une mère, un frère, une tante ou t’es toute seule ? Demanda-t-elle en se grattant la tête.
- Heu … toute seule, oui.
- Ok, tu veux venir avec moi ? prendre un bain, changer de vêtement et manger un vrai repas ?
- Non. Dit-elle sèchement avec un mouvement de recule.

La gamine avait repris son souffle et sans attendre, se retourna rapidement en s’enfuyant encore. Pas par les ruelles cette fois, mais en grimpant comme un petit singe de balcon en balcon pour atteindre les toits et elle disparut, laissant Isy toute penaude en contrebas. Celle-ci les yeux en l’air remarqua alors un adolescent qui avait observé la scène, elle lui fit un petit geste de la main et demanda d’une voix forte.

- Tu la connais ?

Pourquoi courir après une fillette dans la rue, drôle d’activité. Question d’éducation surement, les parents de la Kashan étaient des gens simple et bienveillant, qui avaient transmis à leur fille des valeurs de partage et d’entraide. Une générosité exacerbée quand il s’agissait d’enfant, son père notamment donnait, il y a encore quelques années des cours gratuitement ; Alors Isy se devait, même inconsciemment, d’imiter l’exemple de ceux-ci en proposant aux plus nécessiteux  d’entre eux, ne serait-ce qu’un morceau de pain ou une pomme. N’y voyait pas là une insultante pitié mais bien un geste d’empathie désintéressé.

En ce qui concerne le gamin qui descendait la façade, avec assurance et habileté, jusqu’à retomber devant une Isyel impressionnée par l’agilité de celui-ci. Il ressemblait à tout un tas d’autre garçon et fille de cette ville, livrés à un monde trop cruel dans lequel la survie primait. Il se présenta avec un grand sourire, non sans lui adresser un petite pique taquine sur sa naïveté qui fit sourire Isyel en retour. « La Fouine » marchand d’information, il était donc un de ces guetteurs parcourant les rues, peut-être pour un gang, mais vu qu’il se présentait, plus probablement en indépendant.

- Isyel, enchantée. J’habite Aildor donc oui depuis longtemps. S’amusa-t-elle. Besoin d’infos ? Peut-être, ... oui.

La jeune fille commença à se gratter le menton tout en étudiant son interlocuteur, une petite moue dubitative se dessinant sur ses lèvres. Est-ce qu’elle aurait besoin d’être assistée ? Au vue de la perte de temps de cette matinée, surement. Mais pourrait-elle obtenir quoi que ce soit d’utile de se gamin ? Parce que se présenter comme informateur était une chose, mais en obtenir de pertinent en était une autre. Après quelque longue seconde de réflexion elle se décida à lui poser des questions sur ce qu’il savait faire et pourrait lui apprendre.

- Et toi, t’es pas un touriste ? Ta l’air dégourdit pour ton âge, alors d’accord, c’est quoi le tarif ? Je me demande comment tu vas faire, mais bon, ça c’est ton problème tu m’diras.

La Fouine observait la Kashan avec un peu trop d’insistance à son gout, elle n’avait pourtant pas de salade entre les dents et même si elle venait de courir, il faisait assez frais pour ne pas être inondée de sueur. Peut-être que c’était sa tignasse rousse qui l’intriguait ? Beaucoup de gens la mirait à cause de cette petite particularité qui n’était malgré tout, pas si rare. Il y avait chez ce garçon quelque chose de particulier, une certaine confiance en lui et en ses capacités, qui décida Isyel à lui accorder du crédit.

- Ce que j’recherche, c’est un mage de l’eau ou un voyageur qui reviendrait de Zagash, au mieux mais j’ai déjà fait un grand tour et j’ai pas trouvé. Qu’est-ce que tu pourrais m’apprendre ?