Le cheval, c'est génial ? Partie 2. [PV: Meylan]

La question qu’Oskar avait posé bah elle demandait juste un simple oui ou non, mais troubadour oblige Meylan se devait d’épaissir la sauce. C’était pas pour déplaire à Pattes-de-Velours, mais si elle pouvait éviter de lui rappeler que tout ce qu’il avait sous les yeux c’était pas vrai ça l’arrangerait. C’était pas sa faute en même temps, elle était née ici et c’était normal pour la P’tite Fée. Sauf que, pour Oskar, quand tu vois un truc… le truc est là, m’voyez ? C’était pas si facile que ça à percuter que tu vois une table, tu peux toucher la table, mais si tu t’assois dessus tu finis le cul par terre. Et ça pour tout ce qu’il y avait autour. Du coup, quand Meylan a pointé du doigt le lierre qui grimpait sur le mur, bah Oskar l’a regardé, ouais c’était beau, pis il se rappela que c’était faux et il se mit à gigoter violemment la tête en grommelant pour éviter de chopper la nausée. Autant de magie, ça l’inquiétait.

- Brr… Ouais, c’est vraiment beau P’tite Fée, mais je vais devoir m’y habituer. Buhahaha.

Autant se remettre à rire, ça ferait mieux passer la pilule. Après avoir fermé les yeux trente seconde, le voleur se sentait prêt pour remettre le couvert. Cette fois, il mit de côté que c’était que de vieilles illusions et pouvait un peu apprécier la beauté du coin. M’enfin, il avait pas la banane pour autant. Il était vraiment là cet énorme dôme en caillou ? Vu sa tronche surréaliste, sûrement que non ! Enfin si, vu qu’il y avait son ombre au sol. C’était sûr puisqu’ils passaient dedans ! Oh et puis merde, on va partir du principe que tout est vrai, pis c’est marre hein. Avec la P’tite Fée à côté il pourrait demander ce qui est vrai ou pas !

Puis au final, c’était pas un peu comme un trip en mieux ? Je veux dire, y’a des champignons qui te font voir des trucs qui existent pas, et Oskar le sait vu qu’il en a déjà pris. (Oh ça va, c’était pour essayer) Du coup, là on est dans le même délire sauf que t’as pas envie de crever trois heures après. Ça pouvait être cool en fait ! Oh et si…

- Stop ! Tout le monde s’arrête !

Quoi on s’arrête ? Qu’est-ce qu’il foutait sur un cheval Pattes de… Ah oui c’est vrai. Eh bah, sacrée réflexion le chaton ! Il en avait même oublié où il était ! Nan, franchement ça s’annonçait compliqué comme séjour. Du coup, pourquoi que ça s’arrête déjà ?

- On est arrivés ?
- Ouais je crois que c’est bon, la tête est devant la porte.
- Oh enfin… j’en pouvais plus de…

Le voleur arrêta là de tendre l’oreille pour savoir ce qui se disait devant. C’est une chose de chercher des infos, c’en est une autre d’écouter pour le plaisir. Oh il aimait faire les deux, bien sûr, mais on va éviter devant la P’tite Fée.

- Bon bah on est arrivés. Tu vas enfin pouvoir descendre de là, héhéhé.

Il se moquait gentiment, c’était un peu devenu la mascotte de la caravane, la p’tite barde, en partie parce qu’elle découvrait les joies de monter à cheval, on va pas se mentir. De son côté, Oskar avait bien aimé ces premiers jours sur le dos de Souris. Ouais c’était un mâle et on dit « une souris », mais on s’en fout ! Le voleur caressa l’encolure du canasson comme pour lui dire merci. Vingt minutes plus tard tout le monde s’était organisé avec la garde pour pouvoir rentrer. Ah, Oskar avait aucun objet volé sur lui pour une fois ! Juste de l’argent. Volé, oui. On va pas perdre les bonnes vieilles habitudes. Bordel ! Mais comment tu voles quelque chose ici en fait ? Imagine tu piques un chandelier, tu le ramènes chez toi et il est plus là ? Oh nan, quelle horreur ! Mais y’a une antenne des Danseurs ici en plus, y’en a partout. Ils font comment, les gars ? Oh, mais quelle vie…

Pour être parfaitement honnête, Meylan aurait dû se douter que rappeler à Oskar que tout ce qu’il voyait pouvait ne pas être réel n’était pas forcément l’idée du siècle. Il était étranger après tout, et même parmi les My’träns certains pouvaient être mis mal à l’aise par l’art de l’Immaculé: elle avait déjà vu des individus pourtant solides manquer de tourner de l’oeil face à une illusion un peu trop déstabilisante. Seulement voilà: elle était pour le moment un peu trop emportée par son propre enthousiasme, ce qui faisait s’envoler une bonne partie de son tact… du moins jusqu’à ce qu’elle arrache son attention des remparts et la reporte sur son compagnon de voyage. Soit c’était un effet d’optique dû à l’ombre, soit il était plus pâle que d’habitude. Oups.

« Quelque chose me dit que c’est la première visite d’Ellyn à Khurmag. »

D’un rapide mouvement de la main, elle désigna un des adolescents accompagnant le convoi, qui avait pour le moment les yeux aussi ronds que la bouche, levés vers les remparts luxuriants. Son sourire était passé de béat face à l’illusion parfaite à amusé face à la stupeur du jeune Zolien. Oh, il n’y avait aucune moquerie dans son ton ou son expression: elle voulait simplement qu’Oskar se rende compte qu’il n’était pas le seul à être dépaysée dans un décor pareil. D’accord, pour Meylan aussi ce voyage était une première… et pourtant, elle n’avait pas la même sensation de dépaysement que, par exemple, lors de sa visite à Busad. L’environnement avait beau être entièrement étranger, cette terre vibrait de la bénédiction de Khugatsaa, elle l’attirait, elle l’accueillait. C’était comme arriver dans un second chez-soi, avec l’excitation de la découverte en plus. Bon, et Oskar n’avait pas tout à fait tort sur un point: elle serait contente de ne pas passer les quelques prochaines journées en selle. Elle aimait beaucoup Alkhun, mais elle n’avait rien contre retrouver le plancher des vaches.

« Hmm, la question est: est-ce que je saurai encore me servir de mes jambes pour marcher, maintenant? »

Bien sûr que oui, mais depuis quand est-ce qu’on répondait sérieusement à une taquinerie? Ce n’était pas son genre en tout cas, et sa bonne humeur en rajoutait une couche. Evidemment, il faudrait s’armer de patience pendant les formalités administratives qui accompagnaient l’arrivée de tout convoi dans n’importe quelle ville de taille respectable, mais ce n’était qu’un inconvénient mineur. Après ça, le premier bastion khurmi sur leur trajet tendait les bras aux voyageurs!

t pas la vraiment très très longue phase de paperasse, inspection et recensement de tout ce qui bougeait dans la caravane, ou même qui bougeait pas d’ailleurs ? Bien sûr que si on va le faire. On va juste évoquer le moment où c’était au tour d’Oskar de se faire examiner de la tête au pied et où il posa la question que, je pense, plein de gars ont posés avant que ça soit son tour, mais il voulait quand même être au courant.

- Dites, pourquoi que c’est aussi long le contrôle ? Y’a quelque chose en ville ?

Ouais, ça devait définitivement être la vingtième fois qu’on lui demandait ça à ce pauvre garde, vu comment il leva les yeux au ciel et répondit avec la voix bien ailleurs de celui qui est passé en mode automate pour pas péter un boulon à devoir tout le temps faire la même chose.

- Son éminence le primo-Gharyn est de passage en ville. Et vu ce qui se passe en ce moment on préfère assurer la sécurité.

- Ah. Répondit simplement le chat de gouttière.

- Ouais. Je vous le dit à vous aussi parce que vous êtes vachement derrière, mais en rentrant pensez à aller tout de suite à droite, en longeant le mur, et de pas entrer directement en ville. C’est là que votre caravane s’installera. Compris ?

- Euh… ouais. Compris, chef.

Le gaillard eut un petit sourire avant de repartir faire la gueule et emmerder les gens plus loin. Aller ! Petite ellipse terminée ! Là on arrive directement au moment où, effectivement, Oskar passe la porte avec son canasson et, surprise, c’est pas directement la ville derrière ces énormes murs. En fait, vous avez la grosse muraille -beau bestiau ça d’ailleurs, Oskar en avait jamais vu des comme ça-  puis en face la ville avec d’autres petits murs pour laisser un espace quasi vide entre la grosse muraille et le reste de la ville. Au début, le voleur se demandait pourquoi faire un truc aussi débile, pourquoi pas prendre toute la place, mais un débardeur de la caravane, avec qui il avait commencé à sympathiser, lui raconta que c’était justement pour abriter les voyageurs, les habitants du coin, les marchands comme eux et qu’ils restent pas à l’extérieur en cas de combat. Plus ça allait, plus Oskar se disait que ce pays était vraiment bizarre, mais surtout impressionnant.

Au bout de quelques grosses heures, tout le monde était enfin installé. Ils étaient là pour quelques jours et devaient repartir le 1er avril si tout se passe bien. Au pire, les organisateurs racontaient que le retard était pas grave, ils resteraient moins longtemps dans d’autres escales puis c’est tout. Y’avait ceux pas prise de tête comme ça, genre Tarian, la chef, et puis t’en avais d’autres, des maniaques de l’organisation qui râlaient déjà à l’idée de repartir d’ici avec un jour de trop. Et dans tout ça, Oskar bah il descendait ses sacs pour installer sa petite couchette. Les marchands avaient l’habitude d’installer de grosses tentes pour ceux qui avaient pas envie de trimballer la leur à longueur d’année et tu pouvais y pioncer tranquille au milieu des autres. Bon, par contre, au revoir l’intimité, mais ça Skar s’en foutait. Sûrement qu’il dormait pas beaucoup dans le camp d’ailleurs. Qui dit ville dit bourges, et qui dit bourges dit pognon !

- Skar ! Tu seras de garde ce soir ! Balança un des « lieutenants » de Tarian dans son dos alors qu’il se faisait justement cette réflexion.

- Merde… lâcha le voleur sans pouvoir se retenir.

- Oh, mais t’en fais pas ! Vu comment tout le monde est crevé, c’est pas ce soir qu’on fera la grosse fiesta, tu rateras rien !

Il pensait pas à ça, mais effectivement c’était tout aussi important ! Bon bah s’il ratait pas la grosse fête alors… Pis comme ça il se ferait bien voir du groupe. Un investissement lucratif à long terme ! Du coup il leva le nez de ses sacs et se retourna pour répondre au jeune homme qui s’appelait Carlos de souvenir.

- Ouais, t’as raison. Comptez sur moi ! Vous pourrez dormir sur vos deux oreilles, haha ! J’suis avec qui ce soir du coup ?

- Euh… Attends que je réfléchisse. Gontran, le petit rouquin avec les gros bras, j’sais pas si tu vois. T’as aussi Mola, elle m’a sorti la même chose que toi quand je lui ai dit qu’elle était de garde héhé. Il manque qui… Ah oui, Zepher !

- J’sais pas du tout qui c’est, avoua Oskar.

- Buarf, t’apprendras à le connaître. C’est une crème ce type, mais il est très à cheval sur les horaires, sois pas en retard ! Lâcha finalement Carlos avant de commencer à partir.

- Ah c’est lui qui s’excitait tout à l’heure quand la chef parlait d’avoir peut-être du retard au départ ?

- Héhé, exactement ! Aller, à plus tard !

Bon bah il est parti, et lui allait bien se marrer ce soir avec l'autre et son balai dans... dans le nez. Et Pattes-de-Velours pouvait peut-être envisager de voir ce qu’était en train de faire Meylan à côté de lui. A la base il était là en tant que son garde du corps personnel, fallait pas l’oublier !

- Ça va, P’tite Fée ? Besoin d’aide pour quelque chose ?

Dit-il en galérant comme un cul-de-jatte à démêler les nœuds de la corde entourant sa couverture. M’enfin, à défaut d’être dégourdi, il était galant, c’est déjà ça !

Une chance que Meylan soit patiente, parce que les contrôles à l’entrée prenaient du temps. Beaucoup de temps. Enfin, ils avaient fini leur étape pour le moment, ils n’étaient pas pressés: leur prochain délai était plusieurs jours plus tard, quand ils devaient reprendre la route. Et encore, même ce délai état un peu flexible. Au grand dam de Zepher, d’ailleurs, qui avait été plus que clair sur son opinion à propos des horaires et qui en ce moment avait l’air rendu petit à petit chèvre par l’attente que les gardes de la ville leur infligeaient.

« Non mais je veux bien que le primo-gharyn se déplace, mais ils exagèrent, là. Ca fait cinq ans qu’on vient ici à cette période, ils devraient savoir qu’on ne va pas aller accepter des cinglés d’outre-mer ou que sais-je. »

La ménestrelle ne lui fit pas remarquer que, techniquement, Oskar venait d’outre-mer. Attirer l’attention sur ce point alors que son compatriote fulminait déjà lui paraissait tout sauf judicieux.

« Ils préfèrent sans doute ne prendre aucun risque. »

Le nomade répondit par un rire qui n’avait absolument rien d’amusé.

« ’Aucun risque’? C’est d’un primo-gharyn qu’on parle, il a surement une garde personnelle entrainée mieux que n’importe lequel de ces gardes de porte. Qu’est-ce que tu veux qu’il lui arrive? »

Elle ne répondit pas, jugeant que rentrer dans un débat avec lui alors qu’il était d’une humeur de dogue ne servait à rien. L’attente lui tapait sur les nerfs, ça irait mieux une fois qu’ils pourraient installer le camp.


Elle avait mis un certain temps à s’occuper de son cheval, parce que Reya lui avait montré comment vérifier l’état de son harnachement et l’entretenir pour éviter que le cuir s’use trop vite. Des conseils utiles, puisqu’elle n’avait aucune envie que sa selle et sa bride la lâchent de sitôt, mais comme tout travail bien fait, ça prenait du temps. Heureusement, la graisse pour cuir que la marchande lui avait prêtée sentait bon, c’était déjà ça.

Elle quitta la « sellerie » du campement avec les mains encore poisseuses et parfumées à la lavande et passa se les laver avant d’entrer sous la tente qui servait de dortoir commun à ceux qui n’avaient pas la leur. Le manque d’intimité ne la gênait pas plus que ça: après tout, pendant toute son enfance elle avait dormi dans une seule pièce avec les autres résidents de l’orphelinat et pendant son séjour dans la troupe d’artistes qui l’avait formée aussi elle avait souvent partagé un toit avec plusieurs personnes.

Elle s’approcha d’Oskar juste à temps pour entendre la fin de sa discussion avec Carlos. Elle n’avait pas tout entendu, mais assez pour déduire que son garde du corps était de garde tout court ce soir. Bon, à son humble avis, c’était probablement un poste plus utile, parce qu’elle voyait mal qui pourrait lui vouloir du tort à elle, a fortiori maintenant qu’ils avaient laissé derrière eux la bande qu’ils s’étaient mise à dos. Après, la situation actuelle lui plaisait assez, donc elle n’allait pas commencer à chipoter sur ce point.

« Je pense être capable de dérouler une couverture, mais merci. »

Après avoir été celle qui galérait le plus ces derniers temps (monter à cheval, même un gentil cheval, n’était pas de tout repos), voir que c’était lui qui avait quelques difficultés changeait un peu. Bon, des difficultés minimes et elle devait vraiment être fatiguée si un détail pareil l’amusait.

« Donc Carlos t’a désigné volontaire pour la garde cette nuit? Je confirme que Zepher est sympa, mais il n’a aucune patience. Tu l’aurais vu faire les cent pas avant qu’on nous laisse entrer dans la ville. »

D’accord, il y avait sans doute aussi l’envie de se poser après une semaine de route. Personne parmi eux n’avait vraiment eu envie de faire le pied de grue pendant deux heures supplémentaires: aussi bien les voyageurs que leurs bêtes sentaient trop l’écurie pour ça.

Skar passa bien plusieurs minutes à défaire les nœuds qu’il avait lui-même fait en secouant sa couverture dans tous les sens. A la fin, il arriva quand même à un résultat correct, mais on peut dire qu’il faisait une sacrée grimace, le bougre. La P’tite Fée avait l’air un brin plus habituée que lui, alors qu’elle avait raconté qu’elle et les voyages c’était une histoire toute jeune ! Ah ça, il pouvait avoir honte, le voleur. Buarf, il oublierait ça dans le trou à boire le plus proche et… Oh merde ! Il avait encore oublié qu’il était de garde ce soir… Il ferait sûrement la même tronche que Mola cette nuit. M’enfin, là il était plutôt en train de ricaner quand Meylan lui demanda s’il avait été « désigné volontaire ». Alors, il sortait pas d’une grande école ou quoi Pattes-de-Velours, mais il avait quand même pigé que volontaire ça voulait dire volontaire, et désigné ça voulait dire pas volontaire.

- Désigné volontaire, ouais, ça me semble être parfaitement clair c’que tu m’dis là, P’tite Fée. Muhahahaha.

Bon, d’accord, c’était peut-être pas très malin de se moquer maintenant alors qu’il venait de montrer à tout le monde son talent merveilleux pour le déballage de couvertures. M’enfin, il était habitué à se prendre un retour de bâton illico presto après ses boutades, t’façon. Mais un jour il arrivera à complètement lui clouer le bec, à la troubadour ! Dans tous les cas, c’était la première fois que ces deux-là arrivaient dans une ville avec la caravane de Tarian. Du coup fallait qu’ils apprennent les rituels du coin, notamment qu’une fois bien installés, bien fatigués, les tentes montées, les feux allumés… Fallait faire à manger. Les provisions étaient calculées pour avoir pas ou peu de restes une fois arrivé à la prochaine étape donc bah…

- Aller tout le monde ! J’ai déjà désigné ceux qui devaient rester le temps qu’on aille acheter à manger, le reste vous venez près des foyers on va vous dire ce que vous devez aller chercher !

L’après-midi commençait vraiment à avancer donc fallait faire vite, effectivement. Mais sérieusement, c’était les contrôles ça encore ! Ils ont trainé pendant trois heures et on devait se magner pour trouver de quoi manger après.

- Eh bah, quand faut y aller, faut y aller, P’tite Fée.

Il était pas bien motivé l’Oskar. C’était pas une armoire à glace, hein ! De ce qu’il avait compris le délire c’était de prendre une petite charrette à bras et d’aller dans le centre-ville dans différents petits commerces qui avaient reçu la commande quelques heures avant, déjà. Y’avait plus qu’à y aller et à récupérer le tout. M’enfin, plus facile à dire qu’à faire. Au bas mot la caravane comportait trois-cent… quatre-cent personnes. C’était beaucoup de bouffe tout ça. Après, y’en avait qui préféraient aller grailler en ville sur leurs deniers et avoir de la meilleure qualité, mais ils avaient quand même une part de bouffe prévue pour eux, quoi, au cas où. En sortant de la tente, les deux compères eurent la surprise de voir débarquer un type avec un tabouret en bois dans une main et une épée dans l’autre.

- Oulah ! Qu’est-ce que tu fais avec ça ? Demanda le voleur.

- Je vais garder la tente, manquerait plus qu’on vous chourave vos affaires pendant que vous allez nous récupérer les provisions. Soyez sans craintes, y’a rien qui entre ou qui sort quand je suis dans les parages !

- Ouais, j’veux… bien le croire. Répondit-il, un poil méfiant.

Et ils abandonnèrent ce valeureux sire à sa tâche pour se rendre dans le petit coin de réunion aménagé pendant l’installation des tentes. Pour loger autant de personnes, fallait de la place, du coup la troupe formait un espèce de banc d’anchois tout frétillants devant une caisse en bois sur laquelle était perchée la bonne chef Tarian. Tout le monde ici avait l’habitude et elle rangea tout le monde dans des groupes de trois à quatre charrettes à bras avec, pour mission, d’aller à l’endroit indiqué sur un petit papier, avec quelques renseignements pour le trouver quand même au cas où, et de récupérer ce qui était marqué sur le papier. Le tout était accompagné d’une poignée de reçus fais avec les artisans désignés et il suffisait juste de leur montrer pour avoir la bouffe. C’était simple, ça demandait une logistique monstrueuse, mais tout ce que Meylan et Skar avaient à faire c’était de tout ramener sur place. Les deux compères étaient dans le même groupe, donc, et avaient pour mission de ramener du pain, tout simplement. Ils étaient avec deux autres gugusses qui leur parlaient pas, et Oskar s’en fichait un peu de toute manière.

- Alors, P’tite Fée, tu te sens d’attaque j’espère ! Ça va nous faire les bras tout ça !

La vérité c’était qu’il essayait plus de se convaincre lui-même qu’autre chose, on va pas se mentir. C’était le dernier qui aimait travailler comme ça au monde, vraiment. Après, il faisait quand même bonne figure, essayant de discuter avec les deux autres de leur groupe, mais ça marchait pas super bien. Pas grave, le fourneau où ils devaient aller semblait pas bien compliqué à trouver, car sur l’une des grosses avenues de Variel. Une fois les deux mains bien calées sur les poignées de la charrette, déjà un peu lourde alors qu’elle était vide, il essaya une nouvelle fois de motiver les troupes.

- Et c’est parti, les enfants !

« La liberté artistique fait passer la clarté au second plan, messire. »

Chapeau en main, elle le salua comme elle aurait salué son public en fin de représentation. Un petit manège auquel les autres voyageurs avaient commencé à s’habituer, si bien qu’aucun des autres présents dans la tente ne sembla s’étonner. Pourquoi persistait-elle à répliquer à chacune de ses piques? Parce qu’il lui rendait la pareille, pardi! Les voyages, c’est bien, mais les journées peuvent être sacrément monotones si on les passait en silence.

Enfin, maintenant qu’ils étaient arrivés, ils n’auraient apparemment pas le temps de s’ennuyer avant un moment: ils étaient tous réquisitionnés pour jouer commis de livraison. Eh bien il fallait y aller alors, comme Oskar venait de le faire remarquer. Meylan n’avait rien contre une première excursion en ville, mais elle se demandait franchement à quoi elle pourrait bien servir. Si c’était de muscles qu’ils avaient besoin, sa contribution serait franchement limitée. Elle verrait bien. Pour le moment elle finit rapidement d’installer ses affaires, mais garda le sac en bandoulière qui contenait sa lyre. Ca, c’était bien l’objet dont elle ne se débarrassait jamais. Même la présence d’un garde pour veiller sur leurs possessions ne la ferait pas changer d’avis.

Apparemment, leur mission du jour était d’aller chercher le pain. Bon, d’accord. Et ils avaient chacun une charrette pour mettre le pain dedans (mais d’où est-ce que toutes ces charrettes sortaient tout d’un coup?!) Bon, d’accord. La ménestrelle gardait quelques doutes au sujet de sa valeur ajoutée dans cette mission, mais pourquoi pas. Au moins, leur parcours serait relativement plat d’après ce qu’elle avait compris. Et un premier essai lui permit de constater que tant qu’elle était vide, sa charrette n’était pas encore trop lourde pour être déplacée. Juste sacrément encombrante. Tant pis, elle ferait avec. Pas question de perdre la face.

« Ca tombe bien: monter à cheval avait justement laissé mes bras intacts, il fallait bien rectifier ça. »

Exagérait-elle? Oui. Etait-ce son métier de donner une tournure dramatique même au plus banal des événements? Oui aussi. Mais ça ne l’empêchait pas de faire sa part du travail, et elle empoigna donc à son tour les poignées de la charrette qu’on lui avait attribuée. Pour ce qui était du chemin, elle laissait un caravanier plus expérimenté ouvrir la route.

À condition de faire abstraction de la chose qui bouchait une bonne partie de sa vue, Meylan devait admettre qu’elle était ravie d’avoir un premier aperçu de l’intérieur de Variel. Certes, elle était habituée à la ville, ayant grandi à Darga, puis visité d’autres villes dans les derniers mois. Mais c’était la première ville khurmie où elle mettait les pieds. Et, conformément à la réputation de la région, les choses n’étaient pas ce qu’elles semblaient être. Oh, toutes les illusions n’étaient pas aussi impressionnantes que la végétation ornant le dome. Sur une place, des enfants couraient après un papillon bariolé sous le regard attentif d’une ancienne. Un peu plus loin, une subtile illusion dissimulait la peinture écaillée d’une porte et l’observateur attentif pourrait voir que des rideaux soi-disant tirés n’étaient qu’un tour de passe-passe dissimulant un riverain en pleine surveillance du trafic dans sa rue. Cette constatation que tout n’était que leurre avait de quoi mettre mal à l’aise n’importe quelle personne sensée, mais grisait la ménestrelle, elle-même adepte de masques en tous genres. Elle se sentait dans son élément et scrutait chaque coin et recoin à la recherche d’un trait de génie dont elle pourrait s’inspirer.

Cependant, ils n’étaient pas là pour la visite touristique (ça, ça viendrait plus tard). Malgré les brouettes qui les ralentissaient, ils ne mirent pas longtemps à arriver à leur destination. Ravie de déposer son (encore maigre) chargement pour le moment, Meylan se frotta machinalement la paume des mains, là où le frottement avait été le plus fort. Prochaine étape: le chargement des pains.