Simple couturière ou monstrueuse sorcière ?

Ruby lui indique qu'à défaut de tuer Zakhran, il serait mieux de fuir maintenant, la jeune fille n'était pas prête à tuer quelqu'un. Chafouin ne pouvait pas vraiment lui en tenir rigueur, c'est vrai qu'elle n'avait pas grand chose d'une meurtrière, cependant l'occasion, était trop belle pour la laisser passer.

-Je comprend, t'es pas une meurtrière, mais ce n'est pas mon cas.

Il dégaina son pistolet magnum, motivé à en finir avec la vie du mage alors que l'occasion se présentait, mais alors qu'il se penchait vers le contrebas, aucune trace de Zakhran. Il regarda de gauche à droite et se souvint de la manière dont l'homme avait masqué sa présence quand il avait enlevé Ruby, il sentit son sang se glacer. Le my'trän était peut être monté sur les toits, il pointa son arme de gauche à droite, aucun signe, mais il fallait rapidement déguerpir.

-On dégage, au trot !

Ils se lancèrent sur les toits de marbre de la région neigeuse, à un moment pour gagner du temps et surtout mettre de la distance entre eux et Zakhran qui les poursuivait peut être il agrippa la jeune femme et lui fit parcourir une petite traite en grappin. Quand il estima avoir mis assez de distance entre leur potentiel poursuivant, il relâcha la jeune fille et lui exprima sa crainte. Mais ce n'était sans doute rien, leur ennemi n'avait pas manifesté sa présence, ils étaient saufs, pour l'instant.

C'est alors que Ruby décida de se confier à lui. Elle lui indiqua évidemment qu'elle avait faussé son nom, il prit un air surpris mais pas trop histoire de ne pas surjouer.

-C'est plutôt une bonne idée pour quelqu'un dans ta situation. Et je peux savoir lequel c'est ?

C'était la bonne stratégie, quelqu'un qui découvrait qu'on lui avait caché un nom voudrait sans aucun doute voir ses interrogations dissipées. Elle lui parla aussi de ses craintes de blesser ou de faire de mal à autrui indirectement en continuant de suivre Chafouin. Il était aussi amusé, oui dans un sens Ruby attirait les problèmes, mais jusqu'à maintenant, elle avait réussi à s'en sortir. Il s’arrêta devant elle et s'accroupit à son niveau.

-Hey Samira, ou quoi que soit ton nom petite faussaire, je comprends ta peur, tu es poursuivi par un vrai salopard, mais jusqu’à présent, t'as réussi à t'en sortir non ? T'as réussi à battre un tueur bien plus expérimenté que toi, ça prouve bien que même si tu te mets dans des situations dangereuses, tu peux t'en sortir sans aide. T’inquiète pas pour mes amis, ils savent ce qu'ils font. Il se releva et tourna la tête en prenant une mine sombre en réalisant le mensonge qu'il racontait. Viens suis moi, on va descendre des toits.

Il avait déjà menti, mais jamais en regardant autant une personne dans les yeux en s'assurant de son mensonge. En vérité, il ne mentait peux être qu'à moitié, il pensait vraiment que Ruby avait ce qu'il fallait pour se sortir de la merde toute seule, elle l'avait bien prouvé dans cet entrepôt. Mais pourquoi il ne faisait pas comme ce qu'elle lui proposait ? Fuir de la ville était bien plus sûre pour la jeune fille, mais lui-même n'y trouverais pas son compte. Enfin, son esprit serai peut être apaisé de savoir qu'il s'était retenu d'agir une fois de plus comme le dernier des salopards. Cette fichue conscience était bien plus tambourinantes aux portes de son esprit ces derniers temps et il avait de plus en plus de mal à la faire taire.

Ne trouvant pas d'échelle par où descendre, il décida de les faire descendre tous les deux en rappel. Ils atterrirent tout près d'une femme qui s'écarta pour ne pas se faire bousculer, les invectivant de faire plus attention, Chafouin lui rendit un regard noir en retour.

-Brigade d'inspection de la toiture gouvernementale, si vous voulez pas qu'un jour ces tuiles se décrochent et vous tombent sur la gueule vous feriez mieux de me parler avec un peu plus de respect ma petite dame.

La femme ronchonna et se confondit en excuse avant de passer son chemin, Chafouin lança un sourire à Ruby et lui dit d'un air amusé.

-Tu vois, l'une des règles d'or quand tu te retrouves coincé dans ce genre de merde, ai toujours l'air de croire en ce que tu dis et surtout prend une grosse voix. Les personnes dans son genre s'écrasent toujours devant ceux qui prétendent détenir l'autorité, et plus c'est gros, plus ça passe.

Il reprit sa route en se disant tout de même qu'il devait arrêter de passer pour le brave petit anarchiste souhaitant apprendre les ficelles du métier à sa pupille, dans quelques minutes il allait se débarrasser d'elle de toute manière. Il ne put laisser échapper un soupir et quand elle lui demanda ce qui n'allait pas, il se contenta de lui dire qu'il valait mieux se dépêcher, les rues n'étaient pas sûres. Il arriva finalement devant l'endroit où les types à qui Ruby avait causé du tort se terraient. Une animalerie, une putain d'animalerie, ces gars étaient motivés mais ils leurs manquaient sans doute une case. Un air de déjà-vu passa sur le visage de Ruby, nul doute que ce genre d'endroit ne devait pas lui rappeler de bons souvenirs. Et il valait mieux agir avant qu'elle ne se doute de quelque chose. Mais alors qu'elle tournait un regard interrogateur vers Chafouin, une sorte de déclic se passa dans son esprit, c'est comme s'il comprit que rien ne l’obligeait à faire ça au final. Il ouvrit une bouche qui resta muette quelques instants avant de déclarer :

-À bien y réfléchir ton idée de partir n'est peux être pas si mauvaise, je pense qu'on va faire ça au final. Tant pis pour mes amis.

Il éprouvait du soulagement, mais ce soulagement disparut, quand il entendit la porte de l'animalerie s'ouvrir, un type en sortit en tenant une clope au bac, alors qu'il croisa le regard de Chafouin, il se stoppa, puis ses yeux se posèrent tour à tour sur lui et Ruby. Pas de doute, ils venaient clairement de se reconnaître mutuellement.

-Et merde... Grogna Chafouin.

**

Zakhran observa de son coin de ruelle ce cendré et cette petite connasse s’arrêter devant cette animalerie. Sa tête lui faisait encore mal, sa psychose ne s'était calmé que depuis quelques minutes mais les souvenirs étaient encore un peu fugace dans son esprit. Il regarda la jeune fille. Il n’éprouvait plus de l'amusement, seulement l'envie irrépressible de l'étriper pour ce qu'elle venait de lui faire. Plonger les gens dans leur enfer personnel, c'était son expertise d'habitude et cette gamine venait de lui montrer qu'il n'était plus tout seul sur le marché. Il se tourna vers les quatre hommes qu'il avait récupéré sur le chemin, cette bande de la montagne noire tirait au flan sur la chaussée, il allait leur trouver une utilité.

-Vous là, vous vous occupez de suriner le vieux, mais vous me laissez la gamine, je m'occupe de cette pétasse personnellement.

Il toucha la pointe de son couteau, en temps que my'trän vivant à Deänastre depuis son enfance, il avait toujours eu du mal à faire son trou et il devait quotidiennement refréner ses pouvoirs s'il ne voulait pas attirer l'attention sur lui. Mais cette fois, il comptait bien faire subir ce que Samira lui avait fait subir avant de l'égorger personnellement.

Les aveux de la jeune fille semblèrent étonner son interlocuteur mais il ne s’en offusqua pas non plus. Au contraire, il trouvait que la fausse brune avait bien agit. Ruby sentit ses épaules se relâcher à mesure des paroles réconfortantes de son partenaire de fuite. C’était vrai, en un sens, la mage se fourrait dans des embrouilles systématiquement mais elle parvenait toujours à s’en sortir. Enfin en tout cas jusqu’à maintenant. Que ce soit contre des brigands de bas étages, des braconniers fous à lier, une ville pourrie jusqu’à la moelle sous le joug d’un gang ou un mage psychopathe… Personne encore n’avait eut la tête bien vissée de la gamine des rues. Pourtant malgré les mots assurés de Chafouin il semblait en prise avec un dilemme. Doutait-il de leur réussite ?

« Tu as raison, c’est vrai que je me débrouille pas si mal pour une gamine. » Elle esquissa un sourire, tentant de redonner de aplomb au cendré. « C’est Ruby mon prénom. »

Ils se remirent en route, n’ayant pas vraiment le temps de bavasser. Après tout ce cinglé de Zakhran devait  mettre les bouchées doubles pour tenter de les rattraper. C’est donc sans plus parler que Chafouin attrapa Ruby pour les faire descendre en rappel. Cette fois-ci la jeune fille ne hurla pas comme une démente. C’était même assez génial comme manière de se mouvoir. Comme si l’homme pouvait compenser ainsi l’absence d’ailes pour s’envoler et atterrir à sa guise… Cela dit Ruby aurait surement des vertiges si elle portait elle-même ce gant technologique. Fichue réaction allergique.

En atterrissant ils faillirent bousculer une dame qui n’attendit pas son reste pour s’en offusquer vivement mais Chafouin avait une aisance impressionnante pour le mensonge, ce qui fit rouler des yeux la jeune fille et glousser d’amusement lorsqu’il se justifia auprès d’elle.

« Je vois ça effectivement. » Elle se figea et tendit un doigt impérieux devant le cendré pour rajouter d’un ton autoritaire :  « Mais ne l’utilises pas sur moi, d’accord ? »

A vrai dire c’était déjà ce qu’il faisait mais la jeune fille l’ignorait et quand bien même le promettrait-il, elle n’était pas en mesure de déceler un mensonge de la vérité dans l’attitude de Chafouin. Elle lui faisait bien trop confiance pour douter de sa parole. Pourtant, elle détectait bien quelque chose chez lui, quelque chose qu’elle n’arrivait pas à déterminer. Il avait la mine sombre, tourmentée comme quelques minutes auparavant.

« Tout vas bien ? » S’enquit-elle.

Mais il éluda la question pour les inviter à se presser davantage. Ruby gonfla des joues, mécontente de cette réponse évasive mais pourtant justifiée et le talonna à nouveau. Elle ne pouvait s’empêcher de jeter des regards autour d’elle alors qu’ils arrivaient bientôt à destination. Et quelle destination : Une animalerie. Voilà où Chafouin s’arrêta. Ruby se figea sur place, ses yeux s’arrondissant en même temps que son corps entier effectua un mouvement de recul par réflexe.

Elle tourna le visage vers Chafouin, des questions se bousculant subitement dans sa tête. Tout d’abord, pourquoi ses amis si efficaces seraient des employés d’un petit commerce comme celui-ci ? Cela n’avait aucun sens face à des fous sanguinaires. Ensuite, n’était-ce pas juste l’endroit où il avait voulut la guider dès l’instant où il l’avait vue ? Et si c’était le cas cela impliquait qu’il s’était royalement moqué d’elle, qu’il savait qui elle était avant même qu’elle le lui avoue et que ce n’était pas juste de « simples » amis d’une animalerie lambda mais « eux » c’est autres dingues qui lui couraient après.

Ruby resta interdite, le regard appuyé soutenant celui du cendré, espérant qu’il formulerait une réponse à sa question muette. Une réponse qui ne ferait pas de lui un énième monstre sur sa route. La bouche entre-ouverte, il resta silencieux, comme s’il s’était rendu compte qu’un choix s’offrait à lui et que de sa décision découlerait des conséquences.

« À bien y réfléchir ton idée de partir n'est peux être pas si mauvaise, je pense qu'on va faire ça au final. Tant pis pour mes amis. » Déclara-t-il finalement.

Ruby, face à lui, serra les poings, fronçant doucement ses sourcils. Elle se mortifia d’avoir été si naïve, comme toujours. Etre gentille, voilà tout son problème. Elle faisait confiance trop vite et trop profondément. La rouquine se prenait en plein cœur le sentiment aigre provoqué par une trahison qui était aussi claire que de l’eau de roche. Et pourquoi ? Parce que l’employé qui venait de sortir de la bâtisse était bien l’un de ceux d’Unëllia. Et le juron de Chafouin ne fit que renforcer la douloureuse vérité.

« Non... »

Souffla-t-elle, plaquant sa main droite sur son cœur. Avec désespoir, elle vit l’homme rouvrir la porte à la volée pour avertir ses partenaires que Chafouin avait rapporté la « petite merdeuse ». Pour autant, celui-ci ne fit que rendre un regard désolé à la jeune fille. Il ne la saisit pas de force pour lui faire franchir les derniers pas vers ses employeurs. Mais c’était un peu tard pour faire machine arrière, non ? Ruby n’avait pas le choix, il fallait qu’elle s’enfuit au plus vite, quitte à en perdre haleine. Il l’avait placée dans une position bien pire car à présent elle devrait fuir un psychopathe mais aussi ces criminels.

Fléchissant les genoux, c’est avec élan qu’elle se mit à déguerpir telle une gazelle. Elle ne fit pourtant que quelques enjambées avant de se stopper. Comme elle le craignait le danger était à présent partout. Derrière elle mais aussi, là, pile en face d’elle. La silhouette longiligne et immense qui venait de sortir de l’ombre lui barrait la route. Zakhran. Evidemment. Si elle voulait avoir ne serait-ce qu’une chance de s’en sortir elle devait se battre. Serrant les dents, Ruby enclencha à nouveau son bâton et le tendit en avant la lame en avant.

« Parce que tu crois que tu m’impressionnes petit chaton ? » Se moqua le mage en s’avançant de sa démarche intimidante.  « J’en ai pas fini avec toi… Et tu vas payer très cher ce que tu m’as fais. »

Glissant le doigt sur la lame de son couteau, il réchauffa le métal de son feu puis il disparu aux yeux de la jeune fille. Illusion. Fermant les yeux, elle décida de se fier à son instinct et ses sens. Le bruit des pas le trahissait. Un. Deux. Trois. Elle inclina le bâton à temps. Les deux lames s’entrechoquèrent dans un grincement. Mais il avait l’avantage de l’illusion et il en profita pour la harceler de coups, apparaissant et disparaissant à son bon vouloir. Oh il aurait put la tuer mais il prenait bien trop de plaisir à lui taillader la peau de sa lame. La cuisse, le ventre, l’épaule. Tout ce qu’elle était incapable de protéger convenablement… Et son sourire diabolique s’élargissait à mesure qu’il entendait les gémissements de douleurs de sa victime.

Elle tenta de s’extraire de ses griffes en se dérobant à sa vue à son tour mais il savait pertinemment qu’elle ne pouvait pas fuir vers l’animalerie. Il ne lui fallut qu’un geste pour stopper net la fuite de la jeune fille. Le pommeau de son arme fit mouche, brisant l’illusion instantanément. Il ne lui resta plus qu’à saisir Ruby, sonnée. Posant ses deux paumes contre les tempes de la mage, il eut l’immense satisfaction de lui expliquer qu’à son tour il la ferait plonger dans la folie et la peur et qu’ensuite il en finirait avec elle pour de bon.

Ruby tenta de se dégager de la prise mais cela ne servait plus à rien à présent car la magie s’était déjà insinué en elle. Tombant telle une poupée de chiffon, elle s’écroula au sol lorsqu’il relâcha la pression. Au sol, se tenant la tête comme si elle pouvait briser le sort, elle essayait en vain de lutter. Non, il ne pouvait pas avoir gagné, elle ne le laisserait pas faire ! Mais son esprit état déjà corrompu. La réalité disparut à ses yeux, ne laissant place qu’à ses pires tourments. Au dessus d’elle ne se trouvait plus Zakhran mais une personne bien plus effrayante à ses yeux. Une chevelure d’un blond grisonnant attachée en chignon parfait, un visage anguleux aux traits tirés dans un voile masquant parfaitement le passage de l’âge et vêtue d’un ensemble stricte et élégant, le tout n’étant autre que Mère Magën.

« Debout, sotte ! »

Ordonna la haute instructrice en attrapant le poignet de la jeune fille avec force avant de la tirer sur ses pieds d’un geste sec. Ruby se retrouva à nouveau debout, les jambes flageolantes, le bras toujours coincé dans l’étaux ferme de cette femme pourtant squelettique. Les doigts rachitiques se resserraient pourtant de plus en plus.

« Vous me faites mal… » Gémit Ruby. « Je vous en supplie lâchez-moi… Il va revenir… »
« Tais-toi insolente ! »

Mère Magën leva la main aussitôt, provoquant une peur indiscible chez Ruby, dont les pupilles s’étaient dilatées. Le geste ne manqua pas de tomber sur sa joue offerte, laissant une vive rougeur sur la peau délicate de la jeune fille.

« Il m’en a fallut du temps pour te retrouver sale petite traîtresse. C’est comme ça que tu me remercies, en baisant les pieds de ces hérétiques ? Tu fais honte à notre Architecte, tu ne mérites pas ses faveurs ! Mais rassures-toi je vais te ramener et te remettre dans le droit chemin. J’ai été trop douce avec toi, c’était une erreur... »

Non, plus jamais ! Pas là-bas… Tout sauf là-bas ! Ruby attrapa la main qui la saisissait aussi brutalement, tentant de s’en débarrasser  mais Mère Magën saisit cette opportunité pour empoigner de sa main libre la chevelure de la sauvageonne afin de la traîner à sa suite. La rouquine, les pupilles toujours aussi dilatées, se mit à rugir, perdant totalement le contrôle. Elle planta ses ongles profondément dans la peau de son ancienne tortionnaire et se jeta à son cou pour lui mordre l’épaule, parvenant ainsi à lui faire lâcher prise. Aussitôt, elle se recula, les ongles et les lèvres teintées de rouge, prête à attaquer de nouveau.

La folie de Ruby:

Alors que je commençais à désespérer de ne jamais retrouver Ruby, je vois une créature que je connais bien, Lamya, la petite créature qui suit sa maitresse partout, arriver dans ma direction et tourner autour de moi avant de prendre une direction. Cette brave bête a dû me reconnaitre et va me conduire à sa maitresse !

Je la suis donc, courant pour ne pas la perdre et quand j’arrive sur une place où je vois Ruby, gravement blessé, qui vient de s'en prendre à Zakhran. Ce dernier saigne et semble surpris, il a également une plaie à l’épaule et à reculé de quelques mètres pour se mettre hors de portée. Ce spectacle me met littéralement en rage, et je dégaine mon arme, mettant un genou au sol afin d’améliorer ma position. Je tiens mon arme à deux mains, et tire un, deux, trois, puis sept coups de feu, le chargeur entier y passe.

Je commence par viser les hommes les plus proches de moi et deux des Montagnes Noires tombent, réduisant de moitié leur nombre. Curieusement ils ne semblent pas avoir de pistolet et sortent leurs dagues avant de ma charger. Comme à l’entrainement je sors les douilles vides du barillet avant de recharger, juste à temps pour tuer les deux agresseurs qui allaient me planter avec leur arme blanche. La menace poser par les hommes de mains de cette organisation a cessé d’exister.

Je recharge une troisième fois, mais je ne vois plus aucune cible, je ne sais pas où est passé l’homme près de l’animalerie ni la raison de sa présence. Il n’était pas habillé comme les hommes que j’ai abattus et je ne pense pas l’avoir déjà vu, c’est peut-être un badaud ou un complice de Chafouin, qui allais prendre livraison de la pauvre jeune fille.

Celle-ci est d’ailleurs toujours debout, mais Zakhran est toujours là, quelque part, attendant sans doute que je m’avance pour m’attaquer dans le dos, comme le lâche qu’il est. Mais je ne vais pas lui faire ce plaisir. Je décide donc d’employé les grands moyens, et je dégaine une grenade que je lance à une dizaine de mètre de Ruby, évitant ainsi qu’elle soit prise dans le souffle de l’explosion, il faut dire que c’est un explosif spécial, sur mesure (moins puissantes que les modèles standards, pour juste étourdir des ennemis qui serait dans une pièce par exemple. Le temps entre l'enlèvement de la goupille et l'explosion est de seulement trois secondes, pour prendre les cibles par surprise).

L’explosion est donc maitrisée sur un périmètre bien restreint, mais je pense que c’est suffisant pour dégager la zone et je constate que Ruby c'est écroulé. Je fonce donc pour la récupéré, elle se débat mollement, mais elle semble sonnée par le bruit et j’arrive ainsi à la prendre dans mes bras sans trop de mal. Je cours à nouveau prenant une direction complètement aléatoire, lançant par sécurité une nouvelle grenade derrière moi, car même si j’ignore où est le My’trans, sa magie ne lui sera d’aucune utilité contre des explosifs.

Me voilà donc courant, bousculant les passants sur mon passage, n’ayant qu’une seule idée en tête, m’éloigner le plus possible de cet endroit et mettre enfin mon précieux paquets en sécurité.

Cette sensation désagréable... Il avait l'impression d'être de nouveau ce petit gosse qui se faisait choper en train de faire une connerie, le regard qui lui lançait Ruby alors qu'elle comprenait enfin l'étendue de l'immense fumisterie dans laquelle l'avait mené Chafouin. L'homme cendré avait presque envie de lui lancer une phrase triste du style : « Quoi, on ne t'a jamais dit de ne jamais suivre les vieux types bizarres ? » à la place, il s'écarta de la porte en lançant un regard désolé à la jeune fille. Les types de l'animalerie s'agitaient pour sortir, prêts à choper la jeune fille qui leur avait causé tant de soucis. Chafouin observait ceci d'un air absent, comme ci plus rien de ceci ne le concernait. Il regardait Ruby fuir dans la rue, il ne comptait absolument pas la poursuivre, malgré que l'un des hommes lui intimait de les aider. Il avait rempli sa part du contrat, le reste ne le concernait plus.

-Cours vite, ne regarde pas derrière toi. Fit-il aussi, comme un dernier conseil.

Mais ses yeux s'écarquillèrent alors qu'une imposante silhouette barrait la route à Ruby. Putain, il était pourtant sûr d'avoir réussi à semé Zakhran, comment cet enfoiré avait réussi à les rattraper ? Mais sans creuser plus la question il dégaina son arme, il pouvait toujours aider Ruby à fuir, non en fait, il souhaitait aider la jeune fille à fuir maintenant, de sa propre volonté.

Mais certains ne l'entendaient pas de cette oreille. Un groupe de montagne noire, encore eux, vinrent l'attaquer, et dans la confusion du nouveau groupe qui déboulait avec Chafouin le corps à corps fut général. L'homme cendré se retrouva bien vite à empêcher un malfrat de lui planter une courte lame dans le bide. Chafouin grogna, mais il s'était souvent retrouvé dans ce genre de situation, si bien qu'il n'eut aucun mal à déclencher ses grappins de poignet, à cette distance, les dégâts étaient maximaux et le malfrat eut la surprise de sentir sa chair labouré avant de mourir, quelques secondes plus tard.

Mais c'est alors qu'un autre participant rejoignit la course. Le brave capitaine Solar, Chafouin aurait souhaité qu'il se perde pour de bon lui. Surtout qu'il sortit son revolver pour le pointer sur lui. Chafouin jura alors que son adversaire était encore accroché à lui de part les grappins et s'en servis comme bouclier humain, Fabius avait-il cru que le type de la montagne noire était toujours en vie ou non ? Quoi qu'il en soit Chafouin ressentit les impacts de balles qui s'écrasèrent de la chair de son bouclier improvisé. Cela suffit à détourner l'attention du reste des montagnes noires. Mais à peine quelques secondes après s'être occupé de leur cas, Fabius sortit une grenade. Chafouin écarquilla les yeux, et empoigna le corps de l'homme qui se jeta à terre aussi loin qu'il pouvait de la zone d'explosion. Il était malade ce type, il voulait tous les tuer avec une grenade en pleine rue ? Quand l'explosion retentit, il eut un grabuge infernal. Mais le souffle ne fut pas assez important pour l'atteindre lui. Chafouin décida que s'en était assez, si Fabius souhaitait transformer l'endroit en zone de guerre il allait l’arrêter. Il poussa son bouclier de côté pour mettre le soldat en joue, mais celui-ci se barrait déjà avec Ruby sur le dos et une autre grenade dégoupillé à la main.

-Bordel de merde ! Hurla Chafouin et se cachant de nouveau derrière sa couverture.

Il serra les dents en priant tous les dieux qui pouvaient exister en ressentit un fort impact ainsi qu'un souffle qui lui coupa la respiration. Mais quand cela fut passé. Il ne ressentait pas de douleur vive ou d'absence de douleur justement, juste une petite brulure. Se relevant, il put se rendre compte que le cadavre de la montagne noire était maintenant lacéré à de nombreux endroits. Tout autour de lui un chaos indescriptible s'était produit, les corps des malfrats étaient couverts d'impact avec le shrapnel. Il y avait aussi des corps des gars de l'animalerie. L'un d'entre eux était toujours en vie et tachait d'aider l'un de ses collègues à ne pas se vider de son sang. Lui-même était en état de choc, ils n'avaient clairement pas mené large contre les montagnes noires et l'arrivée du soldat l'avait convaincu qu'ils s'étaient fourrés dans quelque chose qui les dépassaient. Tant pis pour eux, Chafouin s'éloigna du carnage en poursuivant Fabius.

Le capitaine comptait lui échapper, mais sa course était bien trop erratique pour être efficace. De plus Chafouin possédait deux outils bien pratiques pour la poursuite. Avec ses grappins il diminua rapidement la distance, jusqu'à arriver à porter de tir de revolver, il pouvait toucher Fabius, mais le risque qu'une balle heurte aussi Ruby était bien trop grand. Alors, il prit élan avec ses grappins et se propulsa pour heurter le dos du capitaine. Le plaquant de plein fouet au sol avec cette manœuvre. L’assommant sur le coup, Ruby et Fabius roulent alors tous les deux au sol. Chafouin a à peine le temps de se retourner pour faire face à un nouvel ennemi, Zakhran.

Le lieutenant de la montagne noire est tout aussi essoufflé que lui et il grimace, et pour cause, une tache rouge imbibe sa chemise, Fabius l'a sans doute blessé durement avec ses grenades. Mais cela ne semble pas avoir atteint sa combativité. Il tient encore son fichu poignard en scrutant les pistolets de Chafouin, c'est l'homme cendré qui attaque en premier. Mais tirant au grappin pour le surprendre, il s'attendait sans doute à voir le daënar dégainer son arme à feu. Cependant Zakhran a juste le temps de lancer son poignard pour dévier le grappin de peu. Une flamme se forme dans sa main qu'il tend vers Chafouin, mais un deuxième grappin vient perforer sa paume. Hurlant de douleur, le malfrat comprend que son adversaire compte l’immobiliser avant de lui porter le coup final. Tentant le tout pour le tout. Il se jette à terre à côté du corps du capitaine assommé. Se saisissant de son arme à feu, qu'il pointe sur Chafouin, il presse la détente une fois avant que la douleur de son abdomen et le violent mal de crâne qu'il ressent à ce moment-là ne lui force à faire lâcher l'arme technologique. Donnant un coup de poing pour éloigner le revolver tel un bout de métal chauffé à blanc, Zakhran relève la tête pour voir que Chafouin est à terre, après tout, s'il ne l'avait pas touché, il serait sans doute déjà mort à l'heure qu'il est.

La montagne noire se relève donc triomphante, s'emparant de nouveau de son couteau. Elle repère la jeune fille qui le fait courir depuis toutes ces heures. Ruby semble encore groggy, et ce n'est pas le fait de voir les deux hommes qui s'étaient montrés amicaux envers elle à terre qui risque de la remettre d’aplomb. Zakhran les ignore tous les deux pour venir plaquer Ruby contre un mur à l'aide de sa botte qu'il coince contre le cou de la jeune fille. Il la regarde un moment faisant jouer son couteau entre ses mains.

-Tu vois Samira, les gens comme nous, ne sont pas faits pour vivre dans ce genre d'endroits. Peu importe à quels point nous somment prêts à nous adapter aux daënars, ils auront toujours peur d'avoir des mages dans leurs cités. Ils font donc que nous vivions en nombre restreint, que nous n'attirions pas l'attention. Si je ne m'occupais pas de ton cas aujourd'hui, quelqu'un aurait fini par le faire. Crois moi, c'est mieux comme ça.

Il stoppe sa danse de couteau avant de le lever au-dessus de sa victime.

-Même si j'avoue que je prends toujours plaisir à faire ce genre de choses. Fini-t-il avec un sourire sadique.

Il se met alors à cracher du sang alors que deux pointes de grappins se sont fichés dans son corps, une dans son dos et une dans sa jambe. Il s'écroule alors pour de bon, gémissant faiblement alors que ses blessures non soignées continuent à cracher du sang. Ruby peut alors voir Chafouin s'avancer vers elle, une estafilade lui barre la joue, lui aussi a eu de la chance, mais il a décidé d'en jouer pour tromper la vigilance de Zakhran et de sa confiance en soi. Le my'trän avait sans doute bien trop confiance en ses capacités pour penser à rater un tir avec une arme qu'il ne maîtrise pas. Chafouin se dit qu'il avait bien fait de jouer sur ça pour tromper sa vigilance. Il se demande ce qu'il doit penser, peut-être se sent-il bête alors qu'il continue de se vider de son sang, il ne devrait pas vivre plus de quelques minutes s'il n'est pas pris en charge. Le regard de Chafouin croise celui de Ruby, ils se fixent mutuellement, l'homme cendré n'ose dire un mot, qu'est ce qu'il pourrait dire ? Un banal « je suis content que t'aille bien ? » ça sonnerait tellement faux après ce qu'il vient de se passer. Il se contentera de faire quelque chose pour laquelle il est bien plus efficace, à savoir achever Zakhran pour ne lui laisser aucune chance.

Du moins c'était sans compter le bruit des bottes qui résonnent à présent à l'autre bout de la rue. Une patrouille de la milice, il fallait s'y attendre avec un bordel pareil. Chafouin n'a pas vraiment envie de traîner dans le coin suffisamment longtemps pour que la milice retienne sa tête. Il jette un dernier regard à Ruby, la petite est suffisamment débrouillarde pour s'en sortir sans son aide, elle peut décider elle-même quoi faire de Zakhran le temps que la patrouille converge vers eux. D'ailleurs le temps qu'elle tourne le regard vers les miliciens, Chafouin a disparu de son champ de vision, la laissant toute seule avec des choix à faire, du moins pour le moment. De plus des petits glapissements se font entendre, sa petite boule de poil ne semble pas bien loin non plus.

BANG. BANG. BANG.

Le bruit résonnait dans l’air, claquant telle une mise en garde sinistre. L’esprit corrompu de la jeune fille déformait la réalité en mirage horrifiant. Si mère Magën sembla avoir disparut du champs de vision de la rouquine, choquée par la morsure et effrayée elle aussi par les coups de feux, elle finira par revenir tôt ou tard punir sévèrement la sauvage orpheline. Mais pour l’instant Ruby s’était repliée sur elle-même, accroupit dans pose apeurée. Autour d’elle la jeune fille ne voyait pas les hommes de la montagne tomber mais bien les êtres chers à ses yeux… A quelques pas venait de s’écrouler au sol, une balle fichée au milieu du front la copie parfaite de son ami Flavien. Aussi impossible que ce soit, la mage était si emprise dans l’illusion qu’elle ne percevait pas le caractère surréaliste de la chose… Tout ce qu’elle savait c’était que le cadavre d’un ami cher à ses yeux et qu’entre ses mèches brunes et ses yeux exorbités coulait du sang. Ruby se mit à hurler d’horreur et de terreur mais ce n’était pas tout…

Quelques instants plus tard un objet atterrit sur le sol avant d’exploser purement et simplement, faisant décoller la jeune fille qui atterrit lourdement quelques mètres plus loin. Sonnée, elle se raccrocha à la douleur qui se dégageait de ses membres qui avaient frotté le pavé au point de l’écorcher. La sensation ressemblait fort à une brûlure, ce qui sembla faire reprendre ses esprits à la jeune fille. Le mirage vola en éclat mais le choc émotionnel était puissant et ses yeux avaient été éblouis, tout autant que le son lui parvenait dans un vrillement sourd. Elle sentit son corps se soulever de terre mais cela n’était pas de son fait. Quelqu’un venait de l’attraper. Instinctivement, la jeune fille tenta de se débattre, plantant ses ongles à l’aveugle, secouant son corps dans le but de lui faire lâcher prise mais en vain. Ce n’est d’ailleurs pas la seconde explosion retentissant dans son dos qui pouvait l’aider à reprendre ses esprits.

Qu’importe, l’homme qui l’avait ainsi enlevée n’attentait pas à sa vie, pas pour l’instant en tout cas. Il se contentait de courir, la ballottant au passage. Petit à petit les yeux de la jeune fille parvinrent à retrouver de leur utilité et même si elle restait toujours à moitié sourde sa fougue sauvage avait reprit ses droits. C’est avec plus d’ardeur qu’elle se mit à rugir, se débattant comme une lionne.

« Lâchez-moi ! Posez-moi immédiatement ou je vous mord la carotide ! »

C’est d’ailleurs précisément ce qu’elle essayait de viser, ça et tout ce qu’elle pouvait lacérer au passage. Son séjour dans la folie avait fait ressortir toute la sauvagerie que des années d’éducation stricte et répressives n’avaient fait qu’enfouir en elle. Ce n’est pourtant pas elle qui lui fit lâcher prise mais bien l’impact brutal d’un corps entrant en collision avec eux. Ruby fut projetée pour la énième fois de la journée et roula avant de se stabiliser. Elle redressa immédiatement le buste, se retournant vers le boulet de canon qui l’avait libérée, volontairement ou non, et s’immobilisa.

« Chafouin ?! » Souffla-t-elle, choquée et surprise.

Était-il venu la récupérée pour la renvoyer aux monstres de l’animalerie ? Non, cela n’avait pas de sens, il lui avait dit de courir, elle l’avait entendu, et de toute manière après ce carnage ceux-ci n’avaient sans doute pas survécu. Mais pourquoi était-il ici alors ? Pour la sauver ? Vraiment ?… Un coup d’œil vers la silhouette couchée près d’elle lui donna une information non des moindres : Fabius était l’homme qu’elle avait commencé à écharper. Il était à présent couché, inconscient.

La jeune mage, elle n’avait plus rien de la douce marchande au sourire chaleureux. Son visage était couvert de sang de Zakhran, ses ongles étaient imprégnés d’un rouge écarlate ne lui appartement pas non plus… Mais elle était en piètre état, son corps éraflé, tailladé, brûlé par endroits, les vêtements déchirés et l’air hagard. Pourtant à nouveau l’horrible Zakhran fit irruption. Bien qu'essoufflé et blessé il garde la dent dure et ne lâchera pas l’affaire. C’est pourtant l’homme cendré qui ouvrit les hostilités, lançant son grappin en guise d’attaque surprise. La suite du combat se déroula dans une violence à laquelle Ruby ne pouvait rien y faire, assistant impuissante à la défaite du technologiste. Alors que Chafouin s’écroulait, Ruby laissa échapper un cri d’effroi.

« Non !.. Non non ! » Gémit-elle, des larmes coulant sur ses joues.

Chafouin avait trahit sa confiance mais pourtant… Pourtant il était revenu pour elle. Il avait risqué sa vie… Et ce monstre l’avait tué. Il ne restait plus qu’elle. Mais Ruby avait baissé les bras. Cette fois-ci il n’était plus question de survivre. Elle avait perdu. Telle une poupée désarticulé, elle se contenta d’un couinement étouffé lorsque son tortionnaire vint la plaquer contre un mur, appuyant de sa botte contre le cou frêle déjà abîmé par son précédent étranglement dans le hangar. Les yeux vitreux, Ruby ne daigna même pas écouter son monologue sadique…

… Qui s’acheva dans un cracha de sang soudain. Le regard assuré et mauvais se transforma en choc avant qu’il ne s’écroule à son tour, libérant la gorge de la jeune fille. Elle inspira bruyamment, récupérant l’air qui manquait à ses poumons. Au dessus d’elle se dessina alors le visage familier de l’homme cendré qu’elle se contenta de fixer sans un mot. Pourtant elle ne pouvait détâcher de son esprit la balafre qui parcourait sa joue et alors qu’elle tendait la main en ce sens, ils furent tout deux divertis par la milice.

Non loin se fit également entendre les couinements plaintifs de sa petite Lamya. A peine eut-elle détourné l’attention que Chafouin avait disparut. Usant de ses dernières forces, la jeune fille se rua vers la petite boule de poils et l’attrapa dans une étreinte bien trop courte. Elle laissa sa protéger grimper sur ses épaules et toisa Zakhran, une lueur de haine pure fichée dans ses prunelles. Avant que la garde n’arrive, elle attrapa le poignard de ce salaud et le planta avec rage dans la poitrine encore sautillante du malfrat avant de s’enfuir à toutes jambes.

L’adrénaline pure suffit à la pousser en avant, la faisant courir comme jamais encore elle ne l’avait fait auparavant, l’empêchant de craquer, chose qui n’arriva qu’une fois loin des forces de l’ordre, de ce chaos et qu’elle ne soit en sécurité, si tant est que cet endroit soit possible. Quoi qu’il en soit, Ruby fini par se stabiliser dans une ruelle, s’appuyant lourdement contre un mur pour ne pas s’écrouler, ses jambes tremblant tout autant que le reste de son enveloppe charnelle. Elle sentait son cœur battre à tout rompre et chaque parcelles de sa peau la tiraillait comme si elle était à vif. Mais ce n’était pas le pire.

« Je l’ai… Je l’ai... »

Balbutia-t-elle, hagard, observa la paume qui avait ôté la vie à ce monstre. Mais elle ne parvenait pas à le voir ainsi. Ne l’était-elle pas elle aussi, maintenant ? Une meurtrière ? Un monstre ?… Elle avait tant de sang imprégnée sur sa peau, à même sa bouche, ses doigts… Et si Zakhran avait raison en fin de compte ? Chafouin avait sans doute eu raison de la livrer aux daënars, elle qui était non seulement une mage, leur ennemie, mais en plus une sauvage, incapable de gérer sa violence… Il l’avait fuie bien plus que les autorités et il avait raison. De toute façon Ruby n’attirait que la mort et le chaos autour d’elle.

« Partout… Y en a partout… Tout ce sang.. Partout... »

Levant ses mains tremblantes, Ruby se mit à frotter contre son visage, essuyant frénétiquement le sang, et très vite ses doigts se mirent à passer sur l’ensemble de ses membres apparents couvert de la substance rouge qui avait envahit sa peau pâle, frottant, griffant, frottant à nouveau avec une frénésie qu’elle était incapable de refréner. A ses pieds, Lamya s’était mise à couiner, inquiète de la voir aussi perturbée mais c’était peine perdue.

Alors que Chafouin observait de loin la jeune fille se réfugier dans un coin tranquille pour panser ses plaies, il éprouvait un léger soupçon de remord. Il était responsable à combien de pourcentage dans la merde dans laquelle on l’avait fourré ? Fabius n’aurait sans doute aucun problème à être récupérée par la milice, ils concluraient sans doute rapidement que c’était lui qui avait réglé le compte de Zakhran. Mais s’il parlait… Non, Chafouin ne le voyait pas se comporter en tel enfoiré pour balancer Ruby, même s’il risquait de s’attirer les foudres du reste de la montagne noire. Lui, il était tiré d’affaire pour l’instant, contrairement à la jeune my’trän. Elle, elle risquait bien plus gros si on la chopait maintenant. Et la voilà qui se recroquevillait ? Mais qu’est-ce qu’elle était en train de faire au juste ? Son espèce de singe-chat lui couinait dessus sans que ça n’ait l’air d’avoir un quelconque effet. Chafouin secoua la tête et décida d’agir. Il descendit en rappel et s’arrêta devant Ruby qui ne le remarqua même pas et lui saisit le bras avant qu’elle ne s’inflige une blessure de plus.

-Bordel, si j’avais réagi comme ça dès le premier homme que j’ai tué je serais enterré dans une fosse à merde depuis longtemps.

Il la détailla, couverte de sang, encore sous le choc, mais au moins elle digérait ses paroles qui commençaient à faire leurs chemins dans son crâne. C’était déjà un début. Mais d’après son expérience, ce genre de personne ne survivait pas la première nuit si on ne les prenait pas en main. C’est d’ailleurs exactement ce qu’il comptait faire. Mais pour ça, il lui fallait une garantie qu’elle ne lui file pas entre les doigts au premier coup de vent, il repéra sa bourse à sa ceinture et s’en saisit sans lui demander son approbation.  Il la leva bien haut pour qu’elle ne puisse pas la récupérer.

-Tu vois ça ? C’est ta vie, là je la tiens entre mes mains comme une prostitué tient les bourses de ses clients. Je peux m’en débarrasser comme j’en ai envie, alors je te conseille de me suivre sans faire d’histoire si tu veux être sûre d’être encore vivante ce soir. Première chose que tu vas faire c’est te débarrasser de ce sang dégueulasse et d’enlever ces vêtements puants.

Il ouvrit son manteau et sortit plusieurs bandages, sur une partie d’entre eux. Il y versa de l’eau. Il les tendit à Ruby.

-Nettoie tes plaies et ne bouge pas d’ici, je reviens dans quelques dizaines de minutes. Bien qu’il ait l’air bienveillant, le ton amical qu’il avait affiché en début de journée avait été remplacé par une voix froide et un masque d’insensibilité. Alors qu’il s’éloignait il leva de nouveau la bourse d’irys. Et n’oublie pas, la bourse et les bourses.

Ce n’était pas comme si elle avait un endroit où s’enfuir de toute manière. Lui-même, se passa un petit coup d’eau sur le visage pour nettoyer son estafilade. Heureusement que pour sa part il n’avait écopé que de cette seule blessure. Cela posait aussi la question de que faire pour les différentes coupures que Ruby avait au corps.

Il se présenta dans une petite boutique de vêtements, demandant des vêtements chauds pour une jeune adulte. Il dû payer un petit pécule, mais le vendeur lui fournit ce qu’il désirait sans rechigner. Puis il alla retrouver la jeune fille. Qui se débrouillait comme elle pouvait avec ce qu’il lui avait donné.

-Bordel t’appelle ça des bandages ? Laisse-moi faire.

Il resserra ceux qui avaient besoin de l’être et se releva en lui présentant la nouvelle pile de vêtements qu’il avait acheté. Il fit signe à la jeune.

-Débarrasse toi de tes vêtements et enfile ceux-là ? Mais non je ne vais pas te regarder, arrête ton cirque un peu.

Pour prouver sa bonne foi, il se retourna et commença à s’allumer une cigarette. Laissa le temps à la jeune fille de se changer dans le froid, ce n’était pas idéal mais il n’avait pas vraiment d’autre choix s’ils voulaient faire les choses discrètement dans cet endroit. Cela ne se passa pas sans gêne pour Ruby évidemment, mais la fin justifiait les moyens. Chafouin se retourna alors et craqua une autre allumette pour mettre le feu à aux tenues tachés de sang. Il y arriva non sans difficulté et intima à Ruby de se réchauffer près de la pile de vêtements. Puis peu après il étouffa le feu avec la neige environnante. Il se mit à marcher et dit à Ruby de le suivre.

-On va aller manger quelque chose. Non, on n’en va pas aller dans une clinique ou un hôpital. Si t’étais un membre des montagnes noires, l’hôpital ne serait pas l’un des premiers endroits que tu surveillerais si t’entendait que l’un des lieutenants s’est fait dézinguer ?

Il continua sans rien ajouter laissant son cerveau faire le reste. Cherchant un endroit où il serait à l’abri. Il ne pouvait pas lui fournir de meilleurs soins, mais un repas pouvait toujours la requinquer. Ils marchèrent longtemps avant de trouver un établissement digne de ce nom. Il fit rentrer sa protégée dans l’établissement en lui indiquant de ne pas laisser son animal courir partout. Il choisit une table et alla commander à manger, cette fois, ne se privant pas d’utiliser l’argent de la bourse conservée de Ruby. Comme d’habitude dans ce genre de coin, le serveur lui fournit ce qu’il demanda sans trop poser de questions. Il avait tout de même un air légèrement suspicieux. Chafouin ne se faisait pas d’illusion, il n’avait aucun endroit où il puisse se sentir réellement à l’abri. Mais la montagne noire mettra sans doute pas mal de temps avant de retrouver la trace de Ruby, ils ne leur restaient plus qu’a décidé de ce qu’ils allaient faire de ce temps.

Il posa ce qu’il avait pris pour Ruby, un verre de lait d’Erch et une large part de gâteau au chocolat. Et pour lui, une bière bien méritée. La jeune fille ne semblait pas avoir faim, encore coincée dans un état catatonique.

-Mange. Lui ordonna Chafouin sans effet notable.

Il soupira et prit une lampée de la bière qu’il s’était pris pour lui-même. Et vérifia que personne dans la taverne ne prêtait d’oreille indiscrète, par chance il était tôt et l’établissement était encore relativement vide.

-Tu comptes rester dans cet état parce que tu as buté un salopard ? Ressaisis-toi un peu, c’est toi-même qui as compté les pics qu’il y avait sur son tatouage. Il y en avait combien au juste ? Tu as tué un danger public, c’est pas mal pour une simple couturière non ?

C’est vrai qu’il avait quand même envie qu’elle lui dise le nombre de sommets qu’il avait fait graver sur son torse, Chafouin n’avait pas réussi à tous les compter. Mais ça ne réglait pas la méfiance que la jeune fille pouvait toujours éprouver envers lui.

-Oh, ne me dis pas que je te fais encore peur ? Mes employés sont morts ou mourants, je n’ai plus de raison de te vouloir du tort maintenant. Qu’est-ce que tu comptes faire toi maintenant ?

Ruby s’échinait tant à frotter son corps, tentant en vain de retirer le sang sec sur sa peau, qu’elle n’entendit pas Chafouin ni même n’eut la présence d’esprit de le voir surgir devant elle. Et quand bien même y aurait-elle prêter attention elle n’était plus elle-même à cet instant, bien trop secouée par ce qu’elle venait de vivre. En une journée elle s’était fait intimidée, kidnappée, chassée comme une souris, trahie, violentée, tourmentée, soufflée par des grenades, témoin de violences innommables et de visions cauchemardesques de cadavres, kidnappée à nouveau, pour finalement avoir une nouvelle fois vu la mort de près. C’était trop pour une gamine de dix-huit ans, même pour une battante qui avait déjà tant subit. Elle n’avait jamais tué, jamais éprouvé une telle rage en elle, à ce point éveillé son instinct de survit qu’elle était redevenue l’enfant sauvage qu’on lui avait ordonné de faire disparaître à tout jamais. Et cette vérité était insupportable pour elle.

Ruby posa un regard absent sur son bras lorsqu’il s’en saisit, ne prétant pas attention à ce qu’il lui dit sur l’instant. Pourtant, elle n’eut pas d’autre choix que de finir par lever les yeux sur le propriétaire de cette poigne ferme. Une chevelure de neige, une expression dure et un regard désapprobateur lui faisaient face. Chafouin. Elle eut une lueur sauvage dans le regard, retroussant les lèvres par réflexe. A vrai dire son esprit ne pilotait plus le navire, elle n’était plus qu’instinct pur, incapable de savoir s’il représentait une menace ou s’il était là pour la sauver d’elle-même comme il l’avait fait avec Zakhran.

La question muette ne trouva pas de réponse car il effectua un geste auquel elle ne s’attendait pas. Il se saisit de sa bourse et la leva bien haut, loin des bras trop courtes de la jeune fille, qui, du haut de son ridicule mètre cinquante-cinq ne pouvait pas l’atteindre même en bondissant.

« Rends-la moi ! » Rugit-elle aussitôt.

Fort de sa position, il asséna des paroles sèches qui accompagnaient parfaitement son attitude froide. La mage sentit quelque chose se serrer en elle, et en réponse elle serra les dents. Elle ne se doutait pas un instant qu’elle réagissait exactement comme il l’escomptait. De mauvaise grâce, avec une certaine hostilité, mais elle avait regagné, même si temporairement et partiellement, une étincelle de vie. Elle attrapa d’un mouvement sec les bandages qu’il lui tendait avant de disparaître de sa vue, non sans lui rappeler son odieux chantage.

Ruby glissa le tissu humide sur ses plaies, tout d’abord machinalement, mais elle se surprit à s’y appliquer finalement. Voir disparaître le liquide rougeâtre pour laisser apparaître à nouveau sa peau. Elle se débarbouilla le visage et les mains du sang qui ne lui appartenait pas et tentait ensuite d’appliquer les bandages du mieux qu’elle put, sursautant en entendant la voix bourrue de celui qui avait décidé de s’occuper d’elle malgré le dédain plus qu’apparent qu’il affichait. Il s’approcha, ne prêtant pas attention au mouvement de recul de la jeune fille, et entreprit de resserrer les bandages avant de lui présenter des vêtements.

« Débarrasse toi de tes vêtements et enfile ceux-là ? »

Ordonna-t-il d’un ton sec. Ruby abaissa les yeux, rougissant. Sur l’instant elle ne sut comment réagir, intimidée. Il comptait rester planter là face à elle le temps qu’elle le fasse ? La jeune fille en serait incapable. Heureusement, il comprit le message et se détourna en guise de bonne foi, ce qui rassura légèrement Ruby. Elle s’exécuta donc, les yeux rivés sur la bourse qu’il tenait toujours. Les dents claquant, le corps tremblant, autant par le froid que ses nerfs à vifs, elle se changea aussi vite qu’elle put. Une fois fait, Chafouin mit tout bonnement le feu à ses anciennes affaires et lui permit de se réchauffer avant de lui intimer ensuite de le suivre.

« On va aller manger quelque chose. »

Elle lui lança un regard soupçonneux, ne sachant si elle devait vraiment le croire. Après tout, depuis ce matin il lui avait promit tout un tas de choses et elle avait assisté plusieurs fois à sa sournoiserie… Mais il l’avait sauvée. Il avait combattu Zakhran pour elle non pas une mais deux fois et à présent il semblait lui venir en aide d’une autre manière même s’il s’adressait à elle avec un mépris non dissimulé. Et puis d’ailleurs pourquoi il se donnait cette peine ?

« On ne devrait pas... »
« Non, on n’en va pas aller dans une clinique ou un hôpital. »
« C’est pas ce que... »
« Si t’étais un membre des montagnes noires, l’hôpital ne serait pas l’un des premiers endroits que tu surveillerais si t’entendait que l’un des lieutenants s’est fait dézinguer ?»

Ruby laissa ses épaules s’affaisser, lâchant l’affaire. Après tout peut importe ce qu’il avait en tête, de toute manière elle n’avait d’autre meilleur choix que de le suivre. Se batailler avec lui ne servirait à rien si ce n’est solliciter son corps tailladé et meurtri. Autant dire que les bandages ne serviraient à rien.

Cela faisait un bon moment qu’ils marchaient tout deux dans un mutisme total lorsque finalement ils s’arrêtèrent devant un établissement de bel facture, bien loin des habitudes de la gamine des rues. En rentrant Chafouin eut l’amabilité de faire une nouvelle réflexion à laquelle Ruby se contenta de baisser les yeux avant de faire signe à Lamya de rester près d’elle. Elle alla s’asseoir sagement mais non sans bouder la nourriture que son protecteur autoproclamé lui apporta… Pourtant il avait fait un effort et en d’autres circonstances elle aurait dévoré le gâteau posé sous ses yeux. Mais elle n’était pas en état de manger, pas plus qu’elle n’arrivait à comprendre ce qui poussait Chafouin à se comporter ainsi.

« Mange. » Ruby ne broncha pas. « Tu comptes rester dans cet état parce que tu as buté un salopard ? Ressaisis-toi un peu, c’est toi-même qui as compté les pics qu’il y avait sur son tatouage. Il y en avait combien au juste ? Tu as tué un danger public, c’est pas mal pour une simple couturière non ? »

Cette fois, la jeune fille réagit, plantant son regard dans celui de l’homme cendré. Pas mal ? C’est pas mal de tuer quelqu’un aussi monstrueux soit-il ? C’est pas mal de sauter à la gorge avec pour seul objectif de planter ses dans dans une carotide juteuse de sang ? C’est pas mal de devenir un monstre à son tour ? D’être finalement le monstre dont tout le monde avait peur lorsqu’elle était enfant ? Ils avaient tous eu raison, Ruby n’était qu’une sauvage. Et le pire c’est qu’elle ne l’assumait pas, se le refusait bec et ongles.

Mais Chafouin, bien loin de savoir qu’il l’avait remuée plus que de raison par cette simple phrase était persuadé qu’elle gardait le mutisme seulement par crainte. C’était le cas, pour une partie en tout cas, mais elle se repassait en boucle cette simple phrase, et comme si elle avait agit comme un électrochoc, les joues de la jeune fille se mirent à rougir fortement sous l’émotion qui se décidait enfin à venir tandis que ses pensées se bousculaient. La seule chose à laquelle elle se raccrochait, là, maintenant, c’était à la colère.

« Pas mal ? Pas mal c’est ça ce que tu en penses ? » Fini-t-elle par souffler à voix basse mais chargée de tension. « C’est pas mal de survivre depuis plus d’un an en ne faisant que fuir parce que des psychopathes de braconniers sont fâchés que j’ai sauver des pauvres animaux innocents ? C’est pas mal de crever de faim et de froid, sous prétexte que ma gentillesse et ma différence dérange un putain de gang ? C’est pas mal de devoir mentir sur ce que je suis pour espérer rester libre ? C’est pas mal d’avoir tué un psychopathe qui m’a menacée, kidnappée, effrayée, torturée et qui est loin d’être le seul dégénéré dans cette putain de ville de dingues ? C’est pas mal d’être une crétine tellement naïve d’avoir cru en toi ? Hein ?  Je sais même pas ce qui t’as prit de me sauver, t’en avais rien à faire non ?! Quoi ?! J’ai pas raison ? T’es là à me regarder de haut en jouant aux bons samaritains mais… De quel droit tu te permets de me juger… ? »

Le souffle court, elle se tut, laissant sa lourde respiration peser entre eux. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas laissée aller à la colère ? Pour une fois pas la moindre illusion vint enflammer sa tirade, il n’y avait que sa frustration. Elle ne lui en voulait pas. Pas vraiment. Mais cela lui avait fait du bien. Parce que ce n’était seulement que la surface. Et tout en dessous une angoisse immense qui menaçait de l’engloutir.

« Qu’est-ce que je vais faire maintenant ?J’en sais rien… Je… J’en ai assez… C’est trop… Je suis terrifiée… Où que j’aille, quoi que je fasse… Ca fini toujours mal… Et maintenant je suis une meurtrière ? » Elle se mordit la lèvre, l’expression peinée. Sans doute était-elle prête à éclater en sanglots mais elle se retint. « Soixante-six. J’en ai compté soixante-six. Il le méritait, je le sais, mais je… Ce que j’ai éprouvé… »

Un long frisson la parcourut. Elle n’avait pas détester lui ôter la vie. Et entre ça et sa folie sanguinaire, elle était persuadée que c’était mal. Très mal…

Il s’attendait à autant de véhémence dans la réponse de la jeune fille, ses paroles sortirent comme si elle avait retenu un trop plein depuis bien trop longtemps. Sur le coup Chafouin eut l’impression qu’on lui déversait une rivière en plein dans la tronche. Ruby termina en annonçant le compte des victimes de Zakhran, cela faisait beaucoup, beaucoup pour un seul homme. Et pourtant elle restait terrifiée, terrifiée de ce qu’elle avait fait ou subie ? Elle semblait à bout de nerf. Il secoua la tête, il ne pouvait s’empêcher de se comparer à elle, mais pour lui, c’était juste la marque de quelqu’un n’étant pas assez endurcie pour survivre dans ce genre de galère. Il pouvait tout aussi bien laisser tomber et s’en aller, ou alors il pouvait…

-Je te juge. Par droit d’expérience.

Fit-il d’une voix grave, mais posé, il ne s’attarda pas sur le fait qu’il venait sans doute d’inventer une expression non plus, Ruby était une jeune fille qui avait encore un regard naïf sur la vie, il était temps de lui faire changer sa vision des choses.

-Chaque chose que tu as faites, chaque position que tu as prise, à entrainer une réaction. C’est ce qui se passe quand on se révolte, quand on essaie de changer les choses. Tu pensais à quoi en te mêlant des affaires de braconniers ? Et quand tu t’es défendue contre ce gang, tu ne pensais pas qu’il y aurait des répercussions ? Quand on plonge les deux mains pour faire le ménage, faut pas s’étonner de les voir recouverte de merde.

Sur ces belles paroles, il entama une lampée de la boisson qu’il avait prise. La métaphore n’était sans doute pas de toute beauté, mais à ses yeux, elle représentait plutôt bien la situation de la jeune fille, à force de s’être dressée contre des forces qui la dépassaient, elle avait fini par se briser contres ces dernières. Et si elle continuait dans cette voie, elle finirait par se briser complétement.

-Et pourtant, si personne ne fait rien, les choses ne changent jamais. Soixante-six hein ? Si tu n’avais jamais croisé sa route, tu ne crois pas qu’il aurait tué soixante-six de plus ? Je ne cherche pas à te prouver que ce que tu fais est bien ou mal, mais si tu as des problèmes avec ta conscience, pense à cette prétendue justice que défendait Fabius, est ce qu’elle a réussie à arrêter ce tueur ? Parfois, la meilleure façon de rendre la justice, c’est d’agir soi-même et de se salir les mains. Si on regarde bien la situation, les choses se sont déroulées de manière très juste en fait. Zakhran a payé pour ce qu’il a fait, Fabius s’est retrouvé hors-jeu parce qu’il m’a cassé les couilles. Oui, il était seulement assommé au fait, il devrait s’en tirer sans trop de problèmes. Quant à cette fameuse animalerie Tkazir, ses tenanciers ont tellement voulu se venger qu’ils sont allés jusqu’à te poursuivre aussi loin pour seulement se faire aligner par un gang du coin. On dirait une espèce de justice divine non ?

Il poussa un petit « tss » en recommençant à boire.

-Regarde-moi, voilà que je me mets à faire de la philosophie de comptoir avec une faiblotte. Mais bref, quand on fait le compte des choses, pour un lieutenant de gang, tu penses vraiment qu’un meurtre est si mal que ça ? Allez mange, ça te fera penser à autre chose déjà.

Il se rendit compte qu’il parlait beaucoup, sans doute pour éviter qu’on ne s’attarde trop sur les raisons qui le poussaient à aider Ruby, c’est vrai que sur toutes les questions qu’elle se posait, c’était certainement celle dont il avait le moins envie d’y répondre, certainement parce qu’il n’avait pas trouvé une réponse qui le satisfaisait lui-même. Bien que la jeune fille ait tiqué au terme « faiblotte » elle ne semblait pas être prête à refaire la conversation, il continua donc.

-Quant à faire confiance aux gens. C’était déjà une erreur de placer ta confiance en moi, mais c’était encore pire de faire confiance à Fabius. Tu as vu comment il est honnête ? Il serait assez bête pour tout balancer sans problème dès qu’on l’interrogerait. Il souffla. Va falloir se faire discret un moment.

Il avait dit cela autant pour elle que pour lui. Par chance il doutait que Fabius avait assez d’informations pour lui causer du tort et quand bien même son occupation de militaire le tiendrait assez éloigné de lui, pour un moment du moins. Mais un problème demeurait, que ferait Ruby à partir de maintenant ? Chafouin sentit que la réponse ne viendrait pas ce soir, la journée avait été trop rude. La nuit porterait conseil, pour l’instant le mieux à faire, c’était encore d’essayer de se changer les idées. L’endroit était plutôt calme pour le moment. Son expression changea légèrement pour afficher une mine plus chaleureuse.

-Mais pour l’instant on a le droit de s’accorder une pause le temps de souffler. Dis-moi Ruby, est ce que tu as déjà joué au gwent ?

Spoiler:

« Par droit de... »

… Quoi ? D’expérience ? Qu’est-ce que c’était que cet argument ? Cela eut du moins l’effet de sidérer Ruby. Elle ne s’y était pas attendue et ne savait pas comment réagir. Qu’est-ce que cela voulait dire exactement ? Que parce qu’il avait… Beaucoup vécu, il avait le droit de juger ? Ou parce qu’il était plus âgé et donc… Il était supérieur ? Nan… Si ? Mais au moins il avait cessé de lui parler avec méchanceté. Enfin. Son ton était grave et posé et non plus sifflant. Les mots en revanche n’était pas tendres. Selon lui tout ce qu’il lui était arrivé était sa faute, que ce n’était seulement que le résultat logique de ses actions.

Ruby baissa la tête, son regard se rivant sur le verre de lait qui lui avait été servi. Elle préféra se taire plutôt que de répliquer. Il n’avait pas tord. Si elle s’était laissée faire… A chaque fois… Elle n’en serait pas là. Mais… Qu’était-il préférable ? Se taire et subir quitte à tomber plus bas que terre et ne pas pouvoir remonter ou rester honnête et juste mais risquer sa vie ? Aucune des deux solutions n’était enviable. Pas tant qu’elle n’assumerait pas ses choix jusqu’au bout, seulement en avait-elle les moyens ? Si elle voulait être forte, elle devait le devenir. Le problème était qu’elle n’avait aucune idée de comment s’y prendre. Naïvement, elle avait pensé qu’en maîtrisant mieux ses pouvoirs elle pourrait s’en sortir, la preuve que non.

Chafouin ne se contenta pourtant pas de lui faire la leçon. Ce n’est pas comme s’il la félicitait d’avoir ôté une vie mais il ne n’en blâmait pas non plus. Elle avait fait ce qui était juste sur l’instant, aussi horrible que cela puisse paraître à la jeune fille. Le bien n’était visiblement pas toujours la bonne solution. Ruby avait pourtant déjà commencé à s’en rendre compte et c’était ce qui l’avait éloignée de Fabius. Elle doutait. Désormais, encore plus. Les arguments du cendré n’étaient que trop justes.

« Dit comme ça. » Marmonna-t-elle.

Elle comptait s’ouvrir un peu plus mais Chafouin eut la bonne idée de la traiter de faiblotte, ce qui la renfrogna davantage au contraire. Le fusillant du regard, elle se remit sur la défensive. D’accord, il avait surement raison. Sur beaucoup de choses, peut être tout d’ailleurs, mais ça ne l’autorisait pas à la traiter comme ça. Elle attrapa pourtant son morceau de gâteau et en croqua un bout, le regard toujours orageux. Cela ne découragea pas le moins du monde son bavard d’interlocuteur, qui déblatérait à propos de la confiance à présent. Ruby lui adressa un soufflement de nez qui en disait long sur ses pensées. Oui elle avait eut tord de lui faire confiance ! Et elle le regrettait ! Mais… Elle doutait. Il l’horripilait, l’énervait, lui faisait un peu peur aussi, mais… Pour autant, il était là. Il l’avait sauvée plusieurs fois et même faillit mourir pour elle alors que… C’est vrai, tout était de sa faute. Si elle n’avait pas tenu tête, il n’aurait pas eu besoin de le faire. Besoin ou envie d’ailleurs. Tout comme d’être là, face à elle tout en lui faisant la leçon, la sermonnant avec autorité.

« Pourtant t’es là... » Osa-t-elle prononcer, relevant les yeux. « Tu es venu me chercher. »

Alors, oui, il était sans doute de confiance. Au moins un peu. Suffisamment pour provoquer de la confusion chez la jeune mage. Elle n’osait pas en dire trop. Se lâcher lui avait fait du bien sur l’instant mais à présent elle n’arrivait pas à savoir comment réagir. Elle lâcha toutefois un dernier mot, lourd de sens :

« Merci. »

Elle détourna le regard à nouveau, mais avec un légère rougeur aux joues. Elle lui en était vraiment reconnaissante. Ruby ignorait si cela avait joué sur les émotions du cendré mais lorsqu’il reprit la parole sa voix était plus douce et ses intentions bien loin de la réprimandée à nouveau. Il évoqua le Gwent. Ce mot ne lui était pas étranger.

« Le jeu de carte ? Je n’y ai jamais joué mais j’ai déjà vu comment ça fonctionnait. Lorsque je servais à Onaël ils faisaient un tournoi tous les vendredi. » La moue boudeuse de la rouquine laissa place à une mimique plus avenante. « Tu veux bien m’apprendre ? »

Oui, la question était bête et la jeune fille s’en rendait compte elle-même, mais elle était surprise qu’il l’invite à jouer après leurs échanges tendus. C’était pourtant une excellente idée pour passer le temps sans se tuer du regard. Cela eut d’ailleurs le mérite de détendre suffisamment la jeune fille pour qu’elle daigne boire sa boisson et savourer le moelleux qui lui faisaient pourtant envie dès leur arrivée sur la table.

Il fut un peu surpris en Ruby dire qu’elle avait travaillé à Onaël, ce n’était pas vraiment la porte à côté et ça donnait une bonne idée du voyage qu’elle avait pu faire à Daënastre, d’où sa fatigue effectivement.

-Onaël ? Eh bien t’es pas allée travailler dans le meilleur coin de Daënastre, sérieux, cette ville serait déjà morte trois fois sans le couteau suuïsz et son port, à part ça c’est chiant à mourir comme bled.

La moue intéressée de la jeune fille n’échappa pas à Chafouin, l’espace d’un instant il eut l’impression d’avoir Orange devant les yeux quand elle lui demanda de jouer.

Tu veux bien m’apprendre ?

-Heu, ok. Fit-il en sortant deux paquets de cartes, un emballé dans une petite boite marquée de vert et l’autre de violet. Et commença à les mélanger. Mais seulement si tu me racontes comment tu as atterri dans ce trou à rat pendant que je mélange.

Il la laissa raconter son aventure sur les terres daënars et plaça les deux paquets en face d’elle. Il lui expliqua rapidement les règles.

-Trois rangées, les combattants, les unités de tir et le soutien. Le but c’est d’avoir un total de point plus élevée que la force de l’adversaire, ça se joue en trois manches, faut au moins gagner deux.

Il lui présenta ses deux paquets de cartes my’träns et des cités-états en lui demandant d’en choisir un pour faire une partie d’essai. Par chance il avait pris goût au gwent bien longtemps avant ce qui lui avait donné le temps d’assembler des paquets de cartes dignes de ce nom. Cela lui avait demandé de l’effort, trouver de belles cartes, en particulier celles des my’träns quand on était sur le sol daënar, n’était pas vraiment chose aisée. Le gouvernement n’aimait pas trop que l’on mette ce genre de broutille occidentale entre les mains de ses sujets. C’est dans ces moments-là que Chafouin adorait vivre à Prorig où l’on pouvait trouver à peu près tout ce que l’on cherchait si on faisait un peu de contrebande.

Le premier duel se passa à peu près comme il l’imaginait, il battu la jeune fille à plate couture, ils échangèrent de paquet pour la manche suivante. Il s’imaginait juste continuer comme ça et éprouver juste un petit plus de difficulté lors de la manche suivante, cependant…

-Tu as gagnée, d’un point ?... Ce n’est pas possible, j’ai mal compté ?

Il dû se rendre à l’évidence et regarda sa bière. Noyant son chagrin dans l’alcool et se faisant à l’idée qu’il s’était fait battre par une gamine, il mélangea de nouveau les cartes avant de baisser le ton pour s’adresser à Ruby.

-Il se fait tard, je vais te laisser de l’argent pour dormir à l’auberge cette nuit. Si tu veux apprendre à mieux te débrouiller par toi-même, retrouve-moi demain à midi sur la place du cocher. Il reprit une voix plus forte. Mais d’abord, ont fini la partie, le gwent se joue en trois manches.

Les yeux de la jeune femme se mirent à pétiller lorsque Chafouin accéda à sa demande. La contre partie n’était pas dérangeante pour elle, d’autant plus que ce récit n’était en rien entaché de violences physiques ou morales comme cela l’était bien trop souvent ces derniers mois. Ruby se redressa contre le dossier de chaise, posant un doigt songeur à ses lèvres afin de plonger dans ses vieux souvenirs.

« Mmh… Ça remonte à deux ans, environ. C’est à l’époque où j’avais prit la mer pour rejoindre Daënastre. Je dois dire qu’à cet époque je n’avais aucune idée de ce à quoi pouvait bien ressembler une ville de technologistes et c’était la plus proche du port où j’ai débarqué. Je n’avais plus un rond en poche alors je me suis trouvée un boulot en tant que serveuse, c’est là que j’ai découvert ce jeu. »

A cette période la jeune fille n’avait jamais eu de peine à trouver du travail. Elle passait tellement inaperçue que personne ne s’était jamais posé la question de savoir d’où elle venait ou qui elle était. C’était seulement une employée passe-partout qui faisait son travail sans rechigner ni poser le moindre problème. Peut être bien aussi que son jeune âge avait joué en sa faveur quelques fois, la bonté de certains habitants les avaient sans doute poussés à tendre la main à une jeune dans le besoin.

« Mais c’est vrai que ce n’était pas très palpitant. Je n’y suis pas restée longtemps, je voulais voir… Autre chose. Je voulais vous comprendre, savoir ce que vous aviez de si effrayant, connaître ce qui vous rend différents. Au final j’ai beaucoup voyagé, je me suis même rendue à Zochlom lorsqu’il y a eu l’exposition. Finalement vous n’avez rien d’étrange. Vous êtes pareils. »

Ce n’était pas forcément un compliment ou un reproche, Ruby ne faisait que constater. Quelques uns avaient bon cœur là où d’autres s’entouraient de haine et de préjugés. Quant aux autres… Les mauvais esprits étaient partout. La mage s’était simplement rendue compte qu’elle avait fuit un cauchemar pour en retrouver un autre. La différence était qu’en chemin elle ait réussi à passer de personne à quelqu’un. C’était un début en réalité, le tout était de savoir ce qu’elle comptait en faire.

Commencer par se détendre, c’était un excellent programme. Une fois son explication terminée, elle écouta avec attention les explications du cendré. Le jeu avait l’air simple dans les fait. Faire le plus de points, c’était un objectif aisé à première vue. Cependant il fallait voir plus loin que de miser sur la première manche. Il y en avait trois en tout, cela impliquait de gérer les forces de ses cartes de manière à en imposer mais tout en se laissant une chance de se rattraper au tour d’après. C’était au final bien plus complexe.

Sans surprise Ruby perdit la première manche. Malgré tout la jeune femme n’en fut pas découragée pour autant et elle fit preuve de plus de réflexion la manche suivante. Lorsqu’elle posa sa dernière carte elle ne put empêcher un large sourire d’illuminer son visage.

« Oh !? J’ai réussi !? »
« Tu as gagnée, d’un point ?... Ce n’est pas possible, j’ai mal compté ?  »

Pour toute réponse, la petite mage s’esclaffa. Le grand barbu boudait, vexé de s’être fait avoir par la petite gamine qu’elle était. Tandis qu’il noyait sa peine dans sa bière, Ruby englouti son gâteau, ce qui lui fit gonfler les joues alors qu’elle mâchonnait. L’ambiance entre eux s’était apaisée et même si l’attitude de Chafouin à son égard restait toujours un mystère, Ruby s’y était faite c’est pourquoi elle ne douta pas de la sincérité de celui-ci quand il lui proposa son aide. Il s’agissait là d’une proposition et non d’une directive comme l’avait déjà fait Fabius à son égard. Cette initiative était bien plus cohérente à son sens. Il la laissait choisir. Soit elle rejoignait, ce qui lui permettrait d’avoir une chance de s’en sortir à l’avenir soit elle s’entêterait à rester seule et advienne que pourra. C’était honnête. Ruby ne lui donna pas une réponse son le champ mais elle lui lança cependant un regard entendu, bien vite disparu sous son air carnassier lorsqu’il annonça la dernière manche.

« Prends garde, j’apprend vite ! » Fanfaronna-t-elle.

C’était vrai. C’était bien ce qui lui avait permit de survivre aussi longtemps par ses propres moyens. Cela dit, ce ne serait pas cela qui ferait pencher la balance à son avantage sur ce jeu… Chafouin était un adversaire redoutable et bien plus statège que sa comparse d’infortune.

Lancé de dé:

La partie était serrée, Chafouin avait semblerait-il la mainmise sur le plateau, malgré tout Ruby n’avait pas dit son dernier mot. Abattant son dernier espoir, elle engagea une créature lui donnant l’opportunité de piocher. Une chance insolence se retrouva alors entre ses mains. Une carte magique qui retourna le jeu en sa faveur au dernier instant.

« Et mais… Mais j’ai réussi ! Ce jeu est incroyable, je pensais que j’allais perdre. » Tout en rangeant son paquet et le restituant à son propriétaire, elle ajouta avec chaleur. « Merci beaucoup, je ne me suis jamais autant amusée. »  

Le moment était venu de se dire au revoir. Comme l’avait dit son aîné il se faisait tard et il était entre les mains de la jeune fille de décider si leurs chemins se recroiseraient par la suite. Une bonne nuit de sommeil portait toujours conseil. Avant qu’il ne s’éclipse, la mage le retint un instant par la manche.

« Je... » Bredouilla-t-elle avant de se reprendre. « T’avais quand même tord sur un point. T’es quelqu’un de bien. C’est juste que tu ne veux pas l’admettre. »

Sur ces mots Ruby relâcha le vêtement puis se détourna, s’empressant de rejoindre les escaliers menant aux chambres. Elle ne s’en rendait pas encore compte mais elle avait déjà prit sa décision. Oui, elle avait donné sa confiance une fois à tord, mais elle le referait sans hésitation. C’était peut être naïf et stupide mais le cendré lui avait pourtant prouvé à plusieurs reprises qu’il était bien plus honnête que ce qu’il voulait le faire croire et ça elle en était persuadée.