Prédateur et proie

La tribu Ükhel était un clan vénérant Dalai, un modeste clan qui s’était fait connaître pour la grande fête qu’il organisait en l’honneur des Architectes Orshin et Amisgal chaque année lors du solstice d’été. Cette tradition attirait pléthore d’autre clans qui se joignaient aux festivités pour rendre hommage à la dame des cieux et au façonneur. La notoriété grandissante de cet événement avait du contraindre le clan Ükhel à gérer de manière plus minutieuse cette tradition par l’installation de nombreuses tentes, tables et feu de joie. Un observateur ignorant pourrait presque croire qu’il s’agissait d’une foire itinérante.

Torbek Ükhel, gharyn du clan susnommé, dirigeait les festivités aussi bien qu’il le pouvait, et ce n’était pas une mince affaire. Dès qu’on avait besoin de lui il accourait aussi vite, alerté par la simple présence de son aigle qui survolait le site et se posait près de son maître dès que quelqu’un le demandait. Et lorsqu’il avait réglé tout les problèmes auxquels étaient confrontés les membres de son clan, il devait toujours accueillir les nouveaux arrivants avec le même entrain tout au long de la journée.

C’est avec un sourire sincère mais une fatigue apparente que le nomade saluait les curieux et les autres gharyns. Les années n’avaient pas été tendre avec lui, tout le monde s’y accordait, ses cheveux virait de plus en plus rapidement au gris tandis que des rides ses creusaient sur son visage. Malgré tout il restait vigoureux pour son âge, la preuve étant qu’il survivait à une journée aussi chargée !

Alors qu’est-ce que qu’Aldartai faisait à cette fête ? C’était très simple, il connaissait le clan Ükhel depuis plusieurs années et il avait été invité à assister aux réjouissances. Même s’il se faisait plutôt discret il appréciait les festivités de loin, de préférence seul avec un verre à la main. Ce n’était pas son genre de se joindre aux autres, même s’il l’aurait voulu, il était toujours mieux seul.

Cependant un imprévu allait ternir l’éclat de cette journée si spéciale, était-ce un manque de préparations ou les membres du clan avaient-ils grandement sous-estimé le nombre de convives ? Ça Torbek l’ignorait, mais ce qu’il savait c’est qu’il fallait y remédier le plus vite possible. Alors le gharyn se positionna à côté du feu de joie au centre des festivités, donnant l’ordre aux musiciens d’arrêter de jouer pour qu’il puisse s’exprimer.

-Mes amis, rien ne me fait plus plaisir en ce jour que de vous voir tous réuni ici pour honorer les Architectes et les remercier de leurs bienfaits. Je tiens à remercier tout ceux qui nous ont aidé à organiser cette fête, ainsi que ceux qui ont décidé de louer leurs services gratuitement pour cette occasion très spéciale. Cependant je suis obligé de demander à certains d’entre vous un service très spécial, que d’aucun penserait déplacé en ce jour. Ce n’est un secret pour personne que vous êtes de plus en plus nombreux chaque année, mais nos stocks de nourriture ont beaucoup plus de mal à l’être. Nous avons besoin de volontaire qui seront prêt à chasser dans la forêt afin de pouvoir sustenter tout ceux présent. Oui, je sais, nous abattons les créations d’Orshin pour notre propre avantage, je sais que cela brise le cœur de certains d’entre vous, mais la forêt abonde de gibier, et pas du gibier inoffensif. C’est pour cela que nous avons besoin des meilleurs d’entre vous, ceux qui n’ont pas froid aux yeux sont plus que bienvenue ! Que tout ceux prêt à nous rendre ce service me retrouvent en compagnie de notre meilleur chasseur, il ouvrira la voie pour les braves !

Nombreux étaient ceux qui souhaitaient participer à cette chasse, plus que de rapporter de la nourriture, cela sécurisait les environs de la fête. Bien que les adeptes d’Orshin étaient réticent à abuser de la chasse, bien peu aurait pu contredire le fait que certaines créatures pouvaient être très dangereuses. Khadak, le meilleur chasseur du clan Ükhel, observait silencieusement ceux qui souhaitaient se joindre à la chasse, n’hésitant pas à sortir de son silence pour recaler ceux qu’il jugeaient trop faible ou pas assez expérimenté. Il fallait tempérer les ardeurs des plus jeunes qui cherchaient à s’illustrer devant leurs pairs au mépris de leur propre santé. Aldartai était de ceux qui s’étaient levés pour participer à la chasse, même s’il n’était pas très doué il pouvait toujours apporter son soutien à ceux qui en avaient besoin.

Khadak jaugea silencieusement ceux qui restaient, hochant la tête pour signifier son assentiment à ce qu’ils se joignent à lui pour chasser.

-Je vous préviens, ça va être très simple, si vous êtes tous des chasseurs expérimentés partez ensemble en trio ou en binôme, ça évitera les accidents dramatiques et vos clans seront rassurés. Vous êtes libre de partir de votre côté tant que vous êtes en petit groupe, et vous pourrez rentrer quand vous le souhaitez. Si vous n’avez pas réussi à attraper une proie ce n’est pas grave, nous sommes assez nombreux et nos chances de rapporter du gibier sont élevés. Mais restez prudent.

-Et qui vous accompagnera ? Demanda un jeune chasseur.

-Vous en faites pas pour moi, j’ai trois amis qui ont l’habitude de chasser avec moi. Répondit-il en caressant la tête de ses Müursuld avec affection et en lançant un regard à Aldartai. Bon, vous êtes prêts ? Si c’est le cas je vous retiens pas, et rappelez vous de faire attention. Finit le chasseur en s’engouffrant en premier dans la forêt.

Les groupes suivirent, chacun prenant une direction différente afin de ne pas gêner les autres. La forêt était assez dense pour que tous puissent rapporter au moins un gibier à la fête, une occasion à ne pas manquer.

S’enfoncer dans la forêt était synonyme de rester sur ses gardes pour Khadak, le prédateur inattentif devenait rapidement la proie d’un chasseur plus aguerri, et les bêtes étaient de très bons chasseurs. Mais le nomade avait deux avantages : ses deux Müursuld, respectivement Arys et Ekun. Le trio que formait le chasseur et ses bêtes était symbiotique, des années à se battre côte à côte les avait rendu plus efficace que n’importe quel guerrier, et aussi plus meurtrier. Ils étaient six yeux et six oreilles occupé à une tâche fort simple, repérer un son, tout indice leur permettant de d’identifier l’une des nombreuses bêtes sauvage de la région.

Aldartai lui avait délaissé son armure, trop bruyante et encombrante, elle ne lui aurait été d’aucune utilité pour chasser, d’autant plus que ce n’était pas lui qui tenait l’arc. Il n’avait jamais été doué avec un arc ou des armes de jet, et il avait toujours préféré le combat à la place. Il faisait un très mauvais chasseur, mais il faisait davantage office de distraction pour la bête, et tant qu’à faire à lui mettre quelques coups avec son épée. Ce n’était pas la première fois qu’il chassait avec Khadak, leur première chasse ensemble remontait déjà de dix longues années. Une chasse qui leur avait rapportée de nombreuses cicatrices, mais aussi du respect. Ils étaient efficaces, même s’ils n’évoquaient pas beaucoup ce qui c’était déroulée lors de cette fameuse chasse.

Alors que Kereln se déplaçait le plus silencieusement possible en évitant branches et racines noueuse qui parsemaient la forêt, Ekun releva rapidement sa tête, alerte.

-Tu as repéré quelque chose ? S’enquit Khadak déjà prêt à bander son arc.

-Du sang. Répondit le müursuld en humant l’air pour déterminer d’où venait l’odeur. Beaucoup de sang. Ça vient de l’est.

-Qu’est-ce qu’il y a ?

-Peut-être un de nos groupe qui a fait une bonne prise, allons voir comment ils s’en sortent.

Le nomade et le guerrier suivaient le chemin indiqué par les bêtes, confiant dans leur capacité à les guider. Mais au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans la forêt en suivant les bêtes la nature semblait se distordre de plus en plus. Des arbres défoncé, des troncs d’arbres réduit en petit bois épars par une force massive. La nature s’était plié face à un mastodonte, et cela n’avait rien de rassurant pour Khadak. Les humains n’étaient que bien peu de choses face aux bêtes les plus vicieuses et les plus puissantes, et une force capable de briser des arbres dont l’existence dépassait celle de beaucoup de my’trans était très rare. La désolation s’étendait en une ligne droite bien précise, laissant clairement apparaître trois cadavres à fin de cette ligne qui bifurquait ensuite dans une autre direction. Trois chasseurs avaient visiblement rendu l’âme face aux assauts furieux de la bête.

-C’est pas bon tout ça, ils ont même pas eu le temps de se défendre. Le suhur posa sa main sur l’épaule du chasseur, se rendant compte de son trouble. Khadak, ça va ?

Le chasseur était plongé dans sa réflexion. Les corps étaient meurtris, mais ce qui le rendait d’autant plus anxieux était que chaque cadavre semblait avoir été tué d’une manière différente. Le premier semblait avoir été chargé de plein fouet, et était broyé au niveau de l’abdomen, certainement par la même bête qui avait laissé la nature en ruine derrière elle. Le second présentait de nombreuses traces de griffures aux jambes et aux bras, ses côtes fendues laissées à l’air libre répandaient une odeur pestilentielle qui attaquait les narines du chasseur. Khadak lança un regard anxieux au paysage autours de lui.

-Il faut qu’on retrouve les autres, et vite.

Aldartai opina du chef avant de raffermir son emprise sur la poignée de sa lame. Il fallait arrêter la chasse, et vite, voir même partir de cet endroit pour éviter d’autres morts. Mais les chasseurs étaient éparpillés dans la forêt, isolés, et il n’y avait aucun autre moyen de les contacter que de les trouver, ou que la bête les trouve.

Ils étaient trois, trois chasseurs provenant de clans différents. A peine avaient-ils atteint l’âge adulte qu’ils s’étaient portés volontaires pour chasser, s’aventurant dans un endroit dont il ne connaissait rien pour une tâche qu’ils ignoraient tout autant. Ils étaient bruyants, inattentif à ce qui les entouraient, ils se pensaient encore invincible. L’expérience leur faisait défaut, tout comme la prudence qui était de mise lorsqu’on s’aventurait dans un endroit inconnu. Les jeunes my’trans n’agissaient pas comme des chasseurs, mais comme des proies. Les rôles avaient déjà été distribués depuis leur entrée dans la forêt, certains repartiraient, mais d’autres n’allaient trouver que la mort. Mais peut-être certains seraient surprenant, se tromper n’était pas une fatalité, c’était un espoir abandonné depuis trop longtemps.

Ils ne faisaient pas parti de ceux choisi par Khadak pour la chasse, ils avaient entendu les consignes du chasseur sans les écouter. Ils avaient attendu que le chasseur ne mène la marche avant de s’aventurer dans la forêt d’eux-même, l’ambition et la fierté étaient deux défauts qui les caractérisait bien.

Celui qui prêtait une oreille attentive à ce qui l’entourait aurait pu se rendre compte du subtil son d’une branche qui s’était cassé dans le lointain, écrasé par le poids de la principale menace des chasseurs. Mais ils ne faisaient pas attention tout simplement, pour eux ce devait être une tâche facile et agréable, quelque chose d’amusant dont ils se sortiraient sans une seule égratignure. Oh, qu’ils avaient tort.

Une première flèche fusa, se logeant dans la hanche du premier des jeunes qui poussa un hurlement de douleur. L’effet de surprise était amorcé, il avait le temps d’encocher une seconde flèche. L’homme porta la main à son carquois, prenant délicatement l’un des projectiles avant de bander la corde de son arc. Le second n’allait pas avoir autant de chance, la flèche qu’il décocha avait une pointe spécialement faite pour arracher le plus de chair possible lorsqu’on se mettait en tête de la retirer. Celle-ci fila vers l’abdomen de sa cible, ça allait être douloureux, très douloureux. Le troisième membre de se trio se mit en tête de l’affronter, mais c’était sans compter sans son aimshgiin qui le projeta à terre en sautant dans son dos. La bête était vicieuse, colérique, et aimait particulièrement jouer avec ses proies. Elle lui brisa les principales articulations de son corps grâce à la force de la pression qu’elle exerçait grâce à ses puissantes pattes, puis l’entailla pour qu’il se vide lentement de son sang. L’homme qui avait décoché la flèche observa de plus près les jeunes chasseurs. Il semblait qu’il allait devoir enquêter sur la petite fête qui se déroulait à l’orée de la forêt.

                                         

Le temps passait vite dans cette forêt, très vite, et les recherches s’intensifiaient. Les rares groupes que Khadak et Aldartai avaient trouvé étaient morts, probablement tué par les même bêtes. Il y avait quelque chose de très dangereux qui rôdait dans la forêt, quelque chose qui attendait soigneusement son heure avant de frapper avec vivacité. Les Müursuld de Khadak étaient nerveux, agités, ils sentaient le danger sans savoir d’où il venait. Khadak passa une main confiante sur leur pelage avant de reprendre son arc entre ses mains, ils sentaient sa propre nervosité, ça n’arrangeait rien.

Aldartai ne pouvait pas dire qu’il n’était pas nerveux lui aussi, ils étaient face à un ennemi invisible et implacable, en tout cas pour le moment. Le danger pouvait venir de partout, attendant caché à un détour ou derrière un arbre. Il n’y avait pas qu’une seule bête, les marques sur les défunts étaient assez éloquentes pour que quiconque s’en rende compte, mais que plusieurs bêtes s’associent contre les chasseurs ça c’était plus étrange. Il avait l’ébauche d’une réponse, mais elle ne lui plaisait pas, et il attendait d’en savoir plus avant de tirer des conclusions hâtives. D’autant plus qu’il savait que Khadak devait tirer les même conclusions que lui.

La forêt était silencieuse, les bruits qui faisaient son charme habituel s’étaient tut. Ils ne rencontraient aucune bête, l’endroit semblait déserté, avaient-elles fuit à l’arrivée des nombreux clans ou devant un danger encore plus grand ? Personne ne pouvait le dire, il n’y avait plus âme qui vive avec laquelle Khadak aurait pu discuter. Ils ne croisaient que des cadavres, des chasseurs qui n’en étaient que de nom et qui étaient devenus des proies.

Ils en croisèrent un nouveau groupe, le visage de Khadak se figea lorsqu’il remarqua les rares flèches plantées dans les corps. La conclusion que lui et Aldartai avait tiré depuis longtemps était véridique, ils n’étaient pas face à des bêtes désorganisées, ils étaient en face d’un homme qui les guidait.

-Il faut retourner au campement, qu’on parte d’ici, et vite.

-Et ceux qui sont encore dans la forêt ?

-On peut pas faire grand-chose pour eux, ils sont sûrement mort pour la plupart, et le reste ne survivra pas très longtemps. On est sur le terrain de chasse de celui qui fait ça, les proies c’est nous ici.

Khadak poussa un soupir de frustration, il comprenait et savait qu’Aldartai avait raison, mais il n’aimait pas laisser ses compagnons de chasse face à leur mort. Le suhur lança lui-même un regard triste vers l’horizon avant de se retourner. Il fallait retourner aux festivités, et vite partir.

L’homme regardait distraitement ses proies tomber les unes après les autres, il n’y avait pas de résistance, pas de défi. C’était ennuyeux, et ils se pensaient chasseur ? Les imbéciles tombaient comme des mouches, ils étaient des proies qui s’ignoraient. Il se pencha sur le cadavre du jeune qu’il avait abattu, une coupure nette et précise traçait une ligne sur son poitrail. Il ferma les yeux du cadavre avant de tapoter son épaule. Trop jeune et trop impatient, c’était la dure loi de la nature, seuls les plus résistants et ingénieux pouvaient survivre, et manifestement il n’avait pas été de ceux-là.

Tout les animaux n’avaient pas désertés la forêt, en vérité ils s’étaient plutôt éloignés, il les y avait encouragé. Mais les plus dangereux et retors restaient, ils étaient ses yeux et ses oreilles, ses compagnons de chasse. Une aide précieuse pour surpasser les enfants trop arrogants. Il connaissait bien cette période de l’année et les festivités des intrus, ils chassaient par plaisir, pas par besoin. Il le savait, on lui avait prêté des yeux pour qu’il s’en rende compte lui-même.

Les chasseurs étaient mort, et deux d’entre eux avaient été laissé vivant pour constater, et rapporter ce qu’ils avaient vu. C’était le message qu’il faisait passer, chasser dans son domaine c’était s’exposer à la mort, et pas nécessairement une mort douce.

Il se releva, prenant son arc dans la main et jeta un regard impassible dans la direction qu’avaient empruntés Aldartai et Khadak. Il était temps qu’il se rende à cette petite fête, et il ne s’y rendrait pas seul.

*
**

Le retour au camp avait été long, et teinté de la peur que ressentaient ceux qui étaient observés sans relâche. Des yeux invisibles étaient en permanence sur les deux chasseurs, même les bêtes qui les accompagnaient n’avait pas été capable de les débusquer. C’était inutile de chercher, si on les voulait mort ils mourraient en pleine forêt, mais ce n’était pas le destin qui leur était réservé. La seule pensée qu’ils pouvaient être attaqué à n’importe quel moment suffisait pour celui qui les observait, du moins pour le moment.

Bientôt il entendirent les chants et la musique provenant du camps, une ambiance bien trop joyeuse pour les chasseurs au regard morne. Aldartai menait la marche, et ignorait tout ceux qui les interpellait, il ne cherchait qu’une seule personne, et c’était le gharyn. Torbek subissait toujours les affres d’une organisation mal préparée, il cherchait des solutions à tout les problèmes qu’il se posait, et il était aussi inquiet. Aucun chasseur n’était encore rentré, ils allaient manquer de vivres pour les convives, et il redoutait ce qui avait pu leur arriver dans la forêt. Son visage s’illumina brièvement lorsqu’il vit arriver Aldartai et Khadak, mais devant les mines ternes des deux hommes, son sourire se figea avant de retomber.

-Que s’est-il passé ? Demanda t-il finalement après un léger silence.

-On a croisé d’autres chasseurs, tous étaient déjà mort quand on est arrivé, tué par la main de l’homme et par des bêtes.

-C’est un carnage, gharyn il faut qu’on annule la fête et qu’on parte d’ici au plus vite !

-Non annuler la fête n’est pas une option, il doit y avoir un autre moyen-

Le gharyn fût coupé en pleine phrase, le bruit d’arbres ployant sous une force gigantesque retentit dans tout le camp, coupant dans leur élan musique, chants et danses, tous se tournèrent vers l’origine de ce bruit. La bête qui défonçait les arbres se révéla au camps, un énorme mogoï fixait de ses yeux les humains rassemblés ici. La silhouette d’un homme massif s’approcha, il devait être aussi grand qu’Aldartai, armé d’un seul arc et de son carquois. Il tapota le flanc de son mogoï avant de balayer l’assistance du regard.

-Qui est le gharyn ici ? Demanda t-il avec une voix grave et menaçante.

Torbek s’approcha de l’étranger, tout en conservant une distance respectable.

-C’est moi, qui êtes vous et que voulez-vous ?

-Que vous partiez, et que vous ne revenez jamais pour faire vos petites fêtes ici. Vos chasses sont irrespectueuses, et je ne permettrai pas que des gamins viennent tuer des bêtes pour le simple plaisir de la chasse. Chaque année vous revenez toujours plus nombreux, chaque année vous tuez toujours plus. Mais cette fois vous n’êtes pas les prédateurs ici, j’y ai veillé.

Alors que les défenseurs des différents clans s’armaient, le mogoï frappa la terre de ses pattes avant de pousser un grognement. Son maître restait indifférent face à la menace que représentaient les défenseurs, peut-être pensait-il qu’ils étaient bien trop inférieur à lui pour représenter une quelconque menace.

Aldartai ressentait une grande appréhension, cet homme était dangereux, il pouvait le sentir en son fort intérieur. Oh face à tout les défenseurs il ne faisait pas le poids, mais s’il portait le combat jusque dans la forêt c’était une toute autre histoire.

-Nous ne pouvons pas partir maintenant, les derniers clans viennent seulement d’arriver et je ne les renverrai pas d’où ils viennent. Mais je peux interdire l’entrée dans la forêt, est-ce que ça vous convient ?

L’homme porta la main à son menton, réfléchissant quelques instants avant d’opiner du chef.

-Très bien, mais ce sera le premier et dernier avertissement, si vous ne tenez pas parole je vous ferai partir par la force. Gardez bien ça en mémoire.

Le mogoï fit demi tour avant de retourner dans la forêt, avant que la forme de l’homme ne se mette à changer pour se transformer en aigle. L’aigle prit son envol, abandonnant là les clans et les festivités. Torbek poussa un soupir de soulagement avant de reprendre une mine plus sérieuse. Il ne comptait pas se laisser marcher sur les pieds par un homme seul, son égo en avait prit un coup devant son clans, mais aussi devant les autres clans. Cela demandait réparation.

-Khadak, Aldartai, venez me voir ce soir, j’ai une mission pour vous.

Le ton du gharyn ne laissait pas de place au questionnement ou au doute sur ses intentions. Aldartai poussa un soupire résigné, les gens qui ne savaient pas quand abandonner l’horripilaient.

-Je ne me laisserai pas dicter ma conduite par qui que ce soit, et certainement pas devant les autres clans !

Il tapa du poing sur la table, provoquant des grimaces sur les visages des protecteurs de la tribu. Khadak et Aldartai restaient de marbre, ils savaient déjà ce que voulait le gharyn, et ce ne leur plaisait pas. Il voulait guérir son orgueil blessé, l’imbécile ne se rendait pas compte qu’il était face à quelqu’un qu’il ne pouvait pas battre.

-Khadak, Aldartai, vous êtes entré dans la forêt, qu’est-ce que vous y avez vu ?

-Des cadavres, des marques qui proviennent de plusieurs bêtes différentes. Il y a un mogoï mais il doit y avoir d’autres bêtes, lesquelles en revanche je n’en ai aucune idée.

-Quelles sont nos chances de battre cet homme ?

Aldartai éclata de rire devant la demande du gharyn. Ses craintes étaient fondées, c’était vraiment un idiot.

-Un homme avec un mogoï écrase tout vos chasseurs, et se permet même de venir vous menacer devant tout les protecteurs et vous demandez toujours comment le battre ? Soyez sérieux, s’il n’était pas sûr d’être capable de nous abattre il ne serait pas venu lui-même, il aurait attendu que des secours viennent à la recherche des chasseurs. Secours qui ne seraient jamais revenus non plus.

Le gharyn leva un poing rageur, avant de s’abstenir et de laisser retomber son bras.

-Qu’est-ce que vous suggérez ?

-Écoutez son avertissement, nous laisser rester ici est déjà très généreux pour quelqu’un qui a abattu tout les chasseurs. Ne provoquez pas la colère d’un homme dont vous ignorez les forces et les capacités, sinon vous mourrez.

-Aldartai n’a pas tort, il a déjà abattu tout nos chasseurs volontaires, visiblement sans recevoir de blessure lui-même. Il vaut mieux que nous évitions de le provoquer.

Torbek ne pipait mot, l’expression furieuse inscrite sur son visage était assez éloquente pour ça. Il n’aimait pas qu’on le contredise, et il ne comptait pas laissait un affront impuni.

-Hors de ma vue. Immédiatement.

Les deux hommes s’éloignèrent du gharyn furieux, conscient tout deux qu’il ne reviendrait pas sur sa décision. Khadak poussa un soupir avant de regarder la forêt, inquiet.

-Combien en réchapperaient à ton avis ?

-Aucun, tu as vu avec quelle facilité les autre chasseurs ont été abattus ? Ça laisse imaginer ce qu’il réserve aux prochains. Mais je suis plus inquiet de ce qu’il fera quand il verra que le gharyn n’aura pas tenu parole.

-Le raisonner maintenant ne servirait à rien, il a déjà pris sa décision et il est trop borné pour entendre raison.

-On n’a pas nécessairement besoin de le raisonner lui, autant essayer de raisonner l’autre, ça irait plus vite.

-Amisgal enseigne la diplomatie hein ?

-Et on ne lui fera pas honte pendant une fête qui lui est dédiée. Mieux vaut partir maintenant, ton gharyn n’enverra pas tout de suite les protecteurs, on aura plus de temps devant nous.

Khadak opina du chef avant de suivre Aldartai. Ils prirent leurs armes, sachant qu’elles seraient inutile si l’autre homme décidait de les abattre de loin, mais c’était rassurant de savoir qu’ils avaient une arme à portée de main. Accompagnées des bêtes de Khadak, les deux hommes s’enfoncèrent dans les profondeurs de la forêt, une torche à la main pour illuminer l’obscurité.

Aldartai et Khadak erraient dans la forêt depuis une heure déjà, les torches qu’ils portaient se consumaient, et faiblissaient progressivement. Ils risquaient de se perdre, mais ils ne pouvaient pas abandonner leur objectif ambitieux. Ils devaient essayer de raisonner l’homme qui avait attaqué les chasseurs, ou ils risquaient plus que quelques morts.

Il entendirent un grognement dans l’obscurité, ils se mirent en garde, préparés à répondre à toute menace. Un aimshgiin sortit lentement de l’ombre, ses pupilles fixant tour à tour les deux hommes. L’aimshgiin eut un léger recul, avant de se tourner vers le chemin et de s’y aventurer. La bête lança un regard aux deux chasseurs, comme pour les enjoindre à la suivre. Un silence plana quelques instants avant que Khadak ne s’exprime.

-Il veut qu’on le suive, son maître veut nous voir.

-Alors ne le faisons pas attendre plus longtemps, je ne veux pas me retrouver avec une flèche plantée dans la gorge.

L’aimshgiin mena alors la marche, guidant les humains et les autres bêtes vers son maître. Une faible lueur était déjà visible après quelques minutes, la lueur d’un feu de camps. Adossé à un arbre,  l’homme les attendait sans aucune arme visible à sa portée. L’aimshgiin se positionna près de son maître, laissant à ce dernier le loisir de s’exprimer.

-Alors le gharyn n’a pas tenu parole, vous êtes entrés dans la forêt. Vous faites parti de ceux qui chassaient plus tôt, les seuls encore en vie. Et pourtant vous êtes revenus alors que vous savez ce que j’ai fait aux autres, pourquoi ?

-Pour vous convaincre de ne pas mettre vos menaces à exécution.

L’homme éclata de rire devant la réponse de Khadak.

-Et pourtant vous venez ici armés, prêt à tuer, ou a vous défendre peut-être ?

-Vous auriez pu nous tuer depuis longtemps si vous l’aviez voulu, dégainer mon épée ne ferait pas de moi une menace pour vous. Nous n’avons pas la moindre chance contre vous. Admit le suhur avec amertume.

-Vous vous jetez dans la gueule du loup en toute connaissance de cause, je ne sais pas si vous êtes courageux ou stupides. Quand à la raison de votre venue… je suis curieux, exposez moi vos arguments, et je déciderai de ce que je ferai.

-Vous pourriez nous tuer nous, tuer les différents clans qui s’aventureraient ici. Mais ça ne changerait rien, les pertes s’accumuleraient, et il y aurait une récompense pour vous abattre, amenant toujours plus de gens à venir ici et troubler la forêt. D’autres demanderont vengeance, et plus vous tuerez, plus ils seront nombreux. Les gharyns devront prendre une décision, et un jour vous ne pourrez plus défendre cet endroit. La forêt sera en ruine, les animaux l’auront déserté et vous finirez par craquer. Vous ne pourrez pas vous battre indéfiniment, vous pourrez réussir contre les envahisseurs, au début du moins.

L'homme prit quelques instants pour digérer les arguments d'Aldartai. Après quelques minutes de réflexion, il prit la parole de nouveau.

-C'est une possibilité oui, mais ça ne change pas le problème initial. Vous êtes trop nombreux, vous continuez de grandir d'année en année. Trouvez d'autres sources de nourriture, achetez du bétail aux clans connus pour leur élevage, mais ne troublez pas plus cette forêt. Ne me faites pas regretter cette décision.

Un oiseau se posa sur l'épaule de l'homme, son visage se fit plus sauvage, plus implacable.

-D'autres protecteurs armés ont fait irruption dans la forêt, j'imagine que ceux-là ne sont pas venu pour discuter n'est-ce pas ? Je n'ai aucun respect pour ceux qui ne tiennent pas parole, mais je garde en mémoire ce que vous m'avez dit. Je ne prendrai que la tête de votre gharyn, aucun autre ne sera blessé.

Avant que les deux chasseurs ne puissent protester, l'homme changeait de forme, annonçant la tempête à venir.