Epreuve 2 : Ostium Tenebris - Duralàs

« Eh, Lune, on est où là ?

-Aucune idée… Ce monde est si étrange… Est-ce qu’on dort ? »

La louve brumeuse semblait aussi perplexe que moi, nous regardions dans toutes les directions afin de discerner, ne serait-ce qu’une brindille familière. Rien, les paysages ne semblaient même pas vouloir prendre forme, ils ondulaient de manière bien curieuse et je ne sentais aucune odeur, comme si rien n’était réel. Ni les arbres aux couleurs bien trop peu naturels qui nous entouraient, ni les chemins et les pierres, ni les étranges constructions de métal, ni les énormes créatures ailées qui se baladaient dans le ciel.

J’avais déjà vu des éléphants, dans les livres empruntés à la bibliothèque et j’étais certaines qu’ils ne possédaient pas d’ailes, mais après tous, les livres peuvent se tromper. Ceux-là en avaient en tous cas, même de loin, elles semblaient gigantesques, grisâtres et vaporeuses comme le reste de ce drôle d’univers.

« Bon, si on repart par là où nous sommes arrivées, on devrait pouvoir quitter cet endroit, Lune. »

Mais j’avais beau me retourner, j’ignorais comment nous étions arrivés là et peu à peu, la panique nous gagnait. Tentant de respirer un bon coup, je remarquais que le fond de l’air était tiède, pourtant la température ambiante était plutôt fraîche. Irrité par ce phénomène dépassant l’entendement, je me mis à marcher droit devant, suivis de près par une louve aux aguets.

Ce fut en réajustant nerveusement et de nombreuses fois mon violon sur mon épaule que j’avançais à travers des villes dont les maisons étaient toutes plus étranges les unes que les autres. Resserrant mes bras autour de moi, je regrettais de ne pas avoir amené ma grande cape, habillée seulement de mon chemisier blanc et bleu, cintré à la taille, aux manches exagérément bouffantes et d’un pantalon confortable, mais en rien taillé pour les basses températures.

Ma surprise fut encore plus grande lorsque la pluie commença à tomber, une pluie brûlante et fumante, nous obligeant à nous abriter sous un porche tout proche.

« Il manquait plus que ça … »

Les minutes semblèrent s’allonger indéfiniment pour devenir des heures et fixant le rideau de pluie d’un air dépité, je tentais de démêler cette logique illogique.

« L’eau, c’est censé mouiller, pas brûler, et devenir des flaques bizarres sur le sol qui plus es. Et puis pourquoi fait-il toujours aussi froid ? L’air est chaud… »

M’étant assise à même le sol, les genoux remontés sous mon menton, je me recroquevillais un peu plus sur moi-même afin de garder un peu de ma chaleur corporelle, et la louve m’imitant, j’observais les étranges bâtiments fait dans des matériaux que je ne connaissais pas, était-ce là une forme de magie particulière, comme tout le reste de cet univers ?

« Bonjour… Qui es-tu et comment es-tu arrivé là ? »

La voix me fis sursauter, il était rare de me surprendre ainsi, mais cette pluie surnaturelle n’aidait en rien mon odorat endormi. Lune se leva d’un bon, grondant, la Brume qui s’échappait de sa fourrure s’affola et s’épaissit, la rendant encore plus menaçante.

« Je pourrais te retourner la question… Je m’appelle Holy, et elle, c’est Lune… En vérité, je n’ai aucune idée de la manière dont on est arrivée ici… Je me souviens juste que nous répétions avec mes amis et puis je me suis réveillé là, enfin, là-bas, plus loin. » Avais-je dit d’un air perdu, en ignorant la louve qui grognait à côté de moi, trop engourdis pour me lever, mes prunelles bicolores plantées dans celles de l’humain me faisant face.

Il devait peut-être avoir une dizaine d’années de plus que moi et comme la plupart des hommes, il était bien plus grand et imposant que ma frêle et petite stature humaine, mais ce furent ses habits qui m’alertèrent le plus, ils ne ressemblaient en rien aux étoffes que l’on trouvait sur les marchés Dùralassiens.

« Je veux juste rentrer chez moi… » Déclarais-je finalement, trop épuisé par le froid pour continuer mon analyse. « Je suis sûre que c’est un coup de Charlotte… C’est sa spécialité les mauvaises farces. »

Lune ne baissa pas sa garde pour autant, grognant toujours, les épaules basses et les oreilles en arrière, mais l’homme ne semblait pas hostile et ce fut d’un grondement bref, mais suffisant que je calmais la louve qui s’assit à côté de moi. La qualifier de bête, bien que précédé du mot magnifique, n’irait pas pour lui plaire, mais ses origines mystiques ne paraissaient pas toujours évidentes.

« Elle ne mange pas de baies, » Dis-je alors que je voyais la tentative vaine de l’homme voulant faire ami-ami avec Lune. « Ne la touche pas, et ça se passera bien, » Je ne m’étendis pas sur le sujet, préférant écouter les explications de mon interlocuteur.

Je me trouvais donc dans le rêve de cette personne, je ne pus m’empêcher de balayer une nouvelle fois les paysages du regard. Il semblait aussi perplexe que moi et ne semblait trouver aucune explication logique à ma présence.

J’hésitais quelques secondes avant d’accepter de prendre la main de cet Eidon, mais après tout, j’étais seule dans ce monde qui lui appartenais visiblement et puis l’idée de me réchauffer devant un bon feu me… Attendez, mais ce n’était pas un feu ça ! Des bulles d’eaux répandant une agréable chaleur se baladaient tranquillement dans ce bâtiment étrange dont les parois étaient lisses et carrés. Mais étrange pour étrange, je m’assis devant la source du « féau » avec Lune, attendant patiemment de me réchauffer.

« Entrer dans la tête des gens, c’est un peu ma spécialité, mais c’est bien la première fois que j’entre vraiment dans la tête de quelqu’un, drôle de rêve, d’ailleurs, tu as vraiment tout imaginé ? » Tentais-je, avec un petit sourire afin de détendre l’atmosphère.

Je réfléchie quelques instant à la question, hypnotisé par la danse des bulles d’eaux se dégageant de la flaque au sol.

« Je crois bien que c’est Charlotte qui m’a téléporté ici. C’est une chatte un peu spéciale qui a un visage humain et la capacité de créer des portails de téléportation et j’imagine qu’il y a quelques raté des fois… »

Sa réaction lorsque je lui parlais de mes dons me perturba quelque peu, la magie était partout présente à Dùralas, même chez les humains, à moins qu’il ait vécu dans un coin reculé.

« Magique, c’est le mot, oui… Heu, une créature ? En effet, je suis une créature, mais Lune aussi et puis toi aussi, non ? Enfin, tous les êtres vivants sont des créatures quelque part, après il y en a des plus étrange que d’autre, mais… »

Perplexe, je n’avais pas très bien compris pourquoi il m’avait qualifié ainsi et je doutais, au ton qu’il avait employé, que la remarque se voulait grossière. Me rendant compte que je m’éloignais quelque peu de la discussion, je fis une courte pause avant de reprendre.

« Mais effectivement, je ne suis pas une humaine si c’était là la question, je suis une thérianthrope chien, une chienne-garou si tu préfères, j’ai grandi dans un petit village près de la ville de Baldhoreim, essentiellement naine, on y trouve de l’excellent hydromel, de la bonne bière, mais leur spécialité, ce sont les fourrés à la myrtille, les meilleures pâtisseries de tout le continent si tu veux mon avis.
Oh, entrer dans la tête des gens est un bien grand mot, disons que je peux simplement capter certaines émotions et les influencer, grâce à une brume magique que je créer en jouant de la musique… »

Dis comme ça, ça devait paraître étrange, mais j’ignorais comment mieux m’expliquer, je montrais tout de même le violon accroché dans mon dos. Cependant, j’étais à présent trop intéressée par sa transformation d’un de ces murs lisse et gris, en une substance multicolore et aérienne, pour y faire attention.

« Wouah ! Qu’est-ce que c’est ? » M’exclamais-je, analysant sous tous les angles sa création lorsqu’il s’assit près de moi. N'osant pas la toucher alors que mon odorat revenu m'alerta d'une bonne odeur sucrée.

« Eh bien oui, Charlotte est tout ça, elle porte également un masque à longueur de temps et il faudra bien qu’elle vienne me chercher pour que je puisse quitter ton rêve. »

Je sentais bien qu’il avait dû mal à me croire, pourtant, on trouvait des créatures bien plus incroyable dans les contrées Dùralassiennes.

Drôle de nom pour nommer une sucrerie, les barbes ne sont ni colorées, ni sucrées pourtant… Mais voyant qu'Eidon en mangea deux grosses poignées, je ne me fis pas priée longtemps lorsqu’il m’en tendit une. Aussi sucré que l’odeur me le laissait penser, j’engloutis avec joie la fin de la barbe à papa que j’avais gentiment pris des mains de l’homme toujours assis à côté de moi, terminant ma dégustation avec un sourire innocent découvrant mes quenottes pointues, plus courtes et plus larges que celles d’un vampire.

Comme précédemment, il tenta de ne pas relever mes explications et sentant bien qu’il ne me croyait pas du tout, je me demandais à présent de quel monde, il venait. Ses intentions étaient très claires, il voulait que je parte. Bien que cela n’aurait pas dû, je m’en sentais un peu vexée, alors lorsqu’il se leva d’un bon en s’exclamant avoir une idée, je ne réagis pas tout de suite, les yeux insolemment rivés sur les bulles chaudes.

« Mon corps est physiquement ici contrairement au tien qui est endormi, si tu te réveilles maintenant, j’ignore ce qu’il pourrait m’arriver, rien de bon, à mon avis. » Finis-je par dire au bout d’un certain temps accompagné d’un profond soupir, nous revoilà au point de départ.

Ce fut peu après qu’un son, ressemblant à une feuille de papier se déchirant, se fit entendre non loin suivit d’un halo lumineux prenant la forme d’un cercle. De ce cercle sombre sortit une tête masquée, accompagnée d’un corps de chat noir et blanc avançant d’un pas traînant vers moi.

« Tiens, Charlotte. » Dis-je d’un ton mi-étonné, mi-satisfait, puis vers l’homme, accompagné d'un nouveau sourire. « Tu me crois, maintenant ? »

L’étrange chatte s’assit devant moi et entreprit une toilette minutieuse de sa patte, tendit que je me levais, suivit de Lune qui était restée discrète jusqu’à présent.

« J’espère que tu es fière de toi, ramène-moi à la maison maintenant. » À présent que j’eus compris que ma présence n’était pas vraiment désirée en ces lieus, j’avais encore plus hâte de les quitter. Charlotte se leva d’un air las et repartie en direction du portail.

« Il est temps de nous dire adieu, ce fut un réel plaisir d’avoir fait ta connaissance, Eidon. » Après une petite révérence théâtrale, je restais encore quelques secondes immobiles, observant une dernière fois ce rêve étrange avant de disparaître également dans le portail qui se referma derrière moi.