Bras de fer à haute altitude

Cerka, le 03 Mars 939

Adam se réveilla en sursaut. La sueur recouvrait la moindre parcelle de son corps et rendait collant le drap sur lui. Le sergent retira le tissus qui le collait et s’assit, essayant de récupérer son souffle. Encore une nuit où le peu de souvenir qu’il avait était venu le hanter, et où certains cherchaient à refaire surface sans son accord. Les cris de détresse de ses camarades résonnaient encore dans ses oreilles lorsque son palpitant reprit un rythme plus normal.
Une fois cette douleur soulagée, de nouveaux maux prenaient le relais. Le tiraillement dans son bras gauche, là où la chair rejoignait sa prothèse, lui indiquait que l’air était probablement humide ce matin. La métal, reposant en partie sur sa jambe, était quant à lui d’un froid glacial. Froid qui semblait remonter jusque dans son cœur et dans son âme. Ca ne lui rappelait que trop tout ce qu’il avait perdu : son membre, ses camarades, ses souvenirs, son innocence.
Il lui restait encore son travail, mais pour combien de temps ? Depuis la dizaine de jours qu’il était sortit de l’hôpital, l’armée l’avait déjà contacté deux fois pour lui indiquer qu’il devait bientôt reprendre son poste si il ne voulait pas être réformé. Certes, il ne leur coûtait pas d’argent pour le moment. Mais des conversations qu’il avait entendu à l’hôpital, en particulier d’une infirmière intarissable sur les potins, l’armée et le gouvernement avait besoin de tous les appuis possible. La perte de son bataillon était certes une goutte d’eau dans l’océan, sauf que cette goutte était énorme tant ces hommes travaillaient en symbiose et leur taux de réussite frôlait la perfection. Enfin, c’est ce qu’on lui en avait dit. Même si un recrutement était en cours, il faudrait plusieurs mois pour qu’un esprit d’équipe refasse surface. Quant à savoir si il en ferait partie, c’était une autre histoire.

Le soldat préféra laisser ces considérations de côté pour se concentrer sur une toilette complète et son habillement. Aujourd’hui était un jour différent, celui où il partait récupérer sa nouvelle prothèse. Celle bas de gamme que l’armée lui avait refourgué était loin de pouvoir suivre son rythme sur la durée. Ce bric-à-brac de vis et de plaques se briserait probablement au moindre choc. Aussi, Adam avait décidé de casser sa tirelire pour se payer quelque chose de plus solide et plus fiable. L’artisan chez qui il avait passé commande se trouvait dans un petit village au sud-Ouest de Cerka, il lui avait été conseillé par un des médecins de l’hôpital. Certes les tarifs étaient élevé, et il fallait compter le prix du voyage, mais le résultat semblait être à la hauteur.
Adam avait reçu hier l’information que son bijou était prêt, et avait réservé en suivant son transport.  Etonnament,  un nom lui avait paru familier. Un soi-disant Hex Hekmatyar, bien qu’il ne se souvienne pas du contexte de leur rencontre. L’impression de confiance qu’il avait ressenti l’avait cependant rassuré. Il n’avait aucune confiance en son esprit, mais son corps avait réagit et lui ne mentait pas.

Adam revêtit son uniforme, prit son vieux sac de voyage préparé la veille ainsi que son fidèle marteau et quitta son dortoir de fortune, se rendant dans la pièce à vivre de la maison. Il ne louait que la chambre mais avait le loisir de se servir à manger et de profiter de la pièce principale. Les braises étaient encore rougeoyantes dans l’âtre, preuve de l’heure matinale. Adam se servit à son habitude une tranche de pain et de fromage, accompagnés d’un fruit. Il ne savait pas si il pourrait manger à son aise dans la frégate qui devait l’amener, ni si il pourrait se nourrir facilement une fois arrivé à bon port. Aussi, il prit soin de manger autant qu’il put avant de laisser un mot pour les propriétaires, leur indiquant son départ pour quelques jours, ainsi que suffisamment de monnaie pour payer les quinze  prochains jours de location. Il referma quelques minutes plus tard la porte de la demeure, non sans avoir remis du bois dans le feu, évitant à la maîtresse de maison de refaire un nouveau feu. Ces gens l’avaient accueillit sans lui poser de questions, sans chercher à faire parler l’homme renfermé qu’il était devenu. C’était plus qu’appréciable, après avoir été sans cesse sollicité à l’hôpital, ainsi que par ses supérieurs. Personne ne comprenait réellement son besoin de tranquillité.

Les premiers rayons de soleil perçaient à peine au travers de la brume matinale lorsque qu’Adam traversa le quartier pour se rendre à l’aéroport. Un vieil homme lisait tranquillement son journal au comptoir, certainement peu habitué à avoir des voyageurs en cette heure plus que matinale. Malgré son pas lourd, et le bruit de la ferraille qu’il transportait, l’ancien ne daignait pas lever la tête. Les doigts métallique du soldat tapotèrent impatiemment sur le comptoir, pensant que ce serait suffisant. Les yeux du réceptionnistes, par l’intermédiaire de ses lunettes en bout de nez, restaient toujours concentrés sur la lecture de l’article à la une. Une énième histoire de scandale dans les hautes sphères. Rien qui incitait Adam à rester patient. Ca avait même tendance à l’enrager de manière générale. Toutes ces bonnes gens se pavanant ensemble et se tirant dessus par derrière jouaient pendant que des hommes mourraient pour eux !

Un coup de pied dans le comptoir fit sursauter le vieil homme, ses lunettes tombant avec le journal sur le sol.

« Mais enfin ! Faites attention ! Vous pourriez vous annoncer à la fin ! »

Sa voix chevrotante était pleine de colère. Etait-ce d’avoir été dérangé dans sa lecture ou bien la frousse qu’il venait d’avoir ? Peut importait Adam, dont la voix grave et à la tonalité impatiente ne montrait aucune compassion.

« J’ai réservé une place sur la frégate de Hex Hekmatyar. C’est quel quai ? »

L’impolitesse du voyageur commençait à rendre l’employé rouge de colère. Certainement allait-il l’envoyer paître jusqu’à ce que ses mirettes tombent sur le col de la veste militaire, pas totalement cachée par le chaud manteau d’Adam. Il remballa la réplique acerbe qu’il devait vouloir lui répondre et regarda le registre.

« Quai numéro 3 »

Un regard noir fit comprendre à Adam qu’il n’en aurait pas plus, et ce dernier se dirigea vers le dit endroit. Il entendit tout de même un grognement « Ca porte une arme et ça se croit tout permis ! On leur apprends plus le respect de nos jours ?! ». Il était trop éloigné pour entendre le reste, certainement du même acabit.

En poussant la porte séparant l’accueil et les quais, une rafale glaciale le traversa. Un de ses mains vint se mettre sur son front, protégeant partiellement son visage, le temps de refermer.
En se tournant, il aperçut la petit aéronef qui attendait patiemment, encore fermement amarrée. Rien de  clinquant, du typiquement militaire. Encore une raison de sentir que  son choix était le bon, le matériel de transport de l’armée était fiable. Nul conducteur n’était cependant en vu.

« Hex Hekmatyar ? »

Ses mots sonnèrent bien plus bruyamment qu’il ne l’avait prévu. Au moins son hôte saurait qu’il était là, l’intonation lui indiquant qu’un homme à la patience limitée attendait là.

PS:

L’homme lui disait définitivement quelque chose, même si il était persuadé qu’il ne devait pas être aussi austère auparavant. Voyant que le pilote s’était légèrement détendu en comprenant qu’il n’était pas là pour lui soutirer de l’argent, mais plutôt pour lui en donner, il le suivit dans la frégate. Le sergent avait bien remarqué la tenue de son vis-à-vis, et malgré l’usure, on ne pouvait douter qu’il s’agissait de vrais habits militaires. De plus, la veste d’Adam avait été reconnue en un coup d’oeil, un indice de plus.

Une odeur de tabac les accompagnait pendant qu’ils traversaient l’engin, et le sergent suivit les instructions en laissant tout son barda à la queue. C’était confortable de pouvoir simplement écouter sans avoir à répondre. Le sentiment lui était familier et l’apaisait quelque peu. Ce qui ne l’empêcha pas de détailler le bâtiment, en particulier l’armement. Impressionnant pour une bicoque. Six ans en arrière, il n’était pas si observateur. Il se contentait de regarder ce qui se trouvait sous ses yeux. Cet état de fait lui semblait naturel, et c’est ce qui était dérangeant. Il n’avait aucun putain de souvenir de la formation qu’il avait suivit, ni de ses entraînements, ni de ses missions. Pourtant, c’était désormais ancré en lui, comme une seconde peau.
Sans même y réfléchir, il avait détaillé chaque arme, leur état, les munitions sur arme et en réserve visible. Chacune avait été classifiée par ordre de dangerosité, et son oreille serait vigilante si le moindre cliquetis devait se faire entendre. Ce nouveau lui faisait peur à Adam. Au fond de lui, il redoutait le jour où il devrait se battre et de voir par ses propres yeux comment il avait pu échapper à la guerre avec seulement un bras en moins.

Une fois rendu dans le poste de pilotage, non sans avoir du se baisser lors de la traversée, il retira son chaud manteau et prit place sur ce qui devait être son siège.

-Je pensais que l'armée fournissait encore le transport de nos jours, c'est pour un retour au régiment c'est ça ?

Se tournant vers Hex, il réfléchit un instant, tout en ancrant ses iris aux siennes.
Un retour au régiment ? Non pas encore, peut-être même jamais. Il n’en savait foutre rien pour l’instant. Sa tenue laissait place au doute, elle lui paraissait pourtant plus appropriée pour s'habiller. Surtout avec son nouveau membre métallique, il se sentait plus "normal". Et les boutons dorés se mariaient étonnamment bien avec le gris de la prothèse. Près d'une minute passa ainsi, pendant qu'il mûrissait sa réponse. Ses états-d'âme, bien qu'il essaye de les cacher, ne passaient probablement pas inaperçu auprès de quelqu'un d'avertis.

« C’est pour une affaire personnelle. »

Se rappelant de l’accueil qu’il avait eu à l’entrée de l’aéroport, il préféra redonner les informations essentielles quant à sa destination. Même si son pilote avait sans doutes eu connaissance de la mission avant de l’accepter.

« Nous allons au village de  Calum, au Sud-Ouest. Je dois y voir un artisan et on devrait pouvoir revenir demain ou après-demain. J’en saurais plus sur place. Tu sera payé en conséquence. »

Pas de pincettes, pas de tralala. Juste 2 soldats qui parlent d’une mission et c’était très bien. Adam s’interrogeait tout de même sur son vis-à-vis. Ils s’étaient rencontrés pour sûr, et probablement en service. Le sergent devait faire la lumière sur tout ça. Son état mental, qu’il considérait comme une immense faiblesses, était à ses yeux un secret qu'il ne comptait pas dévoiler. Adam devait tenter d’utiliser des subterfuges pour connaître leur passé commun. Et quoi de mieux pour amorcer la conversation que ce qui devait les rapprocher aujourd’hui : des désaccords criants avec l’armée.

« Que s’est-il passé pour toi ? »

Il fit un signe de tête vers les médailles accrochées au mur, pour lui faire comprendre de quoi il parlait. Le panel était impressionnant, pour un gars aussi jeune.
Il laissa cependant Hex s’occuper du décollage de l’appareil, avant d’attendre une réponse. De toute façon, ils avaient tout le temps du voyage pour parler.

L’armée n’était décidément pas reconnaissante. Adam avait bien remarqué qu’à l’hôpital il n’était pas le seul à avoir été « bricolé » plutôt que correctement réparé. Et visiblement les problèmes ne dataient pas d’aujourd’hui. Qui sait, peut-être lui -même aussi en avait fait les frais en début de guerre ? En tous cas, Hex avait expressément indiqué qu’il n’en dirait pas plus. Si quelqu’un était bien d’accords, c’était le soldat amoché. A priori ils se comprenaient, alors tenter d’en savoir plus n’était peut-être pas si important.

Le ronronnement des machines n’était pas désagréable une fois le casque posé sur les oreilles. A nouveau, cette sensation de familiarité avec la situation le saisi. Peut-être que le son était semblable dans son armure….Adam en profita pour regarder le spectacle saisissant de la ville se réduisant au fur et à mesure que l’engin gagnait le ciel. Ici, les nombreux stigmates de la guerre disparaissaient de leur vision.

-T'a l'air d'avoir morflé aussi, la guerre ?

« _Oui, Skingrad l’été dernier. J’étais sous un bâtiment qui a été explosé. Apparemment j’ai eu de la chance... »

Il doutait fortement avoir eu de la chance comme ça lui avait été répété. Sa lueur d’espoir quant à retrouver son utilité résidait dans la prothèse qu’il allait chercher, le but de son voyage.
Pour ce qui s’était passé avant...encore une fois penser aux combat remplit son être d’amertume. Les blessures physique n‘étaient peut-être pas les seules qu’il avait connu. Peut-être était-ce la vraie raison pour laquelle il repoussait ses souvenirs de toutes ses forces.

Plus aucune parole ne fut prononcée pendant quelques temps, seul le bercement du moteur emplissait la cabine.

Les pensées d’Adam dérivèrent dans les nuages qui les entouraient et le ramenèrent soudainement à la guerre, avant son déploiement à Skingrad. Le visage de quelqu’un qu’il considérait comme important était à ses côtés et ses lèvres bougeaient sans que le sergent n’en saisisse les paroles. Les deux hommes se tenaient dans un décor apocalyptique : des flammes dévoraient plusieurs maisons,  des tas de pierre gisaient sur les côtés de la rue, proches de plusieurs blessés dont le sang commençait à changer la couleur du sol, petit à petit. Ce que lui montrait son camarade n’était autre qu’une femme de taille moyenne s’apprêtant à utiliser la magie pour causer d’autant plus de dégâts. Adam se vit courir vers la mytranne, s’arrêter devant elle pour ancrer son corps au sol pendant que son marteau s’élançait en direction de son crâne. Les yeux bleus de la magicienne étaient toujours écarquillés de surprise lorsque la tête roula quelques mètre plus loin. Elle fut rejointe par plusieurs autres, semblables par les chairs de leurs cous déchirées et le regard terrifié, mais différentes par tout ce qui pouvait caractériser physiquement une personne d’une autre. Toutes accusaient leur bourreau, face à elles.
La respiration du soldat s’accéléra pendant que le bruit d’une explosion retenti à côté de lui.

Adam se réveilla en sursaut quant il comprit que le son qui l’avait réveillé n’était pour une fois pas celui de son rêve, mais bien ancré dans la réalité. Il lui fallut quelques secondes pour reprendre piedet repousser les réminiscences de son rêve. Secondes qui furent déjà trop longue par rapport à son pilote, qui lui semblait avoir comprit que quelque chose ne tournait pas rond.
Le sergent retira son casque pour se concentrer sur l’extérieur. Un autre moteur se faisait entendre de plus en plus près. Celui-ci émettait des ondes sonores plus aiguës, avec quelques pétarades impromptues, portant tout de même à croire qu’il était plus rapide que  celui de leur propre bâtiment.  

Rien n’indiquait cependant qu’ils étaient en danger, si ce n’est les frissons qui s’étaient logés sur les avants-bras d’Adam. Sa nuque le piquait, chose qu’il considérait apparemment comme un signe auquel il fallait porter une attention particulière. Fronçant les sourcils, il s’adressa au propriétaire des lieux, une légère urgence pointant.

« Je ne le sens pas. »

Si ça n’avait tenu qu’à lui, et que l’aéronef lui appartenait, il serait déjà allé s’asseoir sur le siège de la mitrailleuse. Juste au cas où.

Les premières balles qui furent tirées confirmèrent le mauvais pressentiment que le soldat avait eut. L’autre aéronef n’était pas la pour discutailler, plutôt pour les couler ou tout du moins les ralentir suffisamment pour qu’ils puissent les aborder. L’esquive d’Hex avait eut le mérite de leur donner un peu de répit.

Assez peu pour lui, puisqu’il se retrouva de force avec leur vie dans la main. Cet homme était-il fou de le laisser aux commandes plutôt qu’à la bataille ? La réponse, ainsi que toute autre pensée n’avait plus d’importance en cet instant. Toute sa concentration était focalisée sur leur situation. Adam avait probablement connu assez de combats pour savoir que ce sont des moments ancrés uniquement dans le présent.
Il n’avait aucune connaissances en pilotage, à part quelques bribes entendues lors des missions. Cela se ressenti lorsque l’appareil piqua du nez alors qu’Adam poussa le manche vers l’avant. Visiblement ce n’était pas la bonne manœuvre, c’était même l’inverse. Le changement brusque de trajectoire avait eu le mérite de leur éviter une nouvelle salve de tirs.

L’adrénaline affluait dans ses veines. La situation était dangereuse, le moindre tir pouvait avoir une conséquence catastrophique, et pourtant le sergent se sentait comme un poisson dans l’eau. Cette sensation, il la connaissait, elle lui était plus que familière. Seule l’action primait.

Après avoir redressé le manche, Adam tenta de stabiliser l’appareil. Le propriétaire de l’appareil lui demandait de zigzaguer...Sans même ne rien y connaître, le soldat suivit la première instruction et tira le manche pour faire pivoter l’avion sur la droite. Il avait comprit la logique de direction, cependant pas encore celle du temps d’exécution.

Le sergent avait redressé trop vite la commande et il fut expulsé contre la paroi de la cabine dans un bruit sourd. Sans personne pour la diriger, leur frégate avait pu garder son cap quelques secondes avant de piquer à nouveau vers le sol. Le pilote de fortune n’avait donc pas le loisir de se remettre, qu’il  devait absolument récupérer le contrôle. Après deux tentatives fortuites avec son bras valide, il réussit à accrocher le siège avec sa prothèse. Le tiraillement qu’il sentit fut fugace, aussi il se dépêcha de reprendre le contrôle de l’appareil.

Impossible de déterminer le temps qu’avait duré leur chute dans le feu de l’action. Ce qui était sûr, c’est que le sol les aurait accueillis avec violence si la situation avait duré plus longtemps.

« Ca va derrière ? »

Adam préféra s’enquérir de l’état de Hex. En criant, priant pour que la radio ou le casque arriverait à transmettre ses paroles. Il espérait surtout que le mercenaire ne s’était pas cogné trop gravement si lui aussi avait dû faire un vol plané dans l’appareil. Qui les ferait atterrir en un seul morceaux sinon ?

La frégate amorçait une douce remontée. A priori, les pirates ne les suivaient plus, probablement surprit pas le changement de cap soudain. Impossible pourtant d’affirmer qu’ils ne les cherchaient pas toujours, quelque part là-haut. Tout en scannant le ciel pour trouver trace de leurs poursuivants, Adam remarqua alors autre chose qui pourrait leur poser problème. Plus loin à l’Ouest, à leur horizon droit, des nuages gris ardoise s’avançaient dans leur direction. Même de si loin, il était aisé d’apercevoir des éclairs d’un bleu éclatant zébrer le ciel.

« On va avoir un autre soucis Hex. Regardes à 3 heures »

Sans savoir ce qu’il en était de son comparse, Adam préférait le prévenir de ce nouveau danger, attendant qu’il le rejoigne pour faire le point de leur situation.
Des pirates zélés, un orage violent, que pouvait-il se passer de pire ?

Le soulagement fut grand pour le soldat de revoir le vrai pilote de la frégate. Non seulement pour piloter, mais également pour lui donner son avis sur la situation.

c'est maintenant qu'on joue 

La réaction d’Hex paraissait plutôt inquiétante du point de vue de quelqu’un d’équilibré. Heureusement, Adam ne rentrait plus vraiment dans cette case et il comprenait, sans tout à fait la partager, l’excitation que le danger prochain leur amenait.

La plupart des gars de l’armée marchaient à l’action, ils venaient encore de le prouver tous les deux. Pour certains, ils y étaient même accroc et étaient à la recherche permanente du risque.  Les mêmes qui en frôlant la mort se sentaient vivants.
Adam n’était pas de ceux-là. Ce qui les réunissaient tous par contre c’est que dans le feu de l’action, seuls les actes comptent. Les couards n’avaient pas la place dans leurs rangs.
Quelque soit la raison pour laquelle ils le faisaient, tous les soldats devaient faire face. Pas question pour lui d’y échapper maintenant. Bien qu’inquiétante, la situation avait eu le mérite de le remettre dans sa peau militaire, les yeux en face des trous et la tête sur les épaules. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas eu les idées aussi claires.

-Hm... tu sais pourquoi il y a peu de vols dans la région maintenant, c'est ce genre de tempête qui peut t'envoyer une caraque au tapis.

« C’est vrai que j’ai eu du mal à trouver un volontaire. La saison doit être particulièrement propice au mauvais temps »

Venant de Rocéas, le sergent s’y connaissait plus en matière de neige. Il savait cependant que sur la pointe de Rathram, le temps pouvait vite tourner et que les tempêtes n’étaient pas rares. Certainement un soldat qui lui en avait parlé, car il ne se rappelait de personne dans sa jeunesse venant de ce côté-là.

Ce qui avait l’air d’un orage d’enfer, pouvait s’accompagner de vents violents et de trombes d’eau. Les nuages n’étaient pas encore assez proche pour qu’ils puissent le déterminer. En jetant un coup d’oeil par la fenêtre vers le sol, il aperçu le vent qui se levait, balayant l’herbe. Il fallait vite se décider sur la marche à suivre.

Etre en vol relevait pratiquement du suicide avec ce temps, être en plaine avec l’enfer qui vous tombe sur la tête ce n’est pas l’idéal non plus. Adam remarqua qu’il n’y avait aucune  habitation proche. Pas même une grange. Seule de la végétation à perte de vue. Heureusement, il n’y avait déjà pas beaucoup d’arbres, ce qui enlevait un le risque qu’ils impliquaient avec les éclairs. Une fois à terre, si la foudre atteignait l’appareil, aucune certitude quant à l’état de l’appareil ni le leur.

« Dans tous les cas on est quasiment cuits. »

Rentraient aussi en ligne de mire le rendez-vous qu’il avait avec le mécanicien, qui avait beaucoup de demandes et n’apprécierait probablement pas un retard sur son planning chargé. S’arrêter les ralentiraient pour une durée indéterminée et mettait en péril sa ponctualité et donc la récupération de son nouveau bras. Il n’en avait aucunement envie. Plus vite il virerait la camelote qu’on lui avait refourgué, mieux ce serait.
D’autre part, même si leurs assaillants s’étaient ravisés, ils feraient une cible facile au sol. Rien ne disait que les pirates ne se remettraient pas à les chasser une le gros de l’orage passé. Eux ou d’autres...

« T’as l’air d’être confiant sur tes chances. Je vais parier sur toi. »

Si il sortait vivant de ce déferlement, il se promettait de réfléchir sérieusement à son avenir, sans repousser une nouvelle fois sa décision.

Le soldat déclina la cigarette qui lui était offerte. Il savait bien assez les ravages que ça pouvait faire à des poumons qui avaient déjà passé quelques années dans les mines. Les nuages de poussière étaient une des premières causes de mortalité précoce pour ceux qui maniaient la pioche, juste après les accidents dus à la magilithe.

Sentant le vent plus fort sur l’aéronef, Adam préféra s’asseoir à son tour et boucler sa ceinture. Il n’avait pas vraiment envie de refaire un câlin à la paroi. La rafale qui fit tanguer l’appareil en suivant lui donna raison. Tout s’emballait au fur et à mesure qu’ils s’approchaient du cœur de la tempête, au point que n’importe qui pourrait se demander si la machine volante arriverait en un seul morceau. Arriverait tout court même.

Ce qui était impressionnant, ou effrayant selon le point de vue, était le détachement avec lequel son pilote prenait tout ça. A se demander ce qui pourrait l’affoler ou lui faire peur.
Que ce soit les rideaux d’eau qui leur tombait dessus ou les sifflements constants qui les entourait à cause des bourrasques, tout avait un air de fin du monde pourtant. Le sergent commençait à se demander si il avait fait le bon choix.

-Armure assistée sinon ? J'ai cru comprendre que vous étiez plus trop nombreux

La question était incongrue à cet instant, à tel point qu’Adam y répondit sans réfléchir.

« Ils sont tous morts... »

Il ne savait pas si Hex avait entendu avec l’enfer qui se déchaînait autour d’eux. Il avait réussit à oublier ses camarades quelques minutes, alors qu’il défendait sa vie. Cette simple question faisait revenir ses démons aux abords de son esprit. Même éveillé, ses cauchemars le guettait, tapis dans l’ombre et prêts à l’assaillir quand il baissait sa garde. Tels la montagne de de gravats sous laquelle il se rappelait désormais clairement avoir été enseveli.

Un nouvel à-coup violent le recentra sur l’instant présent. La frégate tremblait face au courant et finit par forcer le pilote à dévier encore plus violemment que les fois précédentes. Un bruit sourd et puissant se fit entendre, quelque part aux environs de l’aile droite. Une alarme stridente se mit à sonner, alors qu’Adam pouvait voir au moins deux cadran s’affoler.

Ce qu’on pouvait considérer comme la décoration de la cabine commençait même à se détacher. Tout était pourtant bien arrimé, le propriétaire ayant probablement l’habitude des turbulences et ne souhaitant pas perdre ses trésors. C’est pourtant bel et bien une médaille qui lui passa brutalement devant, lui causant une éraflure sur la joue gauche. Pas la peine de toucher pour savoir que quelques gouttes de sang s’en échapperaient sous peu, le sergent sentait déjà la chaleur de la coupure pour le lui confirmer.

Sans même avoir besoin de poser la question, Adam se douta de ce qui était en cause du dérèglement des appareils. L’aéronef et ses machines paniquaient de plus en plus, commençant à perdre de l’altitude alors que le pilote gardait le manche tiré vers lui. Il ne fallait pas être devin pour comprendre que quelque chose avait été touché et qu’ils finiraient tôt ou tard par atterrir d’urgence. Restait à prier pour que ce soit le plus tard et le plus proche de Callum possible.

Déjà attaché, Adam s’accrocha fermement aux deux accoudoirs de son fauteuil, toujours aussi peu rassuré par les bruits qu’il entendait.
Malgré tout, les à coups de atterrissage furent violent, manquant de lui faire rendre son repas avalé quelques heures plus tôt. L’adresse du pilote leur avait probablement évité une issue fatale, il en était bien conscient.

A peine remis de ses émotion, le passager déclina à nouveau le tabac de la tête.

« On est loin de Calum ? »

La chute n’avait rien arrangé à son caractère taciturne,  alors qu’il voyait sa ponctualité pour son rendez-vous fondre comme neige au soleil. Il enleva sa ceinture et appuya ses coudes sur ses genoux, sa tête venant momentanément se réfugier dans ses mains. Que faire désormais ?

« Y’a un plan de secours dans ce cas ? »

Il prit deux grandes respirations, pour calmer son estomac, et se redressa pour fixer son pilote. Vu le temps, même si quelqu’un devait venir les secourir, ce ne serait pas avant la fin de la pluie, bien que celle-ci commençait à faiblir. Encore faudrait-il sortir du bourbier dans lequel ils étaient. La plaine ressemblait davantage à un marécage qu’à une prairie, rendant d’autant plus difficile leur échappée.
L’humidité réveillait ses douleurs, et son moignons le tirait désagréablement. Maintenant qu’ils n’étaient plus dans l’action, il était en train de payer son rattrapage au siège lors du piqué. L’ex-sergent se frotta automatiquement le bras par dessus son manteau, là où la prothèse et le métal se rejoignait. L’efficacité de son geste restait à prouver alors qu’il bougonnait.

« Faut que je sois là-bas aujourd’hui. Absolument. »

Même si Hex n’était pour rien dans leur situation, Adam avait payé son vol pour se rendre à Callum aujourd’hui. Son attitude laissait à penser qu’il le tiendrait pourtant pour responsable si il n’arrivait pas dans les temps. Son front froncé et ses yeux fixés sur le pilote ne laissait pas de doute sur sa pensée. Aucun merci ne s'élèverait pour remercier le pilote de leur avoir sauvé la vie...
Le passager se releva pour mieux observer les alentours. Rien qui ne permettait d’avoir espoir. Que cette terre et herbe détrempés à des lieues à la ronde. En plus de la fumée s’échappait de la partie gauche de l’appareil, la pluie avait certainement évité l’incendie.

La bonne nouvelle c’est qu’ils n’étaient pas si loin que ça de leur destination. Si il avait été en pleine forme,  nul doute qu’il aurait pu tenter de se lancer au petit trot comme le proposait son pilote. Sauf qu’il n’avait pas récupéré ses pleines capacités. Le terrain était aussi une source de problèmes. La gadoue était un vrai plaie. Elle collait et alourdissait les chaussures, fatiguant le corps deux fois plus vite qu’en terrain sec. Autant dire que tout ça n’était pas engageant pour partir à un rythme soutenu.

Il n’en restait pas moins qu’ils n’auraient probablement d’autre choix que de s’y engager pour se diriger vers la ville.
Un homme averti en valant deux, le passager se rassit lorsqu’il vit Hex à la manœuvre. Le pilote ne l’avait pas informé de son intention, et vu l’état de l’appareil, on pouvait s’attendre à une chevauchée mouvementée. Finalement ils ne s’étaient pas beaucoup déplacés, allant juste un peu plus loin, et tout s’était bien passé. Désormais à l’abri du plus gros de la pluie, ils pouvaient être un peu plus serein. De plus, les pirates ne les repaireraient pas dans cet amas de verdure.

« Proposes toujours, on verra si j’ai assez avec ce qu’il me reste »

Adam ne s’était pas arrêté sur le côté « pas très conventionnel ». A ce stade c’était le dernier de ces soucis. Quant au confort et le repos, il aurait le temps de se rattraper à son retour à Cerka. Il récupéra son manteau sur le sol et l’enfila. Avant que son pilote ait pu lui exposer son plan, il lui lança :

« Je vais chercher mes affaires. »

Vu ce qui s’annonçait, il préférait être prêt à partir dès que le plan serait validé.
Il se releva se dirigea vers l’arrière de l’appareil, remarquant au passage que le reste de l’aéronef était dans le même état d’encombrement que la cabine. Même si tout avait été solidement arrimé, certains objets s’étaient échappés et jonchaient le sol. Adam dû se concentrer sur le haut et le bas de son corps le temps de son passage, afin de ne pas se cogner ni écraser ce qui se trouvait sous ses pieds.

Il repéra de suite son sac et son marteau, qui eux avaient été relativement épargnés par la bataille et les turbulences. L’homme passa d’abords son arme dans son dos, et rajouta son sac par dessus. Il était prêt à s’aventurer dans la dépression.
Adam rejoint Hex dans la cabine de pilotage, prêt à entendre le plan de celui-ci pour atteindre Calum.

Un exosquelette ? Adam ne s’y était pas attendu. Cela lui donnait un peu plus d’indices sur les conditions de leur rencontre. L’armure avait clairement beaucoup servit. C’est avec surprise qu’il se prit à se demander dans quel état était la sienne. Ce qu’on lui avait raconté de l’accident lui laissait penser qu’elle devait être en fort mauvais état. Connaissant l’armée, ils la répareraient à moindre frais, juste ce qu’il fallait pour que son futur occupant puisse faire son travail. Restait encore à savoir si ce serait lui à l’intérieur de la boîte de conserve…

A nouveau, comme cela lui était arrivé à plusieurs reprises, il ressentait des choses qu’il ne saurait décrire. Son corps se souvenait de ce que sa mémoire avait occulté. L’ancien soldat savait ce que ressentait Hex dans le métal. Là-dedans, on se sentait fort, bien plus puissant et protégé qu’un simple humain. La barrière métallique permettait aussi une séparation avec le combat. Même si tous les actes commis finissaient par les rattraper, au moins pendant le combat ils pouvaient se concentrer uniquement sur ce qu’ils avaient à faire, comme les machines qu’ils paraissaient être. Adam se rappela même que la fatigue physique qu’entraînait le maniement de l’armure apportait un certain réconfort.
Ressentir tout ça, sans aucun souvenir de l’avoir vécu le laissait amer, comme à chaque fois. Quand est-ce que son esprit arrêterait de le tourmenter ? Etait-ce un châtiment ?

Ce fut le bruit de l’aéronef qui le sorti de sa nouvelle transe. Adam regarda la solution descendre lentement du cœur de l’appareil. Il avait déjà entendu parler de ces prototypes mais c’était bien la première fois qu’il en voyait un de ses propres yeux. Le pilote avait dû dépenser une petite fortune pour acquérir l’engin. D’où la facturation supplémentaire pour le trajet. En espérant qu’il n’y ai aucune réparation à effectuer d’ici la fin de leur périple et qui ferait encore grimper la facture.
Il avait certes quelques économies, mais à son rythme actuel de dépenses, elles fondaient comme neige au soleil.

Le pilote était bien équipé, entre son armure et son fusil magithèque. Adam quant à lui se sentait presque nu, avec son arme et son sac sur le dos. La pluie l’avait déjà bien trempé, heureusement son manteau était de bonne facture et habitué aux climats difficiles. Aussi pour l’instant il le protégeait encore de l’humidité. Si il finissait trempé, il n’aurait qu’à se sécher en arrivant. L’important était d’arriver aujourd’hui...Et puis, il avait certainement connu bien pire.

« Une heure ? Ca me va »

Restait à espérer qu’une nouvelle catastrophe ne leur tombe pas sur le coin du nez. Les pirates, la tempête, le crash de l’aéronef, cela faisait déjà beaucoup pour une seule journée…
Une fois à Callum, ils seraient tranquille. La bourgade était certes difficile à rejoindre, mais de ce qu’on lui en avait dit elle était bien protégée. Compte tenu des dangers environnants, il comprenait mieux que la milice locale et les habitants avaient besoin de savoir se défendre. Il fallait aussi s’attendre à ce que du trafic se passe dans la ville. Quant on est éloigné des grandes villes, de leurs gouvernants, on est aussi obligé de faire des concessions pour survivre. Aildor était un exemple parfait de ce qu’il pouvait se passer.

Il ne se fit donc pas prier pour s’asseoir à l’arrière de l’engin, se doutant que son pilote se mettrait devant lui pour diriger cet étrange appareil.

« On m’a dit qu’il y avait un coin de ville dédié à l’artisanat, c’est là-bas que je dois me rendre. Si il y a une auberge dans le coin, tu n’as qu’à nous y déposer. Tu pourra faire ce qu’il faut pour ton appareil le temps de mon rendez-vous, et on pourra passer la nuit là bas. »

Le logement serait à ses frais, il l’avait su depuis le départ. Les quartiers d’artisans jouissaient généralement d’établissement assez convenables. Il valait mieux séjourner là que dans un bouge emplis de malfrats et soudards en tout genre. Et Adam rêvait déjà de la bonne literie dont il pourrait profiter ce soir.

Le bruit du moteur ronronna aux oreilles des deux voyageurs tout le temps du trajet.
A plusieurs reprises, la machine avait dérapé, mais Hex l’avait maîtrisé à l’aide de brillants coups de reins. Le point de vue était totalement différent des autres moyens de transport qu’il connaissait. Le militaire avait eu l’impression de glisser à même le sol, le vent balayant leurs carcasses. C’était grisant, comme se trouver sur la proue d’une aéronef lancée à la vitesse d’un cheval fou. Un instant, Adam ferma les yeux et se permis uniquement de ressentir cette liberté provisoire.

Le paysage resta un moment verdoyant, avant que les premières habitations ne se profilent devant les deux hommes. Le pilote ne perdit pas de temps et trouva rapidement la destination.
L’engin s’arrêta devant l’auberge qui les logerait pour la nuit et le passager descendit, hochant la tête pour remercier Hex de sa ponctualité, agrémenté d’un faible « merci ».
C’est fourbu qu’il entra dans la bâtisse pour réserver deux chambres et le repas du soir auprès de l’aubergiste. Celui-ci, bien trop content d’avoir des visiteurs extérieurs, leur réserva ses deux plus belles chambres. A la vue du standing moyen de l’endroit, il devait simplement s’agir de chambres avec une salle de bain privative. C’était bien assez pour le soldat, qui savait avoir déjà dormi dans des conditions beaucoup plus spartiates.

Il n’était plus l’heure de s’attarder ici, maintenant qu’il s’était assuré que son pilote et lui avaient un toit sur la tête pour ce soir. Adam donna la clé de sa chambre à Hex.

« J’ai à faire, je te retrouve ce soir au dîner pour discuter de la suite »

Le militaire s’éloigna de l’auberge rapidement, faisant abstraction de ses vêtements mouillés, pour chercher l’objet de sa visite à Callum.

D’extérieur, l’atelier qu’on lui avait indiqué ressemblait à une grande maison. Seule la pancarte « Layton & Fils » confirmait qu’il s’agissait bien de la boutique voulue. Lorsqu’il passa le pas de la porte, une clochette tinta et fit relever la tête d’un quarantenaire.

« Bonjour. Je suis Adam Vaughn. On m’a dit que ma prothèse était prête »

« Ah Monsieur Vaughn, nous vous attendions en effet. »

L’homme jaugea la tenue de son client et attrapa son manteau, son sac et son arme avant de lui faire signe de s’avancer vers une pièce de l’arrière boutique. Le militaire suivi les instructions et entra dans ce qui semblait être un cabinet médical un peu particulier. Un siège quasi identique à celui d’un dentiste était fixé au milieu de la pièce. Prêt de lui, une tablette amovible était recouverte de divers outils.
Layton, car ce fut un homme bien plus âgé et vraisemblablement le propriétaire des lieux qui entra, désigna le siège à l’attention d’Adam.

« Asseyez-vous confortablement et montrez moi ce qu’ils vous ont mis comme matériel »

Etant donné la hauteur à laquelle le bras était sectionné, Adam jaugea plus simple de se mettre torse nu. Une fois installé, il laissa Layton toucher le métal et sa chair, prenant sur lui de ne pas crier sur l’artisan lorsque le tissus cicatriciel était tiraillé. Surtout que les coups qu’il avait reçu dans l’aéronef avaient déjà fragilisé ses nerfs.
Après quelques minutes, le verdict tomba.

« On vous a fait un travail passable. J’ai entendu parler des ruptures de stock à Cerka »

Un soupir passa les lèvres de Monsieur Layton avant qu’il ne secoue la tête de dépit.

« La situation doit être à ce point catastrophique pour qu’un soldat reçoive quelque que chose comme ça. »

« C’est peu de le dire... »

Le jeune homme préféra rester vague dans ses dires. Layton et lui avaient un instant croisé leurs yeux, et cela avait suffit à l’artisan pour comprendre à quel point le pays avait souffert, et souffrait encore. Et pas seulement le pays...
Layton s’assit sur un tabouret à sa gauche. Il ne perdit pas de temps et prit la prothèse dans ses mains. Tout en commençant à travailler, il expliquait ses manœuvres à son patient.

« Je vais déconnecter la mécanique et l’enlever du socle qui est sur l’amputation. Je dois voir si le socle a bien été placé et si il sera à même de supporter votre nouveau bras. Si ce n’est pas le cas, il va falloir que je m’en occupe aussi. »

A voir la grimace qu’il faisait, ce n’était rien d’agréable.
Le soldat préféra fixer son attention sur le plafond et en profita pour tenter de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il devait laisser au second plan son enveloppe charnelle pour se concentrer sur son mental. Vu l’état de celui-ci, c’est un exercice qu’il aurait préféré éviter. Il n’avait cependant pas beaucoup d’autres choix pour éviter de ressentir les micro-douleurs qu’impliquait la déconnexion du bras mécanique.

« Le travail a été bien fait de ce côté là, on aura pas besoin de vous le changer. Je vais pouvoir mettre votre nouvelle prothèse de suite. »

Adam replongea dans son état comateux, surfant sur ses souvenir. Il enterrait ceux qui promettaient d’être douloureux, et se permettait de jeter un coup d’oeil à ceux qui le perturberait le moins.
Il n’avait aucune idée du temps qui était passé avant que la voix de l’artisan ne le sorte de sa transe.

« C’est terminé Monsieur Vaughn. »

Adam regarda son nouveau bras métallique. Rien à voir avec ce qu’il avait pu avoir à l’hôpital et qui venait de lui être retiré.

Son nouveau membre ressemblait beaucoup plus à son bras droit. Les plaques de métal étaient parfaitement assemblées, si bien qu’il était impossible de savoir où était le début et où était la fin de chacune. La circonférence de ses deux membres supérieurs serait quasiment semblable. Sur l’avant-bras, dans la partie intérieure, une fine ligne rouge indiquait l’énergie de la pyro-magilithe qui alimentait l’objet. Plus la ligne diminuerait, moins la pierre aurait de jus. Celle-ci pourrait-être changé rapidement, grâce à un compartiment discret dans l’intérieur de son bras. Deux vis fermaient parfaitement la petite trappe.

L’artisan l’ouvrit pour lui faire la démonstration, et le jeune homme aperçu la pyro-magilithe rubis dans son écrin de ferraille. Plusieurs fils, certains en acier et d’autre en cuivre, s’entremêlaient dans un nid élégant, puisant ainsi de l’énergie de manière équilibrée. Il apprit que la pierre gagnait presque une semaine de longévité avec ce seul procédé. La couleur déclinait légèrement, avant de devenir à nouveau plus rougeoyante après plus d’une minute. Le procédé se répéta de manière inlassable, jusqu’à ce que la cache soit à nouveau fermée.

Au toucher le métal n’était plus de ce froid tétanisant qu’il avait connu, une légère chaleur persistait désormais. Bien sûr, rien à voir avec la température humaine, mais ça s’en rapprochait déjà plus. Son membre greffé n’irait plus le glacer jusqu’au coeur quand il le sentirait avec sa chair.

Le client fut aussi informé que le cadran sur le dessus de sa main servait à surveiller la température . et la pression. Pour la température, plusieurs chiffres suivaient le bord de l’arrondis, et la grande aiguillé était actuellement posé sur 24. Un demi-cercle se tenait sur la partie inférieure du cadran pour la pression intérieure, et la petite aiguille indiquait 6. L’artisan pris le soin d’indiquer quelles étaient les valeurs que les jaugent ne devaient pas afficher, sous peine de devoir passer par la case révision. Il le rassura cependant, ses création équipaient beaucoup de baroudeurs en tout genre et elles supportaient sans broncher la vie des militaires de terrain.

Adam plia et déplia ses doigts avec une aisance jusqu’à présent inconnue. Il n’y avait plus de ressort récalcitrant, ni de mécanisme usé. Tout était d’une fluidité inhumaine.

« Incroyable... »

Layton sourit devant le regard étonné du jeune homme. Ce n’était pas le premier à avoir cette réaction. L’artisan était plus qu’heureux de savoir que ses créations pouvaient redonner espoir à des âmes tourmentées. D’autant que Adam lui avait paru particulièrement touché.

Avec les encouragements de Layton, l’homme s’adonna ensuite à des exercices plus poussés. Commençant par soulever du poids, puis tirer au pistolet avant d’enfin tester son marteau. Tout lui avait paru d’une facilité déconcertante. Comme si il était à nouveau entier.
Enfin presque. Il devait oublier que plus jamais il ne sentirait la chaleur d’une autre personne à travers ses doigts d’acier, sous peine de se mettre à nouveau dans une colère noire quant à sa situation. Cette pensée, Adam devrait s’efforcer de la garder sous clé autant que possible, jusqu’à ce qu’un jour, il puisse totalement en faire abstraction. Il l’espérait.

Après s’être rhabillé et avoir payé la somme énorme qui lui avait été indiqué dès sa prise de commande, il fit un dernier signe de tête en guise d’au revoir avant de quitter la boutique. Layton lui avait indiqué de repasser le lendemain si il s’apercevait d’un quelconque dysfonctionnement pendant la soirée, sinon il pouvait reprendre sa route.

Voyant que le soleil déclinait, Adam décida de rentrer directement à l’auberge, l’heure du dîner n’allait plus tarder. Il monta dans sa chambre pour se rafraîchir et de changer avant de redescendre vers la salle commune de l’auberge.

Il y avait déjà trois personnes qui attendaient pour le repas. Le soldat décida de se mettre dans un coin et commanda une bière en attendant qu’Hex le rejoigne. Adam espérait que le pilote avait pu faire le nécessaire pour les réparations. Bien qu’il avait été pressé de venir jusqu’à Callum, la dureté du voyage lui donnais désormais envie de retrouver rapidement Cerka. Maintenant qu’il avait une prothèse digne de ce nom, il pouvait enfin essayer de penser à son avenir.