Quand le passé dévoile ses secrets

L’enquête à Etsiin n’apportait qu’une réponse particulière à un problème récurrent. D’autres venaient bien sûr s’ajouter : c’était déjà la deuxième attaque par des Nokhois au sud de la ville rapportée aux Protecteurs. Cela commençait à dépasser du cadre de la malchance ou simple coïncidence. Malheureusement avec l’aide demandée de toute part à cause des disparitions, des troubles dûs aux tensions et des enquêtes plus ou moins officieuses, la main d’œuvre était débordée. Avec ça, il fallait toujours gérer les tracas quotidiens, les allées et venues des divers clans. Inutile donc de dire que Zaël tout comme ses Commandants avaient de quoi faire. Cela faisait ainsi bien trois jours que la missive traînait sur le bureau du primo-Gharyn. Il avait bien l’intention d’y répondre mais il n’avait pas eu un instant à lui jusqu’à présent. Pourtant, c’était la moindre des choses envers une si noble âme qui avait aidé les Protecteurs dans leur mission !

Profitant d’un moment de répit dans sa journée, ou plutôt usant sa pause déjeuner pour enfin s’occuper de la requête de Belenor, il fit envoyer un des Apprentis à la recherche de cet homme pour déterminer avec lui un moyen de résoudre son mystère ou du moins l’y aider. Et s’il s’en occupait lui-même, s’était tout simplement parce que ça impliquait un membre de sa région. Même s’il s’y serait intéressé dans tous les cas, on ne l’appelait pas l’Affable pour rien…. En attendant que le pérégrin fut accompagné au sommet de la Tour dans son bureau, Zaël relu encore une fois la missive :

Monsieur le Haut-Gharyn du Kharaal Gazar,
Haut Dignataire de la ville de Busade,

Après l'affaire des usines de Magilithe, votre subordonné, porteur de cette missive, Jess, m'a conseillé de vous solliciter. Je suis sur les traces de mes origines, précisément ma défunte mère, condamnée à l'exile il y a plus de 20 ans pour traîtrise envers son peuple.

Ma mère, Nolina Finasse, nacquit en Kharaal Gazar, elle possédait, au moment de son départ une maison dont je ne dispose pas de la localisation.

Avec votre aide, j'aimerais déterminer les raisons qui ont pu pousser une magicienne telle que ma mère à tomber dans la dépravation de la prostitution, de la piraterie et des plus basses fréquentations du port de Prorig. J'aimerai entrer en possession de mon héritage, s'il en est, et mettre à jour l'obscurité de ma filiation maternelle.

En vous priant de bien vouloir m'excuser de vous déranger pour une affaire si mineure, je vous adresse mon salut et mon plus profond respect.

Belenor L'Archange

Le nom de sa mère ne lui disait rien, mais si elle était morte c’était normal. Elle ne devait pas avoir d’autres familles vivantes non plus. Il se demandait à quel point il pourrait aider ce fils en quête de vérité. La mort effaçait tous les souvenirs par ici. Un soupir lui échappa. Ce ne serait pas évident et honnêtement même s’il souhaitait retourner une faveur donnée, il n’était pas sûr qu’il en avait le droit. Que se passerait-il si la vérité était plus douloureuse que l’ignorance ? Ce n’était pas pour rien que les Architectes leur avaient offert le don de l’Oubli. Mais chacun devait suivre sa voix et il ne pouvait ni ne voulait imposer sa vision du monde à autrui.

Plongé dans ses pensées, assis sur son fauteuil, il ne prêta pas immédiatement attention au nouveau venu présent dans l’encadrement de la porte ouverte.

Ah ! Busad ! Il n’y avait pas de ville plus surprenante que celle-ci. S’attendrait-on à voir surgir en plein désert un tel oasis civilisationnel ? Non, bien sûr. Pourtant, la capitale du Kharaal Gazar s’élevait parmi les dunes et les herbes grisées par le soleil. Mon regard restait stoïque devant cette contemplation. Je savais au fond de moi qu’une merveille s’offrait à mon regard ; certes je me trouvais bien incapable d’apprécier cette splendeur, mais je reconnaissais la substantielle distinction d’avec le modeste port d’Etsiin. Suivant les conseils de Jess, je passais les larges quartiers périphériques et me rendait directement à la tour centrale. J’avais obtenu de cette dernière une autorisation spéciale pour entrer dans l’immense Tour du désert. Il y avait là une diversité ahurissante de peuples, principalement des marchands de Karhaal Gazar, mais aussi quelques mages des autres contrées. Je n’aurai su dire si quelqu’autres pérégrins y commercaient, mais à tout le moins je ne croisais aucun technologue : pas d’armes, pas de machines ni de véhicules motorisés.
J’atteignis enfin le pied de la majestueuse demeure du Haut-Gharyn et des gens d’importance de ce pays, tous protégés dans l’enceinte de ce monument qu’ils prétendaient béni par les dieux.

– Bonjour, je suis Belenor l’Archange, si mes informations sont exactes, je suis invité à me présenter auprès du Haut-Gharyn à qui j’ai pu demander audience.

– Une audience avec le Haut-Gharyn !? Questionna l’un des gardes qui tenaient la porte, un apprentis cela m’en avait tout l’air. Une telle chose m’étonnerait beaucoup, c’est un mage très occupé, il ne reçoit pas ainsi tous les voyageurs qui traversent notre belle citée.

– J’entends bien, néanmoins voici une note de votre commandant qui m’autorise à passer.

Je tendis le morceau de parchemin au garde, en espérant qu’il sache lire. Ce n’était pas gagné, sur My’tra l’information se transmettait essentiellement à l’oral, même la magie pouvait ainsi s’enseigner. Par chance, nous étions au pied d’une des plus grandes bibliothèques du continent, le garçon parcouru les lignes, ses haussements de sourcils révélaient une grande surprise. Il me fit entrer puis patienter dans le grand hall. Quelques minutes plus tard, un commandant vint à ma rencontre, Warig ? Waroll ? Je ne retins pas son nom, j’étais bien trop distrait, il y avait tant de chose à regarder, à analyser. L’épaisseur des mures que l’on constatait en passant chaque ouverture, la considérable hauteur sous plafonds du hall. Je fut cette fois accompagné à l’extérieur et nous commençammes notre longue progression vers le ciel. Au fil de notre élévation, le plan de la ville me semblait plus évident. Ses larges avenues et ces cercles concentriques que formaient les habitations s’avéraient parfait. Les informateurs ne mentaient pas lorsqu’ils affirmaient que la ville avait été construite en quelques mois, aucun signe de reconstruction, de modification de rue ou de la moindre habitation ne transparaissait. Je m’appuyais sur mon bâton et m’apercevais que la température baissait subtilement au gré de l’ascension. Je me demandais si un jour cet interminable escalade prendrait fin lorsque nous arrivâmes au dernier palier. On me fit entrer et patienter, un second commandant qui ne se présenta pas m’autorisa ensuite à passer dans la pièce adjacente. Le commandant ne pris pas la peine de m’interdire l’entrée avec mon bâton. Ou bien il n’avait pas conscience qu’il s’agissait d’une arme, ou bien il savait le Haut-Gharyn bien trop puissant pour être assassiné par des moyens si rudimentaires.
Je pus enfin contempler l’un des mages les plus puissants au monde, et surtout l’un des politiciens les plus influents : Zaël Lahzainhi. Je notais particulièrement dans son apparence ses longs cheveux noirs et les tatouages ésotériques qui parcouraient sont visages. S’agissait-il de catalyseurs magiques ? De peintures cérémoniales d’intronisation ? D’une simple décoration ou d’une manière de garder en mémoire quelques évènements que la mort d’un proche pourrait dissiper ? Le Gharyn remarqua ma présence tandis que je restais figé sur ces décorations faciales. Je me repris et m’inclinais au plus bas, un bras dans le dos et ma canne dans l’autre main.

– Monsieur le Haut-Gharyn, je suis Belenor l’Archange, votre serviteur, et je vous remercie d’avoir accédé à ma requête. Je dois vous avertir avoir personnellement mis fin à la vie de ma mère, cette ancienne habitante de Kharaal Gazar, afin de laver mon honneur. Si eu égard à ce fait les lois de votre pays s’opposaient à ce que vous me portiez assistance, je le comprendrais.

Mentir était un art, et pour bien mentir mieux valait transformer la vérité que de la cacher. Le meurtre de ma mère me permettait de laver mon honneur, mais surtout d’accomplir mes ambitions. À ce stade, je me demandais surtout ce qui avait conduit ma mère en exile. Avait-elle été condamnée, avait-elle volontairement fui ? Était-ce lié aux surprenantes conditions géopolitiques de la région ? Celles-ci se sont dégradées il y a plusieurs années, or ma mère avait quitté la région il y a deux décennies. J’attendais beaucoup de cet homme, trop peut-être : des réponses sur mes propres origines, une meilleure visibilité sur le plus haut lieu de tensions politiques mondial, le Kharaal Gazar, l’accès à un potentiel héritage, s’il en est.

Le primo-Gharyn s’étonna de voir son invité déjà là, soit il avait été trouvé et monté les marches plus vite que d’ordinaire soit il était resté plus longtemps dans ses pensées que ce qu’il imaginait. Il n’accordait guère d’importance à ce genre de détail, le type était là, ils pourraient essayer de trouver une solution à son problème.

Mis-à-part la révérence son entrée en matière était plutôt déconcertante. Zaël toujours assis bien droit dans son fauteuil, l’invita d’un geste à prendre place en face de lui avant de lui répondre de façon posé.

«J’apprécie votre honnêteté. Et s’il me peine d’entendre cela, autant pour vous que pour votre mère, notre Loi ne s’applique pas sur Daënastre.»

Ses yeux reflétaient la dite tristesse. Pour en arriver à tuer un parent, il y avait sûrement une sale affaire derrière. Il se demandait quel en était la teneur mais s’il avait accepté de rencontrer ce Pérégrin, et non un Daënastre comme on lui avait dit, ce n’était pas pour enquêter sur lui. Malgré toute la curiosité que le jeune homme lui inspirait.

«Il est plutôt rare de gagner le respect des Protecteurs tel que vous l’avez fait. Je vous remercie encore une fois de votre aide dans cette affaire. Et je ferais mon possible pour vous aider dans la votre recherche.»

Il hésita, jusqu’à quel point son interlocuteur était-il familier avec les My’trans et leurs coutumes ? L’embrassement de l’oubli du passé n’était un secret pour personne mais se rendait-il compte de briser un tabou ? Mieux valait lui annoncer clairement les difficultés.

«Nous ne tenons pas de registre des naissances pour laisser les morts comme les vivants dormir en paix tel que le souhaite les Architectes. Peu de concitoyen ne verront d’un bon œil les fouilles que vous entreprenez. Je vous conseille donc la prudence dans votre manière d’en parler.»

Le message était sérieux et Zaël n’avait pas quitté Belenor du regard. Il espérait sincèrement qu’il ne ferait pas de remous. Rien ne garantissait qu’il pourrait le sortir d’affaire si dans son enquête le pérégrin confrontait de façon abrupte les habitants de la Cité.

«Cela étant dit, si votre mère était recherché comme vous semblez le penser, il doit exister un dossier sur elle ou au moins une affiche la signalant comme criminelle. Nous pourrions apprendre quel était son clan voir ses éventuels partenaires.»

Il ne savait pas vraiment que faire de ses informations après. Ce n’était vraiment pas son habitude de plonger dans le passé d’individu. C’était entièrement différent que le fait de s’intéresser à celui d’une Civilisation où d’autres que lui avaient enquêté. Un sentiment de malaise persistait malgré la curiosité vis-à-vis de l’enquête, de ses résultats.

«Veuillez me suivre, nous allons voir ça immédiatement.»

Il n’avait évidemment rien dans son bureau. Très peu de paperasse, seulement quelques livres sur des étagères et quelques teintures à la gloire des Architectes, de la construction de la Tour du Désert. C’était avant tout un peuple à tradition orale, nombres d’affaires pouvaient et se réglaient sans laisser de trace. Cette pièce était donc plus destinée à recevoir, laisser le primo-Gharyn consulter ses conseillers, son Khorog ou encore statuer sur les problèmes.

Il entraîna ainsi son visiteur jusqu’à la bibliothèque située plus bas. Pour l’instant, il pouvait se permettre de rester avec lui et si la recherche devait bien commencer mieux le valait. Pas n’importe qui avait le droit de fouiller dans la bibliothèque surtout que des sections étaient fermées au public, notamment les archives sur les anciens criminelles. Personne ne souhaitait que de vielles rancœurs soient rallumées par des souvenirs que tout le monde avait oublié et donc sous le seul spectre d’un bout de papier. Ceci était donc stocké à l’écart une fois que l’oubli avait frappé d’anathème l’avis de recherche.

« Primo-Gharyn pouvons-nous vous aider ?

-Oui, merci. Pourriez-vous ramener à notre tables les documents sur la criminelle Nolina Finasse ? »

Zaël comme à son accoutumé fut totalement aveugle au regard mi-étonné mi-choqué de ce membre de la classe ecclésiastique, un certain Vasil s’il se souvenait correctement. Il entraîna Belenor jusqu’à l’une des nombreuses table de la salle principale. Autour d’eux, des disciples s’affairaient, certains debout d’autres en train de méditer sur un texte seul ou en groupe. Le tout dans une ambiance très calfeutrée.

« Nous allons devoir attendre ici, s’il y a quelque chose à trouver ce jeune Adepte mettra la main dessus. »

Il avait pris place sur une chaise tout en murmurant ses mots plein de confiance.

Le Primo-Gharyn m’inspirait une grande confiance, on sentait la compassion dans son regard ; cet homme représentait la bienveillance incarnée. Voilà donc la source de son pouvoir ; moi aussi, si j’avais été son dieu, j’aurais inondé une si belle âme d’une froce colossale. Zaël Lahzainhi s’inquiétait que je ne perturbe la droiture de son peuple en ravivant quelques animosités. Je ne pouvais lui donner tort, si l’affaire s’avérer aussi sombre que je le pensais, la liesse et la prospérité de Busad s’éteindraient sous les feux d’une nouvelle guerre. Certes, pas nécessairement une guerre sanglante et ouverte mais un puissant bras de fer diplomatique avec les potentiels « envahisseurs », si l’on pouvait ainsi les qualifier.
Tandis qu’il m’avertissait contre des comportements déplacés, nous arrivions dans la grande bibliothèque. Il devait y avoir là les secrets d’une puissance magique incommensurable. Tandis que le bibliothèquaire nous lancait quelques regards soupçonneux en partant chercher le dossier requis par le Haut-Gharyn, j’en profitais pour lui transmettre dans un chuchottement mon pressentiment.

– Monsieur, je vous assure que mes intentions ne sont pas à l’ébruitement de cette affaire. Cela étant, j’ai bien peur que ce dossier ne soit intimement lié aux incursions draëniennes dans votre pays. L’oubli est une force considérable qui permet d’apaiser les peines et de guérir les esprits aveuglés par la vengeance. Cependant, je suis convaincu que dans cette affaire précisément, votre nation gagnerait à se rappeler des méfaits de Nolina Finasse. Je n’en dit pas plus, j’attends d’avoir quelques certitudes avant de vous communiquer les derniers mots qu’elle proféra alors que la folie s’emparait d’elle. Et puis… j’aimerais nous prémunir de quelques oreilles indiscrètes…

Je me retournais en direction d’un jeune homme, un apprenti ? Un mage confirmé ? Un page ? Je l’ignorais, toujours est-il que son teint vira rapidement au blanc à l’évocation du nom de Nolina Finasse, il regarda le primo-Gharyn droit dans les yeux, se retourna et constat la présence d’un commandant dans la bibliothèque, ce qui le troubla plus encore. Il renversa un homme d’un âge très considérable occupé à compiler l’information dénichée dans de vieux parchemins. Je plongeais au sol pour amortir sa chute, non par compassion mais par réflexe. Cet homme m’avait paru particulièrement important, et que le monde puisse perdre ainsi une telle valeur à cause d’un jeune freluquet m’aurait profondément affecté. Le bibliothécaire revenait justement des rayonnages, il abandonna au sol son dossier pour se précipiter en direction du fuyard. Ce dernier dû sentir qu’il serait prochainement encerclé puisqu’il entama quelques complexes mouvement de bras…

Son discours était cohérent et rassurant pour la première partie. Zaël sentait la sincérité mais il ne pouvait adhérer à la seconde partie, cela aurait été un acte de trahison envers son Architecte, inenvisageable. La Foi ne souffrait d’exception ou tout ne serait plus que ça, lui plus que quiconque ne pouvait dévier de sa route. Sa responsabilité était trop lourde, que les gens l’apprécia à sa juste valeur ou non. C’était une chose d’aider un non My’tran à accéder à son passé une tout autre de l’imposer à son peuple. S’il y avait vraiment un risque, il faudrait le traiter discrètement. Surtout en ce moment, nul besoin de jeter de l’huile sur le feu.

Cependant, le temps n’était ni à la réflexion ni à la discussion. Un jeune inconnu réagissant à Delkhi savait quoi commença à s’enfuir à la vu de Éli, un de ses plus proches commandant, et bousculant au passage un doyen. Heureusement que Belenor fut assez réactif pour amortir sa chute. Évidemment, le remue ménage attira l’attention. Et si Vasil revint à point nommé, n’hésitant pas à lâcher de précieux documents pour arrêter le trouble-faite, ce n’était pas encore assez rapide. Le primo-Gharyn s’en mêla donc, en colère, comme rarement il l’était : non seulement le jeunot avait troublé la paix de cet endroit, bousculé un ancien, mais il s’apprêtait à faire un acte de destruction dans la Bibliothèque ! Avant qu’il n’acheva ses mauvaises intentions, le Maître de la Terre lui fit tomber un bloc de pierre sur la tête provenant du plafond. Assommé, cela coupa court à son sort. Il ne restait plus qu’à Zaël à réinsérer le bloc là d’où il venait. Puis il s’assura du bien être de Belenor et du doyen. Vasil s’occupait déjà de récupérer les documents au sol tandis que le commandant des Protecteurs s’assurait que l’homme était bien hors d’état de nuire et vivant. Il avait déjà réquisitionner deux paires de bras lorsque son chef s’approcha.

« Nous allons le mettre sous bonne garde le temps qu’il se réveille. Je vous ferais prévenir. »

Efficace et prévoyant comme toujours. Il ressemblait beaucoup plus à l’archétype de ce qu’on pensait être les adeptes de Delkhi que Zaël, grand avec un bonne carrure et barbue avec des cheveux bien noirs.

« Bien, et soyez présent également au moment de interrogatoire. Ayez l’obligeance de prévenir Darim également. »

Il s’était exprimé de façon bien plus sèche que d’habitude. Si son vis-à-vis en fut surpris ou dérangé, il n’en laissa rien paraître. Il fallut peu de temps pour que la salle revint à son apparence de plus tôt : le corps inanimé enlevé, seule la trace de sang attestait de ce qu’il s’était passé.

« Vasil, veuillez monter les documents dans mon bureau »

Ce dernier attendait l’air indécis et même si ce n’était pas habituel comme requête, il s’empressa d’obéir. Il n’avait aucune envie d’attirer sur lui la colère encore présente dans les yeux du primo-Gharyn, il n’était pas sage pour la survit de contredire un Maître de la Terre.

« Belenor, je crains que ce ne sera pas le seul aller-retour de la journée. Mais mieux vaut consulter ses parchemins au calme. »

Il était hors de question de laisser un second incident se produire ici. Zaël marcha en silence, pensif jusqu’à son bureau. Tout ça n’augurait rien de bon. Une telle chose ne se produisait pour ainsi dire jamais !

Quelle vitesse d’exécution ! En un instant ou presque le Primo-Gharyn avait réagis, son commandant avaient remis de l’ordre en dépit de la confusion. Tandis que j’aidais le vieil homme à se relever et qu’il me remerciait, l’impudent fut assommé, maîtrisé et emmené.
Le maître des lieux ne perdit pas de temps, nous quittâmes la bibliothèque pour remonter en des lieux plus sûrs. L’incident n’avait occasionné aucun dommage, bien au contraire cela nous laisserait quelqu’un à interroger plus tard. À peine arrivés dans le bureau de Zaël que nous nous attelions à décortiquer le dossier. Il y avait quelques affiches marquées « recherchée vivante ». Le résumé d’enquête expliquait qu’il était établi qu’elle avait aidé l’immigration clandestine et l’attribution de terres à des daënastres, qu’elle les avait guidées. Elle était aussi soupçonnée d’avoir utilisé ses pouvoirs pour localiser des filons de magilith et d’avoir préparé l’assassinat de plusieurs hauts placés, dont le Primo-Gharyn de l’époque, néanmoins aucun indice n’avait permis de l’inculper sur ces derniers chefs.
Nous avons travaillé pendant plusieurs heures sur des pages et des pages de documents vides de sens, ils ne contenaient que des témoignages sans intérêt. Un voyageur assurant avoir vu passer une troupe avec une femme à leur tête, ils partaient en direction des montagnes au nord-ouest, un autre jurait qu’ils étaient accompagnés d’un dragon. La moitié devait être un tissu de mensonge, l’autre une majorité d’élucubrations. Il ne restait pas grand-chose de fiable en dehors des investigations de la garde de Busad. Un homme nous avertit que le prisonnier était réveillé et qu’ils l’avaient enfermée dans une cellule.

– Je propose de le laisser un peu mariner. Il doit commencer à réaliser ce qui lui arrive, il est sans doute nerveux. Si nous interrogeons maintenant il sera en pleine possession de ses moyens et risque de nous mentir, laissons lui le temps d’inventer un mensonge et de s’épuiser les méninges. Nous irons le déstabiliser une fois qu’il sera fatigué de réfléchir.

Je me levais pour déambuler à travers la pièce, une main sur le menton, l’autre tenant fermement ma canne derrière mon dos. Je fixais le sol dans l’espoir d’y trouver l’inspiration. Je me suis tourné lentement vers Zaël pour dire :

– Tanor Mafisse, Tanor Mafisse ; ma récompense, où est ma récompense ? J’ai aidé ses hommes à traverser le Karaal Gazar, et où est-elle ma récompense, où est-elle ? On aurait fait un beau feu d’artifice grâce au général. Il y a de quoi nettoyer la moitié d’un continent dans le sous-sol du Karaak Gazar. Tu te rends compte ? La moitié d’un continent !

Je laissais quelques instants mes paroles impacter mon interlocuteur, qui devait sans doute se demander si je ne perdais pas la tête.

– Il s’agissait des derniers mots de ma mère. Je ne sais pas ce qu’ils ont trouvé à l’époque, mais je suis certain que cela a un rapport avec l’une des mines de magilith… Laquelle exactement ? Probablement pas celle que nous avons déjà inspecté avec votre commandant. Ceci confirmerait sans doute quelle avait guidé des ennemis à travers le pays, mais ce qui me frappe c’est la teneur de ses propos et les informations contenues dans ce document. Elle disait avoir découvert quelque chose de puissant dans le sous-sol du Kharaal-Gazar, le rapport d’enquête la soupçonnait d’avoir utiliser ses capacités pour localiser des filons de magilith… Je ne sais pas ce que vous en pensez mais cela me semble cohérent. Par contre… je ne comprends pas cette histoire de tentative de meurtre.

Le tableau qui se dessinait de la mère du jeune homme n’était guère reluisant. Si aider à l’immigration clandestine n’était pas trop grave, même si mal vu, l’aide à la planification d’assassinat l’était beaucoup plus ! Et du primo-Gharyn en prime. C’était inquiétant. D’autant plus que la cellule de cette miss Finasse ne devait pas être totalement éteinte. Le jeunot n’aurait pas tenté une attaque dans la bibliothèque en sa présence autrement. Inquiétant et troublant ! Même si la moitié de ce qui se rapportait n’était que factice, ça n’augurait rien de bon. Il n’avait vraiment pas besoin de ça en ce moment. Alors qu’ils étaient encore en pleine lecture, un garde vint les prévenir, comme demandé, du réveil du drôle d’oiseau.

« Je propose de le laisser un peu mariner. Il doit commencer à réaliser ce qui lui arrive, il est sans doute nerveux. Si nous interrogeons maintenant il sera en pleine possession de ses moyens et risque de nous mentir, laissons lui le temps d’inventer un mensonge et de s’épuiser les méninges. Nous irons le déstabiliser une fois qu’il sera fatigué de réfléchir.

-Tout à fait, il ne faudrait pas qu’il se sente trop important ou cela risquerait de devenir épineux. »

Même si c’était la bonne chose à faire, ça ne lui plaisait pas. En fait, toute cette situation lui déplaisait fortement. Il réprima un soupir avant de donner les instructions au messager.

« Garder le dans l’ignorance. Nous ne viendrons pas l’interroger tout de suite. Veuillez en informer Éli et Darim je vous prie. »

Une fois celui-ci eut tourné les talons, son invité commença à faire les cents pas sans le regardé. Quant il le fit, il tint des propos étranges. Il fallut quelques secondes pour comprendre qu’il répétait des mots d’un autre, de sa mère comme il lui apprit peu après. Le plus inquiétant était que Zaël les entendait pour la première fois. Rien ne permettait de suspecté une telle chose, même en supposant que sa mère est exagérée l’ampleur de la chose. Perplexe, le primo-Gharyn répondit tout en réfléchissant.

« Nous n’avons pas de grosse mine sur notre territoire, rien de cette taille. Il s’agirait peut-être d’un endroit non utilisé officiellement… Et j’espère officieusement aussi. Nous ne recherchons pas ses  gisements pour nous même donc il n’est pas impossible que… »

Plonger dans ses pensées, il ne finit pas sa phrase. Un instant plus tard, il repartait sur l’autre élément clé.

« Quant à cette histoire d’assassinat c’est très inquiétant. Les motifs peuvent être multiple je suppose : une rancœur personnelle, bien que j’ignore ce qui serait suffisant pour justifier un tel acte,  créer des tensions pour relancer la guerre ou prendre le pouvoir. Même si encore une fois, je vois mal comment ou à quelle fin.  Ça ne ressemble pas du tout à notre peuple même si l’implication de Daenars changent la donne... »

Inquiet, il trifouilla machinalement ses cheveux. Aucune hypothèse n’était satisfaisante. Ils n’avaient pas assez d’éléments. Si Nolina avait disparu des mémoires, ils pourraient toujours se pencher sur les membres de son clan, et celui du Gharyn également. Il peinait de voir une tel événement avoir pris racine dans le sien. Il ne pouvait imaginer aucun de ses membres impliquaient dans ces plans néfastes. Peut-être était-ce pour cela qu’il n’en avait pas parlé à son interlocuteur : pour conserver encore un peu ses illusions, son espoir, ne pas impliquer un étranger dans ses soupçons, éviter qu’il ait une image néfaste de ce qu’il considérait comme sa famille. L’idée de devoir faire interroger les membres de son clan lui répugnait. Peut-être que Darim aurait un moyen de faire ça discrètement. Ou même une idée de sur qui se concentrer. Après tout, en tant que guide spirituelle, il savait beaucoup sur les membres de son peuple.

« Il va nous falloir plus d’éléments… Descendons à la prison pour en discuter avec mon Commandant et le Khorog. Et ensuite le prisonnier. »

Le regard dans le vide jusqu’à présent, il se fixa sur son interlocuteur.

« Savez-vous bluffer ? Il faudra lui faire croire que nous en savons plus que ce qu’il croit. Et je pense qu’il serait judicieux que je ne le fasse pas moi-même. Le commandant viendra avec vous »

Déjà c’était un  piètre menteur et en plus sa position risquait de donner trop d’importance à cet individu. Et puis, ça lui laisserait le temps de parler en privé avec Darim. Delkhi savait qu’il y en avait besoin dans cette situation !

À peine mirent-ils le pieds dehors qu’un Apprentis en fonction près de là se dirigea pour avertir les concernés, les instructions lui avaient été passées. Quant au duo, ils devaient descendre les dix étages de la Tour du Désert pour rejoindre la prison en dehors de l’édifice. Un batiment en pierre, bien sûr, non loin du pied de celle-ci. À leur arrivée, le commandant était déjà présent dans la salle des gardes situé au-dessus de l’ensemble des cellules en sous-sol. Il ne manquait plus que le Khorog pour mettre tout le monde au courant et commencer l’interrogatoire.