Dashel Meridian

- Relevez vous garde Meridian !

Comme tous les matins, le chef de la garde braillait. J’y étais habitué. Ce n’était pas comme s’il ne jouait pas le même jeu depuis plusieurs semaines. Il ne m’avait pas fallu bien longtemps pour comprendre que l’instructeur était un natif de Zagash. Mais comme tous les autres gardes présents, je ne disais pas mot. J’acquiesçais, m’exécutant à chacune de ses demandes. C’était comme cela que ça fonctionnait. Que ce soit ici sur le terrain d’entraînement, ou dans les bataillons rangés de l’armée My’Trän. Nous obéissions, c’était notre rôle, même quand la personne qui nous donnait les ordres étaient une caricature mal dessinée. Je me retrouvais donc debout, le dos droit, fixant un point éloigné devant moi et résistant à l’envie de rire devant mon supérieur.

Son visage entier était couvert de sueur et ses joues rouges se gonflaient au rythme de sa respiration haletante. De toute évidence, s’époumoner était aussi douloureux pour lui que pour nos oreilles. Encore plus alors qu’il se trouvait à présent à un bras tendu de moi. Heureusement, son ton baissa d’un cran quand il eut enfin suffisamment d’air pour reprendre la parole.

- Le commandant vous attend dans la tour de garde.

- Est ce qu’il y a un problème monsieur ?

- Vous lui poserez la question vous-même. Maintenant, rompez et allez le retrouver.

Une fois de plus, je m’exécutais. Je quittais le terrain d’entraînement pour rejoindre la tour de garde. Il n’y avait pas d’accès direct depuis le terrain. Ce dernier était en bordure de la ville et la tour était presque collée à lui. Mais pour entrer, il me fallait aller dans les rues de la capitale. Je sortais donc de la zone d’entraînement. Je n’étais toujours pas habitué à vivre à Darga. La ville était bien loin de ce que j’avais connu avec les tribus nomades. Ce mode de vie sédentaire ne me correspondait pas. Mais je devais l’accepter. C’était ma décision de rejoindre les gardes de la capitale afin de protéger mon pays. Il n’était plus question que de protéger ma tribu, mais tout ceux que je pouvais. Alors je faisais de mon mieux pour accepter les pyramides et les remparts de la cité. La tour en question était d’ailleurs partie intégrante du rempart à l’ouest.

J’ouvrais la porte en bois. Le grincement fit se retourner le garde qui était assis à une table dans l’entrée. Je le connaissais vaguement. Nous avions servi ensemble durant la guerre. Il se redressa et me sourit en me voyant entrer. Il devait savoir que j’étais attendu car il me montra l’escalier. Je le remerciai et continuai mon chemin, grimpant les marches une par une pour arriver au premier étage. Là un autre garde était posté et me fit signe d’entrer dans la pièce qu’il gardait.

Je n’avais jamais rencontré la personne qui me faisait face. C’était une femme un peu plus âgée que moi à en juger par les rides qui se formaient aux coins de ses yeux bleus et les longues mèches blanches qui recouvraient une chevelure autrefois blonde. Mais il ne fallait pas s’y tromper, son maintien et l’aura qui se dégageait d’elle la plaçait dans la fleure de l’âge. Elle était puissante, pas seulement dans sa magie, mais je pouvais entrevoir une certaine force de caractère émaner de sa personne. Sa tenue jouait certainement un rôle dans cette idée que je me faisais du commandant. Simple, élégante, pratique, elle avait tout de l’apparat d’un soldat chevronné et reconnu. À vrai dire, ses vêtements me faisaient penser à un subtil mélange entre ma tenue de combattant et ma tenue de nomade.

J’étais quelque peu intimidé en approchant. Mais son sourire dégageait une étrange bienveillance qui me rassura. Elle me fit signe de me rapprocher et de m’asseoir face au long bureau qui trônait au centre de la pièce. Elle m’imita en se plaçant de l’autre côté du vieux bois, siégeant dans le siège le plus imposant des deux. Je restais le dos droit, la fixant sans pour autant la dévisager, attendant qu’elle prenne la parole avant moi.

- Vous pouvez vous détendre Meridian.

- Est ce que j’ai fait quelque chose de mal Commandant ?

- Au contraire. Je vous ai demandé ici parce que j’aimerais parler de votre avenir.

- Mon avenir ?

- Oui. Je m’appelle Alayna Nelievar et je suis commandant d’un groupe de soldats polyvalents de My’Trän. J’ai entendu parler de vous.

- De moi ?

- Vos états de service sont plutôt satisfaisants.

- J’étais au bon endroit au bon moment Madame.

- Pas de fausse modestie ici Meridian. Parlez librement.

- Oui Madame. Ce n’est pas de la modestie. Je ne nie pas avoir pris mon rôle de protecteur à cœur, mais j’ai aussi eu de la chance.

- De la chance ? Comment la chance explique-t-elle votre aide dans la libération du siège de Busad ? Votre débarquement sur les côtes de Rathram ? Votre progression jusqu’à Alexandria ? Votre infiltration dans le coeur de la ville et surtout cotre survie alors que tant de nos frères et sœurs ont péri en assaillant d’échapper aux flammes ?

- Comme je vous l’ai dit Madame, j’étais au bon endroit au bon moment. Lors du siège de Busad, j’étais dans ma tribu.

- Une tribu d’Amisgal d’après ce que l’on m’a dit.

- Tout à fait. J’y ai passé la majeur partie de ma vie.

- Je vois dans votre dossier qu’ils se sont occupé de vous après la disparition de votre précédent clan. Que s’est-il passé ?

Même si la magie protégeait mon esprit de la souffrance passée, parler de cette période était encore difficile et un poids pesait sur ma poitrine. J’avais beau avoir oublié la douleur de la mort et les sentiments négatifs liés à la perte de mes parents et de ma tribu natale, je me rappelais mon enfance à leur côté. Je n’oubliais pas comment ils étaient morts. Je ravalais cette boule qui s’était logée dans le fond de ma gorge et inspirait longuement avant de répondre. C’était difficile étant donné le peu de souvenir. Seuls des flash lumineux et la chaleur des flammes le long de mon dos me permettait de raconter mon histoire.

- Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette période Madame… Seulement des fragments. Ceux que je peux vous raconter ne sont que des éléments factuels. Je suis né à l’Ouest de My’Trä dans un clan nomade d’Orshin. Ma famille faisait parti de ce clan depuis plusieurs générations. C’était en 911. J’ai été élevé dans le culte d’Orshin et j’ai souvenir que tout se passait bien dans notre clan. Comme vous le savez, à cette époque, les Daënars qui voyageaient sur notre territoire étaient protégés par le traité de paix. Mais cela ne les a pas empêchés de massacrer les membres de ma tribu dans leur recherche de Magilithe. Lorsque j’avais 8 ans, ma tribu s’est arrêté quelque temps près d’un gisement. Une nuit, quelqu’un a mis le feu à notre campement. J’en porte encore les cicatrices dans mon dos, mais j’ai survécu. C’est à ce moment que j’ai été recueilli par une tribu d’Amisgal.

- C’est dans cette tribu que votre entraînement à commencé, c’est bien ça ?

- Oui. À l’époque, même si je pratiquais les enseignements d’Orshin, ma magie n’était pas bien développée. Mes souvenirs étaient encore puissants. Mon mentor au sein de ma nouvelle tribu était l’un de ses protecteurs. À ma demande, il accepta de me former. Il m’enseigna tout ce qu’i savait sur Amisgal et m’appris sa magie. Avec le temps, je devins plus fort et les souvenirs s’estompèrent. En parallèle, mon envie de protéger ma tribu grandit. Même si mes souvenirs disparaissaient, je n’ai jamais oublié pourquoi mon ancienne tribu n’était plus. J’ai fait la promesse que cela ne se reproduirait plus jamais.

Kahn avait eu une grande influence sur mon évolution au sein de cette nouvelle tribu. C’était lui qui m’avait pris sous son ail quand il m’avait trouvé. Il m’avait élevé comme l’un de ses fils. Et grâce à lui, j’avais trouvé dans la tribu une seconde famille. Le lien entre Orshin et Amisgal avait facilité les choses, mais tous m’avaient accepté et accueilli. Kahn était le protecteur de la tribu et c’était lui qui m’avait formé. S’il avait pu, il m’aurait enseigné la magie d’Orshin, mais il ne la maîtrisait pas. Dans ma volonté d’oublier, il fit de son mieux pour m’enseigner ce qu’il connaissait : le culte d’Amisgal, le combat à l’épée et le dressage de Dragon. Je m’étais investi dans les trois, développant cette magie que je considérais comme salvatrice. Au fur et à mesure de mes progrès dans la magie de l’air, ma mémoire me libérait de mon fardeau. En tant que protecteur, je protégeais les personnes que j’aimais, mais je me protégeais aussi de mon passé.

- C’est comme ça que vous êtes devenu protecteur vous aussi. Mais pourquoi était ce de la chance de vous trouver à Busad au bon moment ?

- Mon clan est nomade Commandant. Nous voyagions beaucoup. Nous savions que la guerre avait été déclarée, mais nous n’avions pas prévu d’en faire partie. Nous avons appris que Busad était assiégée quand nous avons découvert ses fortifications alors que nous espérions nous y ravitailler. Lorsque j’ai vu le feu dans les ruelles, cela m’a rappelé de vieux souvenirs. C’est à ce moment que j’ai offert mon soutien à la ville. Vous connaissez l’histoire, nous avons finalement réussi à repousser les Daënars.

- Et c’est là que tout à commencé pour vous dans l’armée. Après ça, vous avez participé au débarquement sur les côtes de Rathram.

- Oui. Durant le siège, j’étais un soldat polyvalent. J’aidais où je le pouvais, autant à l’approvisionnement, qu’à la défense des fortifications. Mais le débarquement… C’était une autre histoire. J’étais en première ligne avec les Dalai. Je me suis entraîné au maniement de l’épée des années, mon commandant l’a remarqué. C’est pourquoi j’étais dans les lignes avancées lors de notre progression jusqu’à Alexandria. Et je l’étais encore à ce moment. Mes supérieurs m’ont envoyé avec les troupes qui ont infiltrés la ville. Nous avons progressé à l’intérieur, brûlant tout sur notre passage. Je me souviens avoir été si loin dans la ville que je ne savais même plus comment en revenir. Nous étions en petits groupes et nous nous faisions attaquer de toute part alors que le repli avait été ordonné.

La guerre avait été difficile. J’avais perdu de nombreux camarades, et même si je m’en étais sorti grâce à mon ingéniosité, ma maîtrise de l’épée et de l’air, j’avais eu de la chance. Je ne pouvais nier que j’aimais combattre, tirer à l’arc, utiliser ma magie. J’étais même doué dans certains de ces aspects. Mais je n’étais pas le meilleur soldat sur le terrain. J’avais rencontré des personnes bien plus fortes et douées que moi. Alors pourquoi avait survécu ? Pourquoi étais-je encore là pour en parler ? Il était indéniable que la chance avait une part de responsabilité. Mais la vérité se rapprochait plus de ma volonté de survivre et de protéger. C’était mon objectif depuis toujours et c’était celui qui me faisait avancer. Les missions qui m’étaient attribuées sur le champ de bataille, si je ne les menais pas à bien, si je n’honorais pas les soldats morts, alors il y en aurait encore plus. Ce n’était pas grâce à moi que nous avions été si loin, et je n’étais pas à ce point narcissique pour m’attribuer tant de mérite. Mais je savais que cette volonté inébranlable m’avait fait avancer et m’avait maintenu en vie. J’étais fier de mes idéaux et de ce pour quoi j’avais combattu.

- Comment avez-vous fait pour vous en sortir ?

- Grâce à Skadi.

- Qui ça ?

- Il y a une tradition dans ma tribu. Une fois arrivés à l’âge adulte, les jeunes de la tribu participent à un rituel. Le clan se déplace jusqu’aux iles flottantes près des côtes à l’ouest. Il n’est pas rare que des dragons y trouvent refuge. Mon clan les respecte comme nous l’a enseigné Amisgal ou Orshin. Nous passons la majeur partie de notre vie entouré de dragons et ce rituel consiste à grimper dans les iles flottantes pour aller à leur rencontre. Nous prouvons notre valeur pour le clan et à notre retour, un oeuf du clan nous est attribué. Nous attendons qu’il éclose, laissant la mère couver ses oeufs jusqu'à maturité. Alors nous créons un lien avec le dragonceau. C’est comme ça que je suis devenu le dragonnier de Skadi. Elle m’a suivi durant toute la guerre en territoire ennemi. Et c’est elle qui m’a permis de revenir d’Alexandria en vie.

- C’est ce que vous appelez votre chance.

- Écoutez Commandant… Tout ce que je veux, tout ce que j’ai toujours voulu, c’était de venir en aide à ceux qui en avait besoin. J’ai fait la promesse de ne plus jamais laisser arriver là même chose à d’autres que ce qui est arrivé à ma tribu. Avec Busad, j’ai saisi une opportunité. Et j’ai continué d’en saisir. Je ne suis pas votre meilleur soldat, ni le plus expérimenté. Mais j’ai fait ce que j’avais à faire et j’ai réussi à survivre. D’autres n’ont pas eu cette chance. Je sais que la guerre est finie. Mais je leur dois bien de continuer le combat. En dehors de cette cité, il y aura toujours des conflits entre tribus, entre pays, entre continents… Tant que ce sera le cas, je ferais de mon mieux pour être un protecteur en espérant que la chance continue de me sourire. C’est pour ça que j’ai décidé de rester à la capitale.

- Je vois. Au bon endroit, au bon moment… Seriez-vous prêt à saisir une nouvelle opportunité ?

Ce n’était pas n’importe quelle opportunité. Ce dont le Commandant Nelievar m'avait parlé n’était ni plus ni moins que ce dont je pouvais rêver pour la suite. Elle m’avait laissé la journée pour y réfléchir et je devais lui donner ma réponse demain. Mais au fond de moi, je savais déjà que j’allais accepter. L’idée était simple : intégrer un corps diplomatique armé de la capital. Mes missions, elles, ne seraient pas aussi simples.

Nous serions amenés à voyager dans tout le contient avec pour objectif de résoudre les conflits entre pays ou tribus. Autant par les voies diplomatiques que par les armes. Si un conflit armé éclaté quelque part dans My’Tra nous serions envoyés pour y mettre un terme par la force. Si des querelles diplomatiques venaient à naître entre deux tribus, notre rôle serait de trouver des solutions paisibles pour y remédier. Si la capitale venait à apprendre une potentielle menace pour la sécurité des habitants du continent nous serions envoyés pour trouver des réponses et y mettre un terme.

Mais notre juridiction allait au-delà des frontières de My’Tra. Nous aurions pour rôle de protéger les corps diplomatiques en mission à l’étranger. Autant pour assurer leur sécurité que pour les assister en cas de conflits quels qu’ils soient. Tout cela dans l’objectif de prévenir des pertes inutiles et des conflits évitables. Mais aussi de recueillir des informations.

Ainsi, au travers de notre division, la capitale espérait éviter d’autres guerres, internes ou externes. C’était tout ce pour quoi j’avais combattu : protéger mon peuple contre lui-même, contre les créatures de notre continent et contre des nations ennemies. Ma décision était prise.