Un homme emmitouflé dans un manteau duveteux fixe le feu devant lui fermement, tandis que deux silhouettes de taille nettement moindre que la sienne semblent attendre. Le silence de cet instant uniquement rompu par le crépitement aigu des flammes devait éventuellement disparaître tandis que l’homme ouvrit la bouche pour s’exprimer.
-‘’ C’est par un jour comme celui-ci que les deux jumeaux aventuriers allaient rencontrer la fatalité de leur destin. Aucun des deux n’aurait su prédire l’issue de la tragédie qui allait être la leur. Le vent de Zolios soufflait, les arbres bruissaient et le silence régnait. L’odeur des deux aventuriers était masquée par le vent et par le sang dont ils s’étaient imprégnés afin de ne pas être repérés par leur prochaine proie…’’
L’une des deux petites silhouettes leva brusquement la main avec sa petite voix haute perchée d’enfant puis se mit à déverser un flot incroyable de questions à une vitesse hallucinante qui contrastait vivement avec la bassesse de la voix du conteur encapuchonné. Celui-ci esquisse un sourire attendri face au flot des questions tandis qu’il tend un quartier de viande grillée à sa fillette qui le gobe avec un gros regard pétillant de vie.
Le grand homme prend une inspiration silencieuse avant de reprendre son récit là où il en état.
‘’ La bête qu’ils traquaient était un dragon de stature impressionnante avec des écailles lourdes et des cornes constituées de magilite. Cette créature était majestueuse, mais la colère la rendait aveugle, tandis que les deux frères la poursuivaient. Le plus jeune des deux fonça tête première, pour jouer l’appât comme à son habitude. Il avait une entière confiance en les capacités de son frère, tandis qu’il créait l’illusion d’une proie blessé alléchante pour leur future prise…’’
Et, tandis que le récit continuait de se déverser, toi, le narrateur de cette histoire, tu sentais ces frissons d’horreur parcourir ton corps en revoyant la gueule acérée de ce monstre. Tu n’avais pas choisi de le traquer. Ton frère voulait avoir cette bête comme nouvelle monture et tu ne pouvais lui refuser quoi que ce soit. Tu étais terrorisé n’est-ce pas? Ton corps se souvient encore de la sensation du vent de cette bête sur tes cheveux. La panique de ta monture qui t’a désarçonné avant d’être déchiquetée net par ce monstre. Le sang qui a giclé sur toi et ton incapacité à réagir, figé par la terreur. Tu en frissonnes d’ailleurs, mais tu es rappelé à la réalité par les tapements nets de ton fils sur ton épaule.
Tu redeviens cet homme impartial assis sur un tronçon d’arbre, loin du danger. Il n’est pas un aventurier cet homme. Il reprend son sourire et prétends qu’il a eu un coup de froid tout en esquissant un sourire. Cet homme doit oublier les détails et divertir ses enfants qui attendent impatiemment la suite de la légende des jumeaux. Il n’est rien de plus qu’un honnête tavernier en vacances avec ses enfants.
‘’… Et la bête majestueuse tomba dans l’embuscade tendue par les deux frères. Elle était cernée par les arbres et elle paniquait, confuse. Ses griffes acérées raclaient le sol et son grondement sinistre résonnait dans toute la forêt. Mais les deux avaient un immense courage et ne renoncèrent pas à leur traque. Ils tentaient de rendre la créature confuse afin de pouvoir la mettre à terre le temps que l’ainé la soumette sous son contrôle…’’
Tout au fond de toi tu savais que la vérité était tout autre. Tu as été poursuivi par ce monstre qui jouait avec toi pour mieux te tuer et tu ne pouvais rien faire d’autre que de tenter de sauver ta peau. Ton frère restait bien à distance et te criait de cesser de jouer au pitre et de la maintenir en place. Sans ton destrier, tu n’étais rien qu’une vermine effrayée. Et le bébé tagta de ton frère reposait sur son épaule. C’était la peur et non le courage qui te poussais à fuir. Chaque pas était un de plus vers la sécurité, mais bien rapidement, ce monstre inclina la tête et te chargea, cornes bien en avant. La sourde douleur t’avais presque fait connaissance tandis que tu avais été soulevé du sol, la corne de ce monstre ressortant de ton corps.
La simple pensée de la corne régulière de cette bête au-travers de ton corps raviva cette vieille douleur fantôme qui te tourmentait par jours de pluie. Si le simple encornement était douloureux tu n’aurais jamais pu imaginer que la suite de cette traque s’empirerait. Le dragon secoua vivement de la tête pour te déloger et tu te cramponnais fermement par peur de mourir, mais, tu n’eus d’autre choix que de sortir ton épée que tu lui jetas droit dans l’œil. Sous la douleur, le dragon fit un mouvement brusque qui te propulsa dans les airs.
‘’ … Mais les choses n’allèrent pas comme prévu. Le dragon enragé attaqua le téméraire aventurier qui lui creva un œil en légitime défense avant de faire un séjour dans sa gueule nauséabonde. Il ne s’avoua pas vaincu tandis qu’il continua le combat de l’intérieur de la gueule de la bête pour survivre. Son frère, voyant la gravité de la situation, courut jusqu’au village aller chercher des renforts…’’
Tu t’efforças d’enrayer les saignements pendant ton vol aérien, mais tes efforts furent rapidement réduits au néant n’est-ce pas? Ton corps heurta brutalement l’un des arbres et tu sentis plusieurs de tes os craquer lourdement. Alors que ta vue se troublait et que tu hurlais de douleur tu le vis fuir lâchement. Ton frère t’abandonnait à ton destin tandis que tu voyais le dragon s’envoler de nouveau, ayant apparemment réalisé que tu étais indigeste. Quelle ironie n’est-ce pas? Tu en versais des larmes tandis que tu te forçais à rester encore un peu conscient, malgré le fait que tu étais dans un état horrible.
‘’… Le jeune aventurier parvint à sortir de la gueule de la bête immonde et le fis fuir par ses cris intimidants. Mais le vent du dragon qui s’envolait le souleva du sol et le jeta contre un arbre. Par chance, les villageois étaient la pour le sortir de son impasse…’’
Ce fut la vision brouillée d’une chevelure rose qui te servit de dernière image tandis que tu sombrais dans le néant…