♫ Une petite viande
Qui courait dans les landes
Je la traque comme les autres
Pour en faire une bonne entrecôte
Ma meute aboie
Dans notre bon patois
Travaille-la au corps
Travaille-la à bâbord ou à tribord
Ça fera une offrande
Toute sanguinolente
Je lui claque un coup de mâchoire
Elle me dit qu'elle trouvera une échappatoire
Je l'attaque au flanc
Elle me fuit en ondulant
Je la traque sans relâche
Elle me dit que je suis un lâche ♪
La course serait vaine. Le monstre promettait à Alice qu'elle ne serait qu'un morceau de viande parmi d'autres. Il avait faim, sa meute avait faim et la meute n'attendait pas. La créature avait au moins une femelle et plusieurs enfants, après tout, ils étaient capable de pondre jusqu'à sept œufs en une seule portée. Mais de quel carnivore s'agissait-il alors ? Celui-ci faisait soixante-dix neufs centimètres au garrot, il avait sûrement surpris Alice en se mettant sur ses deux pattes en arrière lors de sa première tentative d'agression pour l'impressionner davantage. De la tête jusqu'à la queue, ils pouvaient mesurer jusqu'à deux mètres de hauteur. Le dit-monstre était un grand chien dont les traits appartenaient plus au lézard qu'au canidé. Étant lié à la catégorie des sang-froids, ils préféraient donc les endroits chauds et secs et chassaient par conséquent le jour car dans les Kharaal Gazar, il pouvait faire plutôt froid la nuit. Ce n'était donc pas surprenant que Alice fut prise en chasse aussi tôt dans la journée.
C'était donc un Nokhoi.
Fourbe, agressif, intelligent, joueur, à la limite du sadisme. Leur agressivité atteignait des pics inégalables lorsqu'ils avaient faim, devenant aussi dangereux que des lions pour une gazelle. Indéniablement, la patience de la bête montrerait rapidement ses limites. En effet, l'animal aimait voir courir sa proie, lui laisser croire qu'elle avait la moindre chance de lui échapper. Pour cette raison, Alice ferait peut-être cinquante, cent, deux cent mètres supplémentaires… ? En réalité, un seul bond aurait été suffisant pour lui couper la route et la pousser dans ses derniers retranchements. Mais non, le caractère joueur de la bête ressortait encore par rapport à l'envie d'un goûteux et sanguinolent repas. Ainsi, il la contraignait à prendre la direction que lui avait choisi de prendre en la menaçant tantôt à bâbord, sitôt à tribord. En courant sans relâche sous le soleil ardent des Kharaal Gazar, le gibier serait bientôt cuit à point.
Et malheureusement, un Nokhoi en cachait souvent un autre.
Ceux-là étaient de différents gabarie, certains étaient plus impressionnants encore que le principal antagoniste. Pouvait-on deviner que le principal souci d'Alice était un adolescent qui était en train d'apprendre à traquer sa proie ? Père et mère suivaient la scène, à quelques lieues de là. Dans un moment d'égarement, la blonde s'en rendait compte malgré elle. Ces quelques minutes durent paraître une éternité et avec un certain succès, la créature parvint à acculer sa proie à la base d'un grand rocher. Sur ses flancs, d'autres Nokhois lui barraient toute tentative traditionnelle de retraite. Désormais, ses seules chances semblaient être d'être capable de s'envoler ou alors de les combattre à armes égales. Était-elle seulement capable d'agir dans l'une de ses deux optiques ? Les créatures approchaient à pas de loups pour l'encercler, c'était le cas de le dire. La bave s'écoulait de leurs babines respectives, trahissant une nouvelle fois leur faim qui ne faisait que grandir. A défaut de s'en prendre à une caravane et son lot d'êtres humains, ils se contenteraient bien d'une petite tête blonde, pour l'instant. Pourtant, la chaîne alimentaire était capable de réserver bien des surprises. A priori, tout prédateur ne détenait-il pas sa propre Némésis ? Il suffisait souvent d'être confronté à quelque chose ou plutôt quelqu'un de plus imposant, fort et avec des outils, différents, pour devenir le traqué. Sous quelle forme la providence allait-elle se présenter à Alice ?
Soudainement, un hurlement puissant déchira les cieux et les décibels vinrent faire trembler le sol jusqu'à quelques mètres aux alentours, faisant vibrer chaque grain de poussière. Les oreilles des Nokhois s'abaissèrent par instinct car même eux n'avaient pas l'habitude d'entendre un tel rugissement. Pour en connaître l'origine, il suffisait de lever la tête. En effet, une grosse masse noire était en train de fondre dans la direction et ce qui semblait être une paire d'ailes battait avec beaucoup de puissance le courant d'air dans lequel la nouvelle créature s'était engouffrée. Quelques secondes plus tard, il ne pouvait plus y avoir de doute : il s'agissait d'un dragon. Que venait-il faire par là ? Alice n'avait-elle pas suffisamment de problèmes ? Elle ne pouvait pas faire face à une meute de Nokhois, alors si un dragon se rajoutait à l'équation… Pourtant, il serait bel et bien son principal salvateur. Les Nokhois ne savaient pas vraiment comment réagir, ils ressentaient le danger imminent mais l'inexpérience d'une telle rencontre ne les poussait pas à prendre la poudre d'escampette. Le dragon noir se rapprocha donc suffisamment du sol pour laisser bondir une toute autre personne à hauteur d'Alice. Celui-ci, c'était bel et bien un être humain, il n'y avait aucun doute.
«
Vous êtes sauve. »
Il ne lui lança pas le moindre regard. Thorleif Gunnar, dragonnier de Dyen, savait que la jeune femme se trouvait juste derrière lui. L'homme en armure, car il la portait comme à son habitude, faisait face au Nokhoi et avait levé son bouclier pour être en mesure de contrer le moindre assaut frontal. Il commençait à connaître ces animaux sournois et vicieux, cela faisait plus d'un mois qu'il côtoyait la faune et la flore des Kharaal Gazar. A la moindre inattention, les molosses aux caractéristiques lézardes bondiraient à sa gorge ou viendraient lui déchiqueter les jambes. Son dragon, quant à lui, s'était à nouveau envolé à quelques mètres au dessus du sol et opérait un vol stationnaire en se contentant de battre des ailes.
«
Il attend la permission. Le Primo-Gharyn lui a interdit de s'en prendre à la faune aux alentours de Busad mais… Nous sommes suffisamment loin, maintenant. Lui aussi a faim, très faim. Les dragons ont besoin de faire un festin pour être rassasiés pendant plusieurs jours, parfois on peut même parler de semaines. »
Etait-il vraiment en train de dire qu'il avait un contrôle sur le dragon ? Après tout, il était descendu de son dos et s'exprimait de façon à laisser entendre qu'il en connaissait tout un rayon sur le sujet. De sa main libre, la droite, le chevalier-dragon attrapa le pommeau de son épée pour l'empoigner et retirer la lame de son fourreau. Le regard du colosse de Dyen ne quitta dès à présent plus les yeux du Nokhoi. Nitthog attendait que son maître lance l'assaut et c'est ce qu'il fit en s'approchant brusquement de la bête ennemie.
«
Restez derrière-moi, il ne vous arrivera rien. Je suis votre bouclier et votre épée. »
Ils devaient être cinq ou six, éparpillés aux alentours. La plupart scrutaient le dragon, c'était une proie plus intrigante, plus intéressante. Ils le voyaient comme un trophée inégalé jusqu'à présent mais quelle bête serait la plus féroce ? Thorleif, qui démontrait un courage exemplaire luttait contre un seul d'entre eux tandis que Nitthog venait tout à coup de prendre en chasse les autres. Allait-il les réduire en pièce ? Les bêtes parviendraient-elles à se montrer plus rusées ? La belle inconnue pouvait-elle leur apporter un quelconque soutien ?