[Terminé] La liberté a un prix

Les bâtiments défilaient à toute vitesse. Les rues étaient calmes en ce matin d'été, seul le claquement frénétique des pas de Meghan contre le sol se faisaient entendre et résonnaient contre les façades alentours. Elle courait aussi rapidement que le lui permettait sa longue robe bleue pâle qu'elle soulevait légèrement pour éviter de trébucher. Sa coiffure ne ressemblait plus à grand chose malgré le temps qu'elle y avait passé avant de partir, son maquillage avait coulé avec les larmes causé par le vent dans ses yeux. Cette journée s’annonçait particulièrement mauvaise.

C'était la première fois qu'elle arriverait en retard au travail, depuis qu'elle avait commencé à servir au pub, il y a six ans.

C'est après quelques minutes de course qu'elle arriva enfin de la porte du pub. Elle s'arrêta un moment pour reprendre son souffle, se recoiffa grossièrement en rabattant vers l'arrière les quelques mèches qu'elle voyait pendre devant son visage et hésita au moment de saisir la poignée. Qu'allait être la réaction de son patron en la voyant rentrer à cette heure-ci ? Allait-il la renvoyer ? La frapper ? Demanderait-il un dédommagement en nature ? ... Face à cette dernière pensée, Meghan ne put s'empêcher de cracher au sol avec un air de dégoût. De toute façon, elle savait qu'elle ne pouvait pas revenir en arrière. Elle inspira un grand coup et actionna la poignée.

A son entrée, les quelques personnes présente dans la salle ne réagirent pas. Les filles n'étaient pas encore arrivée, seul le tenancier se trouvait derrière le bar, essuyant les verres avec un vieux morceau de tissu encrassé et un client était endormi sur une chaise au fond de la pièce. Il n'a pas bougé de la nuit, cet ivrogne à dormi ici. pensa-t-elle. En se dirigeant vers le placard à balais, elle lança un regard inquiet à son patron qui lui répondit par un clin d’œil et un signe de la main. Il se moquait complétement de son retard.


La suite de la journée se déroula comme d'habitude, du bruit, quelques mains aux fesses de la part des clients, des regards lubriques d'ivrognes, des moqueries des autres filles, un étrange type masqué assis à une table en fin de journée ... Meghan marqua une pose et fixa cet inconnu. Ce n'était ni un habitué, ni un nouveau client. Cet homme était là ce soir, et uniquement ce soir. Il avait quelque chose à faire. Mais quoi ...? La jeune serveuse fut tirée de ses pensée par la puissante voix gutturale d'un client impatient, un gros moustachu au visage rougit par l'alcool.

- Ehp toi, ma mignonne, elle arrive c'te tournée ?

- Tout de suite, monsieur. répondit-elle avec une petite voix et en baissant la tête, couverte de honte.

Elle pressa le pas vers la table de l'homme à la peau rouge en jetant quelques regard inquiets, en chemin, en direction du mystérieux inconnu masqué.

- Voilà pour vous. Dit-elle timidement avec le sourire

- Ca c'est une brave fille ! s'exclama-t-il en riant si fort qu'il manqua de s'étouffer

La punition liée à son retard de la matinée était arrivée. Le patron de Meghan l'emmena dans la remise et referma la porte derrière lui avant de se retourner face à elle avec le regard terrifiant d'un prédateur prêt à bondir sur sa proie. Habituée à cette situation, la jeune serveuse commença à défaire les laçages de son corset lentement, les mains tremblantes, ce qui provoquait d'ignobles grognement chez l'homme en face d'elle qui s'impatientait. Sa respiration se faisait de plus en plus forte et son regard devenait de plus en plus pesant et oppressant.

Quand elle arriva à la dernière boucle, elle lança un regard terrifié à son patron qui lui répondit par un sourire malsain. Elle soupira, marqua un temps d'arrêt et retira le lacet. C'est alors qu'elle vit la porte s'ouvrir derrière l'homme. Terrifiée à l'idée de se faire surprendre dans cette mauvaise posture, elle recula d'un pas, se plaqua contre le mur et retint son corset desserré pour qu'il ne tombe pas. Elle n'eut le temps de voir qui était entré qu'un son de lame siffla dans les airs, la tête grimaçante de son patron se détacha  de son corps et du sang gicla sur la jeune femme effrayée. Le corps sans vie tomba au sol et laissa apparaître derrière lui cet étrange homme masqué.

- Désolé de ne pas avoir pu intervenir plus tôt.

Haletante et encore sous le choc, elle fixa cet homme pendant quelque longues seconde avant de se diriger vers lui, laissant tomber son corset tacheté de sang, et de l'enlacer sans réfléchir en guise de remerciement, en versant par la même occasion toute les larmes de son corps.

Elle se ressaisit assez rapidement, prenant conscience qu'elle pleurait à chaude larme en tenant un meurtrier expérimenté dans ses bras. Elle recula à nouveau d'un pas et lui adressa un hochement de tête gêné et ajouta avec une voix peu assurée :

- Je.. Je.. Merci.

Elle tourna son regard vers le cadavre du tenancier et se surprit elle même à lui cracher dessus. Il l'avait exploité et avait profité de la mort de son mari pour en faire son objet sexuel pendant quatre longues années. Elle pris pourtant conscience, en le voyant ainsi au sol dans une flaque de sang, qu'il n'avait rien du monstre qu'elle voyait en lui, il n'avait plus rien d'imposant, de menaçant ni d'effrayant. Il n'était qu'un tas de chair, gras et crasseux, auquel il manquait dorénavant la tête. Elle regretta presque que cela se finisse comme ça, en une fraction de seconde, sans souffrance, comme un verre que l'on fait tomber et qui se brise au sol, ce n'était qu'un être fragile et sans importance.

Elle passa son bras sur sa bouche pour essuyer sa salive et s'adressa à celui qu'elle considérait comme son sauveur :

- Que va-t-on faire de lui ..?

Fuir.

C'était bien ce que comptait faire Meghan. Une fois que son mysterieux "sauveur" lui laissa le champs libre, elle ramassa son corset entaché et se rua vers la sortie du pub. Une fois dans la rue et marqua une pose, observa les alentours. Il faisait nuit et cette partie de la ville était mal éclairée. D'habitude elle s'en plaignait mais pour cette fois, c'était une chance pour elle. Elle reprit sa course, au même rythme que dans la matinée. Décidément, cette journée s'était avérée plus mauvaise encore qu'elle ne l'avait imaginé.

En chemin elle revoyait les images de l'assassinat, de la décapitation. Le sang sur son visage et sa robe commençait à sécher. Après quelques minutes elle arriva devant chez elle. La boule au ventre, elle regarda autour d'elle. On ne l'avait pas suivit, une "chance". Elle entra dans ses appartement et s'empressa de retirer ses vêtements tachés de sang. Ils sont bons à bruler .. Pensa-t-elle.

Elle attrapa une nouvelle robe dans sa garde-robe. La toisa pendant de longues secondes et soupira pour évacuer son stress. Elle s'habilla, entreprit de mettre un nouveau serre-taille par la même occasion et se regarda dans le miroir.

Elle prit conscience en voyant le sang séché sur ses joues qu'elle était complice d'un meurtre et que la fuite du pub ne servait à rien. Il fallait qu'elle quitte la ville. Automatiquement, comme en réponse à cette pensée, elle déchira le bas de sa robe au dessus des genoux - pour faciliter ses déplacements - à l'aide d'un petit couteau. Il me faut aussi une arme.. Au cas où. Elle se mit à chercher dans les affaires de feu son mari. Elle n'y avait pas touché depuis qu'elle les avait rangées dans cette malle, il y a quatre ans de cela, mais elle savait qu'en temps qu'apprenti dragonnier, il avait eu la permission d'acquérir une arme de poing qu'elle trouva sans trop de peine ainsi que quelques munitions. Elle cacha le revolver sous sa robe en l'attachant grossièrement à son porte-jarretelle dans l'attente de se procurer un holster. Et se dirigea ensuite vers la sortie de chez elle en prenant soin de prendre un petit sac dans lequel elle mit quelques provisions et vêtements de rechange avec quoi elle pensait pouvoir tenir au moins jusqu'à la prochaine ville sans trop de mal.

Elle hésita en sachant qu'un fois cette porte franchie, elle ne reviendrait certainement jamais. Cet appartement disparaitra de sa vie et avec lui tous ses souvenirs. Elle inspira une grande bouffée d'air et ouvrit la porte et sortit sans se retourner.

Elle vagabonda en essayant d'avoir l'air naturelle jusqu'aux limites de la ville. Elle n'avait jamais quitté Dyen. Et à compter de cette nuit, elle n'y retournerait jamais.