[Terminé] La légendaire hospitalité de Busad

La requête de Zaël faisait écho à ses propres envies, aussi ne se fit-elle pas prier.

« Ça devrait pouvoir se faire. »

Elle exécuta ce rituel qu'elle connaissait par cœur, retirant par des gestes routiniers les lanières qui assemblaient les différents morceaux de son plastron, les plaques qui protégeaient ses cuisses et ses genoux après avoir détaché l'épée et la gourde qui pendaient à sa ceinture. Les pans de son armure tombèrent un à un, libérant progressivement son corps de sa carapace.

Une fois totalement défaite de son armure elle se sentit plus légère malgré le faible poids de celle-ci. Elle s'étira pour dénouer ses muscles. Son pantalon était rentré dans ses bottes et sa tunique sans manches laissait apparaître deux cicatrices encore visibles sur son bras gauche, souvenir laissé par un muursüld il y a quelques semaines. Ainsi vêtue elle se faisait moins imposante. Elle en avait conscience et cela la gênait toujours quelque peu. Sans armes et sans protections, elle se sentait frêle, vulnérable, bien que ce sentiment finissait généralement par s'estomper après quelques minutes. Privée du rembourrage de son armure, le vent imprégné du froid des nuits des Terres de Maladie la fit frissonner. C'était une sensation qu'elle appréciait, elle chérissait ce froid qui lui rappelait ses terres enneigées. Elle se tourna vers le Khaaralien, prenant la parole d'un ton espiègle pour cacher sa gêne d'être ainsi exposée.

« Cette tenue sied-elle d'avantage au primo-Gharyn ? »

« Ça devrait pouvoir se faire. »

Un sourire candide vint orner ses lèvres, les yeux pétillants de joie. Il avait envie de nouveau l’étreindre mais ce retint pour la laisser faire. Il regarda fasciné l’opération : l’armure tombait petit à petit au sol comme une cocon se désagrégeant pour laisser sortir un papillon. Toujours plus belle. Ses sourcils se froncèrent quand ils s’arrêtèrent sur les cicatrices de son bras. Ce n’était pas étonnant pour une guerrière mais ça n’empêcha pas son cœur de se serrer à l’idée des combats qu’elle avait dû mener et mènerait encore.

« Cette tenue sied-elle d'avantage au primo-Gharyn ? »

Sans le ton joueur d’Adela, cette réplique aurait pu être blessante. Une pique pour lui rappeler qui il était, sa position et instaurer ainsi une distance. Mais il décida de s’accorder sur le ton de la jeune femme, l’attirant à lui tout en lui répondant. Il essayait de s’imprégner de cette si belle simplicité dont faisait preuve sa compagne

« Si cela convient à la jeune Guerrière de Zagash »

Pour ensuite l’embrasser encore une fois, doucement, tout en pressant son corps contre le sien. Savourant le contact totalement différent sans la présence de l’armure. Lui en djellaba à manche courte adapté à l’été, elle avec une tunique sans manche. Le caresse de leur peau se frôlant était si grisant. Il effleura du bout des doigts le bras de l’adepte de Dalai pour s’arrêter au niveau de la cicatrice une lueur interrogatrice dans les yeux.

« Si cela convient à la jeune Guerrière de Zagash »

Elle sourit à cette réponse alors qu'il l'embrassait dans la foulée. La chaleur de son corps contre le sien était des plus plaisantes. Elle se laissait aller à cette étreinte avec délice, souhaitant qu'elle ne se termine jamais.

Les doigts de Zaël s'arrêtèrent sur ses cicatrices dans une question silencieuse. Elle détourna le regard. C'est qu'elle n'aimait pas vraiment s'étaler sur ses échecs, surtout quand ils étaient dû à une erreur de débutant. Mais elle consentit à lui donner une réponse accompagnée d'un haussement d'épaule.

« Une meute de muursülds en colère. J'ai commis l'erreur de croire qu'Amisgal me permettrait de les prendre de vitesse... ce n'était pas le cas. C'est grâce à un certain fils de Möchlog plutôt doué que je peux toujours utiliser mon bras. Les cicatrices finiront peut-être même par disparaître complètement grâce à lui. »

Elle remercia silencieusement son frère et ses précieux talents. Elle décida de changer de sujet en posant ses doigts sur les tatouages du bras de son compagnon.

« Qu'est-ce que ça représente ? »

Ces marques étaient l'une des premières choses qui l'avait frappée lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois, mais elle n'avait osé lui poser la question avant de peur de l'offusquer. Les gens de chez elle n'ornaient pas leur peau de la sorte, c'était une coutume dont elle ignorait tout et qui l'intriguait.

Il écouta attentivement sa réponse. D’après ce qu’il avait lu les muursülds n’étaient pas une espèce très agressive envers les humains. Pour sa part, il n’en avait jamais rencontré, il n’y en avait pas en Kharaal Gazar, ils restaient de l’autre côté des montages. Mais peut-être que l’ouvrage n’était pas très fiable, tous n’étaient pas aussi soigneux que La Grande encyclopédie des créatures rares de Luka Toen.

La mention « d’un certain fils de Möchlog plutôt doué » attisa sa curiosité. Qui était ce type auquel elle devait tant ? Un ami, un ancien amant ? Ou peut-être encore pire… Son cœur se serra étrangement entre ses sentiments conflictuels de gratitude et de jalousie.

Puis ce fut à son tour d’être questionné, détournant son esprit de ses vaines inquiétudes. La vaste question des tatouages. Les étrangers, même certains My’tran, étaient souvent curieux à ce sujet. Bien que personne ne lui posa jamais la question à lui, il avait seulement droit à des regards intrigués.
Paradoxalement, alors qu’ils étaient à la vu de tous, les tatouages touchaient à quelque chose d’intime, de privé, à ses convictions intimes. Il savait qu’il n’aurait pu trouver meilleure interlocutrice pour en parler que celle qu’il tenait dans ses bras.

« C’est un hommage à mon Architecte, Delkhii. Ce sont les circonvolutions de la Terre, son lent mouvement de création et de transformation passant d’une forme à une autre. Rien ne reste figé contrairement à ce que le nous pensons, tout participe au cycle de la vie dans une danse ininterrompue. Les tatouages qui recouvrent mon corps n’en sont qu’une maigre représentation. »

Sa voix était pleine de passion alors qu’il s’exprimait. Nul sujet ne l’animait comme celui de son Architecte, de sa dévotion, du moins jusqu’à présent.

Elle se laissait bercer par sa voix tandis qu'il s'exprimait avec passion. Elle s'était imaginé que ces tatouages étaient un hommage à sa tribu, mais c'était autrement plus complexe.

« Un serment éternel de fidélité à son Architecte, marqué à tout jamais sur son corps. L'idée me plaît. »

Maintenant qu'elle en avait connaissance, elle s'étonnait que cette coutume ne fut pas plus répandue sur le continent. C'était pourtant un signe de dévotion non négligeable, interdisant à tout jamais au porteur de telles marques de cacher son appartenance à un culte. La jeune disciple de l'eau se demanda si la Khorog des Torphann connaissait ces rites khaaraliens. Elle lui en parlerait la prochaine fois qu'elle aurait l'occasion de la voir.

La tête posée sur l'épaule de Zaël, elle réfléchissait en observant le ciel étoilé. Même en été, les nuits se faisaient plutôt froides dans les Terres de Maladie. Maintenant que le soleil s'était couché, la chaleur qu'il prodiguait se dissipait peu à peu, et le vent froid lui donnait la chair de poule. Elle n'avait pas imaginé passer autant de temps au sommet de la tour, et à présent que la nuit était tombée elle se fit la réflexion que la descente dans le noir risquait d'être laborieuse. Elle chassa cette idée de son esprit, cela n'avait aucune importance, tout cela en valait largement la peine.

Ce n’était pas possible d’être aussi heureux à l’entente d’une réponse d’une seule personne ! Comment pouvait-elle trouver des mots si justes et pourtant continuer de le surprendre ?! Et de quelle façon il la remerciait : en lui laissant prendre froid. S’il ne pouvait le voir, il l’avait senti avec le frisson accompagnant la chair de poule. C’était de sa faute à lui si elle avait enlevé son armure. Non mais quel idiot ! Il la serra légèrement plus fort dans ses bras, son cœur battant si fort qu’il avait l’impression de l’entendre. Puis il se décida à lui faire une proposition.

« Tu veux descendre te mettre à l’abri du vent ? »

C’était une idée toute innocente proposée avec un ton soucieux. Il n’y avait pas besoin d’aller loin ni jusqu’à ses appartements. Le vent épargnait les escaliers et l’intérieur malgré les nombreuses ouvertures, seul le toit était balayé par celui-ci. Même si ça, il ne le précisa pas, que se soit un oubli volontaire ou un acte manqué.

Encore une fois, il resta à la merci de la guerrière, de sa réaction. Prêt à l’aider avec toutes ses affaires déposées au sol.

Encore une fois il semblait lire dans ses pensées, bien qu'il ne devait pas être bien difficile de deviner qu'elle avait froid. Elle hocha la tête en guise d'assentiment. Bien qu'elle appréciait l'ambiance de ce lieu, se réfugier dans un endroit plus chaud n'était pas dénué de bon sens. En outre elle n'avait pas eu l'occasion de pénétrer à l'intérieur même de la tour.

« C'est toujours toi le guide, j'irai où tu iras ! »

Après avoir déposé un baiser sur sa joue, Adela se dégagea à regret de ses bras pour se tourner vers ses effets sur le sol. Avec deux paires de bras, cela ne devrait pas être problématique à déplacer.

« Tu veux bien m'aider à porter ça ? »

La requête spontanée n'était probablement pas nécessaire. Elle était à peu près sûre qu'il l'eut fait même sans qu'elle n'ait eu à le demander.  

Elle ramassa son épée et sa gourde qu'elle remit à sa ceinture pour ne pas avoir à les porter à bout de bras. Elle jeta un dernier regard à la magnifique vue nocturne de Busad puis se baissa de nouveau pour ramasser les morceaux éparpillés de son armure.

« C'est toujours toi le guide, j'irai où tu iras ! »

Il eut un sourire amusé, c’était vrai que ça avait commencé comme ça. Ce n’était qu’il y a quelques heures mais il avait l’impression que ça c’était passé un autre jour, d’avoir passé beaucoup plus de temps avec Adela que ce n’était le cas. Sensation nullement désagréable, pas plus que le souvenir du baiser juste déposé.

« Tu veux bien m'aider à porter ça ? »

Il aurait préféré la reprendre dans ses bras mais après tout c’était lui qui avait proposé de se déplacer. Acquiesçant tout naturellement à la requête, il se mit à ses côtés pour récupérer les pièces éparpillées, essayant d’en prendre un maximum pour ne pas encombrer la guerrière. Absurde quand on pensait que c’était elle qui l’avait portée dans son intégralité jusqu’au sommet de cette tour. Il profita de sa brève pause pour admirer la cité pour s’exécuter. L’air de rien, il se releva ensuite la pile entre les mains.

« Il n’y a pas de lumière dans les escaliers mais nous n’allons pas trop loin. »

Ses mots sonnaient plus comme une excuse qu’autre chose. Et puis, peut-être d’inquiétude irraisonnée : il ne voulait pas qu’elle chuta dans les escaliers. Chargé comme il était, il ne serait d’aucune aide. Son allure s’adapta donc à celle de sa compagne, lui qui connaissait si bien cette Tour n’avait aucun souci à se déplacer sans voir ses pieds.

Arrivé à l’étage du dessous, il signala à Adela de s’arrêter pour pouvoir pénétrer à l’étage de ses appartements. Un couloir menait jusqu’au centre de la tour où il y avait un petit hall desservant les différentes pièces et suites, que se soient celles lui étant allouées ou celles à son Khorog. Il la mena ensuite devant la salle de ses appartements, avec un brin d’anxiété à n’en pas douter.

« Tu peux ouvrir, c’est cette porte. »

Il n’y avait pas besoin de clef, il ne fermait jamais. Pas besoin quand on habitait au sommet d’une tour avec trois étages de Protecteur en dessous. Évidemment, l’ensemble était plongé dans la semi-obscurité de la nuit. Adela ne pouvait donc percevoir à quel point le hall était grand, ni voir l’ensemble des tapisseries, ode à son architecte, mais aussi aux autres, ainsi qu’à la vie. Il y a avait un ensemble de canapés et de fauteuils bas placés en demis cercle face aux fenêtres avec une petite table en son centre. Et juste devant la porte, de part et d’autre des petits meubles où le Gharyn déposa prudemment l’armure.

« Attends moi là, je vais chercher de quoi allumer les lampes. »

Alors qu'Adela se penchait pour ramasser les morceaux de son armure, elle vit Zaël les bras chargés de ses affaires. Elle leva le doigt pour protester, puis le baissa dans la foulée avec un soupir de capitulation. Elle ne tolérait pas que quelqu'un d'autre qu'elle n'ait à porter ses fardeaux, au sens littéral comme au figuré. Mais Zaël n'était plus seulement "quelqu'un d'autre", aussi elle se résolut à faire une exception.

« Il n’y a pas de lumière dans les escaliers mais nous n’allons pas trop loin. »

La jeune femme lui répondit à nouveau avec son air rieur.

« Nous devrions survivre à la descente d'un étage ou deux, même dans l'obscurité. »

Comme il l'avait dit, les escaliers n'étaient éclairés que par la lune et les étoiles. C'était logique, pourquoi s'embêter à entretenir des braseros sur tout le laborieux chemin au vu du peu de passage nocturne qu'il devait y avoir ?

Ils prirent leur temps pour descendre, d'une part parce qu'Adela préférait ne pas se précipiter dans le noir, mais surtout parce que, tout simplement, ils avaient le temps. Prendre son temps était un luxe à ne pas négliger aux yeux de la guerrière.

Arrivés à l'étage de leur destination, Zaël la guida à travers un couloir sombre jusqu'à une porte. Elle ne discernait pas grand chose et ne pouvait que supposer la largeur des lieux, se demandant de quoi tout cela pouvait avoir l'air en pleine lumière.

« Tu peux ouvrir, c’est cette porte. »

Elle poussa la porte pour découvrir une pièce relativement spacieuse, à l'air plutôt accueillant. Les fenêtres permettaient à l'endroit d'être éclairé de la lumière ténue des étoiles. Elle déposa son épée, sa gourde ainsi que son carnet là où son compagnon avait déposé son armure.

« Attends moi là, je vais chercher de quoi allumer les lampes. »

Elle fit oui de la tête tandis qu'il s'éclipsait. Les mains derrière le dos, elle faisait des allers retours dans la pièce, se plaisant à essayer de discerner un maximum de détails dans l'obscurité. Le lieu était plutôt spacieux, sans pour autant être dans l'excès. Elle se demanda si les appartements du primo-Gharyn de Shüren ressemblaient à cela. Sans doute le mobilier était-il radicalement différent, et l'ambiance du lieu également. Cette pièce était à l'image de son propriétaire, calme et chaleureuse. Chaque lieu de ce genre devait probablement ressembler à celui qui y vivait. Comme la plupart des My'träns elle n'avait jamais disposé d'une pièce personnelle. Elle tenta d'imaginer à quoi pourrait bien ressembler un endroit qui lui appartenait, sans y parvenir.

Perdue dans ses pensées elle s'était figée devant une fenêtre. Elle se retourna doucement quand elle prit conscience que son hôte était revenu.

Il ne lui fallut pas longtemps pour revenir avec une boite d’allumette laissée dans sa chambre. Cependant au lieu d’allumer la lampe à huile directement, il préféra faire une pause observant la my’trane debout devant la fenêtre, presque étonné qu’elle soit toujours là. Il n’avait pas l’habitude de recevoir beaucoup de monde, il ignorait à quel point c’était plaisant. Surtout lorsque c’était… il ne savait pas quoi, une personne comme Adela ?

Repéré, il n’eut pas d’autre choix que d’avancer dans la pièce.

« Désolé de t’avoir fait attendre. J’ai ce qu’il faut. »

Il montra maladroitement ce qu’il tenait dans la main. En fait, il ne savait pas pourquoi il était allé les chercher. Il n’avait pas vraiment envie qu’il y ait plus de lumière. Peut-être avait-ce été une tactique pour éviter d’être seul avec la jeune femme, ici, dans ses appartements. Absurde, certainement, considéré son âge et si on ne prenait pas en compte son statut avec l’impact négatif sur sa vie sociale.

Maintenant, il était obligé de s’exécuter. Au moins pouvait-il réguler la puissance de l’éclairage… Il se releva les mains vides, le tout étant posé sur la table basse, pour rejoindre la jeune femme. Dans un élan presque naturel il enlaça de nouveau sa compagne.

« Je te ferais bien visiter le reste mais tu as vu le plus intéressant. »

Il fit un signe de tête vers les ouvertures donnant sur l’extérieur, un sourire d’autodérision sur les lèvres avant de l'embrasser de nouveau. Rien ne les forçait plus à se déplacer maintenant.

Avant que que Zaël ne créa une lumière tamisée qui envahit la pièce, l'ambiance avait quelque chose d'étrange, presque ésotérique alors que le khaaralien s'était dirigé vers la table basse dans l'obscurité, le bruit de ses pas étant le seul son audible en dehors du sifflement du vent au dehors. Adela avait observé chacun de ses gestes alors qu'il s'évertuait à faire naître le feu. Quand il se redressa pour se diriger vers elle, elle eut envie de se jeter sur lui. Mais elle n'en fit rien, se contentant de rester immobile, les yeux pétillants, tandis qu'il arrivait à son niveau pour l'enlacer.

« Je te ferais bien visiter le reste mais tu as vu le plus intéressant. »

Le sourire de la jeune femme s'élargit à sa remarque. D'une main elle agrippa avec douceur sa djellaba au niveau de son torse pour l'attirer davantage à elle tout en lui répondant, son visage tout près du sien.

« Mais j'ai toujours le plus intéressant sous les yeux. »

Elle ponctua sa phrase d'un baiser empli de tendresse avant qu'il ne put réagir. Elle ne se souvenait pas la dernière fois qu'elle eut ressenti un tel confort, un tel bien être. Un chaleureux sentiment de sécurité l'emplissait, la poussant à baisser sa garde pour se laisser aller. Elle qui pourtant avait été entrainée à ne jamais laisser s'endormir sa méfiance, à ne jamais se détendre complètement. Néanmoins, elle n'avait aucunement le sentiment de trahir ses préceptes ou de faire preuve d'imprudence. Que pouvait-il arriver tandis qu'elle se trouvait dans une pièce au sommet d'une tour vertigineuse, dans les bras d'un homme plus que désirable et assurément pétri des meilleures intentions ?

Ce sentiment nouveau qui grandissait dans sa poitrine depuis quelques heures, qu'elle avait d'abord jugé perturbant et dérangeant, était des plus agréables et faisait battre son cœur avec vigueur contre le torse de Zaël.

D’un mouvement tout en douceur et en force, elle l’attira à elle. Proche, plus proche qu’ils ne l’avaient été jusque là. Le souffle de son visage venait le caresser alors qu’elle prononçait ses mots incroyables. Il arriva encore à être surpris par son élan quand leurs lèvres se rencontrèrent de nouveau pour un contact si doux. Pourrait-il jamais s’en lasser ? Ou en avoir assez et n’être plus accro à cette sensation ? Était-ce envisageable alors qu’il était si bon de laisser sombrer l’environnement dans l’oubli, y compris cette lumière faible qui s’infiltrait pourtant partout, et ne se concentrer que sur ce contact si agréable ? Il n’arriverait plus à se séparer d’elle, il le savait. Ou tout du moins son corps le savait, il se faisait esclave de ses désirs autant que de ceux de la jeune femme.

À quoi bon parler à ce stade de sentiment que le Gharyn ne comprenait pas, ne contrôlait pas ? La seul chose qu’il pouvait faire été s’immerger dedans dans l’espoir d’en ressortir grandi, apaisé, épanoui et tout ce qu’on voudra. En espérant, en faisant tout son possible, pour que ce fut de même pour sa compagne. Tout autre alternative aurait été moins qu’acceptable.

Le baiser plein de tendresse se transforma en une multitude de passionnés. Toujours impuissant à le combler et qui ne faisaient qu’alimenter le feu. Ses mains se mirent à la recherche de sa peau si soyeuse avide de son contact, d’avoir de nouveau sa peau sous ses doigts et ne plus seulement l’effleurer. Une soif de l’autre des plus communicative.

Pour son plus grand ravissement, Adela découvrit une autre facette de son partenaire, plus passionné, plus avide, pendant qu'il cherchait désespérément son contact. Cela faisait écho à son propre désir. Il n'était plus temps pour les mots doux, leur étreinte se faisait plus ardente, leurs baisers plus pressants. Sa respiration s'accélérait sous le coup des mille et une envies qui la tiraillait et l'empêchait de penser à quoique ce soit qui ne fut pas Zaël. La fougueuse jeune femme le plaquait contre elle autant qu'elle le pouvait, comme s'ils pouvaient être plus proches encore. Elle n'avait plus cure de leur environnement, ou de quoique ce soit d'autre.

S'en suivit une danse charnelle qui mirent tous ses sens en éveil, durant laquelle passé ou futur n'étaient que de vagues concepts abstraits et dénués du moindre intérêt face à l'intensité du moment présent. Tout n'était que tendre sauvagerie, tumultueuse harmonie. Un éveil des sens, une bataille qui n'en était pas une, tel un ouragan faisant s'écraser les flots déchaînés de l'océan sur d'inébranlables rochers millénaires. Une ode hystérique à la vie, ce n'était rien de moins.

Cet instant, gravé dans l'éternité et pourtant éphémère, n'appartenait qu'à eux, et jamais Adela n'imaginait vivre une telle osmose avec quelqu'un d'autre. Ils s'étaient rencontrés il y a si peu de temps, et pourtant elle avait le sentiment de mieux le connaître qu'elle ne se connaissait elle-même. Tout cela ne pouvait être que l’œuvre de Dalai et Amisgal. Comment pouvait-il en être autrement ? Jamais ce tourbillon de sensations qu'elle vivait n'aurait pu être la résultante d'une simple coïncidence. C'était inéluctable, un destin immuable qui avait guidé ses pas jusqu'à ce moment sans commune mesure.

Combien de temps s'écoula ? Cela avait-il la moindre importance ? Le temps, d'ordinaire si exigeant, n'avait guère son mot à dire dans le cas présent. Il n'était rien de plus qu'un spectateur sans contrôle.

Adela lui avait ouvert de tous nouveaux horizons. Il ignorait jusqu’à présent qu’il était possible de s’enivrer d’une personne, de son odeur, de son corps, de son être entier et ce en l’espace d’une journée, d’une soirée. Maintenant que le calme était revenu, si on pouvait dire, Zaël jouait avec les doigts de la demoiselle. Il était bien là avec elle, il n’avait pas envie de parler. Ou plutôt, il savait que s’il commençait, ils finiraient par devoir parler du moment où ils se sépareraient. Rien que l’idée lui en répugnait. Mais en même temps, il avait envie de plus en connaître sur elle, sur ses pensées sur tout, sur ce qu’il venait d’échanger.

Décidément, elle avait vu juste plus tôt avec son « Tu réfléchis trop ». Quelques secondes avaient suffi pour qu’il reprit cette mauvaise habitude. Ne pouvait-il se contenter de cette magnifique femme qui se tenait à ses côtés ?

« Je crois que je me suis rarement senti aussi bien, merci. »

Son regard était plongé dans le sien. Ne se lassant pas de ce qu’on appelait les miroir de l’âme. Comment l’aurait-il pu ? Il ne comprenait pas pourquoi elle s’était attachée à lui alors qu’elle devait avoir une myriade d’admirateurs à ses pieds. Il ne pouvait en être autrement, il ne pouvait être le seul à la voir tel qu’elle était : une beauté aussi bien extérieure qu’intérieure.

Mais encore une fois, ce n’était pas là une question qu’il souhaitait poser. Pas maintenant et peut-être jamais. Pour une fois, il préférait rester dans l’ignorance et profiter pleinement de ce moment de bonheur paisible.

Lovée contre Zaël, elle se sentait sereine, apaisée. Il lui semblait étrange de ressentir une telle tranquillité après toute la tornade d'émotions qu'elle avait ressentie. Les minutes s'écoulaient sans qu'ils ne disent rien. Cela n'était pas important, le contact, la complicité silencieuse qui s'était installée lui suffisait. Hier encore elle ne s'imaginait pas être capable d'éprouver de tels sentiments pour quelqu'un, tout avait basculé si rapidement. Elle avait déjà vécu quelques aventures d'un soir, généralement l'alcool aidant, mais cette fois était différente, Zaël était différent. Ce n'était pas juste l'expression d'instincts primaires, ce n'était pas juste une impulsion.

« Je crois que je me suis rarement senti aussi bien, merci. »

Adela se serait sans doute sentie offusquée de ce qui semblait être une simple formule de politesse si le regard sincère du Khaaralien ne l'avait pas inondée de sa chaleur au même moment. Elle posa un baiser sur ses lèvres avant de lui répondre.

« Pourquoi des remerciements ? Je ne t'ai accordé aucune faveur. Tout cela, je m'en satisfais au moins autant que toi. »

Parler avait fini de dissiper la douce torpeur dans laquelle elle baignait. Son esprit recommença à réfléchir. Quelle heure était-il ? Elle s'était efforcée de ne pas y songer jusqu'à présent, sachant pertinemment que le devoir de Zaël l'appellerait probablement aux premières lueurs de l'aube. L'idée qu'il fut le primo-Gharyn de Busad lui semblait abstraite, elle en avait conscience, mais sans le réaliser vraiment. Les graines de l'inquiétude germèrent dans son esprit. Pour elle tout ceci était bien plus qu'une simple aventure, mais qu'en pensait-il, lui ? Au vu de sa position, peut-être même que tout cela était monnaie courante pour lui. Peut-être aussi qu'il estimait que ses devoirs lui prenaient trop de temps. Sans parler du fait qu'elle était de Zagash, comment les Khaaraliens réagiraient si cela venait à se savoir ? Elle craignait la réaction de Zaël à ce qu'elle s'apprêtait à dire, et elle n'avait pas envie de le faire. Mais c'était nécessaire. Quelle que soit sa réponse, elle ferait de son mieux pour l'accepter. Elle prit une inspiration peu assurée, détournant le regard pour qu'il ne puisse y voir sa peine.

« Si tu veux qu'on en reste là, je comprendrais. »

Il se sentit bête lorsqu’elle lui répondit. Évidemment, elle avait raison, il avait été maladroit comme d’habitude avec ses relations personnelles. Sa position, sa nature, entraînaient souvent ce type de décalage. Une raison de plus de se taire ! De juste profiter de sa présence. S’excuser n’était sûrement pas une bonne idée. Et puis, malgré tout, sa réponse lui avait fait plaisir. Il ne voulait pas d’une relation unilatérale. Il n’avait pas besoin d’y avoir pensé, d’y réfléchir pour savoir cela.

Étrangement, sans raison apparente, une distance s’installa entre eux et le glas tomba.

« Si tu veux qu'on en reste là, je comprendrais. »

Son cœur se serra alors qu’il ne pouvait plus rencontrer ses yeux. Zaël était perdu : était-ce un message subtile pour lui faire comprendre que ça n’avait été qu’éphémère ? Qu’une passade, un amusement ? Lui, ne comprenait pas pour le coup. Pourquoi voudrait-il écarter une personne avec qui il se sentait si bien ? Peut-être avait-elle été déçue finalement… Il n’osa pas la toucher ou plus, il lâcha ses mains à regret. Plus désemparé encore que lorsqu’il devait parler à une foule.

« Je crois que tu vas devoir m’expliquer alors parce que moi non. »

Il avait prononcé ses mots tout doucement mais avec toute la confusion qu’il ressentait. S’il ne la touchait plus, il ne la lâchait pas du regard, attentif à la moindre de ses réactions pour comprendre ce qu’elle voulait. De quoi entretenir l’espoir qu’ils n’arrêteraient pas là leur relation à peine entamée.

« Je suis bien avec toi et c’est bien la dernière chose que je souhaite. »

Il aurait aimé lui dire cela les yeux dans les yeux pour qu’Adela sache qu’il le pensait vraiment et que ce n’était pas juste des paroles en l’air. Mais l’important, c’était qu’elle l’entende et plus encore qu’elle soit d’accord avec lui. Pour l'instant, il en doutait sérieusement.

Son cœur se serra quand Zaël lâcha ses mains, ses inquiétudes semblaient être fondées. Pourquoi fallait-il que les choses soient si compliquées ?

« Je crois que tu vas devoir m’expliquer alors parce que moi non. »

Avait-elle bien entendu ? Quelle était donc cette réponse invraisemblable ? Se moquait-il de son statut ? Ne se souciait-il pas de l'opinion de son peuple ? Même pas un tout petit peu ?

« Je suis bien avec toi et c’est bien la dernière chose que je souhaite. »

Elle ne savait comment réagir tant elle n'avait su anticiper cette réponse simple. Son cœur s'emballait en entendant la confusion qui transparaissait dans sa voix. Elle avait envie de se serrer contre lui, de lui demander pardon pour ses mots stupides.  Au lieu de quoi elle osa seulement relever les yeux vers lui pour soutenir son regard et lui donner une réponse balbutiante.

« C'est que tu es le primo-Gharyn et je pensais... j'avais peur que... »

Elle se tut sur cette phrase inachevée. Elle n'avait décidément aucun talent pour exprimer ses sentiments. Finalement, c'était peut-être elle qui réfléchissait trop. Les choses n'étaient peut-être pas si compliquées en fin de compte. Pourquoi s’embarrassait-elle des conséquences ? Pourquoi pesait-elle ses mots ? Dire ce qu'elle pensait ne l'avait jamais dérangé jusqu'alors.  Décidant d'imiter la simplicité de la réponse de Zaël, elle posa timidement une main sur son torse, reprenant sans détours ni artifices.

« Plus que tout, je veux être avec toi. »

La lumière revint en lui alors qu’elle daignait à nouveau le regarder. Il attendit patiemment, craintivement même, alors qu’il n’avait qu’une envie qu’elle éclaircisse ses envies. Même si cela devait être douloureux pour lui, ne pas savoir était pire.

Qu’est-ce que sa fonction avait avoir avec leur relation ? Il était encore plus perdu, cela la gênait d’être vu avec lui maintenant qu’elle savait qui il était ? Peut-être craignait-elle la réaction de ses compatriotes croyant de Dalai. Effectivement, un couple mixte de cette façon attirait les médisants. Ce n’était pas forcement très encourageant pour débuter une relation. Son contact le rassura et ses mots le soulagèrent. Il ne pouvait pas être plus heureux.Un sourire béat irrépressible naquit sur ses lèvres. Dans son enthousiasme, il embrassa à plusieurs reprises la jeune femme.

« Alors tout va bien. »

Même mieux que ça ! Il y avait certes quelques détails à discuter comme ce qu’ils feront demain, ou plutôt le matin qui viendrait dans quelques heures. Rien d’insurmontable une fois que les choses étaient mises au claire.

« Je ne te proposerais pas d’attendre ici toute la journée, ça ne serait pas très intéressant pour toi. Mais tu pourrais peut-être rester ici le temps de ton séjour ? »

Une petite étape à la fois. Ils avaient le temps, non ? Elle ne partait pas tout de suite. Ils n’étaient pas obligés de continuer sur cette discussion. Zaël se sentait de nouveau comme sur un petit nuage.

« Que dirais-tu qu’on essaye de se reposer le temps que le soleil vienne nous chercher ? »