La musique adoucit les moeurs (TERMINE)

Pour être honnête, Meylan n’aurait probablement pas tiqué si elle s’était retrouvée face à d’autres questions à propos de la magie.  C’était une nouveauté pour un Daënar, et la nouveauté avait tendance à stimuler la curiosité.  Mais Hex n’en posait aucune et elle ne pouvait pas deviner qu’il en avait d’autres, ce qui fait qu’elle laissa le sujet là où il en était.  Il faut dire qu’en tant qu’autodidacte, elle ne possédait pas la retenue qu’une éducation complète au sein d’un clan lui aurait peut-être apporté.  Le seul sujet certain de la rendre évasive au possible était son passé, et ce sujet avait déjà été traité et clos depuis un moment.

Quand son interlocuteur se leva, elle resta assise, mais le suivit du regard.  Ce n’est alors qu’elle fut frappée par le temps qui s’était écoulé et la lumière qui avait baissé dans la pièce.  Elle se demandait bien ce que devait penser Zeren, à la savoir partie si longtemps.  Peut-être devrait-elle envisager d’aller le tranquilliser au sujet de son client avant que, dans le doute, il n’envoie quand même une équipe de sauvetage.  Cela ferait assez tache, d’autant plus que Hex n’avait rien fait pour mériter ça.

Quand le Daënar se retourna vers elle, il y avait quelque chose de différent dans son attitude.  C’était un changement subtil, mais néanmoins perceptible pour quelqu’un d’aussi habitué à déchiffrer le langage corporel que Meylan l’était.  Il avait l’air de quelqu’un qui était arrivé à une conclusion ou avait tranché une question après mure réflection.  Quand il prit la parole, il renforça encore cette impression par ses paroles, son ton, et l’emphase que cette inclinaison de sa tête créait.  Pour un bref instant, elle laissa tomber quelques-unes de ses barrières et répondit d’une similaire inclinaison et d’un léger sourire.  Il s’agissait d’un de ces rares moments durant lesquels une rencontre effaçait temporairement les divisions causées par des loyautés divergentes.

Pourraient-ils rester "amis", comme Hex le formulait?  Elle aurait pu répondre par l’affirmative simplement pour lui faire plaisir, mais elle ne voulait faire aucune promesse qu’elle ne tiendrait pas.  Après leur discussion, après leur plus récent échange, faire une telle promesse serait trop semblable à une trahison.  Alors elle ne répondit pas tout de suite, mais pencha la tête pour marquer un temps de réflexion.  Pouvait-elle envisager de le qualifier d’ami alors qu’ils venaient de se rencontrer?  Il est vrai qu’ils avaient assez riche pour qu’elle se refuse à ranger Hex dans la même catégorie que tant d’autres personnes qu’elle croisait et quittait sans s’inquiéter de les revoir un jour.  Il l’intriguait autant qu’il lui inspirait de la sympathie, et elle non plus ne voulait pas le perdre de vue sans espoir de le recroiser un jour.  En même temps…elle était encore réticente à l’idée de lui accorder cette confiance que ceux qu’elle appelait ses amis possédaient sans réserve et qui lui permettait de mettre bas tous les masques en leur présence.  Daënar, My’trän, cela était secondaire.  Cette confiance était tout simplement lente à venir.  Plus tard, peut-être.  En attendant, elle était fort consciente que l’échange était fort à sens unique: elle en savait bien plus long sur Hex qu’il n’en savait véritablement sur elle.  Mais elle voulait donner une chance à cette confiance de se développer, si bien qu’elle finit par trancher la question.

"Je doute que j’oublierai cet après-midi, ou que je t’oublierai toi.  Tu n’es pas le seul pour qui l’expérience a été…instructive."

Le même demi-sourire ornait ses lèvres depuis qu’elle avait retourné son salut de la tête et son ton était calme, posé et empreint d’une sincérité non feinte.  Ce n’était ni l’artiste ni la My’tränne qui parlait, mais tout simplement la personne qui réunissait les deux tout en se dissimulant si souvent derrière ces dénominateurs plus généraux.

"J’imagine que tu ne restes pas à Darga?  Certains maîtres sont capables de communiquer sur de grandes distances, mais ce n’est pas mon cas, donc j’ai peur que nous devions nous rabattre sur des lettres."

Un moyen de communication pour le moins capricieux, en particulier quand le destinataire se déplaçait…mais il devrait suffire.  Ils s’arrangeraient pour qu’il suffise.  Meylan possédait l’avantage d’être assez tenace quand elle avait décidé quelque chose, et cette fois, elle avait décidé qu’elle entretiendrait cette relation qui laissait soupçonner un début d’amitié avec Hex.

Le soleil avait entre-temps presque disparu derrière les toits de Darga, rappelant une nouvelle fois à la ménestrelle qu’elle devrait envisager de laisser Hex passer sa soirée comme il l’entendait et aller rassurer Zeren.  Elle se leva donc, salua à nouveau le Daënar (un salut cette fois teinté d’un léger humour), et prit congé.

"Je ferais bien de réapparaître en bas avant que Zeren ne s’imagine des choses.  Je ne tiens pas à t’attirer des ennuis.  Je souhaite que ton séjour à Darga soit enrichissant et que tu trouves ce que tu cherches."

Elle ne pouvait pas savoir, bien sûr, que Hex avait décider de postposer la recherche de ses origines jusqu’à nouvel ordre.  Si son ton s’était à nouveau fait plus léger, son voeu était toujours aussi sincère et son sourire s’était quelque peu élargi.  Qu’il soit Daënar ou My’trän importait peu en ce moment.

Après un dernier sourire, elle quitta la pièce et descendit les escaliers.  Comme elle s’y attendait, les quelques membres du personnel qui la croisèrent eurent l’air soulagés de la voir ainsi réapparaître.  Elle ne pouvait pas leur en vouloir, bien sûr…mais cela lui paraissait tellement absurde après l’après-midi qu’elle venait de passer.  Accoudé au bar, Zeren la guettait clairement.

"Alors?"

Sourire.

"Il ne te posera pas de problèmes, Zeren.  Crois-moi: il gagne à être connu."