Trace de sang sur banquette rouge

La salle où l’histoire devait prendre fin ou du moins condamner les événements du train, n’était pas bien grande ou impressionnante. Haute de plafond, une décoration sorbe avec seulement un portait du gouverneur Erwan Brand. La table du juge qui s’était retrouvé avec cette affaire, la petite table avec la machine à écrire et le greffier chargé de tout noter et enfin une chaise des plus inconfortable avec des attaches pour l’accusé. Les divers témoignages ayant été recueilli dans une autre salle du Palais de Justice.

C’était aussi l’endroit où Luciole Aldebarra, l’accusé avait été amené après deux semaines de geôle. Temps relativement cours étant donné le nombre de témoignage à recueillir par les enquêteurs et d’informations à assimiler pour le juge E.Johansen. Il avait fallu lire le rapport de la policière Holmes présente sur place, mais détachée ailleurs par la suite, ainsi que ceux ayant pris le relais à Berg. Parcourir leurs différents comptes rendus et témoignages pour ensuite parler avec les témoins clefs. Tous n’avaient pas été rappelés. Inutile d’imposer cette seconde épreuve à tout le monde alors que leurs témoignages écrits suffisaient. Seulement deux des personnes présentes avaient été convoquées : le gérant de cabine et le barman.

« Je voyais bien qu’il y avait quelque chose de pas net. Mais c’était son premier jour et je m’fais un devoir d’être un guide, d’agir professionnellement sans mettre mes sentiments en travers. Il a gravement manqué à son devoir à plusieurs reprises, absents alors qu’on avait besoin de lui… Bien sûr maintenant je sais où il était et les… actions qu’il perpétrait. C’est pour ça qu’il m’a laissé prendre le premier tour de repos. Il y avait que lui pour couper le courant. Puis c’est lui aussi qui m’a remis le couteau. Bizarrement, il savait où le trouver ! Comme par hasard hein. J’avoue que le barman était pas des plus professionnels mais pas de doute qu’il ignorait tout : il y avait qu’à voir sa tête lorsque j’ai sorti l’arme de la poubelle.

Oui, c’est sûr. Tout le monde était en train de discuter. Personne ne lui avait rien demandé. Il y avait aucune raison qu’il farfouille dans les placards et qu’il fasse tomber une bouteille. Aucun doute que c’était une magouille !

Non, je connaissais pas la personne qui devait travailler avec moi. Juste qu’il y avait un nouveau. Vous savez, je fais mon travail et je pose pas de question. Si une personne vient avec son uniforme, c’est que les chefs l’ont envoyé. Enfin, je le croyais… »

« Non, ça va. C’est que j’aime pas trop être ici. Je suis réglo, je n’ai rien fait de mal, que mon boulot. La dame va bien ? Les inspecteurs ont pas voulu me dire…

Non, je n’ai rien vu. C’est mon premier poste dans un train comme ça. Mais même moi, j’ai remarqué son comportement étrange. Comme si il voulait toujours attirer notre attention ailleurs. Je croyais que c’était sa façon de faire son beau, mais…

Aucune idée, mais il a insisté pour qu’on ouvre la fenêtre, ça je m’en rappelle. Ça a fait froid d’un coup ! »

Les réponses et les questions s’étaient enchaînées, tournant en rond ou faisant des bonds d’un sujet à l’autre. Le tout était de vérifier qu’il n’y avait pas de grosses incohérences. De bien voir qu’un tel était bien dans sa cabine, que tout le monde agissait « normalement », que les apparences n’avaient finalement pas été si trompeuses.

« Nous sommes ici présent pour juger de l’empoisonnement de Miss L.Sinamène, la disparition de de Monsieur A.Barthélémy, du vol d’identité ainsi que du meurtre de H.Aldebara.Veuillez décliner votre identité monsieur. »

La procédure était respectée à la lettre, pas de petites discussions ou de sourire quelconque. Le dossier constitué à l’encontre de l’accusé trônait devant le juge. Assez conséquent malgré les zones d’ombres persistantes, comme le devenir du vrai A.Barthélémy.  
Après que ce dernier eut répondu, le nom des deux autres personnes présentes s’ajoutèrent et le procès put ainsi débuter. Le cliquetis de la machine qui s’était interrompu repris immédiatement.

« Comment souhaitez-vous plaider contre ces charges ? »

HRP:

J'avançai, en direction de cette salle. Cette salle, et sa porte de bois sculptée, la voilà. J'étais devant, pieds et mains enchaînées, gravité ascendante, pieds cloués au sol marbré et gelé, j'avais mal et c'était lourd, je songeais. A côté de ça, je serrai les dents, fermement les unes contre les autres, ma mâchoire exerçant une pression constante, mélange de stresse et d'adrénaline pensais-je sur le moment. Pourquoi avais-je si mal ? Et bien car ces chaînes me sciait littéralement les poignets et les chevilles, ne cessant de passer sur ma peau irritée par les frottements à répétition. Une ligne violâtre et pigmentée de rouge sang se traçait sur ma peau, signe d'une négligence des détenus ! Je tiens là l'une de mes lignes de défense ! Je suis un génie, un génie... Je suis... Je me perds dans ma folie, ou du moins, je délire ? Que sais-je, je dois sortir d'ici, et vite ! Sortir, et retourner dans ma campagne, à Blumar. Là-bas, papa et maman m'attendent, ils sont inquiets pour moi ! N'est-ce pas ? Pas vrai qu'ils sont inquiets pour moi ?!



Le bruit que j'avais causé venait de raisonner dans tous les couloirs, le cris de détresse d'un être empli de folie, perdu moralement, qui n'était plus que l'ombre de lui même, oubliant alors qu'il avait, une année auparavant, tué sa mère de ses propres mains. C'était au beau milieu d'un jardin fleurit de coquelicots, se rappela-t-il alors avant d'entrée dans la salle, la libérant alors, pensait-il, d'un mal encore pire encore. Une larme s'échappa de son visage marqué par la douleur. De plus, il semblait aussi avoir oublié que son père, ce tyran, lui avait fait misère durant son enfance, mais ça doit être encore un coup de folie, le pauvre. Il avança alors droit, droit vers ce pupitre de bois, également. Les mains jointes, mais lourdes, sur la rambarde, il attendait... Il regardait, ce juge de pacotille nommé Johansen. D'une beauté à faire tomber des pommes pas mures. Il commença par énoncer, non sans peine, les nombreux chefs d'inculpations qui me pesait au dessus de la tête. Ils étaient dénombrés au nombre de trois, et je savais pertinemment que tout jouait contre moi. Je n'avais aucune issue, aucun alibi. Ce fichu barman était bien trop bête pour commettre un acte aussi préparé, je l'avais surestimé. Au final, la seule chose qui avait joué contre moi dans cette affaire, c'était la complexité de mon plan, ni plus, ni moins. En effet, la seule chose que cette enquêtrice en bois avait retenu à mon égard, c'était que j'étais le seul homme dans ce wagon à pouvoir élaborer un plan aussi saugrenu ! Et pour cause, j'étais littéralement entouré de simples d'esprits, d'adeptes du premier degré. Jamais ils n'auraient réussi à élaborer un plan comme le miens.



Je savais très bien que si je venais à être enfermé, il n'était qu'une question de temps avant que mon régisseur et sa puanteur de compagnon, fourbe comme la peste, ne se ramène à moi, souriant de toutes ces dents, la faux confortablement adossée à son dos, attendant que mon surveillant ne lui ouvre les portes de ma cellule, et que mort s'en suive.


L'audience était sous le choc, certainement ne s'attendaient-ils pas à ce que j'assume les faits reprochés. Je pris un soin particulier à ne donner aucun détail sur les faits, afin de donner de la crédibilité à mon personnage dépassé par les événements, et ne pas effrayer les pauvres mondaines membres du partie civil, qui n'arrêtaient pas de s'éventer depuis près de vingt minutes, me dévisageant que plus encore, deux billes luisantes en guise d’œils. Ainsi, j'attendais le verdict, ou du moins, une réponse de mon cher amis le juge. Allait-il tomber dans le panneau ? Mon jeu d'acteur des plus séduisant serait-il récompensé ? Je l'espérai du plus profond de mon être, car une chose était sûre, je ne devais pas finir en prison, jamais ! L’asile, ma seule issue, était mon objectif en ce moment, je devais y rentrer, et ce, à tous prix !

Un mouvement de malaise parcourut la foule lorsque l’accusé prononça ses mots et commença sa mise en scène. Ici, derrière la chaise avec des attaches, se tenait les familles des victimes, les membres ayant voulu assister au procès. Et uniquement eux. Pas de journaliste, du moins aucun qui ne soit entré de par sa profession. Un public bien restreint pour cette mise en scène dérangeante. Le seul qu’elle devait convaincre regardait d’un œil froid le déclaré coupable. Ce n’était pas la première fois qu’un individu cherchait à échapper ainsi à la prison. Même si, de son point de vue, cette dernière était préférable aux asiles. On avait plus de chance d’en sortir avec l’esprit encore sain. Si on l’avait de base…

Trois coups de marteau et le juge attira de nouveau l’attention sur lui en plus de recueillir un semblant de silence. Avec des aveux, malgré sa requête, l’affaire devenait simple. Pas besoin de consacrer plus de temps à cette histoire macabre. Le verdict était tout trouvé. Avec les témoignages à l’appui, le juge E.Johansen prononça de sa voix grave la sentence sans appel.

« Vous serez donc placé en prison le temps qu’un psychiatre de la cour vous examine et rende son jugement. Vous pourriez obtenir ce que vous souhaitez et finir votre vie en asile. Dans le cas contraire, ce sera en prison. À vie. »

Vouloir abuser du système se devait d’être pénalisant. Quant au reste, il devait avoir commis d’autres crimes, le temps les dévoilerait et donnerait raison à son verdict. Personne n’irait pleurer sur son enfermement de toute façon. La justice sortait de sa bouche et avait toujours raison !

Un coup de marteau encore pour marquer le point final de cette séance. Un autre procès l’attendait alors que ces gens retourneraient à leur vie, enchantés ou non par le verdict. Les gardiens avaient en charge d’escorter M.Aldebarra vers l’endroit auquel il appartenait, par un autre chemin que les spectateurs. Seuls restaient le juge et le greffier.

HRP:

La sentence était tombée, elle était là, devant moi, incarnée par cette homme de haute société, incarnée par cet homme, qui, sans le savoir, venait de signer son arrêt. De mort ? Evidemment que non ! Je ne voulais pas retomber dans mes travers les plus sombres. Oh que non. Bien au contraire, cette sentence, aussi sévère pouvait-elle être, était un cadeau de la vie ! Un message de ma mère venant de l'au-delà, pensais-je sur le moment. Ainsi condamné pour deux homicides, une usurpation d'identité et une tentative de meurtre, qui allait chercher à savoir tout ce que j'avais fait auparavant ? Le braquage de la banque de Skingrad, avec cette vielle La Gachette puante de whisky et riche en paroles sympathiques à mon égard. La délivrance de ma mère Leila, cette douce femme... Je me souviens encore de ses cheveux, doux comme la soie d'une araignée juvénile. Et que dire de cette bibliothécaire ? De Réoni, il me semble... Que de souvenirs ! J'en jubile de plaisir ! En vérité, je suis un artiste, mon art est incompris, et mon être, encore moins.



A présent, les gardiens m’emmenèrent dans ce qui semblait être une prison portative tirée par des puissants destriers. J'étais accompagné, les fesses plaquées contre un banc d'acier et de boulons formé. Mes chaînes toujours pesantes sur mon être, alors que mes deux accompagnants, eux, me dévisageait tel un médecin devant la Peste. J'étais en route pour la prison, et pour être tout à fait franc... Jamais je ne m'étais senti aussi vivant ! Signe d'un renouveau, je ne pensais pas m'en sortir aussi bien. La peine capitale me pendait au nez. Mais tout ça, c'est du passé, maintenant.


M'adossant alors contre le siège sous le poids des bras colossaux de mes deux gardiens, je me remémorai alors qu'il n'était pas bon de rester plus d'un mois au même endroit, car, malgré cette peine tout à fait clémente, il me semblait avoir oublié qu'une autre, beaucoup plus importante, je poursuivais depuis déjà quelques mois. La destination finale ? Le cimetière voyons ! Alors tachons de garder les pieds sur terre, et de ne pas perdre de temps. Il fallait déjà réfléchir à un plan d'évasion !