Le dragon est mort ce soir

La nuit était paisible, et le quarantenaire désirait profiter de ce calme pour mettre à jour certains dossiers qu'il considérait comme important. Voire vitale. Sa femme se reposait dans la chambrée, exténuée par sa haute fonction. Sa fille elle, était aux côtés de son dragon, comme chaque soir où elle n'arrivait pas à fermer l’œil.

Les heures passaient et Arslan prenait des notes, l'encrier presque vide, il se décida à une pause bien méritée. Il se redressa de son siège tout en empilant ses dossiers. Il en avait peur, car cela mettait en danger tout ce qu'il avait bâti depuis son retour de Dyen, mais il avait donné sa parole à sa mère peu de temps avant sa mort, et c'est le genre de parole qui prenait le dessus sur tout le reste. Sa femme, Amalia était au courant de ce dont il manigançait et le soutenait comme à son habitude. Non, ce dont il craignait, c'était pour sa fille... Les représailles pouvaient être terrible, ils s'y étaient préparé depuis des années mais pas sa fille. Aussi, lorsque ce jour arrivera, il implorera sa fille de partir loin de Dyen.

Passant devant la fenêtre, il constata que l'écurie était toujours éclairé. Il sourit, songeant que sa fille devait s'être endormie auprès de Solas. Il faisait à présent les cent pas dans la pièce circulaire, son regard sur la pile de documents qu'il avait rassemblés depuis plus de quinze ans. Ils comprenaient les finances de la famille Solidor, leurs propriétés et les exploitations minières en leurs possessions. Il y avait bien des fraudes ici et là, mais rien qui ne pouvait mettre à mal les Solidor. Il n'y avait qu'un document d'une importance capitale.

Celle d'une affaire vieille de plus de trente-huit ans exactement. La même année où la famille Arkhiralt était tombée en disgrâce, et contrainte pour la plupart de partir en exil. Ce document, d'une importance capitale il l'avait obtenu par des moyens peu conventionnel, aussi il doutait jusqu'à ce qu'il y a peu de son authenticité, mais Amalia avait réalisé une inspection sur l'ancien territoire Arkhiralt désormais aux mains des Solidor. Au premier coup d’œil rien ne lui avait semblé étrange. Il n'y avait d'ailleurs qu'un petit village en bordure des montagnes. Mais après une inspection plus profonde, il s'avérait qu'une exploitation minière de l'un des matériaux les plus importants pour Dyen y existait. Cependant, les récoltes ne parvenaient jamais à Dyen, mais bien à l'extérieur pour un commanditaire inconnu. Ce qui valait aux yeux des lois de Dyen un crime semblable à la trahison.

Suite à un léger grincement, Arslan revint à lui mettant de coté ses pensées. De léger bruit de pas dans la pièce d'à côté attira son attention. Sa fille était sans doute rentrée, mais en portant son attention sur l'extérieur, il constata que l'écurie était toujours éclairée.

L'homme s'écarta vivement de la porte, saisissant ses dossiers sous le bras et dégainant son épée de son autre main. Il n'y avait pas d'effet de surprise possible, il était coincé dans la pièce, aussi il hurla de toutes ses forces:

- AMALIA ! UNE ATTAQUE !

À peine, eut-il terminé que la porte s'ouvrit avec fracas et deux hommes tout de sombres vêtus lui faisaient face. À l'extérieur de la pièce, il entendit du mouvement, et des bruits de luttes venant de la chambrée.

L'un des deux hommes se précipita vers lui tandis que l'autre le contournait. D'un geste défensif, Arslan leva son épée pour contrer la lame de l'assaillant. Il lui assénait un coup d'épaule violent avant de se diriger vers la porte, contournant le bureau pour ne pas se faire prendre en tenaille. En dehors de la pièce, sa femme se débattait en robe de nuit, un coutelas à la main contre un homme qui se trouvait à présent désarmé. Se précipitant sur sa femme, il donna un coup de pied aux visages de l'assaillant de sa femme qui en profita pour planter la lame dans son torse.

- DEUX DE MOINS ! rugit-elle à l'attention de son mari. Arslan observa l'entrée de la chambre et voyait autre homme allongé, le sabre de sa femme ruisselant de sang à côté. L'homme crachait su sang et respirait difficilement.

- Où est Aurora ?! Demanda sa femme précipitamment à son mari. Se redressant face aux deux autres hommes encore vivants. Le quarantenaire, les dossiers toujours sous le bras fit face à son tour aux deux hommes.

- Je l'ignore ! Sans doute l'écurie, il me semble qu'elle y était allée. Le couple marchait à reculont vers l'entrée de la demeure. Tenant à distance les assaillants qui cherchaient une faille avant d'attaquer. À l'extérieur, la nuit calme et obscure ne laissait pas présager ce qui se passait à la demeure Arkhiralt-Rosargent. Le couple se précipita vers l'écurie, les deux hommes à leurs trousses. Le couple espérait prévenir leurs dragons respectifs, il hurlait à leurs encontre mais il ne semblait pas réagir. Sa femme devant, Arslan sentit une pointe froide traverser ses vêtements, au niveau de son estomac. Il ne réalisa qu'après s'être retournée que l'un des hommes tenait une arbalète. Portant sa main contre le sang qui commençait à se répandre, le couple arriva enfin devant l'écurie. Mais le spectacle était tout autre de ce qu'il s'imaginait. Deux dragons gisaient sur le sol, l'un d'un bleu azuréen et l'autre plus sombre. Les deux créatures autrefois magnifiques avaient les yeux révulsés, la langue violacée et la gorge tranchée... Empoisonné puis exécuté.

Son coeur fit un bon, tant ce qu'il ressentait était affreux. Sa femme toujours en alerte, le visage humide de larmes, gardait l'entrée. Les deux hommes prenaient leurs temps à présent, car le couple n'avait plus de moyen de fuir. Arslan laissa tomber sur le sol ses documents, car il n'avait plus d'importance, il avait perdu le plus important et allait encore perdre autre chose lorsqu'il vit sa femme esquivée de justesse un carreau.

- C'est la fin, dit-il dans un souffle sans espoir. Sa femme se retourna vers son mari, et vit qu'il avait la main en sang, et que son ventre saignait abondamment. Elle poussa un cri de terreur. Les assaillants eux s'approchaient en marchant à présent, jubilant d'avance.

Arslan, poussa un grognement en observant sa dragonne, et rampa vers elle. Son sang commençait doucement à sortir par d'autres orifices, la douleur était infâme et sentit que le carreau était empoisonné et sentit sa vie le quitter peu à peu.

- Aurora ? Où est Aurora ? souffla-t-il a sa femme qui ne cessait de pleurer à la fois de tristesse et de rage.

- Elle doit être en sécurité pour le moment, chéri. ça va aller. Tout ira bien. Ses paroles sonnaient fausses parmi ses sanglots. Mais Arslan sourit à sa femme tout de même. À ce moment précis, une ombre passa au-dessus de l'écurie. Un dragon sombre et épineux volait à toute allure passant à plusieurs reprises au-dessus d'eux. Avant de disparaître hors de leur vision. Un rugissement bestial retentit et des cris atroces.

Des bruits de pas précipité avançaient dans leurs directions. Et une jeune femme apparut par l'ouverture.

- Maman, Papa ! Qu'est-ce qu'il se p... Elle s'arrêta net lorsqu'elle vit son père allongé contre Emeria sa dragonne. Le teint d'Arslan virait aux vert pâle, les yeux injecté de sang. Aurora se précipita sur lui, prenant son visage entre ses mains en pleurant à chaudes larmes. - C'est affreux, il se passe quoi . Maman ! Réponds !

La mère était à bout, voyant son mari dépérir au milieu de leurs dragons. S'en était trop.

- Ton arrière-grand-père, son grand-père dit-elle en désignant son époux. C'est toujours de sa faute. Ce n'est pas la première fois. Ton frère, c'est lui déjà qui nous l'avait enlevé. Toussant fortement en crachant du sang, Arslan pointa la pile de dossiers à sa fille.

- Écoute ! dit-il faiblement. Vas-t'en d'ici. Quitte Nislegiin avec ça. Et ne revient que lorsque le vieil homme sera mort et que tu seras prête. Rejoins mon cousin, il est parti pour Myträ. Tu le reconnaîtra à sa dragonne, elle ressemble à Emeria. Dit-il dans un faux sourire tant la douleur était insoutenable. La jeune femme s'apprêtait à refuser mais son père lui donna un baiser sur son front, avant de saisir la main de sa femme.

- Va maintenant, ne revient pas ! Tu es en danger.
- Et maman ? Qu'est-ce que...
- Je reste avec ton père. Il ne tenteront pas une attaque avant longtemps et je me dois de faire perdurer l'honneur de la famille ici à Dyen. Et il faudra que quelqu'un... - ...M'enterre. Termina Arslan. - Aurora, nous t'aimons et t'aimerons toujours, mais ces dossiers doivent être protégés, fais-moi la promesse comme je l'ai faite par le passé à ma mère.

Les yeux inondés de larmes, la jeune femme murmura - Je te le promets. avant partait à toute hâte en ramassant les documents sur le sol. - Je vous aimerais toujours hurla-t-elle avant de s'envoler sur son dragon.

Désormais seul, le couple ne détachait pas le regard l'un de l'autre. Le teint d'Arslan était devenu très pâle presque translucide. Sa femme porta un dernier baiser sur les lèvres de son mari qui mourut peu de temps après. Cette nuit, paisible et calme, on pouvait entendre des lamentations sans fin venant de la résidence Arkhiralt.

~ FIN ~