Un VIP bien malade

Ainsi, la doctoresse avait agit comme Norwin le lui avait ordonné. Elle avait suivi cet ordre si difficile et si incompréhensible pour un médecin voué à la promotion de la vie, de la santé et du bien-être. Chaque jour, depuis des années et des années, la guilde et les professionnels excellement formés par les meilleurs professeurs et les meilleurs praticiens, afin de construire la meilleure guilde médicale de toutes les terres d’Irydaë. Une formidable machine médicale, capable d’intervenir sur toutes les pathologies, que ce soit par la technologie ou par la magie. Des professeurs aux chirurgiens, des maîtres de Mochlog en passant par les maîtres de Khugatsaa, ils étaient des centaines à œuvrer pour les autres, loin des tensions géopolitiques et loin des considérations culturelles ou religieuses. Certains, peu au courant des pratiques de la guide et de leur socle d’actions, pensent à une utopie, un mirage, un mensonge. Et pourtant, tout cela était bel et bien réel.

Il ne le dirait pas, mais le professeur qu’il est, le docteur qu’il est, le praticien qu’il est, le professionnel qu’il est et le dirigeant qu’il est, étaient tous fiers de cette jeune doctoresse qui venait de faire preuve d’un courage exceptionnel et d’un sang froid impressionnant. Seule petite déception – si toutefois cela pouvait en être une – ce renfermement, cet atermoiement et cette attitude dépressive typique d’un syndrome post traumatique, qui secouait la doctoresse dans son entièreté. Sans doute cela pouvait-il s’expliquer par son jeune âge ? Par sa psychologie loin d’être habituée à tout cela ? Arriverait-elle, un jour, à devenir un médecin d’exception et une combattante adaptée aux expédition d’Ekhlen ? Un médecin du second cercle ? Du premier cercle même ? Trop de questionnement pour le moment. Il voulut tout de même prendre la parole, mais l’arrivée du capitaine Solar ne lui en laissa pas le temps. Qu’à cela ne tienne, il dira ce qu’il a à dire en temps et en heure.

Il écoute alors les dires du capitaine. Sans surprise, il se trouva face à un mur percé de quelques meurtrières filtrant les informations. Norwin n’apprit rien des dires de Fabius, rien de plus que ce qu’il savait déjà et bien moins que ce qu’Isha venait de dire. Il ne pouvait pas lui en tenir rigueur, après tout, être capitaine faisait peut-être de lui un officier de l’armée, mais il n’était qu’un maillon un peu épais, d’une chaine de commandement aux maillons bien plus solides et plus importants que lui. Sa faible marge de manœuvre et le poids de ses supérieurs expliquaient à eux seuls pourquoi Fabius était obligé de filtrer les informations. Norwin ne lui en voulait pas, mais il n’était pas satisfait pour autant. Après tout, les Cercles ne venaient-il pas d’être agressés à cause de la venue d’un officiel de l’union ? A cause de l’arrivée imprévue d’un aéronef de l’armée ? A cause de la négligence d’un recruteur ? D’un contrôleur des embarquements ? D’un responsable de soulte ? A cause d’abus de pouvoirs d’un être infâme profitant des règles d’un système corrompu ? L’union et l’armée avaient une dette envers les Cercles, une dette qu’il fallait bien payer. Mais tout cela était bien au-dessus des responsabilités et des compétences de Fabius. S’il pouvait choisir certaines de ses missions et l’endroit où emmener son aéronef, il n’était pas maître de toutes ses paroles ni de toutes les décisions.

Cependant, il fut mille fois plus sincère et authentique face à Isha. Il est vrai que la jeune doctoresse était très belle et dotée des plus belles formes typiques des individus de sexe féminin bénéficiant d’hormones comme les œstrogènes et la progestérone. Il était compréhensible, donc, qu’un jeune homme tel que Fabius soit tombé en amour face à la doctoresse. Une fois que le militaire eut terminé sa tirade et ses petites attentions, Norwin prit la parole.

- Effectivement, l’infirmière tuée dans l’exercice de ses fonctions était innocente, elle ne s’attendait pas à subir les affres d’une folie créée par des Hommes sans scrupules, parce qu’elle œuvrait sur une île neutre, au-dessus d’un continent non affilié à l’une ou l’autre nation, ne refusant rien d’autre que les règles des Cercles. La lettre écrite par moi-même à sa famille était élogieuse, mais elle aurait pu être autrement évitable. Il marque une petite pause alors qu’il se redresse sur sa chaise. Et vous avez encore une fois raison en disant que vous devez la vie à la doctoresse Isha ici présente, mais je ne suis pas certain que cela soit suffisant pour lui permettre de dépasser ces tragiques évènements gravés dans son amygdale et que l’aire corticale des émotion saura faire ressortir encore longtemps, provoquant tachycardie, tachypnée, une hypocapnie et des sensations de vertiges accompagnées de nausées, symptômes typiques du syndrome de stress post-traumatique. Avoir sauvé sa vie et l’existence des Cercles lui a grandement coûté, et il lui faudra du temps avant de dépasser ces épisodes tragiques pour n’importe quel être humain. Il s’arrête à nouveau, appuyant sur un petit bouton positionné sur un plaque de bois. Quelques secondes après, Analya Krowles entra dans le bureau sans toquer, avec une enveloppe brunâtre ouverte sur le dessus et qui semblait contenir une certaine épaisseur de feuilles. Elle le déposa sur le bureau, adressant un sourire à Norwin qui lui rendit la pareille mais en se forçant visiblement. Le médecin ouvrit alors le dossier, et le décrivit au capitaine. Capitaine SOLAR, j’ai ici une copie du document tapé par moi-même et ma secrétaire, Mme Krowle que vous venez de voir. Ce document rapporte les faits qui se sont déroulés sur l’île des Cercles et parlent allégrement des agissements de cette légionnaire qui fut importée par votre aéronef. Nous listons également les divers dégâts physiques, psychologiques et pécuniers pour lesquels nous demandons réparation. Nous demandons également des intérêts quant à la présence de cette légionnaire sur nos terres, dont le corps est gardé au secret. Tout est déjà entre les mains de l’union et, je l’imagine, de votre hiérarchie. Les frais de votre hospitalisation sont également facturés ici. Il reprend le dossier et le dépose dans un de ses tiroirs, avant de reporter son attention sur ses deux interlocuteurs. Nous en avons fini. Vos dernières prises de sang montrent la disparition de la bactériémie dont vous souffriez des suites de vos blessures, ainsi qu’une nette amélioration de vos fonctions rénales et hépatiques. Vous devrez prendre un traitement pour les trois prochains mois, et devrez trouver un praticien pour contrôler votre état de santé à l’issu de ce traitement. Pour vous, Dr Varlega, vous prendrez dix jours de repos et vous vous ferez suivre par un mage de Khugatsaa de votre choix, je pense que vous connaissez bien vos collègues. Nous nous reverrons en temps et en heure. Nous en avons terminé.

Il se leva alors et prit la direction de son porte manteau non loin de là. Il troqua alors son épais manteau de cuir pour la traditionnelle blouse blanche de médecin. Ses poches étaient garnies d’un stéthoscope de couleur argentée, de toute une flopée de marqueurs, stylos et surligneurs qui pendaient à sa poche du haut, masquant presque son étiquette d’identité. Il portait également un épais carnet corné, maintes fois feuilleté et relu, dans lequel il inscrivait quelques informations toujours nécessaires pour la prise en charge de ses patients. Deux paires de ciseaux, deux paires de pinces à clamper viennent parachever sa tenue professionnelle. Sur l’étiquette nominative, on pouvait lire « Professeur Norwin Mererson, chirurgien praticien, docteur en chirurgie générale, docteur en cardiologie et docteur en médecine d’urgence. Premier Cercle. » Et il s’en alla, laissant à Analya le soin de s’assurer que la doctoresse Varlega puisse prendre le repos qu’elle mérite, et que le capitaine Fabius, lui, puisse partir reprendre ses fonctions.