Epreuve 1 : Invité - Kobe High School

C’est la catastrophe. J’ai l’impression que ça fait des heures que je pédale sur mon vélo à travers les bois, au beau milieu de la nuit. Je devais livrer ce bento pour me faire un peu d’argent mais maintenant c’est sûr, je ne vais jamais être payé. Et comme si ce n’était pas suffisant, mon téléphone n’a plus de batterie. Oui, je suis perdu.

Ne sachant pas quoi faire d'autre, je continue de suivre ce petit sentier à peine visible malgré la pleine lune, les arbres retenant une bonne partie de la luminosité en dehors du bois. Mon rythme cardiaque bien trop élevé, ce n’est pourtant pas l’effort physique qui en est responsable.

Une nouvelle branche qui craque sous les roues de mon vélo fait perler une énième goutte de sueur sur mon visage. Je vais bien finir par arriver quelque part ! Par entendre un bruit de voiture ? Des éclats de voix ? De la musique ? N’importe quoi de connu ! Pas ce vent glauque qui affole mon imagination.

Je suis à bout de souffle, à deux doigts de craquer pour de bon, lorsqu’une lumière fait renaitre une pointe d’espoir en moi. Je retrouve comme par miracle mon énergie, ce qui me permet d’accélérer encore un peu plus, me précipitant droit vers ce que je crois être la civilisation. Autant dire que la déception est de taille lorsque j’aperçois le contour de ce temple typique au Japon, lui aussi, perdu au beau milieu de cette forêt. Tant pis, au point où j’en suis, je n’ai pas de quoi faire le difficile.

Je pose mon vélo et mon casque au pied des marches, que je franchis d’un pas mal assuré. Je ressens toujours cette affreuse oppression, comme si quelque chose allait me tomber dessus d’un instant à l’autre. C’est sûrement la fatigue. J’essaie de me redonner du courage comme je peux, m’approchant de la grande porte d’entrée pour y toquer quelques coups.

« Excusez-moi, est-ce qu’il y a quelqu’un ? »

Parce que je suis quand même bien élevé !

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Je souris malgré la peur, attendant poliment que le propriétaire des lieux veuille bien se manifester, quand un cri déchirant retentit et me glace le sang. Je fais volte-face, tous mes sens en alerte. Ce cri n’avait rien de naturel. Rien d’humain, ni d’animal. Rien de connu. Mais ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas du tout envie de savoir à quoi il appartient.

Je m’apprête à tambouriner à la porte, espérant pouvoir trouver refuge entre ces murs, quand une ombre se matérialise juste à côté de moi. Je sursaute, mon cœur rate un battement, mais au moins, le hurlement de terreur reste bloqué dans le fond de ma gorge, préservant miraculeusement ma dignité.

« Heu… Bonjour… ? »

Ne pas flipper ! Cette ombre, bien que très grande, ressemble quand même beaucoup à un être humain. Et même si ces vêtements sont plutôt étranges, il faut reconnaître que les moines ont un sens de la mode douteux. C’est forcément lui qui vit ici !

« Je suis désolé d’arriver à l’improviste, en pleine nuit, mais je me suis perdu et je n’ai plus de GPS alors, en voyant votre… Habitation, je me suis dit que je pourrais peut-être vous demander de m’accueillir jusqu’à l’aube. Bien sûr, si vous avez aussi besoin d’aide pour quoi que ce soit, je pourrais vous donner un coup de main ! »

J’aimerais dire qu’une fois lancé, tout va mieux. Mais cette fois, ce n’est pas le cas. L’aura enchanteresse qui se dégage du lieu est aussi envoutante qu’effrayante. Je sens mes poils qui se hérissent sur mes bras et de nouveau, cette sensation que quelque chose de maléfique rôde dans les parages.

« Si ça ne vous dérange pas, je crois qu’on devrait rentrer. »

Tant pis pour les bonnes manières. Parce que à ce rythme, si ce ne sont pas les démons présents dans mon imagination qui réussissent à avoir ma peau, c’est mon cœur qui va lâcher !

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Est-ce que ce moine aurait fait vœu de silence ? En tout cas, il ne décroche toujours pas un mot et si mon instinct me dit que je peux me fier à lui, la raison aurait plutôt tendance à me conseiller de me méfier. C’est sympa les gars, mais si vous pouviez vous mettre d’accord ça m’arrangerait !

Quoi qu'il en soit, le principal est là. Après avoir pris sur moi pour contrôler mes jambes qui se défileraient bien, cette invitation à entrer tombe enfin ! Une invitation muette certes, mais compte tenu de mon état de stress actuel, il ne m'en faut pas pas plus !

« Merci, c’est vraiment gentil de votre part ! Ces bois alentours ont vraiment l’air immenses !! Je ne sais pas combien de bornes j’ai pu parcourir avant de trouver votre temple, mais je suis bien content d’être tombé sur vous ! Je ne suis pas très doué pour le camping et dormir à la belle étoile ça ne m’a jamais trop tenté ! »

Je laisse échapper un rire léger, comme si tout était parfaitement normal. Mais rien ne l’est. Cet endroit ne ressemble absolument pas aux bâtiments classiques que j’ai déjà eu l’occasion de visiter à plusieurs occasions. C’est comme s’il était resté bloqué des centaines d’années dans le passé. Ou plutôt, comme si les décors sortaient directement de l'un de ces contes pour enfant que les plus vieux aiment raconter quand on n'est pas sages.

Un nouveau bruit inquiétant raisonne autour de nous et me pousse à ne pas camper davantage sur mes positions. Je passe bien vite par la porte ouverte, espérant trouver un minimum de sécurité (et d'apaisement) entre ces murs.

« La déco c’est pas trop votre fort hein ? »


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Je ne m’attendais pas vraiment à ce que mon nouvel ami moine me réponde, mais j’imaginais au moins qu’il me suive à l’intérieur. Je me rends rapidement compte que je suis seul à avancer, ce qui fait de nouveau monter l’angoisse en moi. Je m’arrête pour me retourner en direction de l’entrée. Ce qui se passe à cet instant a définitivement raison de mon optimisme que je pensais pourtant à toutes épreuves.

« Qu’est-ce que… ? »

Une voix qui parait venue d'ailleurs raisonne autour de nous. Je me fige sur place. Cette fois j’en suis sûr, ce n’est pas mon imagination. Cette ombre qui se déplace à l’extérieur, je l’ai vue distinctement. Et celle-ci n'a rien d'humain. Ses formes rappellent davantage celles d'une créature mystique. Pourtant, l'homme étrange ne parait pas vouloir bouger. Au contraire. Cette position qu'il prend indique clairement qu'il a bien l'intention de l'affronter.

Chaque partie de mon corps se met à trembler sans que je ne puisse rien y faire. Mes jambes se mettent à bouger par leur propre volonté. Je me rapproche de la porte que je viens de franchir. Pourquoi ? Je veux fuir, mais je ne peux m’empêcher d’être en même temps attiré par toutes ces extravagances.

Je voudrais crier à cet homme de rentrer. Qu’on ferme les portes, pour laisser définitivement ce démon dehors. Mais je n’y arrive pas. Je reste dans l’embrasure de la porte à observer ce qui se passe dehors. Et le moine qui reste toujours dehors alors que ce nuage noir s’approche, déversant autour de lui cette onde de désarroi qui devient insupportable.

Un nouveau hurlement, beaucoup trop fort, et c’en est trop pour moi. Mon cœur bondit dans ma poitrine et je referme la porte violemment, avant de prendre mes jambes à mon cou, m’enfonçant dans ces couloirs totalement au hasard.

« Oh mon dieu oh mon dieu oh mon dieu… »

Je répète en boucle ces quelques mots, totalement sous le choc de cette manifestation évidente d’une créature légendaire maléfique. Je m’en veux. Mais je suis terrifié.

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Qu’est-ce qui se passe ici ? C’est impossible ! Je me repasse en tête tout ce qui s’est produit, depuis le moment où j’ai quitté mes rues bitumées bien connues, jusqu’au moment où tout est devenu insensé.

Je cours toujours dans ces couloirs inconnus, totalement perdu. Je n’ai plus la notion du temps. Je ne me souviens même plus avoir monté des escaliers, mais lorsque j’arrive près de cette fenêtre, il est évident que j’ai pris de la hauteur. Les bruits d’un affrontement extérieur me poussent à me rapprocher. Je reste là, simple spectateur de cette bataille surnaturelle. Cette créature bestiale, représentation étrangement concrète des yokais typiques du folklore japonais, se montre réellement hostile face au combattant qui n’est décidément pas un simple moine.

Les mains collées sur la vitre, le visage pétrifié, j’observe le combat qui fait rage. Un combat digne d’un film épique, mais qui n’a strictement rien à faire dans ma réalité. Si je n’étais pas aussi paniqué, je pourrais trouver tout ça super classe. Mais là, je suis juste pétrifié quand toutes ces lames s’abattent sur l’immonde bestiole. Et l’angoisse qui recommence à monter, en voyant cet homme incroyablement puissant rentrer dans le temple.

Je m’adosse contre le mur et me laisse glisser jusqu’au sol, à bout de forces. Les genoux repliés contre mon torse, je ne sais plus quoi penser. Je ne peux m’empêcher d’imaginer tous types de scénarios catastrophes. Dont un en particulier, qui tourne en boucle dans mon esprit. Celui où mon père aurait retrouvé ma trace, puis engagé un assassin à l’entrainement irréprochable. Jusqu’à ce que je vois l’homme en question apparaître à l’autre bout du couloir. Je relève la tête, l'observant approcher.

« Est-ce que… Vous allez me tuer ? »

Ma voix tremble légèrement. Je n'arrive plus à bouger. Je n’ai pas envie de mourir, mais à cet instant précis, mon destin est entre ses mains.

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