Un début d'aventure compliqué

Kali était contente d’être de retour à Shüren. Elle n’était peut-être pas originaire de la ville et le climat de la ville était un peu trop changeant et souvent froid à son goût mais elle y aimait l’ambiance, sans compter qu’elle savait que c’était l’un des meilleurs endroits pour aider ceux qui avaient décidé de lutter contre les technologistes. Rien d’étonnant : Katakan y passait régulièrement et qui plus est sans chercher le moins du monde à se cacher puisque le primo-gharyn Agaad semblait ne pas s’y opposer et qu’il aurait fallut être fou -ou zolien- pour envisager de lui faire des reproches sur ce genre de sujet.

Mais depuis quelques jours s’était une autre activité que les entraînements au combat et les prêches à destination de la foule, pour lesquelles elle s’était découverte une petite vocation, qu’elle pratiquait. En effet, elle avait depuis longtemps la volonté de devenir une excellente praticienne des arts de Dalaï : sa mère avait veillé à lui inculquer cette volonté, et elle la poursuivait aussi bien pour la rendre fier que pour lui rabattre son claquet.
Dans ce but, et contrairement à de nombreux autres qui choisissaient de pratiquer leur magie en ascètes perfectionnistes, se concentrant sur leurs affinités de base jusqu’à les maîtriser au-delà de ce qui semblait possible, elle avait décidé de profiter de ses habitudes particulièrement itinérantes et de ses connaissances à travers tout My’trä : elle voulait découvrir tout ce que la magie de la Raie pouvait réserver, appréhender l’ensemble de son domaine comme un tout.

Contre toutes ses attentes, cette démarche l’avait amené, quelques jours auparavant, à rejoindre une troupe de théâtre. Pas pour jouer sur scène, non, elle n’avait rien à y faire. Au lieu de ça elle était derrière le rideau, la volonté invisible qui faisait se mouvoir l’eau et assurait tous leurs « effets spéciaux ». L’exercice l’avait intéressé lorsqu’elle avait vu l’une de leurs représentations dans une taverne et qu’elle avait compris que, non content de manipuler l’eau d’une manière très précise et diversifié, créant toutes sortes de monstres, de décors et d’effets en interactions, le marionnettiste, comme ils le désignaient, devait le faire sans voir vraiment ce qu’il faisait. Ce n’était pas vraiment nécessaire mais cela rendait le tout plus impressionnant pour le public.
Kali l’avait approché juste après la représentation et réussit à le convaincre de la laisser tenter sa chance à ses côtés. Tout l’art consistait à percevoir son environnement à travers l’eau elle-même. Un exercice qui n’avait pas été simple au début mais qu’elle commençait à maîtriser petit à petit.

Les applaudissements réussirent à l’atteindre au milieu de sa concentration, occupé qu’elle était à manipuler une dizaine de tentacules d’eau qui enserraient l’acteur qui jouaient l’antagoniste daënar de leur pièce, avec suffisamment de pression pour faire réaliste mais sans le blesser, bien entendu. Une précision dont elle n’était pas coutumière et qui augmentait encore agréablement la difficulté et l’efficacité de l’entraînement. Toutefois le signal sonore sonnait la fin de la pièce et elle relâcha sa concentration, laissant l’eau redevenir parfaitement inoffensive -sauf peut-être pour celui qui viendrait à glisser dessus-. Son « maître » improvisé lui adressa un grand sourire auquel il manquait quelques dents qui, ajouté à sa stature imposante et ses mains comme des battoirs, lui donnait plus l’air d’un spadassin que d’un artiste. Pourtant elle n’avait pas connu de zagashien plus doux et elle soupçonnait que cela ait un rapport avec ses origines métissés khurmi. Pourtant elle n’aurait jamais osé en plaisanter devant lui car comme tous les disciples de Dalaï il y avait des choses qui ne passaient pas et le lancer sur le sujet pouvait se révéler très sportif.
Non pas qu’elle doutait de ses chances, mais elle ne voyait aucun intérêt à le tester de la sorte.

Profitant de la fin de la pièce elle quitta les coulisses, laissant le reste de la troupe profiter des acclamations. Elle avait déjà assez tendance à se mettre en avant depuis l’épisode du vignoble pour qu’elle profite des moments où d’autres le faisaient à sa place. Elle se mêla donc à la petite foule qui avait profité du spectacle. L’agitation était plus élevée qu’à l’accoutumée puisqu’il s’agissait d’une satyre des daënar qui incitait à leur rentrer dedans. Elle soupçonnait que la pièce avait été ajouté à cause d’elle d’ailleurs mais elle ne l’approuvait pas vraiment : elle détestait les actes des technologistes et elle voulait les chasser de My’trä mais elle les respectaient comme ennemi et considérait que les sous-estimer, ce que ses compagnons actuels faisaient, était une grave erreur. Elle avait pu, d’assez près, le constater personnellement.
Aussi fut-elle naturellement intriguée quand elle remarqua une jeune femme particulièrement visible avec ses longs cheveux à la couleur rose et sa tenue tout aussi colorée qui ne semblait pas goûter à l’humour de la troupe. Elle s’en approcha donc, les mains croisées derrière le dos et ondulant légèrement, un peu à la manière du serpent par lequel on l’avait surnommée.

« Tu n’as pas l’air de trop apprécier le spectacle, je me trompe ? » Elle ponctua sa phrase d’un sourire, pour bien montrer qu’il ne s’agissait pas d’une critique, puis elle reporta son regard sur la scène de fortune tout en continuant de s’adresser à la jeune femme : « C’est le grand sujet depuis plusieurs semaines en tout cas, et au moins à Zagash personne n’arrive vraiment à se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire. Enfin pour être honnête, se mettre d’accord n’est pas notre point fort. » Elle prononça cette dernière phrase avec une pointe de malice en posant à nouveau ses yeux sur l’inconnue : « Au fait, je m’appelle Kali Tal’göss, du clan Saphery, et toi ? » dit-elle en lui tendant la main.

« Oh, non, je ne fais pas vraiment partie de la troupe, je travaille juste juste pour eux quelques temps à faire les effets d’eau. Si jamais tu as trouvé ça nul, n’hésite pas à le dire, je m’entraîne encore.
Et c’est beaucoup plus dur qu’on ne pourrait le croire ! » ajouta-t-elle précipitamment comme pour se justifier d’une éventuelle critique.

Tandis que la jeune femme s’épanchait sur la question du sujet de la pièce, avec un débit qui surprit un peu Kali, celle-ci se pencha légèrement en arrière, s’appuyant sur sa jambe droite et croisant les mains derrière la tête comme si elle s’appuyait contre un mur, tandis qu’elle observait son interlocutrice derrière ses paupières mi-closes. La position qu’elle semblait adopter sur le conflit était osée dans les rues de Shüren – Kali se retint de l’interrompre – elle devait donc être courageuse ou inconsciente.

« Original, oui sans doute, mais complètement irréaliste. Autant écrire une histoire où un mogoï aime à venir se blottir au coin du feu ou sur une rivière qui remonterait la montagne... » Elle s’arrêta quelques secondes, songeuse : « Remarque je crois avoir déjà entendu une histoire comme ça un jour. Mais ça finissait mal pour la rivière.
Enfin pour être honnête je ne suis pas moi-même convaincue que ce genre de pièces soit une bonne chose, mais je pense que mes raisons sont très différentes des tiennes. Ce n’est pas en cachant la réalité de la guerre derrière des farces que l’on arrivera à se débarrasser des daënars. Et puis ça donne aux gens une mauvaise idée de la menace, ce qui peut se révéler mortel quand on se retrouve avec une arme en main. »

Un regard plus sombre, presque sinistre, voila ses yeux pendant un instant. Il disparut dans un haussement d’épaule accompagné d’un demi-sourire en réponse aux excuses de cette femme aux cheveux roses.

« Il n’y a pas de mal ne t’inquiètes pas, j’ai fini par accepter que les gens ne pensent pas forcément comme moi, même si ça serait franchement plus pratique.
Quant à savoir pourquoi les autres zigotos – le terme était accompagné d’une étincelle d’amusement au fond des yeux qui en retirait tout mépris – ont décidé d’en faire une pièce, je crois que c’est ma faute : je suis du genre grande gueule et, comme je pense que tu as pu le deviner, pas exactement convaincue par les histoires de ‘paix’ et de ‘bonne entente’ avec ces foutus technologistes. Je leur préfère les négociations musclées. »

Un sourire mauvais s’épanouit sur ses lèvres avant de repartir pour laisser sa place à un éclat de rire et Kali poursuivit d’une voix difficilement contrôlée et des perles d’humidité au coin des yeux tant l’idée qu’on la prenne pour une artiste était incongrue. Il n’y avait toutefois ni mépris ni méchanceté quand elle répondit, seulement un amusement innocent :

« Oh non, je t’arrête tout de suite : je n’ai rien d’une artiste. La seule raison pour laquelle je suis avec eux – enfin en plus du fait que j’aime bien leur compagnie – c’est parce que les techniques de leur marionnettiste, c’est comme ça qu’ils appellent celui qui s’occupe de l’eau » glissa-t-elle à mi-voix au milieu de ses explications « m’ont beaucoup intriguées et que je suis décidé à apprendre tout ce que je peux quand il s’agit de la magie de Dalaï.
Mais à voir tes tenues et, excuse moi de le dire, la naïveté avec laquelle tu abordes le sujet du conflit dans les rues de Shüren, je suis prête à parier que tu n’es pas d’ici. Donc si ce que je te dis te paraît obscur, n’hésite pas à poser des questions : j’adore parler de la mère des océans et des cadeaux dont elle nous couvre.
Mais je suis aussi très curieuse alors dis-moi, Mildrem, d’où tu viens et qu’est-ce qui t’as amené à venir visiter le meilleur endroit du monde ? A quelques exceptions près peut-être, quand j’y pense, mais on ne va pas s’arrêter à de petits détails. »

« Ah je suis ravie de l’entendre ! »

S’exclama Kali avec un grand sourire tandis que la conteuse s’extasiait sur la beauté de Zagash supérieure à toute autre. En tout cas, c’est ainsi que la rouquine perçut les choses. Elle éclata d’un rire chaleureux lorsque son interlocutrice sembla se vexer de sa remarque et se glissa à son côté, toute sourire, pour l’attraper par le bras dans un geste familier et l’entraîner avec elle pour sortir de la foule et de la petite place.

« Faut pas bouder, je pensais pas à mal ! C’est juste que je pense pas qu’il y ai beaucoup de livres qui t’expliqueront qu’à Zagash, on peut te défier au combat parce que t’as dis quelque chose qui plaisait pas et que tout le monde trouvera ça parfaitement normal !
Mais t’inquiètes, je te trouve sympathique alors si quelqu’un prend la mouche, je m’interposerais. Généralement ça suffit. »

Elle ajouta cette dernière phrase avec une confiance en elle-même qui semblait presque irradier et elle entraîna sa nouvelle connaissance sur un petit pont qui enjambait l’un des innombrables canaux de la ville, puis le long de celui-ci où s’étalait de nombreux étals de marchandises venus de tout Zagash et au-delà. Shüren était sans aucun doute le plus grand port de My’trä et même s’il n’était pas aussi bien situé que Etsiin ou Aseoru pour commercer ses rues débordait de produits en tout genre que les négociants s’échangeaient avant de repartir chacun de leur côté pour aller vendre leurs produits ailleurs tandis que les habitants et visiteurs en profitaient pour se fournir en toutes sortes de choses.

« De grands sacrifices ? Hum... » Elle pinça les lèvres tandis que son regard se perdait un peu, tout à ses réflexions. Puis elle tourna la tête vers Mildrem et répondit avec un large sourire : « Non pas vraiment en fait ! J’ai du faire des choix, c’est sûr, mais parler de sacrifices… non, ce n’est pas comme ça que je le vois.
Pour répondre à ta question je suis mercenaire, même si en ce moment c’est un peu différent. Mais ça n’a pas grand-chose à voir avec mon envie de maîtriser les arcanes de Dalaï : je pense tout simplement qu’Elle ne mérite rien de moins que ma dévotion pleine et entière. »

Elle parvenait à faire ressentir la majuscule à travers le ton empreint de respect et de vénération que sa voix. Puis la jeune femme lui demanda si elle aussi trouvait que rien ne remplaçait le vécu et Kali approuva vivement sans même un instant de réflexion tant la réponse lui parut naturelle.
Elle s’arrêta brusquement lorsque la conteuse lui fit sa proposition et elle lui lâcha le bras pour se retourner face à elle, un sourcil haussé et l’air songeuse. C’était pour le moins inattendu et Kali n’avait rien prévu de tel. D’un côté elle avait bien d’autres choses à faire, de l’autre elle avait envie de s’engouffrer dans cette proposition et de voir ce qui se passerait. De toutes façons la troupe n’avait pas besoin d’elle et elle avait acquis les bases de la technique, le reste serait du perfectionnement qu’elle pourrait continuer seule et dans d’autres circonstances.

« C’est une habitude chez toi de proposer ce genre de trucs à des gens que tu connais à peine ou c’est parce que je te plais particulièrement ? »

Elle lui décocha une œillade amusée avant de lui tourner brusquement autour pour l’attraper par l’autre bras et l’entraîner dans une nouvelle rue qui s’éloignait du quai qu’elles longeaient depuis tout à l’heure.

« Mais j’accepte ! C’est pas tous les jours que je trouves quelqu’un qui est volontaire pour me subir lorsque je parle de Zagash. Là, on est dans l’un des nombreux quartiers marchands de Shüren : la ville est très grande, le port fait presque la taille de la ville donc des endroits comme ça y en a un peu partout autour des principaux canaux, comme ça les marchands s’en servent pour déplacer facilement leurs produits et on évite les rues encombrées par les charrettes. Enfin la plupart du temps.
On a aussi un paquet de places comme celle où tu nous a vu jouer, certaines bien plus grandes. Comme on est plutôt grandes gueules par ici, on y trouve toujours des gens en train de haranguer la foule sur tout un tas de sujets. Le plus drôle c’est quand il y en a plusieurs qui sont pas d’accord, ça finit presque toujours en baston ! C’est les endroits où tout le monde aime se retrouver pour discuter, écouter les ménestrels et regarder des spectacles de cirque. C’est assez facile à reconnaître : elles sont toujours entourées par un canal et la plupart ont des fontaines.

Après quand on s’éloigne du port et des quartiers marchands » elle agita le bras en direction du sud « on finit par arriver dans les quartiers où les gens habitent. Y a moins de canaux et pleins de maisons collées les unes aux autres. A certains endroits c’est un vrai labyrinthe, je me suis perdu une fois, j’avais toujours pas retrouvé mon chemin alors que la nuit tombait, j’ai finis par frapper à la première porte pour demander mon chemin. Au final ils m’ont invité à partager leur repas et je manque jamais leur rendre une petite visite quand je repasse par ici.

Par contre si on continue par là » ajouta-t-elle en désignant une autre direction d’un geste de la main « on va finir par tomber sur le palais du primo-gharyn et tout le quartier qui l’entoure où on trouve tous les diplomates et, en gros, les gens importants. C’est aussi pas loin d’être le quartier le plus chaud de la ville parce que tout autour y a plein de tavernes qui proposent tout ce qu’il leur faut pour se divertir, si tu vois ce que je veux dire. »

Elle s’arrêta finalement tandis qu’elles ressortaient de la rue, émergeant entre deux bâtiments à un étage à la façade blanche typique de la ville. Elles semblaient être arrivées dans une petite cour au centre de laquelle se trouvait un jardin qui descendait en pente douce jusqu’à une mare centrale, peu profond, dont le fond était recouvert de coquillages qui brillait de leur douce lueur nacrée. Au centre de la mare, une pierre blanche était dressée, venant effleurer la surface de l’eau, sur laquelle avaient été gravés ce qui semblaient des dizaines de courts messages ainsi que des runes et des glyphes dont le connaisseur reconnaîtrait ceux qui servaient à désigner la mère des océans.

« Tu as une préférence sur ce que tu veux voir ? Ou des questions peut-être ? » demanda Kali tout en libérant la jeune femme de son étreinte et en s’avançant à pas lent au cœur du jardin.

« Je suis désolé de ce qui est arrivé à ton ami. » la légère emphase qu’elle mit sur ce mot laissait tout à fait entendre la relation qu’elle imaginait entre les deux : « Mais c’est une belle façon de mourir et si tu veux mon avis, tu ne devrais pas te laisser accabler par la perte. La dernière chose qu’un mort attentionné souhaiterait, c’est que tu te prives de ta vie en sa mémoire. Surtout s’il a donné la sienne pour la préserver. »

Le ton n’était pas condescendant mais un peu sage, évoquant un professeur qui parlerait à un élève et semblait assez déplacé au milieu du verbiage sans conséquence que la rouquine entretenait depuis le début de cette rencontre. Elle poursuivit sur un ton similaire bien qu’un léger rictus déformait ses lèvres :

« Par contre laisse moi te transmettre une leçon que, je pense, ton ancien mentor aurait aimé t’inculquer : ne sous-estime jamais un adversaire potentiel. Cinq ans d’entraînement c’est bien et je suis sûre que tu peux te défendre contre toutes sortes de petites brutes mais y en a beaucoup qui ne considèrent ça que comme une simple maîtrise des bases. »

Elle ne précisa pas que c’était son cas, pour ne pas transformer sa mise en garde en menace involontaire.

Elles s’étaient arrêté dans le jardin et Mildrem allait pour toucher l’eau quand la main de Kali jaillit pour lui saisir le poignet, sans violence mais avec une certaine fermeté :

« On ne touche pas l’eau des bassins sacrés sans bonne raison. C’est un lieu de contemplation et de prières, pas d’amusement. »

Dit-elle lorsque la conteuse releva le regard vers elle. Le visage de la guerrière était calme, un sourire compréhensif sur les lèvres mais la dureté de ses yeux faisaient bien comprendre qu’il ne s’agissait pas de consignes avec lesquelles on pouvait jouer impunément. Elle relâcha le poignet et s’agenouilla au côté de Mildrem, les mains sur les cuisses et la tête baissée, murmurant pour elle-même des prières à peine audibles.
Une fois terminé elle se releva et s’étira, étendant ses mains vers les cieux comme si elle cherchait à attraper les nuages, tout en répondant aux question de la conteuse.

« Ce n’est pas vraiment ouvert à n’importe qui : j’y suis rentré deux ou trois fois, parce que j’accompagnais un gharyn qui m’avait embauché à ce moment ou parce qu’un lieutenant du primo-gharyn avait une tâche à me confier. Ils te laisseront pas rentrer juste parce que tu veux voir à quoi ça ressemble, surtout pas en ce moment. Enfin tu pourras toujours tenter le coup mais dans ce cas, il vaudra mieux que tu le fasses sans moi. »

La question qui suivit fit presque sursauter Kali qui se retourna vivement en direction de Mildrem et la rejoignit en quelques pas vifs pour scruter les affiches. Quand elle parla ce fut avec une ton qui indiquait qu’elle réfléchissait à voix haute autant qu’elle lui répondait.

« Les fugues c’est assez commun, mais ça ne dure jamais bien longtemps en tout cas pas au point que les parents s’inquiètent comme ça. Et puis ça ça m’étonnes. » Elle posa le doigt sur une des affiches qui décrivait la disparition d’un jeune garçon, de même pas dix ans, issu d’une tribu nomade vénérant Amisgal : « Que des zagashiens du coin fuguent, ça me surprend pas, mais chez les nomades c’est rare. Surtout que ceux qui vénèrent Amisgal ont tendance à faire de très longs voyage. Alors quand en plus le gamin est aussi jeune...
Faut espérer qu’il s’est pas juste assommé en tombant dans l’un des canaux, ça arrive parfois malheureusement. »

Elle plissa les yeux, dévisageant soigneusement la série de portraits affichés au mur pour en graver les détails dans sa mémoire puis elle soupira et haussa légèrement les épaules :

« Restons attentive, on ne sait jamais peut-être que l’on croisera la route de l’un de ces gosses. Bien que pour être franche je ne saurais même pas où commencer à chercher si l’envie m’en prenait. Bon pour reprendre notre visite, il faut aller par là. On devrait atteindre la couronne rouge d’ici dix ou quinze minutes. Je doute que la couronne en elle-même t’intéresse mais le quartier à l’intérieur est le plus beau de toute la ville. En plus on s’approche de la soirée, il y aura de l’animation. »

Kali entraîna la conteuse dans des rues un peu plus larges et comme elle l’avait annoncé plus peuplées. Au fur à mesure les bâtiments se firent plus larges et elles croisèrent de plus en plus d’établissements de divertissement divers et variés jusqu’à ce que finalement les rues ne soient plus qu’une succession de tavernes, de parcs et de places où se produisaient de nombreux artistes de rues. La population se ce quartier semblait des plus hétéroclite et l’on y croisait des styles vestimentaires venant de tout My’trä, bien que la plupart adoptaient le style d’une des nombreuses régions de Zagash. Il semblait également y avoir un étrange mélange des rangs à l’œuvre puisque l’on y croisait aussi bien des gens dont la richesse des tenues dénotaient un statut supérieur à la moyenne que d’autres qui tenaient davantage du bandit de grand chemin que d’autre chose.
Il y avait de la musique et des chants venant d’un peu partout. Kali se retourna vers Mildrem et écarta les bras pour englober le décor avec un grand sourire :

« Bienvenue au cœur de la couronne rouge ! »