Le départ du médecin permit à Adam de retrouver le calme de ses remords. Les mêmes pensées tournaient dans sa tête, sans qu’il bouge de position. Ses yeux fixaient le vide jusqu’à ce que la Capitaine se mette à répondre aux questions qu’il avait émises. Et la jeune femme ne prit aucuns gants pour lui remettre les idées en place. Elle ne tenta pas de l’apaiser, ni de le cajoler. Elle fut franche. Ainsi donc, les images, odeurs et son qu’il revivait resteraient et d’autres s’ajouteraient à chaque mission. La reconnaissance, il devrait aller la chercher lui-même, lisant entre les lignes des rapports de mission. Chaque soldat savait qu’une médaille n’était attribuée qu’aux morts, ou aux militaires trop blessés pour continuer leur carrière et leur vie de manière normale.
D’autres paroles de Myträ firent enfin l’effet d’un électrochoc. Oui, il l’avait dit lui-même, il se battait pour protéger ceux qui ne pouvaient pas le faire ! Qui était-il pour décider de la dangerosité de leurs cibles ? Ses supérieurs savaient évaluer les risques, les dangers potentiels que représentait toute situation. La balance des vies devait toujours être positive. Si on leur avait ordonné de massacrer une cinquantaine de cibles ? Ils en avaient probablement sauvé dix fois plus. Le jeune garçon qu’il avait entendu avant de sombrer, probablement mort dans la forêt, aurait peut-être abattu des dizaines de personnes sans même forcément savoir pourquoi. Le discours que l’ancien mineur avait entendu était tout droit sorti d’un lavage de cerveau en bonne et due forme. Il avait déjà vu ça à plusieurs reprises chez les mineurs, la moindre étincelle se transformait en un brasier ardent.
« Oui, on a sauvé beaucoup de vies… »
Le jeune soldat avait ressenti le besoin d’exprimer à voix haute ce fait pour s’en imprégner. L’officier avait raison. Il s’était engagé dans un but précis, et il devait s’endurcir. L’armée n’admettait pas qu’on remette en question ses ordres et c’était bien en grande partie pour les raisons qui avaient été évoquées. Désormais, il devrait se conformer à ce qu’on attendait de lui, sans se poser de questions. Son regard se fit plus assuré. Peut-être trop d’un point de vue extérieur. Les remords firent placent à une détermination sans failles. Cette première mission lui avait permis de se tester et intégrer ces notions d’obéissance à la lettre dont on lui avait bourré le crâne depuis son arrivée.
Il pensa au Haut Général Lomakine, aussi crainte que respectée. Si quelqu’un essayait de dénombrer le nombre de cadavres qu’elle avait laissé sur son passage, il perdrait vite le fil. Ca n’empêchait pas qu’elle soit l’un des hauts gradés les plus estimé, que ce soit par les soldats ou la population. Et ce, malgré ses origines modestes, semblables aux siennes. Il devait s’inspirer de cette femme implacable, tout comme de la Capitaine Andreïev. Pleurer sur son sort n’apporterait rien pour personne. Ses petits problèmes de conscience devaient disparaitre dans un tiroir.
« J’ai compris Capitaine. Veuillez m’excuser pour cette faiblesse, ça ne se reproduira pas. Je ne me suis pas engagé pour jouer les pleureuses. »
Suite à ces dernières paroles, il se recoucha et essaya de penser à des choses positives pour s’endormir. Les images de sa famille et de ses amis eurent bientôt raison de lui, il sombra dans un sommeil beaucoup plus apaisé que ce qu’il avait connu les jours précédents.
A son réveil, il sentait toujours les brûlures et les contusions gagnées lors de sa première mission mais plus faiblement déjà que la veille. Son ventre gargouilla même, signe que son corps reprenait doucement la main. Adam décida de se lever. Il mit plus de temps qu’à son habitude mais au bout d’une minute, il fut déjà assis sur le rebord de son lit. C’est là qu’il remarqua que Myträ avait déjà quitté les lieux. Il sourit devant ce constat, à peine étonné. La Capitaine avait dû avoir à cœur de présenter son rapport et reprendre une activité normale au plus vite. Comme il l’avait pensé la veille, c’est sur ce genre d’officier qu’il devait prendre exemple.
Le lendemain, 28 Juin 933
Adam était rentré au dortoir la veille, et son binôme revennait tout juste de mission solo. Le grand sourire qu’il arborait indiquait qu’il avait déjà eu vent de sa nouvelle réputation.
« _Il parait que t’a mouché toute la garnison »
Voyant l’air sérieux de l’ancien mineur, le Major Splash comprit rapidement ce qui se tramait dans la caboche du jeune soldat. Il avait déjà vu ce comportement chez d’autres à la sortie de missions difficiles. Les premières morts transformaient certains en loques vivantes, tandis que d’autres devenaient des sociopathes insensibles. Bien entendu, beaucoup en sortaient normaux aussi. Mais connaissant le caractère droit du Sergent, ça ne présageait rien de bon. S’asseyant aux côtés d’Adam, il lui mit une tape dans le dos.
« _Ecoutes Adam. Je vois à peu près ce qu’il se passe là-dedans. »
Lorsqu’il sentit les doigts de Franz contre sa tempe, le jeune homme tourna la tête vers lui en fronçant les sourcils. En effet, il n’avait absolument pas envie de batifoler. Ses nouvelles résolutions étaient un leitmotiv dans son esprit, et quelqu’un comme son binôme, bien qu’efficace, ne pouvait comprendre.
« _Les missions difficiles on en a notre lot dans le bataillon. Elles sont toutes différentes et on doit avoir un comportement tout aussi différent à chacune d’entre elle. Tout est pas noir ou blanc.
_C’est sûr que toi tu prends tout au quatrième degré, tu te fiches aussi de ceux que tu tues !
_Quand toi aussi tu auras perdu ta femme et ta fille dans un attentat Mytran on en reparlera de la légèreté ! »
Le ton avait légèrement monté entre les deux nouveaux amis. Mais contrairement à ce que laissait penser les paroles très personnelles du Major, il n’était pas en colère, juste blessé de se rappeler la douleur qu’il ressentait à chaque fois qu’il évoquait sa famille perdue à Alexandria un an auparavant. Ce qui eut le don de calmer le Sergent.
« _Désolé Splash…
_Chacun gère ça à sa manière. Je te demande juste de continuer à réfléchir, ne devient pas juste un tueur en série parce qu’on te l’ordonne. C’est essentiel en mission de savoir aussi remettre en question les éléments que tu as en main. Bon sauf quand c’est de Mytrans, ces pourritures-là tu peux tirer à vue. »
L’atmosphère s’était allégée, Adam était pourtant d’autant plus perdu. Il ne savait quelle attitude il devait adopter. Il savait seulement que plus jamais il ne pourrait être faible que comme il l’avait été à l’infirmerie.